L’approche de l’ancien secrétaire américain à la Défense concernant la Corée du Nord : Traitez-la telle qu’elle est, pas comme vous souhaiteriez qu’elle soit
Par Jesse Johnson
Journaliste au Japan Times
Le 3 avril 2017
« Nous devons traiter la Corée du Nord telle qu’elle est, pas comme nous voudrions qu’elle soit. »
C’était la phrase clé de la préface du rapport transmis aux dirigeants japonais, sud-coréens et américains après que celui qui était alors secrétaire à la Défense des États-Unis eut effectué une visite sans précédent à Pyongyang.
Près de 18 ans plus tard, ces mots sonnent toujours vrais pour Perry. L’ancien secrétaire à la Défense de l’administration Clinton est devenu l’un des visages les plus connus d’un mouvement en plein essor pressant Washington, ainsi que les autres nations clés, de mettre en place des objectifs réalistes et de traiter à nouveau sur le plan diplomatique le programme nucléaire et d’armement.
Selon Perry, les récentes approches et stratégies concernant le Nord, manquant d’une compréhension claire des objectifs de Pyongyang, ont échoué dès leur mise en place. Le résultat a été une montée en puissance de son programme d’armement, que n'avaient prévu ni les analystes américains, ni les responsables gouvernementaux.
« Je crois que notre approche devrait être orienté vers une évaluation de ce que sont leurs buts » a déclaré Perry au Japan Times. « Je pense que nos négociations devraient être orientées sur ce que sont leurs buts. Nos politiques, nos stratégies, devraient être orientées vers la minimisation des dangers. Je ne pense pas que ce fut le cas précédemment. »
Cela pourrait inclure des compromis tels qu’un moratoire ou des accords sur l’arrêt du programme de missiles balistiques intercontinentaux en échange de rétributions, comme une aide économique ou une reconnaissance sur le terrain diplomatique.
Ne pas prendre en compte les motivations derrière les provocations nord-coréennes pourrait selon Perry voir les États-Unis, la Corée du Sud – et par extension le Japon – se retrouver impliqués dans un nouveau conflit coréen.
Dans un article écrit pour le site internet Politico, il écrit qu’il est probablement trop tard pour démanteler le programme nucléaire du Nord. À la place, il indique que le but doit être désormais de le contenir.
Citant Sigfried Hecker, l’ancien directeur du Laboratoire National de Los Alamos qui a visité à quatre reprises le réacteur de Nyongbyon au Nord, Perry écrit que les négociations « sont condamnées à continuer à échouer » si elles sont basées sur le principe de servir à ce que la Corée du Nord abandonne son arsenal nucléaire.
Il avance que les États-Unis pourraient commencer avec des objectifs plus modestes en se servant des Trois Non («Three Nos ») proposés par Hecker (1. Pas de nouvelles armes ; 2. Pas de meilleures armes ; 3. Pas de prolifération), ajoutant cela aux différentes aides offertes à Pyongyang. L’accomplissement de ces objectifs ne serait pas seulement d’une grande valeur concernant la sécurité, mais pourrait également être un « tremplin » pour des négociations à venir avec pour but ultime la dénucléarisation de la péninsule coréenne, déclare Perry.
Près d'un accord
Désigné comme étant le coordinateur de la politique nord-coréenne par Clinton en 1998, Perry a supervisé une étude qui a amené Washington à être plus proche que jamais d’un accord mettant un frein au programme nucléaire et balistique de Pyongyang.
Perry, qui a été décoré de l’Ordre du Soleil Levant par l’Empereur du Japon en 2002, gère maintenant le William J Perry Project, un organisme chargé d’éduquer le public sur les dangers des armes nucléaires. Il donne souvent des conférences et a visité le mois dernier la Chine et Taïwan.
Ce dernier voyage rappelait son passage au secrétariat de la défense, faisant la navette à travers l’Asie de l’Est, où Perry a activement cherché à réunir les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon pour apporter de la stabilité à la péninsule coréenne.
En 1999, il a ainsi délivré au Nord une proposition de Clinton pour que l’embargo économique visant le pays depuis 50 ans soit graduellement levé en échange d’un ensemble de concessions majeures, incluant un accord mettant un terme à son programme de missiles balistiques.
Le travail de Perry a été à la base d’un nombre considérable de visites par les hauts dignitaires des deux pays et de l'idée grandissante à cette époque qu’un accord pouvait être atteint.
Mais alors que l’administration Clinton touchait à sa fin en 2000, et que le nouveau Président George W. Bush se préparait à entrer à la Maison Blanche, cet élan a perdu de sa vigueur.
Les États-Unis ont été « cruellement proches » de garantir un accord avec la Corée du Nord pour éliminer ses missiles à moyenne et à longue portées et arrêter ses exportations de produits balistiques, comme l'a écrit Wendy Sherman, ancienne conseillère spéciale du Président et du secrétaire d’État en charge de la Corée du Nord, dans un éditorial du New York Times en mars 2001. Elle a pressé Bush de saisir cette chance
Dix mois plus tard, l’environnement avait changé. Les États-Unis titubaient, blessés par les attaques terroristes du 11 septembre et cherchaient vengeance, et l’Irak, l’Iran et le terrorisme Islamique étaient devenus le centre d’intérêt principal de la Maison Blanche.
Avec Téhéran et Bagdad, Pyongyang a été inclus dans ce que Bush a appelé « l’axe du mal ».
« Le président Bush a délibérément mis un terme aux négociations – qui étaient quasiment achevées – on peut concevoir que ces dernières auraient réglé ce problème », indique Perry. « Il a fait cela en pensant qu’il y aurait de nouvelles discussions dans des termes qui lui seraient plus favorables. Cela n’a évidemment pas fonctionné, que ce soit pour lui ou pour les tentatives de l’administration Obama. »
« Sans mesurer la valeur théorique de ce qu’ils sont en train de faire, le résultat est pour le moins prévisible », ajoute Perry, analysant l’état présent des négociations.
Dans son livre de 2015 « My Journey at the Nuclear Brink », il résume les résultats de la politique américaine envers le Nord depuis l’administration Clinton comme étant « peut-être l’exercice diplomatique le plus infructueux de l’histoire de notre pays ».
« Mon analyse est que la raison pour laquelle ils n’ont pas réussi dans le cas de l’administration Bush est qu’ils étaient détournés de cette question par la guerre en Irak » nous dit Perry. « Ils n’ont pas accordé suffisamment de temps ou d’attention à ce sujet. Qui sait ce qui aurait pu se produire s’ils en avaient fait une priorité et s’étaient mis au travail là-dessus. Mais cela n’a pas été le cas. »
Le risque d’une nouvelle guerre
Cependant, déclare Perry, alors que l’administration Bush était préoccupée par le Moyen-Orient, son successeur, le Président Barack Obama, avait quant à lui une politique dans le cadre de laquelle le programme nucléaire et balistique du Nord a continué à se développer.
Cela s’appelle « La Patience Stratégique ». « Ce que j’en ai compris, ce que la Patience Stratégique signifie est que – Si nous attendons suffisamment longtemps, la Corée du Nord va s’effondrer. – Je pense qu’il s’agit d’un espoir désespéré. Je serais heureux de voir le régime tomber, mais il n’y a aucune raison de croire que cela va se produire » indique Perry.
A la place, les peurs de Perry qui sont susceptibles de se réaliser dans l’atmosphère sécuritaire tendue entourant la péninsule coréenne sont la survenue d’hostilités de petite envergure menant à un conflit de grande ampleur impliquant les États-Unis et le Japon.
« Si cela se produit, si une nouvelle guerre de Corée venait à voir le jour, le Nord perdrait sûrement … et à ce moment-là, voyant la fin du régime, ils pourraient déclencher un Armageddon nucléaire » ajoute Perry. « Donc on peut imaginer le scénario dans lequel ils démarrent une guerre inintentionnellement et que dans ce cas ils utilisent leurs bombes atomiques dans un dernier sursaut. »
Selon Perry, ce scénario est le plus probable parmi les différentes théories concernant la façon dont le Nord pourrait provoquer un conflit. Il exclut toute sorte d’attaque surprise contre la Corée du Sud, le Japon ou les États-Unis, indiquant qu’un tel mouvement serait « suicidaire » et serait en contradiction avec l’objectif numéro 1 de Pyongyang : la survie du régime
« Ils ne veulent pas être des martyrs. Ce n’est pas al-Qaida ou l’Etat Islamique », déclare-t-il
« Cependant, l’utilisation de leurs armes sera dictée par l’utilisation dont elles ont été prévues pour … d’abord et avant tout la survie du régime, le maintien au pouvoir de la dynastie des Kim.
« Cela, j’en suis certain, est leur objectif principal. »
Et tandis que le chef d’État nord-coréen Kim Jong Un et son régime ont souvent été qualifiés de « fous », y compris le mois dernier par l'ancien candidat à la présidence républicain, le sénateur John McCain, Perry croit qu’il s’agit d’une idée fausse.
« Les personnes affirmant qu’ils sont fous ont je pense tort » déclare-t-il « La Corée du Nord est un Etat paria. Ils prennent des décisions extravagantes, mais ces dernières sont destinées à consolider leur emprise sur le pouvoir. »
Selon Perry, une compréhension de cet état de fait est nécessaire, peu importe la politique adoptée par les États-Unis concernant le Nord
Une ouverture pour des négociations ?
Le nouveau président américain Donald Trump a promis que la politique de son gouvernement envers Pyongyang différerait de celle d'Obama, et le secrétaire d'État Rex Tillerson a ainsi déclaré la fin de la Patience Stratégique.
Trump a parlé alternativement de s’asseoir à table pour manger un hamburger avec Kim Jong-un et de faire tout son possible pour l'empêcher de maîtriser la technologie pour monter une arme nucléaire sur un missile à longue portée capable de frapper les États-Unis continentaux.
Mais après l’essai par le Nord de quatre missiles le mois dernier, qui était présenté comme la simulation d’une attaque américaine au Japon, Trump a adopté un ton nettement plus sévère.
Le mois dernier, Tillerson a déclaré que toutes les options - y compris des frappes militaires préventives - étaient « sur la table ». Plus tôt cette année, il a également nié une affirmation de Kim selon laquelle les préparatifs étaient en phase finale, en disant : « Cela n'arrivera pas. »
Le Nord a répondu avec sa propre rhétorique, attaquant l'administration Trump concernant son approche du problème nord-coréen et en la rapprochant des actions de l'administration Obama.
Ces gesticulations mises à part, Perry pense qu’il y a une ouverture pour des discussions.
« Il pourrait réellement essayer de négocier avec eux, ce qui serait une bonne chose – s’il part d’une véritable compréhension du passif de chacun », a déclaré Perry à propos de Trump, en précisant qu'un bon négociateur doit s'efforcer de comprendre l'autre partie.
« Je pense comprendre les Nord-Coréens, ce qui me rend un peu pessimiste à propos de négociations basées sur les menaces et les intimidations. »
Au-delà de la compréhension des objectifs du Nord, Perry estime qu’il y a une autre composante qui est essentielle de prendre en compte pour les États-Unis pour que les négociations avec Pyongyang soient efficaces : la Chine.
« Nous devons discuter en conjonction avec la Chine, ce que nous n'avons jamais fait dans le passé », a déclaré M. Perry. « Même si nous nous sommes tous deux présents ensembles dans les pourparlers à six, nous n'avons jamais eu une compréhension commune de la menace ni de stratégie mutuelle sur la façon de procéder. »
Désormais – de par les relations tendues de Pyongyang avec Beijing, son patron d’autrefois – le moment est peut-être opportun, avance-t-il.
« Je pense que ce qui s’est passé au cours des dernières années est que les Chinois ont acquis une meilleure compréhension du danger représenté par les armes atomiques nord-coréennes », ajoute Perry. « Ils sont beaucoup plus préoccupés par ce sujet qu’ils pouvaient l’être il y a quelques années. »
Compte tenu de cela, il nous indique qu’il existe une réelle possibilité d’arriver au moins à une stratégie de négociation commune.
« Si nous y arrivons, cela améliorera grandement les réussites des pourparlers », nous dit Perry.
Parler durement
Certains experts, y compris Perry, prédisent que si les États-Unis ne parviennent pas à fixer des objectifs raisonnables, ils pourraient risquer par inadvertance de provoquer une situation désastreuse dans la région. Un de ces résultats pourrait voir le Japon et la Corée du Sud entreprendre de développer leurs propres capacités nucléaires - quelque chose que Trump a sous-entendu lors de la campagne présidentielle - et ainsi déstabiliser davantage la région.
« Je comprends pourquoi les Japonais sont dans le désarroi, mais je souhaite également penser quelles sont leurs alternatives viables », soutient Perry. « L’une d’entre elle serait qu’ils construisent leurs propres armes nucléaires … ils pourraient ainsi menacer de répondre aux provocations par leurs propres moyens … C’est, à mon avis, une très mauvaise idée mais cela pourrait se produire. »
Une autre option, ajoute-t-il, serait de renforcer la confiance que les Japonais portent aux États-Unis en demandant à Washington de faire une mise au point plus claire sur sa politique de dissuasion.
« La façon la plus sûre de le faire serait de nous demander de déployer certaines de nos armes nucléaires au Japon», déclare M. Perry, en s’appuyant sur l'exemple de l'Allemagne. Les armes atomiques américaines y ont d'abord été déployées pendant la guerre froide comme moyen d'afficher la volonté de Washington de protéger le pays.
« Lorsque vous commencez à parler durement, vous devez commencer à réfléchir à ce que sont les alternatives réalistes », note Perry. « Aucune d'entre elle n'est très attrayante. »
Selon Perry, la stratégie des États-Unis et du Japon s'oriente vers une garantie de dissuasion prolongée et la fourniture de systèmes de défense antimissiles balistiques limités - une politique qui n'est pas différente de celle du prédécesseur de Trump.
Pour l'ancien secrétaire à la Défense, cette perspective - un retour potentiel au statu quo - est insensée.
« Il est frustrant de penser que vous comprenez le problème et de le voir partir dans des directions très différentes de celles que vous souhaiteriez », déclare-t-il. « Je pourrais vous expliquer ce que je pense pouvoir fonctionner, mais je n'ai aucune raison de croire que cela va être tenté. »