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27 février 2023 1 27 /02 /février /2023 22:57

Dans le conflit russo-ukrainien, les deux Etats coréens ont adopté des positions diplomatiques opposées : si la République de Corée (Corée du Sud) a condamné l'invasion russe commencée le 24 février 2022, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a au contraire rejeté les résolutions qui, à l'Assemblée générale des Nations unies, condamnaient la Russie - cette position s'inscrivant dans une démarche de plus long terme qui tend à développer les relations de Pyongyang avec Moscou. Mais, sur un plan davantage militaire, les deux Etats partagent la même volonté de ne pas être impliqués directement dans le conflit.

La guerre en Ukraine a fait couler beaucoup d'encre sur le fait de savoir si les Américains et les Européens, en fournissant directement des armes à l'Ukraine, devaient être considérés comme des co-belligérants. La réponse est difficile, car il n'y pas de définition claire de cette notion en droit international public, et pas davantage de consensus au sein de la doctrine. La Professeure Anne-Laure Chaumette, dans un article publié le 16 février 2023, a formulé les observations suivantes : 

Une partie de la doctrine a pu élargir cette approche et considérer que l’État qui fournit des armes ou une aide financière à un État en conflit devient partie à ce conflit et a le statut de belligérant. Mais la pratique et la majorité de la doctrine soutiennent au contraire que ces aides ne font pas de l’Etat qui les fournit un belligérant (voir par ex. Michael N. Schmitt) : ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ne sont considérés comme étant en guerre qu’à partir du 7 décembre 1941, alors qu’ils fournissaient une aide militaire aux alliés depuis la loi prêt-bail du 11 mars 1941.

Le Club des Juristes

Pour reprendre l'exemple d'Anne-Laure Chaumette, les Etats-Unis ne sont entrés en guerre (et donc devenus belligérants) que le 7 décembre 1941 avec l'attaque de Pearl Harbor, mais la fourniture d'armes aux puissances alliées, par la loi prêt-bail du 11 mars 1941, les faisait déjà quitter le statut de non-belligérants - ne pouvant plus être considérés comme neutres. De la même manière, selon la doctrine majoritaire en droit international public, dans la guerre qui oppose aujourd'hui l'Ukraine et la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne ne sont pas neutres ; ils sont non-belligérants (par la fourniture directe d'armes à l'Ukraine, qui plus est reconnue), mais pas belligérants (ou co-belligérants). A contrario la Biélorussie, en ayant permis aux troupes russes d'utiliser son territoire, est susceptible de voir sa responsabilité internationale engagée, toujours selon Anne-Laure Chaumette. Les sanctions prises contre la Russie ont ainsi pu être étendues à la Biélorussie, quand bien même les troupes biélorusses n'interviennent pas en Ukraine. 

Au regard de ces observations, comment qualifier la position de chacun des deux Etats coréens ?

La RPD de Corée a constamment nié fournir des armes à la Russie. Cette position s'inscrit dans une volonté de ne pas être partie au conflit, de respecter non seulement le principe de non-belligérance mais aussi de se conformer aux règles de neutralité fixées par les Conventions de La Haye de 1907. Une conséquence est également que les puissances occidentales n'ont pas adopté de sanctions supplémentaires contre la Corée du Nord au regard de son positionnement dans le conflit.

La République de Corée a de la même manière démenti que ses livraisons d'armes aux Etats-Unis seraient destinées à l'Ukraine - notamment en novembre 2022, pour un contrat d'achat de 100 000 obus d'artillerie de 155 mm. De même, si la Corée du Sud a permis de reconstituer les stocks d'armement de plusieurs pays de l'OTAN (notamment, la Pologne et la République tchèque, confortant son statut d'exportateur d'armes de haut niveau technologique), ces armes ne peuvent qu'indirectement approvisionner l'armée ukrainienne - ce qui, selon la presse tchèque, serait le cas pour des missiles sol-air portatifs KP-SAM, commercialisés sous le nom Chiron, livrés à la République tchèque. Malgré des sollicitations réitérées fin février 2023 par le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg, la République de Corée a par ailleurs maintenu sa position de ne pas livrer d'armes létales à l'Ukraine. Le soutien direct sud-coréen se limite à une aide civile. 

Dans le domaine des sanctions contre la Russie, Séoul n'a pas interdit le survol de son territoire aux avions russes en février 2022. En revanche, elle a participé à fermer l'accès de la Russie au système SWIFT et à interdire tant certaines transactions financières (notamment avec les principales banques russes) que les exportations de matériaux stratégiques. Ces sanctions ont été déplorées par la Russie - en des termes toutefois plus mesurés qu'avec les puissances occidentales. Le 28 février 2022, l'ambassadeur de Russie en République de Corée, Andrey Kulik, avait déclaré que les liens bilatéraux, qui s'étaient développés de manière régulière depuis 30 ans (et l'établissement de relations diplomatiques complètes en 1990), pourraient "changer de cap". 

Par le passé, les soldats tant nord-coréens que sud-coréens ont participé à des conflits : les premiers en Afrique subsaharienne (Ethiopie, Angola, Mozambique), les seconds au Vietnam.  L'attitude aujourd'hui de Séoul et de Pyongyang apparaît beaucoup plus en retrait, témoignant d'une volonté manifeste de ne pas s'impliquer directement dans un conflit susceptible de s'étendre à d'autres parties de la planète.  

Missile sol-air portatif KP-SAM sud-coréen (2013)

Missile sol-air portatif KP-SAM sud-coréen (2013)

Sources : 

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23 septembre 2022 5 23 /09 /septembre /2022 20:29

Selon le Pentagone, la Russie, manquant de munitions, se serait tournée vers de nouveaux fournisseurs - dont la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) - pour l'approvisionner dans son effort de guerre en Ukraine. Pyongyang a cependant fermement démenti.

Affiche du Mouvement de la paix contre la guerre en Ukraine

Affiche du Mouvement de la paix contre la guerre en Ukraine

Selon John Kirby, du Conseil de sécurité national américain, pour pallier l'épuisement de ses stocks militaires la Russie se serait tournée vers la Corée du Nord pour acquérir "des millions de cartouches, de roquettes et d'obus d'artillerie". 

Ce n'est pas la première fois que la Corée du Nord était mentionnée dans le conflit en Ukraine : elle avait naguère été présentée comme étant sur le point d'envoyer des soldats combattre aux côtés des Russes, ce qui est improbable étant donné que Pyongyang a cessé d'envoyer des soldats combattre à l'étranger depuis plusieurs décennies - qui plus est ces envois de troupes s'opéraient dans le cadre privilégié des luttes de libération nationale. Mais cette fois les autorités nord-coréennes ont réagi en opposant un démenti formel à l'envoi d'armes en Russie. Selon un responsable du Bureau général de l'Equipement du ministère de la défense de la RPD de Corée, cité par l'agence officielle KCNA :  

Nous n’avons jamais exporté d’armes ou de munitions vers la Russie auparavant et nous n’envisageons pas d’en exporter.

Le même communiqué a dénoncé des "rumeurs", alimentées par "des forces hostiles". 

En tout état de cause, l'AAFC, fondamentalement attachée à la paix en Corée et partout dans le monde, se félicite du démenti nord-coréen : les fournitures d'armes à un belligérant prolongent un conflit auquel il convient de tout faire pour y mettre fin. Refuser des livraisons d'armes à un pays en guerre est une règle de base dans les efforts conduits par les Nations unies pour maintenir et rétablir la paix, quel que soit le pays considéré.

Nous réaffirmons aussi notre attachement au désarmement militaire et au refus des exercices militaires pour prévenir les risques d'escalade vers des conflits meurtriers et garantir que les différends internationaux soient toujours réglés par des voies pacifiques.

 

Source : 

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9 septembre 2022 5 09 /09 /septembre /2022 10:46

Le 9 septembre 1948 était fondée la République populaire démocratique de Corée. Alors que la libération de la péninsule coréenne, au nord, a été le fruit des actions conjointes des partisans et des Soviétiques - comme l'a récemment rappelé le président russe Vladimir Poutine, dans un courrier à son homologue nord-coréen Kim Jong-un le 15 août 2022 - la fondation de la République populaire démocratique de Corée doit se resituer dans un contexte non seulement de partition de la péninsule, mais aussi de la mise en place d'institutions autonomes vis-à-vis des Soviétiques. Nous revenons ici sur l'autonomie acquise par les Nord-Coréens, dès les années suivant la Libération, vis-à-vis des Soviétiques.

Billet de 5000 won, représentant le Président Kim Il-sung, émis en 2008 à l'occasion du 60e anniversaire de la fondation de la RPD de Corée

Billet de 5000 won, représentant le Président Kim Il-sung, émis en 2008 à l'occasion du 60e anniversaire de la fondation de la RPD de Corée

Pour apprécier la nature des liens entre les Nord-Coréens et les Soviétiques, Bruce Cumings mentionne tout d'abord le nombre de conseillers soviétiques dans le nord de la Corée : 

Le nombre de conseillers soviétiques au nord n'a jamais été très élevé, même dans l'armée. Les sources britanniques estiment que les conseillers soviétiques au gouvernement central ont diminué de 200 en 1946 à seulement 30 en avril 1947, la plupart d'entre eux relevant probablement du ministère de l'intérieur. Le ministre de la défense sud-coréen a établi le nombre de conseillers militaires soviétiques à seulement 120 avant la guerre, ce qui est conforme avec les estimations des services de renseignement après le déclenchement de la guerre, affirmant que les Soviétiques utilisaient "approximativement quinze conseillers par division nord-coréenne".

Pour une approche plus globale de l'influence soviétique à cette époque, Bruce Cumings cite le diplomate britannique R. S. Milward, qui, tout en décrivant la Corée du Nord comme un Etat-satellite (suivant le point de vue répandu parmi les chancelleries occidentales à cette date), soulignait néanmoins son degré d'autonomie en écrivant en milieu d'année 1948 que :

[La Corée du Nord montre] d'apparentes similarités avec les Etats communistes occidentaux les plus autonomes comme la Yougoslavie. Kim Il-sung (...) avait grandi pendant la guerre comme un héros de guérilla presque légendaire... un Tito coréen. Par ailleurs, les Russes ont proposé de retirer leurs troupes de Corée, semblant faire confiance à leurs marionnettes (...) pour diriger le pays suivant les intérêts russes sans ingérence russe directe.

R. S Milward poursuivait en estimant que "cette autonomie de façade" était plus prononcée que "dans presque n'importe quel autre Etat situé dans l'orbite russe".

 

Selon Bruce Cumings, cette situation spécifique devait permettre à la toute jeune république fondée le 9 septembre 1948 de disposer d'une autonomie entre ses deux voisins géants soviétique et chinois. Nous ajouterons que, par la suite, lors de la dégradation des relations sino-soviétiques, cette position propre à la RPD de Corée l'a conduite à développer une idéologie propre, les idées du Juche. 

 

Source : Bruce Cumings, Korea's place in the sun, Norton et Company, New York, 2005. Extraits pp. 226-227 (traduits de l'anglais par l'AAFC).

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2 septembre 2022 5 02 /09 /septembre /2022 21:23

Alors que les sanctions internationales de plus en plus lourdes prises contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) à partir de 2006 ont pu être adoptées grâce au ralliement de la Russie et de la Chine aux propositions des Etats-Unis et de leurs alliés au Conseil de sécurité des Nations unies, le nouveau contexte international, marqué par les tensions croissantes entre les Etats-Unis, d'une part, la Russie et la Chine, d'autre part, offre une opportunité pour Pyongyang de renforcer ses échanges avec Moscou et Pékin - alors que la RPDC a annoncé réouvrir ses frontières après avoir déclaré terminée l'épidémie de "fièvre" (interprétée comme une épidémie de Covid-19) - et fermé ses frontières avec la Chine il y a plus de deux ans et demi, en début d'année 2020. 

Rencontre à Vladivostok, Le 25 avril 2019, entre Kim Jong-un, président de la Commission des affaires d'Etat de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie.

Rencontre à Vladivostok, Le 25 avril 2019, entre Kim Jong-un, président de la Commission des affaires d'Etat de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie.

Si le renforcement des relations bilatérales de la RPDC avec la Russie et la Chine s'était traduit, en 2019, par des rencontres au sommet entre leurs dirigeants (du Président Kim Jong-un à Vladivostok en avril 2019, et du Président Xi Jinping en RPD de Corée les 20 et 21 juin 2019), la fermeture des frontières dans le contexte international de la lutte de pandémie de Covid-19 avait mis fin à ces échanges au plus haut niveau quelques mois plus tard. Durement touchée par les sanctions internationales, l'économie nord-coréenne avait nettement reculé, selon les estimations occidentales - en l'absence de statistiques officielles publiées par la RPDC.

Le nouveau contexte international offre à Pyongyang une opportunité de renforcer ses échanges avec ses deux principaux voisins - et tout d'abord au plan diplomatique. Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, la RPDC a dénoncé la responsabilité selon elle des Etats-Unis et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) - dénonçant par ailleurs les perspectives de création d'un OTAN asiatique qui se constituerait autour des alliances militaires privilégiées de Washington avec Tokyo et Séoul. De fait, l'agence de renseignement sud-coréenne a été la première, en Asie, à rejoindre cette année le groupe de défense cyber de l'OTAN.

La possibilité d'un axe Moscou-Pékin-Pyongyang apparaît dans les analyses partagées de ces trois puissances contre l'hégémonie américaine, nonobstant la position de la Chine qui, sur la guerre en Ukraine, modère son ton pour préserver ses relations économiques avec les puissances occidentales. 

Entre la Russie et la RPD de Corée, le fait le plus notable est la reconnaissance par Pyongyang des républiques de Donetsk et de Lougansk le 13 juillet 2022. La RPD de Corée est également apparue prête à participer à la reconstruction économique de ces zones en guerre, par l'envoi de travailleurs - ce qui s'inscrirait dans le prolongement d'une pratique ancienne, naguère de la Corée du Sud, et de la Corée du Nord jusqu'aux récentes sanctions internationales l'interdisant à Pyongyang. De fait, les sanctions ne seraient alors plus appliquées par la Russie - du moins, sur ce point.  

A l'occasion de l'anniversaire de la libération de la Corée le 15 août 1945, les courriers échangés au niveau des chefs d'Etat traduisent la volonté de renforcer les relations bilatérales. Vladimir Poutine a rappelé les combats menés "entre l'Armée rouge et les patriotes de Corée" pour la libération de la péninsule de l'occupation japonaise pendant la Seconde guerre mondiale, et exprimé son souhait de renforcer "la sécurité et le stabilité de la Corée". Kim Jong-un lui a répondu en observant qu'un "front commun" permettait de contrer "les menaces et les provocations des forces hostiles".

Alors que Pyongyang a critiqué la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, et rappelé sa position de principe sur une seule Chine (à l'instar de Moscou), les manoeuvres militaires américano-sud-coréennes d'août 2022 (les plus importantes depuis 2018, bien que d'une ampleur non rendue publique) ont été dénoncées non seulement par la RPD de Corée, mais aussi par la Chine - et par l'ambassadeur russe à Pyongyang. Alors que les experts occidentaux s'attendent à un nouvel essai nucléaire nord-coréen, il semble improbable que Pékin et Moscou accepteraient alors de renforcer les sanctions contre la RPD de Corée, voire même de se joindre à une condamnation verbale. Le 26 mai 2022, la Chine et la Russie avaient opposé leur veto à une proposition de résolution, d'origine occidentale, appelant à renforcer les sanctions contre la RPD de Corée après le lancement par cette dernière de plusieurs missiles balistiques. La Chine et la Russie appellent à présent au dialogue avec Pyongyang et à commencer à lever les sanctions. Si les Occidentaux venaient à prendre de nouvelles sanctions contre la RPDC, celles-ci n'auraient qu'une portée somme toute réduite - vu la quasi-absence de relations et d'échanges avec la Corée du Nord.

La situation géopolitique actuelle a déjà fait une victime : les relations intercoréennes, qui s'étaient réchauffées pendant la présidence du démocrate Moon Jae-in en République de Corée (Corée du Sud), sont au plus bas. Le nouveau président conservateur Yoon Suk-yeol, qui avait déjà qualifié la RPD de Corée d' "ennemi principal" de la Corée du Sud pendant la campagne électorale en mars 2022, a profité de l'anniversaire de la libération de la Corée, le 15 août 2022, pour formuler une proposition consistant à apporter une aide économique au Nord en contrepartie de sa dénucléarisation. Les observateurs étaient sceptiques sur la réponse de Pyongyang à ce qui apparaissait surtout comme une opération de communication à peu de frais pour apparaître vouloir un dialogue : en effet, le président sud-coréen Lee Myung-bak avait formulé une proposition très proche en 2008, qui avait été rejetée par le Nord. Sans surprise, la RPD de Corée avait répondu quelques jours plus tard que sa sécurité internationale n'était pas négociable - et pas à vendre.

Alors que la France et l'Union européenne se démarquent des Etats-Unis sur la montée des tensions avec la Chine (notamment, s'agissant de la France, lors de la conclusion de l'alliance militaire AUKUS entre l'Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, en septembre 2021), il apparaîtrait utile de promouvoir le dialogue et de prévenir les risques d'escalade et de tensions à la frontière est de la Russie, dans et autour de la péninsule coréenne. Dans le site d'analyse de référence sur la Corée du Nord 38 North, Jagannath Panda ne dit pas autre chose, en soulignant qu' "il est impératif d'empêcher une confrontation de type russe en Asie du Nord-est". Nous faisons nôtres ces propos raisonnables et de bon sens.

 

Sources :

Jagannath Panda, "Will Pyongyang's NATO tirades pay dividends", 38 North, 19 août 2022

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28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 22:28

Le 25 avril 2019, Kim Jong-un, président de la Commission des affaires d'Etat de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, se sont rencontrés à Vladivostok, dans l'Extrême-Orient russe. Depuis sa rencontre de mars 2018 avec le président de la République populaire de Chine, le dirigeant nord-coréen aura multiplié les contacts directs avec les principaux acteurs du dossier coréen : quatre rencontres avec le président chinois Xi Jinping, trois rencontres avec le président sud-coréen Moon Jae-in, deux rencontres avec le président américain Donald Trump et, donc, une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine. Deux mois après l'échec du sommet RPDC-Etats-Unis de Hanoï, la rencontre de Vladivostok a été une occasion significative de rappeler l'importance d'un mécanisme de sécurité collective pour l'Asie du Nord-Est et, plus particulièrement, de garanties de sécurité pour la Corée du Nord, garanties que les Etats-Unis semblent incapables d'offrir.

A Vladivostok, Kim Jong-un et Vladimir Poutine réaffirment l'importance d'une solution pacifique en Corée et d'un mécanisme de sécurité collective pour l'Asie du Nord-Est

La rencontre du 25 avril 2019 entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine s'est tenue à l'Université fédérale d'Extrême-Orient, sur l'île Rousski, située en face de Vladivostok. C'était la première rencontre au plus haut niveau entre des dirigeants nord-coréen et russe depuis le sommet entre le Dirigeant Kim Jong-il et le Président Dmitri Medvedev d'août 2011, et la première visite à l'étranger de Kim Jong-un après sa réélection au poste de président de la Commission des affaires d'Etat de la RPDC le 12 avril 2019.

Ce sommet était très attendu car perçu comme un test pour les efforts diplomatiques de la RPDC destinés à mettre fin au blocage dans les négociations avec les Etats-Unis sur la dénucléarisation, à alléger les sanctions et pressions et à donner une nouvelle impulsion à son plan de développement économique.

Les dirigeants nord-coréen et russe ont d'abord eu, pendant deux heures, un entretien en tête-à-tête consacré, d'après l'agence russe TASS, à la résolution pacifique de la question nucléaire dans la péninsule coréenne, aux moyens d'assurer la paix en Asie du Nord-Est et aux relations entre la RPDC et la Fédération de Russie. Il n'était pas prévu de signature d'une déclaration commune ou d'un accord.

Avant cet entretien, le Président Vladimir Poutine a déclaré que la visite du dirigeant de la RPDC aiderait à résoudre la situation dans la péninsule coréenne, la Fédération de Russie accueillant favorablement les efforts de la RPDC visant à normaliser ses relations avec la Corée du Sud et avec les Etats-Unis. Il a félicité Kim Jong-un pour sa réélection au poste de président de la Commission des affaires d'Etat de la RPDC et souligné que l'année 2018 avait été celle du 70ème de l'établissement des relations diplomatiques entre la RPDC et la Russie.

Le Dirigeant Kim Jong-un a aussi fait part de son espoir que sa rencontre avec le Président russe contribue au développement des relations bilatérales et au règlement de la situation dans la péninsule coréenne. Il a remercié Vladimir Poutine pour l'organisation de la rencontre et l'a félicité à son tour pour sa réélection à la présidence de la Fédération de Russie en 2018, lui souhaitant de poursuivre « son travail couronné de succès pour construire une Russie forte ».

A l'issue de leur entretien en tête-à-tête, les dirigeants se sont montrés satisfaits : « Nous venons d'avoir un échange d'opinions très substantiel sur des questions qui nous intéressent mutuellement », a déclaré Kim Jong-un, remerciant Vladimir Poutine pour ce « très bon moment ».

« Nous avons abordé la situation sur la péninsule coréenne, avons eu un échange d'opinions sur ce qu'il fallait faire et comment le faire pour que les perspectives puissent s'améliorer », a de son côté affirmé Vladimir Poutine.

Ils ont alors été rejoints par les membres de leurs délégations pour une réunion élargie d'une heure et demi. Kim Jong-un était accompagné du ministre des Affaires étrangères Ri Yong-ho et de la vice-ministre des Affaires étrangères Choe Son-hui, tandis que la délégation russe comprenait le vice-Premier ministre Yuri Trutnev, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le ministre des Transports Yevgeny Dietrich et le ministre du Développement de l'Extrême-Orient Alexandre Kozlov.

A Vladivostok, Kim Jong-un et Vladimir Poutine réaffirment l'importance d'une solution pacifique en Corée et d'un mécanisme de sécurité collective pour l'Asie du Nord-Est

Selon l'agence nord-coréenne KCNA, Kim Jong-un a déclaré au cours de cette réunion élargie que la situation dans la péninsule coréenne et la région se trouve dans l'impasse et est à un point critique où elle pourrait revenir à son état originel, car les Etats-Unis ont adopté une attitude unilatérale de mauvaise foi lors du sommet RPDC-Etats-Unis à Hanoï. Il a ajouté, toujours selon KCNA, que la paix et la sécurité sur la péninsule coréenne dépendront entièrement de la future attitude des Etats-Unis et la RPDC se préparera à toutes les situations possibles.

Les dirigeants russe et nord-coréen sont convenus de promouvoir plus étroitement la compréhension et les liens mutuels et de renforcer la collaboration stratégique pour assurer la paix et la sécurité régionales à l'avenir. Ils se sont également accordés à prendre des mesures positives dans divers domaines afin de stimuler davantage leur coopération en matière de commerce, d'économie et de sciences et technologies en plaçant les relations économiques et commerciales mutuellement bénéfiques entre les deux pays à un niveau élevé.

Enfin, Kim Jong-il a invité Vladimir Poutine à visiter la République populaire démocratique de Corée, une invitation acceptée par le Président russe.

Pendant la réception qui a suivi les entretiens, Vladimir Poutine a réaffirmé qu'il n'y a pas d'alternative à une résolution pacifique de la question nucléaire dans la péninsule coréenne. « Nous considérons qu'il n'y a pas et qu'il ne peut pas y avoir d'alternative au règlement pacifique du problème nucléaire et d'autres problèmes dans la région », a dit le Président russe. La Russie, quant à elle, est prête à continuer à coopérer pour réduire les tensions dans la péninsule coréenne et améliorer la sécurité en Asie du Nord-Est en général : « Comme le dit un proverbe coréen, si nous joignons nos forces, un rocher peut être déplacé », a déclaré Poutine, ajoutant qu'il s'agit d'une « formule à succès ». « Avec la participation active de la communauté internationale et de tous les pays concernés, nous atteindrons définitivement notre but d'assurer une paix durable, la stabilité et la prospérité dans la péninsule coréenne », a insisté Vladimir Poutine.

Pour sa part, Kim Jong-un a porté un toast à la prospérité à la Russie, mettant en avant les vieilles traditions d'amitié entre les deux pays : « J'ai eu aujourd'hui des échanges de vues francs et substantiels avec Monsieur [le Président russe Vladimir] Poutine sur les questions du développement des liens d'amitié russo-coréens, de la préservation de la paix et de la sécurité dans la péninsule coréenne et dans la région, ainsi que sur les questions internationales », a dit le dirigeant nord-coréen. « Je souhaite sincèrement à la Russie de prospérer en tant que grand pays puissant et digne »

A Vladivostok, Kim Jong-un et Vladimir Poutine réaffirment l'importance d'une solution pacifique en Corée et d'un mécanisme de sécurité collective pour l'Asie du Nord-Est

Après avoir quitté le dirigeant nord-coréen (qui devait rentrer en Corée le lendemain 26 avril), Vladimir Poutine a tenu une conférence de presse, se disant satisfait de ses discussions avec Kim Jong-un : « Nous sommes tous satisfaits des résultats des discussions, mes collègues et moi », a dit le Président russe, décrivant Kim Jong-un comme « une personne assez ouverte qui discute librement de tous les sujets à l'ordre du jour ». Selon Vladimir poutine, Kim Jong-un s'est révélé être « un interlocuteur assez intéressant et substantiel ».

Le Président russe a insisté sur la nécessité d'abandonner l'idée de la force pour résoudre la situation dans la péninsule coréenne. Il croit qu'un règlement dans la péninsule coréenne est possible, pour peu que chaque partie concernée respecte les intérêts des autres.

Vladimir Poutine a rappelé qu'on était proche d'une solution en 2005, quand la RPDC et les Etats-Unis étaient parvenus à un accord dans le cadre des pourparlers à six pays (deux Corée, Etats-Unis, Russie, Chine, Japon). Mais Washington essaya par la suite d'inclure d'autres dispositions dans cet accord, ce qui incita la Corée du Nord à s'en retirer : « Si nous agissons ainsi, un pas en avant, deux pas en arrière, alors nous ne parviendrons pas au résultat désiré, mais si nous avançons pas après pas en respectant les intérêts des autres, alors cet objectif peut être finalement atteint », a déclaré le Président Poutine.

Selon Poutine, pour que la Corée du Nord renonce à son programme nucléaire, il faut lui fournir des garanties : « Que signifie la dénucléarisation? Dans une certaine mesure, il s'agit du désarmement de la Corée du Nord. », a-t-il dit, notant que Moscou et Pyongyang pensent que la Corée du Nord « a besoin de garanties quant à sa sécurité et à la préservation de sa souveraineté ». « De quelle sorte de garanties peut-il s'agir, à part les garanties qu'offre la légalité internationale ? », s'est interrogé le Président russe, ajoutant qu'il est trop tôt pour dire si de telles garanties seront suffisantes et qu'il est donc « essentiel de prendre des premières mesures afin de bâtir la confiance ».

Selon Vladimir Poutine, les intérêts russes et américains peuvent coïncider sur la question de la dénucléarisation de la péninsule coréenne : « Par certains aspects, [les intérêts russes et américains] coïncident », a déclaré Poutine. « Nous sommes résolument opposés à la prolifération des armes de destruction massive sur la planète. C'est pourquoi un nombre significatif de mesures sont prises dans le cadre de l'Organisation des Nations unies », a dit le Président russe, dans une allusion aux sanctions visant le programme nucléaire nord-coréen, votées par le Conseil de sécurité des Nations unies, dont la Russie est un membre permanent. « Il est vrai que, quand certaines décisions sont prises, nous ne le cacherons pas et vous le savez, il y a souvent une lutte pour imposer une certaine formulation, mais pour ce qui concerne la réduction de la menace d'un conflit nucléaire, assurément, il s'agit de notre priorité commune », a encore dit Vladimir Poutine.

Le Président russe a déclaré que des discussions multilatérales sur la Corée du Nord (à l'image des pourparlers à six pays qui ont pris fin en décembre 2008) devront reprendre à terme, une fois qu'il s'agira de fournir des garanties internationales à Pyongyang : « Je ne suis pas sûr que ces discussions doivent reprendre maintenant mais je suis confiant quant au fait que, si nous parvenons à une étape où nous avons besoin de mettre au point certaines garanties pour une des parties, à commencer par des garanties de sécurité pour la Corée du Nord, des garanties internationales deviendront nécessaires », a dit Poutine.

Enfin, le Président Poutine a dit qu'il allait informer les dirigeants chinois et américains du contenu de sa rencontre avec Kim Jong-un : « Bien sûr, je parlerai de celà demain [26 avril 2019 à Pékin pendant le Forum sur les nouvelles routes de la soie] avec les dirigeants de la République populaire de Chine et nous discuterons aussi ouvertement et sincèrement de la rencontre de ce jour avec les dirigeants américains. Il n'y a aucun secret à cet égard et la position de la Russie est toujours ouverte, sans aucun complot. De plus, Kim Jong-un lui-même nous a demandé d'informer la partie américaine de sa position et des problèmes qui se posent à lui à propos des processus en cours dans la péninsule coréenne et dans ses environs », a conclu le Président russe.

A l'instar de la Chine, la Russie entend de longue date jouer un rôle dans l'établissement d'un mécanisme de sécurité collective, en tant que potentiel garant d'un accord entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée, laquelle devra disposer de garanties de sécurité et de non-agression en contrepartie de sa dénucléarisation. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déjà eu l'occasion d'exposer la position russe à Kim Jong-un quand il l'avait rencontré à Pyongyang en mai 2018.

En outre, la Russie et la Chine plaident, de manière constante, pour un « double gel » : gel des essais nucléaires et balistiques de la Corée du Nord, gel des manoeuvres militaires et de l'alourdissement continu des sanctions par les Etats-Unis et leurs alliés. En novembre 2017, à Séoul, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Igor Morgoulov avait présenté les trois étapes de la feuille de route russo-chinoise :

- tout d'abord, une révision à la baisse des exigences attendues de la part de Washington (non plus la suspension des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud, mais la diminution de leur intensité et de leur ampleur), afin de faire baisser les tensions diplomatiques et militaires ;

- puis l'engagement de négociations bilatérales directes entre Pyongyang et Washington d'une part, Séoul et Pyongyang d'autre part ;

- enfin, des négociations multilatérales portant sur la mise en place d'un dispositif collectif de maintien de la paix et de la sécurité en Asie du Nord-Est, impliquant notamment la dénucléarisation de la Corée du Nord.

Si les deux premières étapes semblent en grande partie atteintes à la faveur des accords signés au cours de l'année 2018 par le dirigeant suprême de la Corée du Nord avec son homologue sud-coréen d'une part, et son homologue américain d'autre part, la troisième reste un vœu pieux, d'abord en raison des exigences américaines quant à un désarmement unilatéral de la RPDC avant toute autre avancée.

Comme l'a rappelé Vladimir Poutine le 25 avril 2019 à Vladivostok, la confiance est un préalable sur le chemin d'une solution en Corée.

 

Sources :

KCNA

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 19:51

La question du désarmement nucléaire de la péninsule coréenne se pose à nouveau dans le contexte des préparatifs du sommet entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et les Etats-Unis, prévu les 27 et 28 février 2019 à Hanoi au Vietnam. A la veille de la rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump, l’ambassadeur de Russie à Pyongyang, Alexander Matsegora, a exposé dans un entretien à l'agence RIA Novosti quel rôle Moscou peut jouer dans le processus de dénucléarisation, quels sont les points à l’ordre du jour des relations bilatérales entre la Russie et la RPDC, et comment il envisage l’avenir des projets de la Russie avec les pays de la péninsule coréenne.

Alexandre Matsegora (ambassadeur de la Fédération de Russie en RPD de Corée) : « La visite de Kim Jong-un en Russie est le point numéro 1 de notre agenda. »

Kim Jong-un prévoit-il de se rendre en Russie cette année? Quand cela pourrait-il avoir lieu et à quel point Pyongyang est-il intéressé par cette visite? Quelle ville Kim Jong-un visitera-t-il?

Il existe une compréhension de base commune concernant la tenue d’une réunion des dirigeants de la Russie et de la RPDC. L’intérêt d’un tel sommet est réciproque. De nombreuses questions nécessitent un examen et une prise de décision au plus haut niveau. À cet égard, la visite en Russie du président du Conseil des affaires d’Etat de la RPDC, Kim Jong-un, est au premier rang de notre agenda bilatéral.

La date et le lieu précis de la réunion, ainsi que le programme de la visite n’ont pas encore été fixés.

Le journal Washington Post a annoncé que Moscou avait proposé à la RPDC de construire une centrale nucléaire dans le pays à l’automne 2018 en échange du refus de Pyongyang de mener des programmes nucléaires et de missiles. Est-ce vrai et comment a réagi la partie nord-coréenne?

Le message du Washington Post ne correspond pas à la réalité. Les raisons pour lesquelles une telle chose est à la base impossible sont nombreuses. L’une d’entre elles est que les Nord-Coréens développent leur programme de missiles nucléaires non parce qu’ils manquent d’électricité (bien qu’il y ait une grave pénurie dans ce domaine) et qu’ils souhaitent par conséquent résoudre le problème par cet échange. Le fait est que Pyongyang ne se sent pas en sécurité et entend pouvoir se défendre contre une attaque militaire et une ingérence des Etats-Unis dans les affaires intérieures de la république, grâce à la maîtrise d’un potentiel de légitime défense suffisant. Par conséquent, l’hypothèse qu’ils accepteraient de recevoir des centrales nucléaires et resteraient ainsi totalement sans défense face à la menace américaine est, à mon avis, absolument dénuée de fondement.

Steven Biegun, représentant spécial du département d’Etat américain pour la RPDC, a déclaré que Washington avait un plan B concernant la Corée du Nord si la diplomatie ne fonctionnait pas. Comment pouvez-vous commenter une telle déclaration? Existe-t-il une possibilité d’escalade de tension dans la péninsule coréenne cette année?

Le plan B concerne non seulement Stephen Biegun, mais également son partenaire de négociation du côté nord-coréen, Kim Hyok-chol. Dans les médias de la RPDC, qui publient des documents reflétant la position officielle, plusieurs articles ont paru l’autre jour, indiquant que si les Etats-Unis ne proposaient rien de leur côté en réponse aux mesures déjà prises par Pyongyang (renonciation à fabriquer, à tester, à utiliser et à propager des armes nucléaires, fermeture d’un site d’essais nucléaires, etc.), on sera forcé de rechercher « d’autres options ». Quelles sont ces options, c’est facile à deviner. L’escalade de la situation dans la péninsule coréenne est donc tout à fait possible, même si nous espérons que les parties à la négociation auront le sens commun, qu’elles souhaitent trouver un compromis et que le pire des cas soit exclu.

Pensez-vous que Pyongyang soit prêt à autoriser les observateurs de l’AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique] à se rendre dans leurs locaux?

Je tiens à souligner que le principal problème concerne les installations nucléaires nord-coréennes liées au programme militaire de Pyongyang. Quant aux observateurs de l’AIEA, le mandat de cette organisation se limite à vérifier le caractère pacifique des programmes nucléaires civils. Le temps pour cela viendra plus tard. Ces inspections et autres travaux devraient être effectués par des experts d’États dotés d’armes nucléaires, notamment des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine.

Et quel rôle Moscou peut-elle jouer dans le processus de dénucléarisation de la RPDC? La Russie envisage-t-elle la possibilité d’importer des matières radioactives de la RPDC afin de dénucléariser la république? Est-ce que Pyongyang a besoin de services intermédiaires de Moscou dans le dialogue avec l’Occident?

La dénucléarisation de la RPDC en tant que terme ne révèle pas tout le problème. Nous devrions parler de la dénucléarisation de la péninsule coréenne, élément essentiel de la tâche générale qui consiste à créer un système de maintien de la paix et de la sécurité dans la région de l’Asie du Nord-Est. De toute évidence, sans la participation la plus active de la Russie, il n’est pas possible de construire un tel mécanisme. Autant que je sache, même les Américains et les Nord-Coréens ne parlent pas entre eux d’exportation de matières radioactives de la RPDC – c’est trop tôt. En ce qui concerne la possibilité d’importer des matières radioactives nord-coréennes sur le territoire de la Russie, j’imagine mal une situation dans laquelle nous serions d’accord.

Le projet Khasan–Rajin a-t-il un avenir?

Je suis absolument sûr que le projet rencontrera un accueil favorable. Déjà au XIXème siècle, la Russie envisageait d’utiliser la baie de Rajin libre de glaces : à l’époque soviétique, des millions de tonnes de notre fret d’import-export passaient par le port de Rajin. Je ne doute pas que le projet fonctionnera le plus tôt possible. De plus, il ne faut pas oublier que Khasan–Rajin fait partie intégrante d’un programme beaucoup plus vaste d’organisation du trafic ferroviaire transcontinental de la Corée du Sud via la RPDC et le Transsibérien vers l’Europe. Il sera certainement mis en œuvre.

Le projet de construction d’un gazoduc reliant la Russie à la Corée du Sud à travers le territoire de la RPDC est-il discuté? Quand en RPDC pourra-t-on installer les lignes électriques pour la fourniture d’électricité? Quelles sont les perspectives?

Le transfert de gaz et d’électricité de la Russie vers la Corée du Sud à travers le territoire de la RPDC constitue deux projets tripartites prometteurs. Des accords fondamentaux à ce sujet entre tous ses membres existent déjà. Le problème réside dans la situation politique: une fois la sécurité et la paix garanties, les sanctions internationales imposées à la RPDC levées, la vie elle-même obligera à construire des ponts pour les hydrocarbures et l’énergie. Jusqu’à présent, il n’y a pas de telles conditions. Et, soit dit en passant, la Russie est également le défenseur le plus actif de la normalisation intercoréenne et souhaite sincèrement que le dialogue américano-nord-coréen soit couronné de succès: la mise en service de ces deux voies non seulement garantit la sécurité de nos frontières extrême-orientales, mais nous apporte également des avantages économiques tangibles.

 

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27 octobre 2018 6 27 /10 /octobre /2018 22:21

Responsable du Département de Corée et de Mongolie à l’Institut d’Extrême-Orient de l’Académie des Sciences de la Fédération de Russie, le chercheur Alexandre Vorontsov a rendu compte des évolutions diplomatiques autour de la péninsule coréenne dans un article publié le 12 octobre 2018 sur le site du club Valdaï, intitulé « La diplomatie des sommets - le nouveau visage de la péninsule coréenne aujourd'hui ». En effet, les rencontres au plus haut niveau deviennent une caractéristique majeure du nouveau cours diplomatique autour de la Corée - ce qui, en contrepoint, peut être perçu comme une mise en cause de l'influence des administrations, de fait souvent peu enclines à adapter leurs grilles d'analyse. Nous publions ci-après une traduction en français de cet article russe, qui met en exergue le rôle d'autres acteurs (Corée du Sud, Russie et Chine) pour comprendre l'inflexion - mais aussi les contradictions - de la position américaine, entre dialogue et pression maximale sur Pyongyang, tout en soulignant la portée exceptionnelle - largement ignorée dans les médias occidentaux - de la déclaration du 19 septembre 2018.

Les leaders de la République populaire démocratique de Corée, de la République de Corée et des États-Unis se sont employés avec énergie et ardeur dans un dialogue personnel direct pour amener la péninsule coréenne du seuil de la guerre où elle est demeurée pendant plusieurs décennies, à un état de paix durable, et à sa complète dénucléarisation. En cas de réussite dans les tâches ainsi mentionnées apparaîtront les conditions et une base de départ pour la formation d’une structure radicalement nouvelle des relations internationales dans la péninsule coréenne et dans la région de l'Asie du Nord-Est.

L'assaut diplomatique

Comme on le sait, depuis le début de cette année et à la surprise de beaucoup d’hommes politiques et d’analystes, la situation militaire et politique dans la péninsule coréenne s'est retournée rapidement - d'une situation de guerre à une perspective de paix - et elle connaît une dynamique sous un format qui est déjà politico-diplomatique.

La « diplomatie des sommets » est devenue la carte de visite caractérisant l'état des affaires dans la péninsule coréenne aujourd'hui. Ont déjà eu lieu trois sommets entre les leaders des deux Corée, trois rencontres entre Kim Jong-un et Xi Jinping, et un sommet entre le président des États-Unis Donald Trump et le « chef suprême » de la RPDC Kim Jong-un le 12 juin à Singapour qui peut réellement être considéré comme historique. Il y a des raisons de s'attendre dans peu de temps à une nouvelle rencontre des chefs des États-Unis et de la RPDC. Figure à l'ordre du jour et, visiblement, déjà au niveau des services du protocole des deux pays, une organisation de la rencontre de Kim Jong-un et de Vladimir Poutine. Le tableau décrit ci-dessus représente un phénomène sans précédent. Dans la pratique mondiale on aura probablement du mal à trouver des exemples analogues à ces si puissants accélérateurs de l'activité diplomatique, opérés au niveau le plus élevé.

Cette tâche dans la recherche de la paix est réellement globale, grandiose et unique, et digne des appréciations les plus flatteuses et les plus enthousiastes.

Ce n’est pas un hasard si les journalistes ont souvent demandé à l'auteur de cet article qui pourrait être lauréat du prix Nobel de la paix, Kim Jong-un, Donald Trump ou Moon Jae-in.

La percée inter-coréenne

Au cours de la visite triomphale à Pyongyang du président de la Corée du Sud Moon Jae-in a été signée la « déclaration commune de septembre 2018 » comprenant beaucoup d'accords significatifs dans divers domaines, et même, ce qui est extrêmement important, dans le domaine militaire. Plus que tout, le fait que le thème de la solidarité inter-coréenne ait retenti beaucoup plus fortement que par le passé a sauté aux yeux des analystes spécialistes de la Corée. Séoul et Pyongyang, de façon plus décisive que jamais, ont accentué la priorité donnée à l'indépendance et à l'autodétermination de la nation coréenne, ainsi que l'aspiration et la volonté de résoudre leurs affaires et leurs problèmes nationaux par leurs propres forces.

La matérialisation d’une nouvelle disposition d'esprit et les réalités pratiques des relations entre Pyongyang et Séoul ont conduit le président sud-coréen à placer au premier plan les intérêts et les objectifs inter-coréens. Fait sans précédent, Séoul n'a pas informé à l’avance les États-Unis de l'accord militaire en préparation avec Pyongyang, à la suite de quoi le commandant en chef des forces armées américaines en Corée du Sud n'a appris qu'a posteriori ce fait très important pour la sécurité de la péninsule coréenne.

Nous avons eu l'occasion de visiter Pyongyang à la fin de septembre dernier et d’examiner avec les politologues locaux les perspectives des relations inter-coréennes à la lumière de la troisième rencontre qui venait de s’achever entre Kim Jong-un et Moon Jae-in.

Il est nécessaire de souligner que nos interlocuteurs avaient une très haute appréciation de cet événement et envisageaient l’avenir avec un optimisme évident. En commentant les accords concrets, insérés dans la Déclaration de Pyongyang sur la reprise de la coopération inter-coréenne économique, très problématique de notre point de vue, dans les conditions rigides imposées par les Américains, y compris les sanctions secondaires, ils mettaient en exergue le point suivant.

Malgré la résistance active du côté américain faisant largement appel aux sanctions, Séoul a quand même ouvert déjà sur le territoire de la zone industrielle de Kaesong, fermée par le gouvernement précédent, un bureau de liaison équipé de tout le nécessaire à un travail normal, y compris l'électricité et l'eau en provenance du territoire de la Corée du Sud. Le début du fonctionnement de cette institution est extrêmement important pour le lancement et la réalisation d’autres projets de coopération inter-coréens et de collaboration réciproque, inscrits dans le document signé à Pyongyang.

En ce qui concerne les programmes très ambitieux fixés par la Déclaration étaient affichées les affirmations suivantes.

Dans le cadre de la restauration du trafic ferroviaire entre les deux Corée prévue avant la fin de cette année sera entamé un travail sur l'itinéraire « occidental » le long de la côte de la mer Jaune comportant une liaison avec la Chine. Selon les estimations des experts nord-coréens, deux ans d’activité en commun seront nécessaires pour l'organisation d’un trafic régulier sur cet itinéraire. Puis commencera le travail sur l'« itinéraire oriental » avec liaison avec la Fédération de Russie.

En premier lieu seront entrepris des efforts pour la restauration du « tourisme dans les monts Kumgang » et les travaux dans la zone industrielle commune à Kaesong.

En ce qui concerne les plans de création d’une zone spéciale économique le long de la côte occidentale, il y accord réciproque. Ont commencé les consultations pour étudier la mise en œuvre. En ce qui concerne une zone spéciale économique touristique sur la côte orientale, il s’agit d’un accord de principe. L’assurance a été donnée que, pour la première fois, le 11e anniversaire de la déclaration du 4 octobre (le « deuxième sommet inter-coréen », suivant une idée constamment soutenue par Pyongyang, mais non par Séoul) et le 100anniversaire du mouvement du Premier mars 1919 (événement, qui traditionnellement est fêté largement au Sud, mais qui en RPDC était ignoré jusqu’ici) seront solennellement commémorés. Un espoir sérieux est né de voir que la présidence actuelle de Moon Jae-in permette de maintenir sous contrôle son opposition de droite, et de moderniser les relations américano-sud-coréennes vers la garantie d’une plus grande indépendance de la République de Corée.

Chez nous il n’y a aucun doute sur le fait que les résultats fructueux du troisième sommet inter-coréen à Pyongyang ont surpassé les attentes, probablement, de beaucoup d’hommes politiques dans le monde. De plus il s’est créé une impression d’attentes surévaluées et d’appréciations excessivement optimistes chez nos interlocuteurs.

La réaction de Donald Trump

Il est naturel que les résultats du sommet à Pyongyang aient beaucoup inquiété Washington. Les occupants de la maison Blanche ont ressenti encore plus vivement qu’ils deviennent des outsiders à la traîne dans le processus de plus en plus bouillonnant et dynamique de réconciliation inter-coréenne et de règlement du problème coréen.

Les raisons sont évidentes. Après le sommet fructueux États-Unis- RPDC à Singapour le 12 juin 2018 une dualité et une contradiction ont commencé à se manifester de plus en plus clairement dans la politique des États-Unis. D'une part, le chef de la Maison Blanche continuait à faire des révérences à l'adresse de Kim Jong-un, et d’autre part les actions des États-Unis se développaient selon le programme intransigeant des forces conservatrices de droite. Restent ainsi en vigueur la politique de maintien intégral des sanctions américaines et de la campagne de pression maximum contre la Corée du Nord jusqu'à la réalisation définitive par celle-ci de sa dénucléarisation complète irréversible et vérifiable, quelles que soient les réductions profondes et graduelles de ses armements par le Nord.

Mais Pyongyang a fait savoir nettement qu'il a l'intention de réaliser la dénucléarisation, aux dires de l'ambassadeur de la RPDC à Moscou, « seulement progressivement et en synchronisation avec les actions en retour de la part de Washington, en approfondissant la confiance mutuelle ». Et Séoul l'a pratiquement soutenu dans une telle approche. Et pas seulement Séoul. Dans les derniers mois et semaines la solitude stratégique et presque l'isolement des États-Unis quant à la poursuite de la ligne de pression maximum contre la RPDC ont commencé à se manifester toujours plus clairement. Non seulement la Russie et la Chine, et maintenant la Corée du Sud, mais aussi une série d’états d’Europe et d’ailleurs parlent de la contradiction entre des sanctions étranglant la Corée du Nord, prises suite aux provocations incessantes de sa part, et les réalités de la situation actuelle, marquée par un changement radical d'attitude de Pyongyang, et une nette amélioration de la situation militaro-politique dans la péninsule coréenne. Ceci s'est manifesté distinctement dans les interventions de plusieurs délégations au cours de la 73e session de l’Assemblée générale de l'ONU en septembre dernier. Autre exemple : la tenue à Moscou le 9 octobre des premières consultations à trois parties entre collaborateurs des ministres des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, de la République Populaire de Chine et de la République populaire démocratique de Corée. Il est ainsi souligné dans le communiqué final : « Prenant en compte les importants pas dans la direction de la dénucléarisation accomplis par la RPDC, les parties ont trouvé nécessaire et opportun de procéder à la révision par le Conseil de Sécurité de l'ONU des mesures de sanctions contre la RPDC. Une position commune contre les sanctions unilatérales est affirmée. »

Tout cela constitue assurément l'une des raisons majeures pour lesquelles Donald Trump, après avoir annulé la quatrième visite du secrétaire d'État américain Mike Pompeo à Pyongyang il y a trois semaines, l'a envoyé là-bas cette fois « dans la foulée » de la rencontre entre les chefs du Sud et du Nord. Cette fois Pompeo, arrivé à Pyongyang le 7 octobre, a mené des négociations très fructueuses et a eu une longue conversation avec Kim Jong-un (comme on le sait, pendant la visite précédente en juillet le secrétaire d'État n'avait pas été reçu par le leader de la RPDC). L'information sur le bilan de ces négociations est insuffisante. Mais on sait que les parties se sont mises d'accord pour créer des groupes de travail d’experts en vue de procéder aux actions pratiques de réalisation du processus de dénucléarisation, notamment un accord sur la liste des sites et moyens balistiques et nucléaires de la RPDC.

Il est possible que Trump ait tiré les conclusions nécessaires et ait réussi à « s'obliger » à entendre l'exigence de Pyongyang sur la nécessité de pas réciproques et à modifier précisément une ancienne position extrêmement obstinée, y compris en ce qui concerne l'atténuation graduelle des sanctions.

Si nos hypothèses se confirment, ce peut être le début de la formation d’un nouveau type de relations inter-coréennes, ainsi qu’une mise à jour significative du caractère des relations américano-nord-coréennes et américano-sud-coréennes. Et sur cette base peut apparaître une structure renouvelée des relations internationales dans et autour de la péninsule coréenne, dans laquelle le rôle indépendant du facteur intra-coréen sera beaucoup plus élevé.

 

Traduit du russe pour l’AAFC par YB.

 

Article original en russe :

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2 octobre 2018 2 02 /10 /octobre /2018 19:05

La réunion du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) du 27 septembre 2018, présidée par le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo (qui doit retourner prochainement à Pyongyang pour préparer une nouvelle rencontre au sommet), a fait apparaître de nettes divergences au sein du CSNU sur la question coréenne : d'un côté, les Américains - soutenus par leurs alliés européens - ont plaidé pour le maintien d'une pression maximale sur la République populaire démocratique de Corée au moyens des sanctions, les plus lourdes jamais mises en place dans le cadre des Nations unies ; de l'autre, la Chine et la Russie ont plaidé au contraire pour un assouplissement des sanctions, compte tenu des développements positifs enregistrés depuis plusieurs mois, notamment grâce aux efforts de la RPD de Corée, les dernières annonces de Pyongyang ayant été formulées dans le cadre du sommet à Pyongyang, du 18 au 20 septembre 2018, entre les présidents Kim Jong-un et Moon Jae-in. Au-delà de l'application effective des sanctions (qui a donné lieu à des mises en cause très médiatisées de sociétés chinoises et russes par les Occidentaux), le débat est ouvert sur un assouplissement des sanctions - de plus en plus ouvertement demandé par les autorités nord-coréennes comme contrepartie à leurs propres engagements, et suivant le principe "action contre action" qui a été le seul à fonctionner par le passé pour diminuer les tensions autour de la péninsule coréenne. Mais la Chine et la Russie ont-elles les moyens et la volonté de leur ambition de faire desserrer l'étau mortifère des sanctions, alors que prévaut au Conseil de sécurité la règle de l'unanimité ?

Dans quelle mesure Pékin et Moscou peuvent-ils assouplir les sanctions contre Pyongyang ?

En apparence, il y a quelque ironie à voir la Chine et la Russie demander l'assouplissement de sanctions qu'elles ont elles-mêmes contribué à faire adopter par le CSNU un an plus tôt, alors que ces mesures ne répondaient pas à leurs intérêts économiques et stratégiques. La remarque est particulièrement valable dans le cas de Pékin : toutes les résolutions sur la Corée du Nord élaborées par Washington passent préalablement par l'imprimatur chinois avant d'être soumises aux autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Ces prises de position chinoises et russes avaient contribué à dégrader les relations de ces deux puissances avec Pyongyang, qui a ainsi engagé un dialogue direct avec Séoul et avec Washington, sans passer par la Chine ni la Russie. Si les autorités nord-coréennes ont ensuite rétabli un dialogue stratégique avec Pékin, incluant un important volet économique, les perspectives récentes d'investissements sud-coréens en Corée du Nord (à la faveur du troisième sommet Nord-Sud à Pyongyang, du 18 au 20 septembre 2018) ont montré que la Chine avait perdu de son rôle de force d'impulsion dans les développements autour de la péninsule coréenne. De manière ironique, le "double gel" (de ses essais balistiques et nucléaires par la Corée du Nord, de leurs manœuvres militaires par les Etats-Unis), qui était le principe cardinal de la feuille de route sino-russe pour sortir de l'impasse diplomatique en 2017, a été mis en place, mais à l'initiative des autres protagonistes que la Chine et la Russie.

Dans ce contexte, Pékin et Moscou disposent certes encore d'une influence réelle de par leur statut de membres permanents du Conseil de sécurité, en ayant par exemple bloqué, en août 2018, une proposition américaine d'élargissement (limité) des sanctions des Nations unies à une banque russe, ainsi qu'à un fonctionnaire et deux entités de la RPD de Corée. Mais ces deux puissances sont-elles en mesure d'infléchir réellement la position américaine concernant les sanctions contre la RPD de Corée ? Ou s'agit-il essentiellement d'une posture, visant à revenir pleinement dans le jeu diplomatique en proposant une troisième voie entre Washington et Séoul d'un côté, Pyongyang de l'autre ?

En diplomatie, il faut tenir compte non seulement des prises de position, mais aussi de l'importance qu'on leur accorde effectivement et des moyens dont l'on dispose. A cette aune, la Chine a un avantage immédiat : elle est considérée par Washington (contrairement à la Russie), et à juste titre, comme disposant d'un levier d'influence économique majeur sur Pyongyang. Par ailleurs, dans les priorités diplomatiques de Pékin, la question coréenne a été explicitement mentionnée par S.E. M. Wang Yi, conseiller d'Etat et ministre des Affaires étrangères, lors du débat général à la session 2018 de l'Assemblée générale des Nations unies. Selon le compte rendu publié sur le site des Nations unies :

Le Ministre a indiqué soutenir sans réserve les efforts en vue de l’amélioration de la situation dans la péninsule coréenne, ainsi que le dialogue entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et les États-Unis. « La Chine encourage la RPDC à continuer de s’engager dans la voie de la dénucléarisation. Dans le même temps, nous pensons qu’il est adéquat que les États-Unis apportent des réponses positives dans les délais voulus afin de rencontrer la RPDC au milieu du gué. » M. Wang a indiqué que la Chine continuera d’appliquer strictement les sanctions contre la RPDC, tout en appelant le Conseil de sécurité à prendre des mesures à la lumière des derniers développements afin de créer des conditions favorables à un règlement pacifique de la situation par des moyens diplomatiques et politiques.

Nations unies

Le conseiller d'Etat Wang Yi à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies

Le conseiller d'Etat Wang Yi à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies

Les termes sont mesurés : la Chine n'appelle pas explicitement à la levée (partielle) des sanctions, mais parle plus prudemment de la nécessité pour les Etats-Unis d'apporter des "réponses positives dans les délais voulus afin de rencontrer la RPDC au milieu du gué". Chaque partie y lira ce qu'elle souhaite y trouver. Il est par ailleurs évident que malgré le contentieux commercial croissant américano-chinois, Pékin n'entend pas - à ce stade du moins - utiliser une éventuelle position plus dure de Pyongyang (qui pourrait être déçue et frustrée par l'absence possible de réponse de l'administration Trump) comme levier de négociation avec Washington.

Si la question coréenne figure donc en bonne place dans les priorités diplomatiques de Pékin, elle ne constitue pas réellement une pomme de discorde majeure avec les Etats-Unis (en juin 2018, les Etats-Unis pouvaient ainsi encore affirmer que Pékin partageait leurs préoccupations des sanctions contre la RPD de Corée sans que les autorités chinoises ne jugent utile de pondérer cette assertion). La Chine entend vouloir la diminution des sanctions, elle ne se donne pas aujourd'hui tous les moyens d'une telle politique.

Le discours du ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, lors du débat général de la même session de l'Assemblée générale des Nations unies, est explicite sur le fait que la Corée ne constitue pas une priorité diplomatique pour Moscou : elle n'est même pas mentionnée dans le résumé de son intervention sur le site des Nations unies.

L'ambassadeur russe aux Nations unies, Vassili Nebenzia, a certes évoqué une levée progressive des sanctions, mais en modérant immédiatement son propos... en affirmant qu'il s'agit seulement d' "envisager" une telle mesure !

"Je pense qu'il est simplement naturel que l'on réfléchisse à des pas dans cette direction", a déclaré l'ambassadeur russe à l'ONU, Vassili Nebenzia, interrogé sur une éventuelle levée des sanctions. "Il y a des progrès qui devraient être réciproques. Il devraient y avoir des contreparties" car "l'autre partie devrait voir des encouragements à aller de l'avant", a-t-il affirmé.

La Figaro

Cette prudence de fonctionnaire n'est pas celle du (toujours) brillant Sergueï Lavrov, qui a pour sa part plaidé à nouveau ouvertement pour un assouplissement des sanctions devant aller de pair avec sa dénucléarisation :

«Je voudrais entendre des explications quant aux raisons pour lesquelles certains collègues au sein du Conseil de sécurité s'entêtent à rejeter la possibilité même d'un signal positif de la part du Conseil au sujet des démarches faites par Pyongyang dans la voie de la dénucléarisation de la péninsule coréenne», a-t-il noté lors d'une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée à la Corée du Nord.

Il a rappelé dans ce contexte que les négociations étaient toujours «une rue à double sens».

«Les démarches de la Corée du Nord sur le chemin d'un désarmement progressif doivent aller de pair avec l'assouplissement des sanctions. Une action doit être suivie d'une réaction», a-t-il souligné.

Sputnik News

Sergueï Lavrov

Sergueï Lavrov

Mais au regard du faible poids économique aujourd'hui de la Russie en Corée du Nord, des liens stratégiques distendus entre les deux anciens alliés et plus encore de la place éloignée qu'occupe la péninsule coréenne dans l'échelle des priorités diplomatiques de Moscou, dans quelle mesure ces propos peuvent-ils faire mouche ? Certes, Sergueï Lavrov était à Pyongyang en mai 2018 pour replacer les pions russes sur l'échiquier diplomatique extrême-oriental, notamment dans l'hypothèse d'un traité de paix assorti de garanties de sécurité pour la RPDC (et que pourraient garantir la Chine et la Russie, alors que la Russie n'a pas été, quant à elle, officiellement partie prenante aux combats de la guerre de Corée). Mais il s'agit surtout d'utiliser d'abord le pouvoir d'influence de Moscou au sein du Conseil de sécurité pour infléchir les positions très rigides de certains de ses membres. La diplomatie étant l'art de parvenir à des compromis mutuellement avantageux, le discours de Sergueï Lavrov sur la péninsule coréenne, qui n'est pas nouveau, a indéniablement des vertus pédagogiques à l'égard de tous ceux qui veulent continuer de dresser un mur avec les Nord-Coréens.

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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 21:05

Sur l'échiquier diplomatique en Asie du Nord-Est, la Russie a un rôle particulier à jouer - comme l'a rappelé la visite en République populaire démocratique de Corée, pour la première fois depuis 2009, de Sergueï Lavrov. Après de premiers échanges avec son homologue nord-coréen Ri Yong-ho en Russie en avril dernier (et qui l'avait alors invité à Pyongyang), le ministre des Affaires étrangères russe a rencontré le Président Kim Jong-un et l'a invité en Russie, en lui transmettant "les salutations les plus chaleureuses" du Président Vladimir Poutine et "ses souhaits de succès dans les importantes initiatives entreprises dans la péninsule coréenne" - au moment où s'accélèrent les préparations du sommet entre les présidents Kim Jong-un et Donald Trump envisagé à Singapour le 12 juin, le général Kim Yong-chol étant au même moment reçu aux Etats-Unis. 

Comme l'a précisé un communiqué du ministère des Affaires étrangères russe citant le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, Moscou entend que la dénucléarisation de - toute - la Corée (donc, y compris du Sud, aujourd'hui placé sous le "parapluie" nucléaire américain), s'inscrive dans le cadre d'un processus de paix et de sécurité collective : 

Cela va permettre non seulement de dénucléariser toute la péninsule mais également d'établir une paix durable et stable dans le nord-est de l'Asie.

Partisan constant de l'approfondissement du dialogue intercoréen, la Russie, à l'instar de la Chine, entend ainsi jouer tout son rôle dans l'établissement d'un mécanisme de sécurité collective, en tant que potentiel garant d'un accord entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui devra disposer de garanties de sécurité et de non-agression en contrepartie de sa dénucléarisation.

La tenue du sommet suppose également que les Etats-Unis s'engagent sur une levée des sanctions internationales contre la RPD de Corée sans attendre l'achèvement du processus de dénucléarisation, ainsi que l'a rappelé Sergueï Lavrov à Pyongyang. La Russie aurait d'ailleurs un intérêt direct à la reprise des échanges économiques avec la RPD de Corée, notamment pour concrétiser les projets de liaisons ferroviaires (au point mort depuis 2016) et dans le domaine du transport du gaz

Malgré des efforts réels de la Russie de jouer un rôle de médiateur lors de l'escalade des tensions en 2017, la sortie de crise n'est pas venue de la mise en oeuvre de la feuille de route russo-chinoise (qui proposait un double moratoire : de ses essais nucléaires et balistiques par la Corée du Nord, de ses manoeuvres militaires par les Etats-Unis) mais du spectaculaire rapprochement intercoréen opéré en début d'année 2018. Alors que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a effectué coup sur coup ses premières visites à l'étranger en tant que dirigeant suprême en Chine, la Russie entend bien reprendre toute sa place comme acteur de premier plan dans la péninsule coréenne : vis-à-vis de Pyongyang elle peut s'appuyer sur un rôle moins ambigu que celui de la Chine (Pékin ayant approuvé les volets successifs de sanctions internationales proposés par les Etats-Unis et leurs alliés, ce qui a eu un impact durable sur les relations sino-nord-coréennes) - sans que Moscou ait toutefois été jusqu'à opposer son veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question coréenne.

La RPD de Corée est consciente des propres limites que s'est imposée la Russie comme contrepoids à une politique américaine hostile, mais dans un contexte de recomposition du jeu diplomatique l'appui russe est précieux face à une politique américaine versatile, soumise aux influences négatives d'une fraction belliciste de l'administration Trump, pour faire face à tout durcissement, voire revirement, de Washington. A contrario, en cas de succès du sommet, Moscou pourrait favoriser la poursuite du dialogue, la garantie de mécanismes de sécurité collective et la prise d'engagements fermes des Etats-Unis qui justifieront la poursuite par Pyongyang de sa politique de dénucléarisation. Et au jeu d'échecs le vainqueur est celui qui a toujours un coup d'avance, en envisageant tous les scénarios.

Sources : 

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21 mars 2018 3 21 /03 /mars /2018 23:11

La délégation sud-coréenne de haut niveau qui a rencontré le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a rendu compte des échanges qu'elle a eus à Pyongyang non seulement aux Américains, mais également aux autres pays parties aux pourparlers à six (Chine, Japon, Russie) - qui tous adaptent leur diplomatie aux recompositions diplomatiques résultant des sommets annoncés intercoréen et Etats-Unis-Corée du Nord

Rencontre à Moscou le 13 mars 2018 entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Chung Eui-yong, qui dirigeait la délégation sud-coréenne ayant rencontré le Président Kim Jong-un

Rencontre à Moscou le 13 mars 2018 entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Chung Eui-yong, qui dirigeait la délégation sud-coréenne ayant rencontré le Président Kim Jong-un

Moscou : un soutien au dialogue et aux pourparlers

La Russie a toujours eu une position favorable à la reprise du dialogue dans la péninsule coréenne et n'a donc pu qu'accueillir très positivement les récents développements. Selon Chung Eui-yong : 

Le ministre Lavrov a déclaré que le gouvernement russe continuerait à soutenir activement les accords de principe concernant le dialogue intercoréen et le sommet Corée du Nord-Etats-Unis. Nous sommes convenus de maintenir la coopération étroite entre la Corée du Sud et la Russie pour aider à organiser avec succès les deux sommets (...).
La Russie continue à jouer un rôle constructif en vue de la réalisation pacifique de l’objectif de dénucléarisation sur la péninsule coréenne et à déployer des efforts considérables pour conduire la Corée du Nord au dialogue.

Pour la Russie, la question coréenne est d'abord un enjeu lui permettant réaffirmer ses ambitions de grande puissance en Extrême-Orient, alors même que sa présence économique en Corée du Nord est aujourd'hui très faible (elle représente au plus 3 % du commerce extérieur de la RPDC) et ne lui laisse qu'une faible marge de manoeuvre en la matière, tandis que Pyongyang a pris par ailleurs des positions favorables à Moscou dans la période récente (notamment sur la question de Crimée). Dans un second temps, il s'agit d'un levier pour développer l'extrême-orient russe - notamment à travers les projets, aujourd'hui bloqués du fait des sanctions internationales, de raccordement des liaisons ferroviaires et des gazoducs entre la Russie et la République de Corée (du Sud), et dont la relance sera activement recherchée. L'objectif pour la Russie, s'il se mettait en place un régime de sécurité international autour de la péninsule (de type OSCE), serait d'être pleinement partie prenante de ce dispositif. 

Pékin : ne pas se laisser marginaliser

Etre pleinement acteur d'un régime de sécurité internationale autour de la Corée est a fortiori la préoccupation première de la République populaire de Chine, qui est de surcroît le principal partenaire économique et politique de la RPD de Corée et dispose là d'un atout majeur. La difficulté pour elle est que les relations bilatérales avec Pyongyang se sont distendues du fait de son soutien constant à la politique américaine de sanctions internationales envers la Corée du Nord. Des relations directes Washington-Pyongyang pourraient en outre mettre à l'écart Pékin, qui s'inquiète aujourd'hui autant d'une marginalisation possible dans une région faisant partie de son étranger proche qu'hier d'un possible conflit à ses portes dont elle subirait les conséquences. Dans le même temps, les développements actuels traduisent la pertinence de l'approche diplomatique chinoise - basée sur le dialogue et la désescalade - sur le dossier coréen, renforçant encore la crédibilité de Pékin qui se retrouve dans une position de convergences de vues avec Séoul - d'autant que le Président Moon Jae-in a su spectaculairement restaurer une relation bilatérale gravement mise à mal par l'administration Park Geun-hye

Cette volonté de restaurer les relations d'amitié traditionnelles avec Pyongyang, tout en exhortant la RPDC à compter sur le soutien de la Chine (ce qui exprime la crainte qu'elle pourrait s'en passer...), se mesure dans les dernières phrases d'un éditorial du Global Times, le 18 mars 2018, proche des positions du Parti communiste chinois : 

Maintenir des relations d'amitié entre la Chine et la Corée du Nord correspond aux intérêts des deux parties.

Pour la Chine, cela est propice à la stratégie de Pékin dans sa périphérie et peut lui laisser une marge de manoeuvre dans les affaires du nord-est asiatique.

Pour la Corée du Nord, il serait difficile et dangereux de se débrouiller seulement avec Séoul, Washington et Tokyo. Le soutien de la Chine peut diminuer de beaucoup les risques.

Il faut souhaiter que le Parti communiste chinois et le Parti du travail de Corée pourront conserver les fondements de la relation entre les deux pays, en s'assurant qu'aucun opportuniste ne fera son marché ou trouvera le moyen de porter atteinte aux liens entre Pékin et Pyongyang.

Vis-à-vis de la Chine, un des premiers signe qu'appréciera la RPDC sera de savoir si Pékin continuera d'appliquer avec la même fermeté les sanctions à son encontre.

Tokyo : éviter un second choc Nixon

Le rapprochement Pékin-Washington au début des années 1970 avait été vécu à Tokyo comme un "choc Nixon", c'est-à-dire que le Japon s'était retrouvé mis devant le fait accompli d'une situation renversant des décennies de politique diplomatique anticommuniste et de relations privilégiées avec Taïwan. La réaction du pays du Soleil Levant avait été la normalisation accélérée de ses relations avec Pékin.

Si des relations Etats-Unis-RPDC devaient rapidement s'établir, il est probable que Tokyo chercherait aussi à ne pas être placée hors jeu en favorisant un sommet bilatéral avec Pyongyang (qui ne seraient pas une première, après ceux entre Joinichuro Koizumi avec Kim Jong-il en 2002 et 2004). Côté japonais, il s'agirait d'obtenir un règlement de la question des personnes japonaises "disparues" selon la terminologie nord-coréenne, enlevées selon Tokyo. Côté nord-coréen, le versement d'indemnités au titre des dommages subis pendant l'occupation japonaise et la guerre referait surface.

Dans l'immédiat, le gouvernement nationaliste de Shinzo Abe, qui a surfé sur la North Korean scare pour élargir son assise parlementaire lors des élections législatives convoquées en octobre 2017, a été pris en porte-à-faux en n'étant pas tenu au courant de l'annonce surprise du Président Donald Trump qu'il était prêt à rencontrer le dirigeant Kim Jong-un - une annonce qui va à l'encontre des positions de Tokyo systématiquement favorables à un durcissement des sanctions contre la RPDC. A présent, le Japon ne peut qu'espérer (comme il l'exprime ouvertement) que la question  - sensible dans l'archipel - des citoyens japonais enlevés par les services secrets nord-coréens sera au menu des discussions bilatérales entre Washington et Pyongyang, et prôner des discussions exigeantes - sans pouvoir publiquement désavouer l'allié américain... et préparer un virage sur l'aile dans l'hypothèse d'une percée diplomatique entre Pyongyang et Washington.

Sources : 

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