Alors que des négociations directes sont en cours entre les administrations américaine et russe, la perspective d'un cessez-le-feu en Ukraine - au moins dans un premier temps - rappelle que la guerre de Corée (1950-1953) s'est aussi conclue par un armistice, et non par un traité de paix, laissant alors planer le risque d'une reprise rapide des hostilités dans les années ayant immédiatement suivi la conclusion de l'accord d'armistice. Une des parties (la République de Corée, Corée du Sud) n'était d'ailleurs pas signataire de l'accord, alors que l'Ukraine se considère également marginalisée dans les discussions entre Moscou et Washington. Mais est-il pour autant pertinent de comparer les deux conflits ?
B-29 du 19th Bomb Group au-dessus de la Corée du Nord en août 1951. Cinq groupes de bombardement et un de reconnaissance du Strategic Air Command équipé de cet avion furent mis à la disposition du Far East Air Forces fin 1950 (source : Wikipédia)
La guerre en Ukraine aura bientôt trois ans. Pour sa part, la guerre de Corée aura durée trois ans et un mois. En Ukraine, malgré leur progression, les troupes russes avancent plutôt lentement au prix de lourdes pertes. En Corée aussi, le front était pratiquement stabilisé lors de l'accord d'armistice, alors que des combats extrêmement meurtriers visaient à arracher des territoires - le cessez-le-feu devant dessiner une ligne de séparation entre le Nord et le Sud, le long de la zone démilitarisée (DMZ), qu'aucun des deux Etats coréens ne voulait alors - et ne veut toujours - considérer comme une frontière, s'érigeant comme le seul pouvoir légitime sur le sol de toute la péninsule coréenne. De même, en Ukraine, la réflexion porte aujourd'hui sur le déploiement de forces d'interposition pour faire respecter un accord de cessez-le-feu, comme le long de la DMZ. Et il reste, bien sûr, le statut des territoires ukrainiens occupés par la Russie, du point de vue de Kiev et de ses alliés - quand la Russie considère que les populations du Donbass ont décidé de leur rattachement à la Fédération de Russie. Sur ce dernier point, la situation apparaît différente de celle de la Corée, même si le conflit de légitimité sur la péninsule coréenne a évité de consacrer en droit une partition de fait, qui a aussi été mise sur la table à propos du conflit ukrainien.
D'aucuns objecteront que les Etats-Unis ne sont pas directement belligérants en Ukraine - dans la guerre de Corée, observons que ce sont toutefois les troupes des Nations unies qui étaient à l'offensive aux côtés des Sud-Coréens. Mais il s'agissait effectivement de troupes belligérantes, sous commandement américain. Par ailleurs, en Ukraine les livraisons d'armes massives par les Etats-Unis (dans des proportions plus fortes que l'Europe et les autres pays) en ont fait un acteur doté d'un pouvoir décisionnel certain pour permettre à Kiev de poursuivre - ou non - son offensive.
Si la République de Corée n'a pas signé l'accord d'armistice, c'est parce que le président Syngman Rhee n'y était pas favorable , espérant retrouver un avantage militaire en poursuivant les hostilités. Dans le cas présent, il n'est pas certain non plus que Kiev accepte les termes d'un accord de cessez-le-feu qu'elle considèrerait comme lui étant trop favorable. Pour autant, les Sud-Coréens ont arrêté les combats en juillet 1953 - et les Ukrainiens pourraient faire de même en cas de cessez-le-feu.
On pourrait allonger à l'infini la liste des éléments d'analogie - mais aussi les différences : les Européens n'ont pas existé en tant que tels lors de la guerre de Corée (la construction européenne n'avait même pas commencé) ; la guerre de Corée a été le premier conflit de la guerre froide, alors qu'aujourd'hui, dans ce que d'aucuns qualifient de nouvelle guerre froide (entre les Etats-Unis et la Chine), la Chine n'a pas réussi à imposer ses propositions pour un cessez-le-feu, et elle n'est pas partie aux négociations ; par ailleurs, la guerre de Corée a été une guerre civile internationalisée.
Au fond, le principal élément d'analyse justifiant une comparaison est qu'une guerre peut se terminer sans vainqueur ni vaincu : c'est la vision prédominante de la guerre de Corée, à Séoul et en Occident - la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) estimant pour sa part avoir remporté une victoire face à un ennemi nettement supérieur, infligeant ainsi sa première défaite à l'impérialisme américain. Au fond, au-delà des divergences dans les terminologies et les analyses qu'elles sous-tendent, les conflits en Corée et en Ukraine sont devenus des guerres d'usure entraînant de lourdes pertes, d'abord humaines, et auxquels chacun des belligérants peut estimer préférable un cessez-le-feu. De ce point de vue, si la guerre de Corée ne s'est toujours pas soldée par un traité de paix, elle n'aura non plus jamais dégénéré en un nouveau conflit ouvert. Une telle perspective peut apparaître comme un compromis acceptable, à plus ou moins long terme, pour tout ou partie des acteurs impliqués ou impactés par la guerre entre Moscou et Kiev.