Le mercredi 20 mai 2010, la République de Corée (du Sud) a mis en cause la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) dans le naufrage du Cheonan, le 26 mars au large de l'île de Baengnyeong, dans une zone maritime contestée, à l'issue des travaux d'une commission d'enquête constituée d'experts sud-coréens et d'autres pays alliés de la Corée du Sud (Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni), ainsi que suédois. Pyongyang a immédiatement réagi en contestant les résultats de l'enquête, qu'elle a jugés "falsifiés" : la Commission de la Défense nationale de la RPD de Corée a annoncé l'envoi sur place d'une équipe d'inspection, en précisant qu'elle répondrait fermement à des mesures de sanction. Au regard des interrogations que soulève le rapport d'enquête, une des rares certitudes est le risque d'une nouvelle dégradation des relations intercoréennes.
Après le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan (photo de l'épave ci-dessus) qui a fait 46 morts, Yoon Duk-yong, co-responsable de l'équipe internationale d'enquête, a mis en cause la Corée du Nord, citant le rapport : "Nous sommes arrivés à la conclusion évidente que le Cheonan a été coulé à la suite d'une explosion sous-marine externe causée par une torpille qui a été fabriquée en Corée du Nord. [...] Les preuves conduisent à la conclusion que la torpille a été lancée par un sous-marin nord-coréen. Il n'y a pas d'autre explication plausible."
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Le porte-parole de la Maison Bleue, Park Sun-kyu, a déclaré que "le président Lee Myung-bak ferait preuve de fermeté en tant que chef de l’Etat et des armées pour les sanctions à l’égard de la Corée du Nord, le responsable du naufrage." Concernant le résutat de l'enquête, il a précisé : "La partie propulsion de la torpille, la pièce à conviction de l’affaire, a été découverte le 15 mai et a mené à la conclusion de l’enquête scientifique et objective." Il a également annoncé que, "à la réunion du Conseil de sécurité nationale qui aura lieu demain, différents sujets, comme la situation de la sécurité nationale, la cause du naufrage et les contre-mesures, seront abordés." Chun Young-woo, vice-ministre des Affaires étrangères, a d'ores et déjà évoqué une saisine du Conseil de sécurité des Nations-Unies.
Dans un communiqué du même jour, la Commission de la Défense nationale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a dénoncé un résultat d'enquête "falsifié" et annoncé, fait peu ordinaire attestant d'une certaine confiance, l'envoi sur place de sa propre équipe d'experts afin de confronter les preuves : "Comme la Corée du Sud a déclaré que nous sommes liés au naufrage du Cheonan, nous allons envoyer une équipe d’inspection sur place", en ajoutant qu' "il faut qu’on nous donne les preuves matérielles". Le communiqué a également mis fermement en garde contre toute mesure de sanction : "Nous répondrons aux sanctions et aux contre-mesures qui peuvent heurter nos intérêts nationaux par des mesures fermes, en leur faisant une guerre totale. La guerre que nous allons mener sera une guerre sainte contre les traîtres et leurs subordonnés qui ont falsifié les faits, pour bâtir un grand pays unifié pour l’ensemble du peuple coréen."
Dans un communiqué du 20 mai, les Etats-Unis ont immédiatement repris les conclusions de l'enquête. Selon le porte-parole de la Maison blanche Robert Gibbs, "le rapport publié aujourd’hui par l’équipe d’enquêteurs internationaux présente de façon scientifique et objective les preuves. [...] Le résultat de l’enquête mène à la conclusion que la Corée du Nord est le responsable de cette attaque." Deux jours plus tôt, le président américain Barack Obama avait appelé son homologue sud-coréen Lee Myung-bak pour "exprimer sa profonde sympathie au président Lee et au peuple coréen". Selon le secrétaire à la Défense Robert Gates, alors que les Etats-Unis stationnent toujours plus de 28.000 soldats en Corée du Sud placés sous commandement américain en cas de conflit, le Pentagone mène désormais des "consultations étroites avec les Sud-Coréens pour déterminer la voie à suivre", en précisant qu'"il rev(enai)t en premier lieu aux Sud-Coréens de décider quelles sont les suites à donner". P.J. Crowley, porte-parole du département d'Etat américain, a parlé de "conséquences" pour la Corée du Nord pour faire face à une "grave provocation". Dans le cadre d'un tournée asiatique qui l'aura conduite précédemment à Pékin et Séoul, la secrétaire d'Etat Hillary Clinton est attendue à Séoul dès le 26 mai prochain.
Un rapport d'enquête qui soulève des interrogations
L'enquête a été longue, très longue, tout en éclipsant des questions aussi essentielles que les lacunes de la sécurité nationale sud-coréenne révélées par la vulnérabilité du Cheonan, quelle que soit la cause du naufrage : pourquoi n'a-t-il pas pu détecter à temps la torpille qui serait à l'origine de l'accident ?
Le constat d'évidence, ainsi dressé par le gouvernement sud-coréen et ses alliés américain, japonais, britannique ou français (la France a offert sa "pleine solidarité" et appelé "la Corée du Nord à abandonner la voie de la violence meurtrière"), est pourtant loin d'être aujourd'hui partagé par d'autres Etats, comme la Chine, et par une large partie de l'opinion publique sud-coréenne, alors que les résultats de l'enquête renforcent la droite sud-coréenne au pouvoir, à quinze jours d'élections locales en Corée du Sud.
Il est ainsi pour le moins surprenant que seule une inscription graphique ait été présentée comme une pièce à conviction déterminante : selon le rapport, dont des extraits ont été publiés par la BBC, "la marque en coréen, qui se lit '1번(No. 1)', trouvée à l'intérieur de la section à propulsion, correspond à une marque précédemment obtenue sur une torpille nord-coréenne. Cette évidence ci-dessus a autorisé [les enquêteurs] à confirmer que les parties récupérées avaient été fabriquées en Corée du Nord." Le rapport ne semble disposer d'aucune autre preuve, s'agissant notamment des caractéristiques techniques de la torpille, que celle-ci serait bien d'origine nord-coréenne.
Toujours selon le rapport, une preuve supplémentaire est que des petits sous-marins et un navire-mère ont quitté leur base en Mer de l'ouest deux à trois jours avant l'accident, et y sont retournés deux ou trois jours après. L'information (deux ou trois jours) n'est guère précise. Surtout, pourquoi la marine sud-coréenne n'a-t-elle alors pas pu (ou su) détecter le sous-marin à l'origine supposée du tir de torpille ?
La conclusion, enfin, qu'une torpille nord-coréenne est la seule explication "plausible" écarte d'emblée d'autres hypothèses, comme par exemple celle d'un exercice militaire sud-coréen qui aurait mal tourné, pour ne retenir que la possibilité d'une agression nord-coréenne... chinoise ou russe (comme le sous-entend cette remarque du rapport : "les torpilles russes ou chinoises sont marquées dans leur propre langue...").
Prudence chinoise et doutes en Corée du Sud
Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies et disposant à ce titre d'un droit de veto, la Chine est l'hôte des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne et elle est avant tout soucieuse de stabilité en Asie du Nord-Est. Ma Zhaoxu, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré que "toutes les parties doivent rester calmes et faire preuve de retenue". Il a ajouté que la Chine, qui souhaite une enquête scientifique et objective de l'incident du Cheonan, va livrer sa propre évaluation de l'enquête. De fait, elle n'a pas été associée à l'enquête conduite par les Sud-Coréens.
Les représentants de l'opposition sud-coréenne traduisent aussi les doutes d'une partie même de l'opinion sud-coréenne, dont l'expression sur Internet a donné lieu cette fois à des contrôles sévères au nom de la loi de sécurité nationale, laissant le champ libre à la presse - conservatrice dans son écrasante majorité - et aux télévisions qui, des semaines durant, ont ouvert leurs journaux sur le drame du Cheonan.
Président du Parti démocrate (opposition, centriste), Chung Se-kyun a ainsi demandé que le Président Lee Myung-bak présente des excuses officielles pour le désastre qu'a constitué le naufrage du Cheonan, à l'origine de 46 morts. Pour sa part, le porte-parole du Parti démocrate, Woo Sang-ho, a déclaré que l'enquête avait produit des résultats insuffisants, en s'interrogeant sur l'implication du Nord.
Des questions sans réponse : secret défense ?
Alors que les seules informations directes sont venues de l'armée sud-coréenne, l'enquête militaire ayant été d'emblée retenue au lieu de l'enquête parlementaire demandée par l'opposition, l'AAFC avait souligné plusieurs questions que soulevait l'accident, et restées sans réponse :
- Pourquoi l'armée sud-coréenne a-t-elle donné trois heures différentes pour l'explosion qui a provoqué la perte du Cheonan ?
- Pourquoi le Cheonan, malgré sa taille (1.200 tonnes), naviguait-il sur des hauts fonds, à seulement 1,8 kilomètre au large de l'île de Baengnyeong ? Quelle était sa mission ?
- Pourquoi un autre navire de guerre, le Sokcho, était-il en opération à proximité du Cheonan à l'heure de l'incident? Au lieu de se porter immédiatement au secours du navire en perdition, le Sokcho a ouvert le feu sur des cibles volantes que les radars militaires ont plus tard identifié comme étant des oiseaux, selon la version officielle.
Conclusion : quel avenir pour les relations intercoréennes ?
Le seule certitude est que les relations intercoréennes, déjà mal en point, risquent encore de se dégrader, notamment en ce qui concerne la zone économique intercoréenne de Kaesong. Ne faut-il pas favoriser d'autres perspectives dans la péninsule coréenne ? L'objectif ultime de la réunification de la Corée n'appelle-t-il pas, enfin, une autre politique intercoréenne à Séoul ?
Principale sources :
- AAFC
- AFP, "North Korean torpedo sank South Korean warship, say investigators", 21 mai 2010
- BBC News, "US vows punishment for North Korea over ship sinking", 20 mai 2010
- Extraits du rapport d'enquête sur le site de la BBC
- Yonhap, "Cheonan : la Corée du Sud confirme qu’une torpille nord-coréenne a coulé le navire", 20 mai 2010
- Yonhap, "Le président Lee fera preuve de fermeté à l'égard de la Corée du Nord", 20 mai 2010
- Yonhap (citant des sources nord-coréennes), "La Corée du Nord annonce "l’envoi d’une équipe d’inspection au Sud et la guerre totale contre les sanctions", 20 mai 2010
- Yonhap, "Les Etats-Unis dénoncent Pyongyang pour le torpillage du navire militaire sud-coréen", 20 mai 2010
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