Le Britannique de 33 ans Louis Cole est un youtubeur professionnel, ses 1,8 million d'abonnés sur Youtube générant des revenus publicitaires. Il s'est spécialisé dans les reportages sur les endroits les plus beaux et les plus insolites de la planète, qu'il filme derrière sa GoPro. Ce choix l'a conduit en République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) dont il a ramené une série de vidéos sur Youtube, qui cassent deux séries de clichés sur le pays : oui, on peut visiter la Corée du Nord ; oui, les Nord-Coréens sont des êtres humains qui font des pique-niques, dansent et vont dans les parcs d'attraction... Mais c'était trop pour certains médias bien-pensants, pour qui la seule information convenable doit être dans le dénigrement, systématique et sans appel, de la Corée du Nord. Vanity Fair, dont on découvre soudain l'expertise insoupçonnée en matière de politique internationale, a ouvert le bal, suivi par tous les médias qui savent, comme Le Monde dont le site bien-nommé "Big Browser" se distingue ici par une agressivité rare dans sa volonté d'imposer une pensée unique sur la Corée du Nord. La réaction en chaîne des médias dominants nous impose ce qu'il faut dire et faire - l'appel à la raison et au sens critique ne relevant selon eux que de la soumission à la "propagande" ennemie, ces mêmes médias bien-pensants reprenant inconsciemment les méthodes sinistres du "bourrage de crâne" en temps de guerre qu'ils croient dénoncer. Cette belle harmonie révèle que, sur la Corée du Nord, seul le bashing médiatique est acceptable, et Louis Cole en est une victime collatérale - de choix. Peut-être avec également une pointe de jalousie de la part de certains journalistes professionnels, spécialistes autoproclamés de l'information et détenteurs exclusifs du savoir, travaillant pour des médias qui ne survivent bien souvent (en France du moins) qu'à coups de subventions publiques - quand les youtubeurs professionnels n'ont pas besoin, eux, des aides de l'Etat.
Les experts en droits de l'homme des Nations Unies sont formels : la Corée du Nord est la pire dictature au monde. Et peu importe que leurs grands témoins produisent des témoignages douteux, peu importe que les méthodes utilisées dans ses travaux par la commission ne soient pas acceptables sur le plan scientifique, ce qui compte est le bruit médiatique généré par l'enquête. Les néo-conservateurs américains spécialistes des droits de l'homme en Corée du Nord, à l'origine des travaux de la commission des Nations-Unies, peuvent être satisfaits de leur travail d'influence sur l'opinion publique. Car ce sont des experts dans l'art de la propagande qui sont à la manoeuvre : les mêmes néoconservateurs n'ont-ils pas poussé à faire la guerre en Irak sur la base d'armes de destruction massive qui n'existaient pas, créant ainsi indirectement le principal foyer actuel du terrorisme international djihadiste ? N'ont-ils pas prétendu soutenir en Syrie une opposition prétendument laïque, dont les armes se sont en tout cas retournés contre l'Occident après avoir fini dans les mains de Daech ?
L'acte II de cet art de la propagande consiste, après avoir imposé un point de vue, à détruire tout autre point de vue : aussi est-il important que les reportages du youtubeur Louis Cole soient dénigrés... comme une oeuvre de propagande (forcément, la propagande étant le nom commun pour désigner toute communication, quelle qu'elle soit, de l'ennemi ou supposé tel). Pourtant, encore faudrait-il trouver la main des Nord-Coréens dans cette opération : que Louis Cole soit fondamentalement apolitique, que l'hypothèse d'une opération montée (et pourquoi pas financée) par les autorités nord-coréennes relève, au mieux, de l'ignorance crasse des mécanismes de communication des Nord-Coréens, au pire d'une campagne calomnieuse savamment orchestrée, les tenants du North Korea bashing n'en ont cure : il faut du sang, des larmes et des morts en Corée du Nord.
Conscient que ce qu'il a visité en Corée du Nord est ce qu'on lui a donné à voir, Louis Cole a contre-attaqué en observant que ses vidéos sont aussi partie prenante de la réalité de la RPDC, qui ne se limite donc pas à des caricatures qu'on croirait inspirées de Tintin au pays des Soviets, comme veulent le faire croire les tenants de la doxa officielle sur la RPD de Corée. Comme il l'a précisé :
J’essaie de me concentrer sur les choses positives de ce pays et de combattre l’image purement négative que l’on voit dans les médias. Je vous invite à faire vos propres recherches sur la Corée du Nord. Ces vidéos proviennent d’une perspective que l’on nous montre et que nous ressentons ici.
L'excuse alors trouvée à Louis Cole par les tenants du bashing anti-Corée du Nord est qu'il est "gentil", "naïf" et que cette gentillesse est le grand péché des nouveaux médias sur Internet. Hors contexte, l'affirmation est pour le moins étonnante, à la seule lecture de la violence de certains propos sur les médias sociaux...
Non, comprenons-nous bien : il ne faut pas être gentil avec la Corée du Nord. Il faut être méchant. Pourquoi ? Car suivant leur logique implacable la Corée du Nord, c'est mal, et que nous, nous sommes du côté du bien, des droits de l'homme. Le bien et le mal ? Ce discours ne vous rappelle rien ? L'élan messianique, tendu vers la guerre, de George W. Bush définissant "l'axe du mal" (et lui-même campant naturellement le camp du bien) a enfin triomphé : une pensée néo-conservatrice, dont ceux qui jugent utile d'extirper le mal inhérent aux vidéos de Louis Cole sont les thuriféraires patentés, se faisant les petits propagandistes d'une idéologie que pour notre part, à l'AAFC, nous jugeons d'une dangerosité mortifère pour la paix et la sécurité du monde.