Le lundi 28 janvier 2019, Mme Kim Bok-dong est décédée à Séoul à l'âge de 93 ans. Elle était une des dernières survivantes sud-coréennes du système d'esclavage sexuel mis en place à partir de 1937 par l'armée impériale japonaise, et se battait pour la reconnaissance de ce crime commis contre des centaines de milliers de femmes coréennes, chinoises et d'autres pays d'Asie, désignées par l'euphémisme « femmes de réconfort ».
Née en 1926 à Yangsan, dans la province du Gyeongsang du Sud, Kim Bok-dong fut réquisitionnée par l'armée impériale japonaise en 1940, à l'âge de 14 ans, et contrainte à la servitude sexuelle dans des bordels japonais en première ligne en Chine, à Hong Kong, en Malaisie, en Indonésie et à Singapour pendant la Deuxième Guerre mondiale.
En 1992, Kim Bok-dong s'engagea dans le combat pour la défense des droits des femmes après avoir révélé les atrocités dont elle fut elle-même victime en tant que « femme de réconfort ». En août de la même année, elle témoigna lors de la première réunion de la solidarité de l'Asie en vue de résoudre le problème des anciennes esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise.
En 1993, Kim Bok-dong participa à la conférence mondiale des droits de l'Homme à Vienne, en Autriche, avant de continuer de témoigner partout dans le monde.
« En tant que victime de l'esclavage sexuel de l'armée japonaise, je continue à mener le combat pour la restauration de notre honneur et de nos droits humains devant l'ambassade du Japon (en Corée du Sud) et je sais trop bien combien souffrent aujourd'hui les femmes qui subissent des violences sexuelles en temps de guerre comme nous aux quatre coins du monde », déclara-t-elle lors d'une conférence de presse donnée le 8 mars 2012. « J'aimerais aider ces femmes. »
En septembre 2018, elle manifestait encore devant le ministère des Affaires étrangères, à Séoul, pour appeler à la dissolution de la Fondation pour la réconciliation et la guérison créée suite à l'accord conclu le 28 décembre 2015 entre la Corée du Sud et le Japon sans le consentement des victimes.
Kim bok-dong s'est éteinte le 28 janvier 2019 à l'hôpital Severance de l'université Yonsei, dans l'ouest de Séoul, perdant un ultime combat contre la maladie. Son décès fait passer à 23 le nombre officiel de victimes encore en vie en Corée du Sud.
Le président sud-coréen Moon Jae-in faisait partie des centaines de personnes qui se sont rendues dans la chapelle ardente installée à l'hôpital Severance pour rendre un dernier hommage à Mme Kim Bok-dong dès l'annonce de son décès. « Envolez-vous comme un papillon », a écrit le Président Moon dans le registre de condoléances.
Madame Kim Bok-dong était une gardienne de la mémoire, doublée d'une combattante infatigable sillonnant le monde entier au service des victimes. L'Association d'amitié franco-coréenne, qui milite aussi pour la reconnaissance du crime commis contre les « femmes de réconfort », avait eu l'honneur de la rencontrer à l'occasion de sa venue à Paris en septembre 2013. Nous n'oublierons pas l'incroyable détermination de Mme Kim Bok-dong, que dissimulait à peine son extrême gentillesse, et adressons nos très sincères condoléances à ses proches et à celles et ceux qui poursuivent son combat.
Source :
Le long combat des « femmes de réconfort »
Janvier 1990 |
Yun Chung-ok, professeur de l'Université féminine d'Ewha, Corée du Sud, publie un article sur l'affaire des « femmes de réconfort » dans le journal Hankyoreh. |
Juin 1990 |
Un représentant du gouvernement japonais nie à l'Assemblée nationale l'implication de l'Etat dans le système d'esclavage sexuel. |
Août 1991 |
Kim Hak-soon, citoyenne sud-coréenne âgée de 68 ans, déclare publiquement qu'elle a été « femme de réconfort » de l'armée japonaise, pour protester contre les déclarations fallacieuses du gouvernement japonais. De nombreuses survivantes du système d'esclavage sexuel mis en place par l'armée japonaise vont suivre son exemple. |
Décembre 1991 |
Kim Hak-soon et deux autres survivantes coréennes intentent un procès réclamant des excuses et des réparations officielles de la part du gouvernement japonais. |
Janvier 1992 |
Première « manifestation du mercredi » qui se tiendra, dès lors, chaque semaine devant l'ambassade du Japon à Séoul Découverte à la bibliothèque du ministère de la Défense du Japon de documents prouvant l'implication de l'Etat dans la mise en place et la gestion des bordels militaires de campagne de l'armée japonaise Le Premier ministre japonais Kiichi Miyazawa présente des excuses officielles à l'occasion d'une visite en Corée du Sud. Néanmoins, le gouvernement japonais maintient sa position quant à la question des indemnisations, déclarant que toutes ces questions ont été définitivement réglées par les traités conclus après la guerre, notamment le traité de 1965 normalisant les relations entre le Japon et la Corée du Sud. |
Décembre 1992 |
Procès des survivantes de Pusan, Corée du Sud, et des membres du Women's Labor Corps |
Avril 1993 |
Procès des survivantes philippines Procès de Song Shin-do, résidente coréenne au Japon |
Août 1993 |
Le secrétaire général du cabinet japonais, Yohei Kono, admet l'implication des autorités japonaises dans le système des bordels militaires de campagne. |
Janvier 1994 |
Procès des survivantes néerlandaises |
Juin 1995 |
Plutôt que d'assumer ses responsabilités juridiques et de procéder à des réparations officielles, le gouvernement japonais établit un fonds privé, l'Asian Women's Fund, qui allouera de l'argent aux survivantes en guise de réparations. |
Août 1995 |
Procès des survivantes chinoises (1er groupe) |
Février 1996 |
Procès des survivantes chinoises (2eme groupe) |
Avril 1996 |
Le rapport de Radhika Coomarasawamy, rapporteure spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes, est adopté par la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui retient la notion de crime contre l'humanité. |
Décembre 1997 |
Décès de Kim Hak-soon qui avait révélé son passé de "femme de réconfort" en aôut 1991. |
Avril 1998 |
Le tribunal de première instance de Shimonoseki, Japon, reconnaît en partie la responsabilité du gouvernement japonais et lui ordonne d'indemniser les plaignantes. Cette seule victoire partielle parmi tous les procès intentés par les survivantes sera rejetée par la Cour suprême. |
Août 1998 |
La sous-commission pour la promotion et la protection des droits de l'homme de l'ONU adopte le rapport de Gay J. McDougall, rapporteure spéciale, exhortant le gouvernement japonais à indemniser les victimes. |
Octobre 1998 |
Procès des survivantes de Shan-xi, Chine |
Mars 1999 |
Le comité d'experts de l'Organisation internationales du travail (OIT) exhorte le gouvernement japonais à indemniser les victimes, estimant que l'établissement de l'Asian Women's Fund, un fonds privé, n'est pas la bonne solution. |
Juillet 1999 |
Procès de survivantes taïwanaises |
Décembre 2000 |
Le « tribunal civil international des femmes contre l'esclavage sexuel de l'armée japonaise » se réunit à Tokyo, à l'initiative d'organisations non gouvernementales de plusieurs pays entendant protester contre l'impunité du crime |
Janvier 2001 |
La chaîne de télévision publique japonaise NHK programme une émission consacrée au « tribunal civil international des femmes contre l'esclavage sexuel de l'armée japonaise ». A la veille de sa diffusion, l'émission est largement censurée à la suite de pressions politiques, suscitant de nombreuses protestations contre NHK. |
Juillet 2001 |
Procès des survivantes de l'île de Haïnan, Chine |
Décembre 2001 |
Le « tribunal civil international des femmes contre l'esclavage sexuel de l'armée japonaise » rend son verdict à La Haye. |
Mars 2007 |
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe nie l'implication du gouvernement japonais dans l'enrôlement forcé des « femmes de réconfort ». |
Juillet 2007 |
La Chambre des représentants des Etats-Unis adopte une résolution exhortant le Japon à présenter des excuses officielles aux survivantes. |
Décembre 2007 |
Le Parlement européen adopte une résolution concernant les anciennes « femmes de réconfort », survivantes de l'esclavage sexuel de l'armée japonaise. |
Le combat continue...
Site Internet du Conseil coréen pour les femmes requises pour l'esclavage sexuel militaire japonais : www.womenandwar.net (anglais et coréen)
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