Depuis plus de deux semaines, la vie politique sud-coréenne a été rythmée par les discussions entre le candidat indépendant Ahn Cheol-soo et le représentant du Parti démocrate (centre-gauche, opposition) Moon Jae-in, en vue de présenter une candidature unique à l'élection présidentielle du 19 décembre prochain, face à la candidate conservatrice Park Geun-hye. Alors que les débats s'enlisaient sur les modalités de sélection du candidat unique de l'opposition, à seulement deux jours du délai limite pour l'enregistrement des candidatures, l'annonce du retrait d'Ahn Cheol-soo, le 23 novembre, a fait l'effet d'un coup de tonnerre : si Moon Jae-in bénéficie de ce retrait, les conditions dans lesquels celui-ci s'est opéré ne dissipent pas l'incertitude quant à l'issue du scrutin.
Depuis l'annonce, le 6 novembre dernier, qu'ils présenteraient une candidature unique au scrutin présidentiel du 19 décembre 2012, Ahn Cheol-soo et Moon Jae-in n'avaient pu que constater combien le chemin vers l'union était parsemé d'embûches. Si un consensus avait pu se dégager sur un socle de valeurs communes, les modalités de sélection du candidat - nécessairement par sondage, au regard de la brièveté des délais - butaient sur la question à poser, suivant que sa formulation pourrait favoriser Moon Jae-in ou Ahn Cheol-soo, ou encore le choix d'un panel de citoyens appelés à départager les deux impétrants, dans l'hypothèse d'une primaire restreinte à tout ou partie de leurs sympathisants. Rallié tardivement au principe d'une candidature unique - il avait initialement refusé de participer aux primaires du Parti démocrate - Ahn Cheol-soo avait vu sa cote de popularité s'effriter pendant les discussions, jusqu'à être à égalité, voire légèrement devancé, par Moon Jae-in dans les sondages les opposant tous deux à Park Geun-hye, en cas de double candidature au premier (et unique) tour de scrutin. De même, en cas de second tour entre eux - soit un scénario pouvant préfigurer une primaire à l'échelle nationale - Moon Jae-in était susceptible de l'emporter. En revanche, en cas de duel face à Park Geun-hye, une candidature d'Ahn Cheol-soo augmentait les chances de victoire de l'opposition.
Tout au long de ces deux semaines de discussions, le dialogue entre les lieutenants de chacun des candidats avait été rompu, puis repris. Ahn Cheol-soo avait déploré que son appel à faire de la politique différemment ne trouve pas d'écho dans les propositions du Parti démocrate pour parvenir à l'union, tout en affirmant qu'il était prêt - en cas d'élection - à s'appuyer sur le Parti démocrate. De son côté, la direction du Parti démocrate avait choisi de démissionner en bloc pour favoriser l'union, prenant sur elle la faute d'une rupture - temporaire - des discussions.
Si les motivations du retrait d'Ahn Cheol-soo, qu'il a annoncé lors d'une conférence de presse, courent bon train (se préparerait-il pour la prochaine échéance présidentielle, en 2017, étant plus jeune que Moon Jae-in ? Jette-t-il l'éponge au nom de la priorité à faire battre la droite, alors qu'il n'a pas l'appui de l'appareil d'un parti politique et que les sondages étaient difficiles à interpréter mais rendaient son combat incertain ?), son message a été sans ambiguïté : "Dorénavant, Moon Jae-in sera le seul candidat de l’opposition.". Moon Jae-in a répondu sur Twitter qu’il était "sincèrement désolé pour Ahn et les personnes qui (le) soutiennent".
Après avoir déjà laissé planer le doute sur sa possible candidature à la mairie de Séoul l'an dernier, Ahn Cheol-soo s'était finalement retiré au profit d'un autre candidat d'opposition, Park Won-soon, qui l'avait emporté face à un adversaire activement soutenu par... Park Geun-hye, confirmant le statut de looser de celle qui a profité de sa victoire surprise aux législatives du printemps pour faire oublier ses échecs électoraux répétés (à commencer par la primaire interne face à l'actuel président Lee Myung-bak, non rééligible, en 2007), et se faire alors surnommer par des médias complaisants de droite "la reine des élections". Cette année, Ahn Cheol-soo a attendu le mois de septembre pour faire part officiellement de son intention d'être candidat, après avoir temporairement viré en tête des sondages, très loin devant ses rivaux démocrates. La semaine dernière, ses partisans avaient invoqué des rumeurs alimentées par le camp de son rival Moon Jae-in sur son possible désistement, pour expliquer le recul de leur champion dans les sondages et interrompre les négociations.
Le camp conservateur tente de tirer profit de cette reconfiguration du scrutin, qui ne lui est fondamentalement pas favorable, en déclarant qu'Ahn Cheol-soo est déçu de ne pas avoir fait prévaloir sa vision d'une autre manière de faire de la politique. Mais une telle déclaration cadre mal avec la personnalité et le parcours de la candidate de droite Mme Park Geun-hye, qui n'a jamais exercé d'activité professionnelle en dehors de la politique depuis qu'elle a servi comme première dame sous le régime très autoritaire de son propre père, le général Park Chung-hee. Artisan d'une répression politique brutale, le général Park était parvenu au pouvoir par un coup d'Etat en 1961 et s'y était maintenu par le bourrage des urnes, puis la confiscation de l'expression démocratique de la représentation politique dans le cadre de la Constitution Yusin de 1972. Ses partisans sont aujourd'hui toujours très actifs dans l'entourage de Park Geun-hye, qui n'a pas hésité à justifier le coup d'Etat de 1961, et dont la popularité au sein de la droite - incompréhensible en Occident - rappelle celle du général Pinochet dans le Chili d'aujourd'hui.
Alors que le retrait d'Ahn Cheol-soo pourrait en annoncer d'autres, aucun des "petits" candidats n'arrivant à 1 % des intentions de vote à moins d'un mois de l'élection, les sondages indiquaient jusqu'à présent que Park Geun-hye aurait du mal à rallier de nouveaux électeurs autour d'elle en cas de duel avec Moon Jae-in ou Ahn Cheol-soo, mais aussi que le scrutin serait serré, comme du reste les élections législatives d'avril 2012 qui se sont soldées par une courte reconduction de la majorité sortante de droite. C'est pourquoi, même non-candidat Ahn Cheol-soo jouera un rôle déterminant dans l'issue du vote, par son implication ou non aux côtés de Moon Jae-in.
Sources : AAFC, Yonhap (dont photo).
Dernier sondage quotidien Realmeter publié avant le retrait d'Ahn Cheol-soo, le 23 novembre 2012 :
- en cas de primaire de l'opposition entre Ahn Cheol-soo et Moon Jae-in :
Park Geun-hye 43,0 % - Moon Jae-in 27,7 % - Ahn Cheol-soo 23,2 %
- en cas de duel :
Ahn Cheol-soo 48,2 % - Park Geun-hye 43,3 %
Park Geun-hye 47,3 % - Moon Jae-in 46,6 %
Moon Jae-in 45,4 % - Ahn Cheol-soo 35,9 %
Dernier sondage hebdomadaire Realmeter (réalisé du 11 au 18 novembre 2012) :
Park Geun-hye 43,3 %
Moon Jae-in 25,9 %
An Cheol-soo 24,2 %
Lee Jung-hee (PPU, gauche) 0,7 %
Kang Ji-won (indépendant, droite) 0,6 %
Lee Kun-kae (Parti pour l'avancement de l'unification, extrême-droite) 0,5 %
Sim Sang-jeong (PPJ, gauche) 0,4 %
commenter cet article …