Il y a quelque temps déjà que l'émission satirique sud-coréenne "Naneun Ggomsuda" est dans le viseur des conservateurs sud-coréens au pouvoir à Séoul, et l'accession de Park Geun-hye à la présidence de la République ne semble pas devoir changer une orientation de moins en moins favorable à la liberté de la presse. Les menaces d'emprisonnement qui planent aujourd'hui sur le journaliste Choo Chin-woo (sur la photo ci-contre à gauche), au motif de diffusion de "fausse information", rappellent qu'il n'est pas de bon ton de critiquer le pouvoir en place à Séoul. L'Association d'amitié franco-coréenne appelle tous les démocrates à se mobiliser pour la liberté d'expression en Corée du Sud.
L'opinion publique sud-coréenne est aujourd'hui tenue en haleine par une misérable affaire de moeurs : un scandale a conduit à la démission du porte-parole de Park Geun-hye, Yoon Chang-jung, accusé d'agression sexuelle sur une jeune stagiaire pendant la visite aux Etats-Unis de la Présidente Park, qui a dû s'excuser pour cette affaire révélée dans des conditions rocambolesques. Si Yoon Chang-jung a une autre version de l'affaire tendant à minimiser son geste, pourquoi a-t-il quitté si précipitamment le territoire américain, quelques heures à peine après les faits ? Et son explication selon laquelle il ne connaissait pas bien les coutumes américaines - dans un pays où l'on ne badine pas avec les agressions sexuelles - fait froid dans le dos : est-ce à dire qu'en Corée du Sud il ne lui serait rien arrivé, s'il avait agi de même avec une jeune stagiaire sur laquelle il pouvait exercer son autorité ?
Mais cette affaire sordide, si elle révèle la corruption d'une partie des classes dirigeantes en Corée du Sud, ne doit pas occulter un autre sujet plus préoccupant pour les libertés publiques, et que l'affaire Yoon Chang-jung relègue opportunément au second plan.
Diffusée par podcast, l'émission satirique "Naneun Ggomsuda" est un must pour qui veut comprendre la vie politique sud-coréenne, jouant un rôle un peu similaire à celui du Canard enchaîné en France. Elle avait notamment mis en lumière les manoeuvres mettant en cause les services de renseignement sud-coréens dans des manipulations électorales, qui ont donné lieu à des procédure judiciaires, avant la victoire de Park Geun-hye.
Animateur de "Naneun Ggomsuda", le journaliste d'investigation Choo Chin-woo travaille aussi pour l'hebdomadaire SisalN. Suivant le verdict qui doit être rendu le 14 mai 2013, Choo Chin-woo risque une peine de prison ferme pour avoir évoqué la mise en cause du frère de la présidente Park Geun-hye, dans une affaire de 2011 où deux membres de sa famille sont morts, l'un - retrouvé pendu - ayant été accusé par l'enquête de la mort de l'autre. Le frère de Park Geun-hye, Park Ji-man, avait été accusé par son beau-frère d'avoir joué un rôle dans cet assassinat. Le beau-frère avait intenté un procès, qu'il avait perdu, ayant même été emprisonné pour diffamation envers Park Ji-man.
En ayant voulu réouvrir le débat sur les conditions de l'enquête policière, Choo Chin-woo est à présent dans le viseur de la justice, des poursuites ayant été engagées à son encontre par Park Ji-man - par ailleurs fils du général Park Chung-hee, ayant gouverné la Corée du Sud d'une poigne de fer, depuis son accession au pouvoir par un coup d'Etat en 1961 jusqu'à son assassinat en 1979.
Les accusations de diffamation, ou de diffusion de fausse rumeur, sont régulièrement utilisées par les hommes politiques au pouvoir et les dirigeants d'entreprise sud-coréens pour faire taire des voix discordantes, tout comme l'utilisation abusive de la loi de sécurité nationale qui, depuis 1948, sert à réprimer les opposants accusés - le plus souvent sans fondement - de collusion avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord).
Un autre membre de "Naneun Ggomsuda", l'ancien député Chung Bong-ju, a été emprisonné pendant un an pour avoir contribué à la révélation d'un scandale ayant entaché la campagne présidentielle, en 2007, du prédécesseur de Mme Park à la Maison bleue, le conservateur Lee Myung-bak.
Dès 2010, les références abusives aux infractions de diffamation ou de diffusion de fausse rumeur, qualifiées de crimes en Corée du Sud, ont donné lieu à des observations du rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'expression, Frank La Rue, qui a alors fait part de ses inquiétudes sur les conditions d'exercice de la liberté de la presse en Corée du Sud quand, par ailleurs, les services de renseignement sud-coréens peuvent apparemment, et en toute impunité, salir la réputation de citoyens dont le seul crime est de s'opposer au pouvoir. Si la Corée du Sud est devenue une démocratie parlementaire grâce au combat courageux de militants pour les droits de l'homme, dont des milliers ont payé leur engagement de leur vie, l'acharnement des conservateurs au pouvoir à Séoul à l'encontre des animateurs de "Naneun Ggomsuda" rappelle que la défense des libertés démocratiques reste un combat toujours d'actualité.
L'AAFC affirme sa solidarité avec les journalistes emprisonnés en Corée du Sud pour délit d'opinion, appelant chacune et chacun à se mobiliser en faveur de Choo Chin-woo.
Source : Philippe Mesmer, "Corée du Sud : un journaliste d'investigation menacé de prison", in L'Express (dont photo).
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