Longtemps divisée entre de multiples organisations contraintes à la clandestinité, la gauche légale sud-coréenne s'est regroupée en 2000 dans le Parti démocratique du travail, avant la scission du Nouveau parti progressiste en début d'année 2008. L'AAFC a souhaité revenir sur l'histoire et les perspectives de la gauche politique en Corée du Sud.
Si la droite et le centre ont dominé presque exclusivement la vie politique en Corée du Sud depuis la fondation de la République de Corée en 1948, la démocratisation progressive du pays après 1987 a permis l'expression légale de partis de gauche, même si les organisations ouvertement favorables aux idées du juche restent toujours interdites à Séoul, en application de la loi de sécurité nationale qui réprime les contacts avec le Nord. Parmi celles-ci, le Front démocratique national anti-impérialiste, issu de la fusion en 1985 du Parti révolutionnaire pour la réunification et du Parti de libération stratégique, a des représentations au Nord de la péninsule et au Japon.
Après la répression du soulèvement de Kwangju en 1980, les mouvements universitaires, étudiants et syndicaux de gauche se développent dans l'opposition au régime militaire. Leurs dirigeants, souvent inspirés par le marxisme, sont identifiés par leur appartenance à deux courants : Libération nationale (ou NL, National Liberation), qui étudie clandestinement les idées socialistes du juche élaborées par le président Kim Il-sung de la République populaire démocratique de Corée, met l'accent sur la réunification de la patrie et le départ des troupes américaines du sud de la péninsule, tandis que Démocratie populaire (acronyme anglais : PD) insiste principalement sur les antagonismes de classe, ses dirigeants étant particulièrement actifs dans les syndicats ouvriers.
Dès ses origines, la gauche sud-coréenne a ainsi été fortement soumise à des influences que les politologues occidentaux qualifieraient de nationales ou nationalistes, et qui avaient déjà marqué d'autres courants historiques du mouvement ouvrier coréen, notamment l'anarchisme. Par ailleurs, si la distinction NL/PD aide à comprendre les conflits de tendances au sein de la gauche coréenne, il n'existe alors pas de courant structuré et les préoccupations sociales et nationales se retrouvent chez les différentes tendances. En particulier, le courant NL s'implique plus fortement en direction des syndicats à partir des années 1990.
La création du Parti démocratique du travail (PDT), en 2000, à partir d'un premier regroupement politique opéré dès 1997, réunit les différentes tendances de la gauche coréenne : au sein du PDT, le courant "Indépendance", héritier de NL, se distingue du courant "Egalité", qui succède à PD. La Confédération coréenne des syndicats (KCTU, pour Korean Confederation of Trade Unions), née de l'opposition au syndicalisme d'accompagnement de l'ancien régime militaire, a des liens étroits avec la nouvelle formation politique. Un certain nombre de membres de la fraction NL ayant initialement choisi de rester en dehors du PDT, le courant "Indépendance" ne devient majoritaire dans le nouveau parti politique qu'à partir de 2004, au fur et à mesure que le PDT regroupe le plus grand nombre des militants de la gauche légale coréenne.
D'autres héritiers de PD ont refusé l'intégration dans le PDT, jugé trop nationaliste : ils sont à l'origine du Parti socialiste coréen, à la fois anticapitaliste et très critique vis-à-vis du Nord, dont le candidat Geum Min n'a réuni que 18.000 voix à l'élection présidentielle de décembre 2007.
Les déceptions nées de la politique économique libérale du président Roh Moo-hyun, au pouvoir entre 2002 et 2007, encouragent l'essor du PDT. Malgré un mode de scrutin à très forte dominante majoritaire, le PDT décroche 10 sièges de députés (sur un total de 299) aux élections législatives de 2004, après avoir recueilli plus de 13 % des voix. Affaibli par des scissions au sein de sa propre formation politique, Roh Moo-hyun a besoin de l'appui du PDT, qui parvient ainsi à peser sur les orientations politiques nationales, en refusant notamment l'ouverture à la concurrence du marché agricole.
Toutefois, la question nationale ravive les tensions internes, sur trois sujets :
- la souveraineté coréenne sur les îles Dokdo : alors le courant "Indépendance" insiste sur cette question, le courant "Egalité" souhaite éviter tout risque de confrontation armée ;
- l'essai nucléaire nord-coréen d'octobre 2006 : si nombre de membres du courant "Indépendance" tendent à estimer qu'il s'agit d'une garantie pour la sûreté de l'ensemble de la péninsule, en tant qu'outil de dissuasion face à l'intransigeance américaine vis-à-vis de la RPD de Corée, "Egalité" reste sur une position de principe hostile à l'arme nucléaire ;
- l'arrestation, en 2007, du secrétaire général adjoint du PDT, accusé par le gouvernement d'espionnage au profit du Nord : tout en étant hostile à une criminalisation des opinions favorables aux idées du juche comme une atteinte à la liberté d'expression, le courant "Egalité" estime nécessaire l'indépendance vis-à-vis de la RPD de Corée.
Dans ce contexte, le score décevant (3 %) du député et ex-syndicaliste Kwon Young-ghil à l'élection présidentielle de décembre 2007, qui avait été plusieurs fois candidat au poste de chef de l'Etat, accélère les tendances centrifuges. Début 2008, le Nouveau parti progressiste (NPP), formé de membres du courant "Egalité", naît d'une scission du PDT. Il regroupe 15.000 membres, contre 70.000 pour le PDT. Par ailleurs, Corea21, qui publie une revue éponyme, est devenue l'une des premières fractions organisée en tant que telle au sein du PDT.
Aux élections législatives, malgré la division et un contexte électoral favorable aux conservateurs, la gauche parlementaire coréenne réunit 9 % des voix, marquant ainsi son ancrage durable sur la scène politique. Avec près de 6 % des suffrages exprimés, le PDT conserve une représentation parlementaires (5 députés, dont 2 élus au scrutin majoritaire et 3 à la proportionnelle). En revanche, le NPP échoue de peu sous la barre des 3 %, requise pour obtenir des sièges au scrutin proportionnel.
Si le poids de la KCTU témoigne de la prégnance de la gauche syndicale, longtemps interdite, la gauche politique sud-coréenne doit encore capitaliser en voix le mécontentement social contre la politique du président conservateur Lee Myung-bak. En butte à la répression, elle est l'un des fers de lance de l'opposition à la reprise des importations de boeuf américain, à l'origine des plus importantes manifestations en Corée depuis 1987.
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