Dans un article publié le 9 juin 2016, Frédéric Ojardias (RFI) souligne les paradoxes de la culture du riz en Corée : alors que le Sud souffre d'une surproduction, le Nord lutte toujours pour l'autosuffisance alimentaire... mais les autorités conservatrices sud-coréennes refusent résolument d'envoyer les surplus au Nord. Une politique cohérente avec la stratégie de la droite sud-coréenne : il faut affamer la Corée du Nord dans l'espoit de provoquer un changement de régime. Décryptage.
Dans la péninsule coréenne, c'est toujours le Sud qui a bénéficié des meilleures terres agricoles et de la plus forte production de riz, base de l'alimentation des Coréens - et c'est donc aussi dans les régions méridionales que la population a le plus fortement augmenté, bien avant la partition. Quand la Corée souffrait de famine, les populations du Nord, les plus touchées, allaient dans la Mandchourie voisine, où s'est ainsi installée une forte minorité coréenne dès les années 1860.
Dans le Nord, où un sixième seulement des terres sont arables, le riz ne constitue d'ailleurs que la moitié de la production céréalière - la production de maïs étant pratiquement aussi importante que celle de riz. Après la disette des années 1990, dans un contexte marqué notamment par des catastrophes climatiques à répétition (sécheresses, inondations), les autorités nord-coréennes ont encouragé la diversification de la production agricole, et si la production céréalière a retrouvé un niveau proche de l'autosuffisance, les aléas climatiques maintiennent une situation d'insécurité alimentaire.
Malgré la partition de la péninsule entérinée par la création de deux Etats en 1948, la solidarité a joué : le Nord a fourni de l'électricité au Sud après la Libération et est venu en aide aux victimes sud-coréennes des inondations en 1984, tandis que le Sud a décidé de livrer des céréales au Nord touché par les pénuries alimentaires après 1992.
Mais tout cela, c'était avant : avant que les conservateurs ne reviennent au pouvoir en Corée du Sud en 2008. L'une de leurs premières actions a été de stopper les livraisons de céréales et d'engrais au Nord, au prétexte que les aides seraient détournées : le prétexte est facile, car toute ONG humanitaire sait bien que refuser d'aider des populations dans le besoin s'exerce au détriment de toutes les couches sociales.
Si la guerre consiste à causer des pertes pour l'ennemi en utilisant tous les moyens disponibles, le Sud - toujours techniquement en état de guerre avec le Nord - utilise l'une des armes les plus abominables qui soit par les dommages irréversibles qu'elle cause : l'arme alimentaire. Le Sud n'a pas l'arme nucléaire, mais elle dispose de l'arme alimentaire, et pire, elle l'utilise - contrairement à l'arme nucléaire nord-coréenne.
Dès lors, conformément à cette logique criminelle qui porte un nom (poliorcétique), que valent les constats que les surplus de riz sud-coréens ne cessent d'augmenter, sous l'effet notamment du changement des habitudes alimentaires entraînant une baisse de la consommation au Sud, alors que les prix rendent le riz sud-coréen a priori non compétitif sur les marchés étrangers - comme l'observe Frédéric Ojardias pour RFI :
Résultat : les Coréens mangent moins de 63 kg de riz par personne et par an. Soit moins de deux bols de riz par jour. C’est deux fois moins qu’il y a 30 ans. Mais si la consommation chute, la production augmente. La dernière récolte a été excellente. Pis, la Corée du Sud, qui refuse d’ouvrir son marché du riz, se voit en contrepartie obligée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’importer plus de 400 000 tonnes de riz par an.
Dans ce contexte, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) soutient les efforts d'une partie des paysans sud-coréens d'envoyer les surplus au Nord - ce qui relève autant de considérations humanitaires que de la simple logique économique. Mais des raisonnements rationnels ne pèsent guère sur des autorités sud-coréennes enfermées dans une mentalité obsidionale de guerre froide, qui ont besoin de la peur et de la répression pour maintenir une poigne de fer sur le pays qu'elles gouvernent. Le capitalisme autoritaire a sa logique, sinistre.
Source :
Trop de riz d'un côté, pas assez de l'autre: le paradoxe coréen - Asie-Pacifique - RFI
Les Sud-Coréens mangent de moins en moins de riz. Leur consommation a été divisée par deux en 30 ans, selon des statistiques du gouvernement publiées mardi 7 juin 2016. La Corée du Sud fait f...
http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20160609-coree-surproduction-riz-baisse-consommation-nord-paradoxe
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