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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 21:02

Le 25 avril est célébré en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) comme le jour de la fondation de l'Armée populaire de Corée (APC) : le 25 avril 1932, sous l'impulsion du futur Président Kim Il-sung, était ainsi créée l'Armée de guérilla populaire antijaponaise (AGPA) dans la lutte pour la libération de la Corée. Les commémorations du 83e anniversaire de la création de l'APC, en 2015, interviennent dans un contexte marqué par la durée et l'importance des manoeuvres militaires américano-sud-coréennes en ce début d'année, d'une part, et des annonces (extérieures à la RPDC) quant au renforcement des capacités militaires nord-coréennes, d'autre part. Pour enrayer l'escalade, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) considère qu'il est plus que jamais urgent que les Etats-Unis et leurs alliés se réengagent dans une démarche de négociations, afin de désarmorcer les risques de conflit dans l'une des régions au monde où le spectre d'une nouvelle guère n'a jamais disparu - depuis la signature de l'accord d'armistice ayant mis fin aux combats de la guerre de Corée, le 27 juillet 1953, sans qu'aucun traité de paix n'ait été signé à ce jour.

Le Maréchal Kim Jong-un au sommet du Mont Paektu, lieu mythique de la guérilla antijaponaise, le 18 avril 2015

Le Maréchal Kim Jong-un au sommet du Mont Paektu, lieu mythique de la guérilla antijaponaise, le 18 avril 2015

Le 24 avril 2015, un rassemblement a eu lieu devant le Musée de la victoire dans la guerre de libération de la Patrie (qui désigne en RPDC la guerre de Corée), à l'occasion du 83e anniversaire de la fondation de l'Armée populaire de Corée. Le chef d'état-major Ri Yong-gil a rappelé le rôle du Président Kim Il-sung dans la lutte antijaponaise et la défaite qu'il avait imposée à l'impérialisme américain. Il a loué le rôle joué par le Dirigeant Kim Jong-il dans la conduite de la politique de Songun (donnant la priorité aux affaires militaires), ayant permis à la RPDC de devenir "une puissance militaire de rang mondial" et un Etat doté d'armes nucléaires.

Une délégation du Parti et de l'Etat, conduite par le Premier ministre Pak Pong-ju, s'est rendue au Palais mémorial du Soleil Kumsusan, où reposent le Président Kim Il-sung et le Dirigeant Kim Jong-il. Des délégations de civils et d'élus ont visité les unités militaires et pratiqué ensemble des sports et des jeux. Des hommages ont été rendus aux soldats tombés pendant la lutte antijaponaise et la guerre de Corée. Le 25 avril, des soirées dansantes ont été organisées à Pyongyang et dans les principales villes du pays.

Ces commémorations sont intervenues dans un contexte de renforcement des capacités militaires de la RPD de Corée. Selon le Wall Street Journal, des experts chinois auraient réévalué à la hausse l'arsenal nucléaire de la RPD de Corée, composé aujourd'hui de 20 têtes (contre 10 à 16 selon les estimations occidentales) et qui pourrait doubler d'ici fin 2016 par le développement de son programme d'uranium enrichi. Par ailleurs, lors d'une conférence de presse le 7 avril, l'amiral William E. Gortney, qui dirige le commandement de défense aérospatiale nord-américain (North American Aerospace Defense Command, NORAD), a déclaré que la RPDC avait la capacité d'installer une tête nucléaire sur ses missiles balistiques intercontinentaux KN-08.

Si ces déclarations, qui émanent de milieux proches des néo-conservateurs, visent évidemment à renforcer le pivot américain en Asie-Pacifique au moment où une pression est exercée sur Séoul pour qu'elle rejoigne le dispositif THAAD, elles traduisent aussi une prise de conscience de l'inefficacité de la politique de sanctions pour stopper les progrès des programmes balistiques et nucléaires nord-coréens. Au point que même le très atlantiste site Atlantico s'interroge sur la nécessité d'engager des négociations non plus sur le programme nucléaire nord-coréen, mais pour normaliser les relations de la RPDC :

Certains experts pensent que les efforts internationaux ne devraient pas tant se concentrer sur l'arrêt de l'enrichissement de l'uranium en Corée du Nord, mais devraient plutôt convaincre Pyongyang de normaliser les relations avec ses voisins.

http://www.atlantico.fr/pepites/arsenal-nucleaire-coree-nord-certainement-ete-estime-2110144.html

Peu importe qu'Atlantico sous-entende, contre l'évidence, que ce seraient les autorités nord-coréennes qui refuseraient de normaliser leurs relations diplomatiques. L'essentiel est que, derrière les formules de langage, transparaisse une évidence, soulignée de longue date par l'AAFC : l'objectif premier doit être de maintenir la paix et la stabilité en Asie du Nord-Est, ce qui implique l'établissement de relations diplomatiques complètes entre, d'une part, la RPDC, et, d'autre part, les Etats-Unis, le Japon... et la France, seul pays de l'Union européenne, avec l'Estonie, à ne pas avoir entièrement normalisé ses relations avec Pyongyang. Du gel par la RPDC de ses programmes balistiques et nucléaires (comme elle l'a proposé à plusieurs reprises) aux discussions visant à la conclusion d'un traité de paix remplaçant l'accord d'armistice de 1953, en passant par l'instauration de mécanismes de sécurité collective, des engagements de non-prolifération, la levée progressive des sanctions contre la RPDC et des mesures mutuelles de désarmement, le champ des négociations est largement ouvert pour mettre fin à l'escalade militaire en cours et engager un cycle vertueux de discussions, qui jette ainsi les bases de la restauration d'un climat de confiance entre les différentes parties.

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6 avril 2015 1 06 /04 /avril /2015 21:20

THAAD, acronyme de Terminal High Altitude Area Defense, désigne un système de missiles antibalistiques américain en service depuis 2008, consistant à détruire les missiles balistiques de portée moyenne ou intermédiaire en phase finale d'approche  en s'écrasant contre eux (hit-to-kill). Aujourd'hui, les Etats-Unis envisagent clairement le déploiement de THAAD dans la péninsule coréenne, officiellement pour contrer la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en réalité pour s'opposer à la Chine et à la Russie. Si ce projet venait à se concrétiser il entraînerait une course aux armements dont les Coréens feraient les frais les premiers. C'est pourquoi, attachée à la paix et à la sécurité dans une zone où un traité de paix n'a jamais clos les combats de la guerre de Corée, l'Association d'amitié franco-coréenne s'oppose fermement à toute perspective de déployer THAAD dans la péninsule coréenne.

Schéma d'un missile du système THAAD

Schéma d'un missile du système THAAD

Y aura-t-il bientôt des missiles THAAD en Corée du Sud ? A la veille de sa visite en Asie, Ashton Carter, secrétaire américain à la Défense, est intervenu devant un parterre républicain où il n'a pas fait mystère de ses "préoccupations" vis-à-vis de la Chine, même si officiellement son discours parlait également d'améliorer la "compréhension" mutuelle entre Washington et Pékin, en déclarant ainsi à propos de la Chine :

"L'opacité de son budget de défense, ses agissements dans le cyber-espace, et son comportement [dans les conflits territoriaux en mer de Chine] soulèvent une série de questions sérieuses. [...] Mais il y a des opportunités [pour] améliorer la compréhension [et] réduire le risque."


Mais si "risque" il y a, c'est bien celui d'une course aux armements et d'une escalade que souhaitent ardemment les faucons démocrates comme M. Ashton Carter. Ainsi que l'a souligné l'agence de presse chinoise Xinhua, "M. Carter, qui a pris ses fonctions en tant que secrétaire américain à la Défense en février, est connu pour être un fervent défenseur de la défense anti-missile" THAAD.

Le ministère des Affaires étrangères de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), cité par l'agence nord-coréenne KCNA, a souligné que, face au risque que faisait courir le déploiement des missiles américains dans la péninsule dans un contexte déjà lourd de menaces au moment de la conduite des exercices militaires américano-sud-coréens, l'Armée populaire de Corée n'avait d'autre choix que de renforcer ses capacités de défense, ce qui a ainsi pour effer d'éloigner toute perspective de règlement du contentieux nucléaire en Corée :
 

"Plus les Etats-Unis et leurs fantoches en Corée du Sud recourent fébrilement aux exercices militaires et accumulent les armements visant la République populaire démocratique de Corée, plus cette dernière consolidera ses forces d'endiguement afin de leur faire face. [...] En déployant le système (THAAD), les Etats-Unis veulent parachever leurs préparatifs pour faire une frappe préventive sur la Corée du Nord et créer des conditions favorables pour supprimer la Chine et la Russie, leurs adversaires stratégiques."


Toujours lors de sa récente conférence devant l'Institut universitaire John McCain, Ashton Carter a exprimé en termes très clairs la concentration de la puissance militaire américaine dans la région Asie-Pacifique : "contribue(r) à créer les bonnes incitations et conditions pour encourager la Chine à respecter les règles de l'ordre international." Il s'agit bien d'exercer une pression militaire sur la Chine, accusée de perturber l'ordre mondial sous domination américaine.

Face aux déclarations menaçantes d'un secrétaire américain à la Défense autant en phase avec les faucons néo-conservateurs, Alexandre Timonin, ambassadeur russe en Corée du Sud, a exprimé ouvertement ses inquiétudes dans un entretien donné à l'agence de presse sud-coréenne Yonhap :

"La volonté des Etats-Unis de déployer le système THAAD sur le sol sud-coréen pose des menaces à la sécurité non seulement de la Russie mais aussi de toute la région."


Face aux appétits guerriers de l'administration Obama, les autorités sud-coréennes temporisent en déclarant qu'aucune décision n'a été prise concernant le déploiement de missiles THAAD dans la péninsule. Mais ces propos reflètent-ils sincèrement des interrogations au sein du camp conservateur ? Ne faut-il pas plutôt y voir un double langage destiné à abuser la Chine et la Russie ? Car les députés du parti Saenuri (au pouvoir), plaident déjà, quant à eux, pour le déploiement de THAAD, en s'opposant ainsi aux démocrates qui ne veulent pas faire de la Corée une nouvelle fois le champ de bataille des rivalités entre grandes puissances.

En janvier dernier, le Président Obama se révélait partisan des choix néo-conservateurs d'une stratégie inspirée de la poliorcétique pour abattre la RPD de Corée. Les conservateurs sud-coréens, en ayant fait de la subordination aux Etats-Unis leur ligne de conduite diplomatique et militaire, se retrouvent entraînés dans les choix bellicistes de la puissance américaine à laquelle ils ont aliéné leur sécurité, quels que puissent être les intérêts propres des Sud-Coréens. 


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26 mars 2015 4 26 /03 /mars /2015 23:03

Le 26 mars 2010, le Cheonan, corvette de la marine sud-coréenne, sombrait au large de l'île de Baegnyeong, à l'ouest de la péninsule coréenne, entraînant la mort de 46 marins. Suite à ce naufrage, sur la base d'une enquête controversée attribuant à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) la responsabilité du drame du 26 mars, le gouvernement sud-coréen a pris des sanctions à l'encontre de la RPDC, malgré les dénégations de cette dernière. Ces sanctions ont porté le coup le plus sévère au dialogue intercoréen après l'arrivée au pouvoir des conservateurs en 2008 en Corée du Sud. Cinq ans après le naufrage du Cheonan, il apparaît plus urgent que jamais de rouvrir l'enquête pour établir de manière incontestable les causes réelles du naufrage du Cheonan. La thèse dite de la torpille nord-coréenne est en effet de plus en plus contestée, et pas seulement par la Corée du Nord.

Emplacement du naufrage du "Cheonan" le 26 mars 2010

Emplacement du naufrage du "Cheonan" le 26 mars 2010

Pour élucider les causes du naufrage de la corvette Cheonan, le 26 mars 2010, le gouvernement sud-coréen a mis en place un groupe d'enquête principalement composé d'experts civils et militaires de Corée du Sud et des Etats-Unis auxquels se sont joints ceux de deux pays alliés (l'Australie et le Royaume-Uni) et d'un pays neutre (la Suède). Dès le 20 mai 2010, le rapport intermédiaire du groupe d'enquête (confirmé le 13 septembre suivant) a imputé le naufrage du 26 mars à une torpille nord-coréenne, des accusations aussitôt rejetées par la RPD de Corée.

Sur la base des conclusions du rapport d'enquête intermédiaire, le gouvernement sud-coréen a pris le 24 mai 2010 des mesures de rétorsion contre la RPDC : reprise de la diffusion de messages de propagande par tracts et par haut-parleurs à la frontière avec le Nord, manœuvres sous-marines conjointes avec les Etats-Unis en mer de l'Ouest, fermeture du détroit de Jeju (extrême sud de la péninsule coréenne) aux navires nord-coréens, suspension des relations commerciales avec la RPDC, arrêt de tout investissement en RPDC, et restriction des contacts entre Coréens du Sud et du Nord. Ce sont ces mesures qui ont porté le coup le plus grave aux déclarations Nord-Sud pourtant signées au plus haut niveau des deux Etats coréens le 15 juin 2000 et le 4 octobre 2007.

A la veille du cinquième anniversaire du naufrage du Cheonan, le département politique de la Commission de la défense nationale de la RPD de Corée a tenu à exposer, le 24 mars 2015, ce qui reste la position de principe de la RPDC à l'égard des "mesures du 24 mai" consécutives à un naufrage "qui ne la concerne en rien":

 

"[...] Premièrement, nous ne modifierons pas notre position selon laquelle le Sud doit immédiatement lever les sinistres 'mesures' qu'il a concoctées sous le prétexte absurde de l'affaire du naufrage du navire de guerre Cheonan, sans perdre de temps. Ces 'mesures' s'appuient sur la fiction d'une 'implication du Nord dans le naufrage'.

L'absence de fondements justes rend ces mesures déraisonnables.

Deuxièmement, le Sud devrait clairement comprendre qu'exiger des 'excuses' et une 'expression de regrets' comme préalable à la levée des 'mesures' est un sophisme qui ne pourra jamais fonctionner.

Si quelqu'un demande au Nord de 's'excuser' pour lever les 'mesures', cela sera considéré comme une intolérable moquerie à l'égard de la RPDC et une déclaration de confrontation avec elle.

Si les autorités sud-coréennes souhaitent réellement une amélioration des relations Nord-Sud, elles doivent garder à l'esprit que la première chose à faire est de lever les 'mesures'.

Troisièmement, la RPDC maintient sa position selon laquelle l'enquête doit, si nécessaire, être immédiatement rouverte pour établir de manière scientifique la vérité sur ce naufrage qui a abouti à ces sinistres 'mesures', même si cela arrive tardivement.

Si les autorités sud-coréennes souhaitent réellement le règlement de cette question, elles doivent avoir le courage de prendre la décision d'accepter toutes les propositions faites par la RPDC pour régler l'affaire concernant le naufrage.

Si elles considèrent qu'il est difficile de répondre aux propositions de la RPDC, elles peuvent juste apporter à Panmunjom [dans la zone démilitarisée séparant les deux Corée], ou à tout autre endroit convenu, les matériaux et preuves liés au naufrage pour seulement laisser la RPDC livrer ouvertement au monde la vérité au sujet de cette affaire. […]"

 

Les "mesures du 24 mai" n'ont jamais été remises en question par les autorités de Séoul après 2010, malgré les doutes croissants sur la version américano-sud-coréenne d'une implication de la Corée du Nord dans le naufrage du Cheonan, doutes exprimés, dès la publication des résultats de l'enquête officielle, par, entre autres, les experts de la marine russe qui ont eu accès aux "preuves" avancées pour accuser la RPDC, par des scientifiques indépendants et même par un ancien membre du groupe officiel d'enquête.

A la suite de l'exposé du 24 mars 2015 de la "position de principe" de la Commission de la défense nationale, la mission de l'Armée populaire de Corée (du Nord) à Panmunjom a accusé les Etats-Unis d'avoir "monté l'affaire du naufrage du navire de guerre Cheonan et d'en avoir abusé pour intensifier leur politique hostile à l'égard de la RPDC":

"[… Le naufrage du Cheonan] a été orchestré par les Etats-Unis avec la sinistre intention de garder le contrôle de la Corée du Sud et du Japon, de les utiliser comme une brigade de choc dans la réalisation de leur ambition de domination mondiale et d'intensifier les actions visant à isoler et étouffer la RPDC après avoir trouvé des justifications pour un renforcement militaire dans la région. [...]"

 

La mission de l'Armée populaire de Corée cite notamment des experts de la marine russe selon lesquels le Cheonan pourrait avoir été coulé par un "tir ami", à savoir une torpille lancée depuis un sous-marin à propulsion nucléaire américain. La possibilité de la présence d'un sous-marin de grande taille à proximité du Cheonan le 26 mars 2010 a été évoquée à plusieurs autres reprises, notamment en novembre 2014 dans une étude scientifique publiée dans la revue Advances in Acoustics and Vibration.

De fait, le naufrage du Cheonan a constitué pour les Etats-Unis un événement tombant de manière très opportune pour justifier un renforcement de leur présence militaire dans la zone Asie-Pacifique, conformément à la stratégie dite du pivot asiatique, dans le cadre d'une politique d'encerclement de la Chine identifiée depuis le début des années 2000 comme le principal adversaire stratégique.

 

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17 mars 2015 2 17 /03 /mars /2015 22:18

Depuis un quart de siècle des auteurs très savants ont prédit la fin imminente de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), suite à la disparition de l'URSS et des démocraties populaires d'Europe de l'Est. Depuis un quart de siècle les faits ont démenti leurs pronostics. Malgré leur persistance dans l'erreur leur influence est grande, puisqu'ils exercent une influence notable dans les politiques occidentales vis-à-vis de la RPD de Corée : la conclusion d'un accord sur le nucléaire nord-coréen après 1994 n'avait-elle pas été motivée, côté américain, par la croyance qu'il ne serait jamais appliqué, la RPD de Corée étant alors vue comme vouée à une mort non moins imminente que certaine ? Alors que le réalisme conduirait à prendre en compte la situation actuelle et les opportunités d'un dialogue avec Pyongyang pour sortir de la crise internationale sur la question coréenne, le renforcement continu des sanctions internationales ne vise-t-elle pas principalement, sinon exclusivement, à créer les conditions d'un effondrement, tant désiré par les partisans du plus vieil embargo au monde - alors même que cette politique n'a pas atteint l'objectif qu'elle prétend poursuivre, à savoir endiguer les progrès des programmes nucléaires et balistiques de la RPD de Corée ? Comme l'a montré Aidan Foster-Carter dans un article publié sur le site 38 North, une interview donnée par le Président Obama pour Youtube a été d'une clarté sans précédent quant à la politique nord-coréenne de l'administration américaine : Barack Obama s'est révélé être un adepte de la théorie de l'effondrement (collapsism) de la Corée du Nord, et il aussi avoué que sa politique de "patience stratégique" visait bien, en réalité, à préparer un changement de régime - par d'autres moyens qu'une intervention militaire. Mais, comme il ne le précise pas, cette dernière option est exclue principalement par les capacités militaires, notamment dans le domaine nucléaire, de la Corée du Nord : si Pyongyang acceptait le désarmement unilatéral que veulent lui imposer les Etats-Unis et leurs alliés, elle n'en serait que plus affaiblie face à l'objectif américain constant de provoquer un changement de régime, suivant la politique suivie en Irak, en Libye ou en Ukraine.

Barack Obama se révèle un adepte de la théorie de l'effondrement de la Corée du Nord

Aidan Foster-Carter cite des extraits très éclairants de l'interview donnée par le Président Obama, qui a toujours accordé une grande importance à Internet comme média et qui, de même, considère que c'est d'Internet - notamment - que viendra le changement de régime à Pyongyang qu'il appelle de ses voeux. Tout d'abord, il définit la République populaire démocratique de Corée comme

"[...] la nation la plus isolée, la plus sanctionnée, la plus coupée du reste du monde… La forme d'autoritarisme qui existe là-bas, vous ne pouvez la reproduire nulle part ailleurs. Elle est brutale et oppressive, et par conséquent le pays ne peut même pas nourrir sa propre population [...] Avec le temps vous verrez un régime comme celui-là s'effondrer."


Peu importe que le lien établi par le Président Obama soit pour le moins douteux entre un régime politique, quel qu'il soit, et la situation alimentaire du pays gouverné - faisant par ailleurs l'objet d'une appréciation erronée, révélant l'ignorance de son auteur, puisque la RPD de Corée a pratiquement retrouvé l'autosuffisance alimentaire en 2014. Peu importe également l'appréciation sur la soi disant exceptionnalité du régime nord-coréen (est-il fondamentalement si différent, dans sa structure, de la Chine de la période Mao Zedong ?). Ce qui compte, c'est l'aveu que la Corée du Nord est le pays le plus sanctionné au monde, car c'est bien tout l'objectif de l'actuelle politique nord-coréenne des Etats-Unis. Avec une idée qui relève de la croyance et explique tout : la Corée du Nord doit s'effondrer, affirme péremptoirement Barack Obama.

Mais continuons d'écouter le chef d'Etat américain :

"Nous continuerons d'augmenter la pression, mais une part de ce qu'il arrive est que [...] Internet, avec le temps, commence à pénétrer le pays [...] Et il est très difficile de maintenir cette forme de régime autoritaire dans le monde moderne. Les informations finissent par filtrer avec le temps et entraîner des changements, et c'est quelque chose que nous cherchons à accélérer de manière constante. "


Les politiques de subversion sont également une des constantes des stratégies américaines de changement de régime. Mais là encore Barack Obama pèche par croyance : d'une part, l'Intranet nord-coréen occupe l'essentiel de la place dévolue à Internet ; d'autre part, les informations extérieures n'ont jamais été aussi nombreuses en RPD de Corée, sans que ce flux de nouvelles n'ait produit les changements désirés par l'administration américaine. C'est aussi dans ce contexte qu'il faut comprendre ce que révèle le film The Interview, qui a été salué par le gouvernement américain - ainsi que l'a révélé le piratage de Sony - comme une superbe entreprise de propagande. Mais ce film, dont le ressort prétendument humoristique est du niveau de la pétomanie et de la blague anale, a davantage suscité une vague de consternation parmi les réfugiés nord-coréens à l'étranger - si bien que sa diffusion par ballon au Nord de la péninsule ne peut qu'entraîner les mêmes réactions de rejet des Nord-Coréens qui le verraient. Mais qu'importe : la bonne conscience américaine et occidentale aura été satisfaite.

En quelques phrases, le Président Barack Obama a multiplié les erreurs diplomatiques : il a reconnu la mauvaise foi des appels au dialogue avec la RPDC lancés par sa propre administration, à commencer par lui-même lorsqu'il feignait d'exhorter la RPDC à changer de cap et à "s'ouvrir" ; il a justifié implicitement les volontés de contrôle du réseau Internet par les autorités nord-coréennes ; enfin, il a placé dans l'embarras ceux qui, dans l'administration sud-coréenne, cherchent encore à empêcher que ne s'envenime une situation dont les Coréens, et pas les Américains, feraient les premiers les frais en cas de conflit.

Naguère, George W. Bush, après avoir classé la Corée du Nord parmi les pays de l'Axe du mal, avait fait machine arrière et renoué avec une politique de dialogue vis-à-vis de la RPDC. C'est une constante des administrations américaines successives de changer de pied à l'égard de la Corée du Nord après avoir établi le constat de l'échec de la seule approche du bâton. Mais concernant l'administration Obama, après six ans d'exercice du pouvoir les croyances sur le dossier nord-coréen apparaissent si profondément ancrées que l'on peut douter qu'une démarche plus rationnelle puisse un jour prévaloir.

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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 22:06

Le 5 mars 2015, à Séoul, l'ambassadeur américain en Corée du Sud a été attaqué au couteau par un assaillant présenté comme le chef d'un groupe progressiste, Woori Madang, déjà condamné en 2010 à une peine de prison de deux ans (avec sursis) pour avoir lancé une pierre en direction de l'ambassadeur du Japon. Si cette attaque reste un geste isolé, elle vient rappeler le contentieux existant entre une large frange de l'opinion sud-coréenne et les États-Unis qui stationnent toujours près de 30 000 soldats dans le pays. Le 5 mars, ce contentieux a donc dégénéré de manière violente, au lendemain du début des exercices militaires américano-sud-coréens et de déclarations de la sous-secrétaire d'État américaine pour les affaires politiques, complaisantes à l'égard du révisionnisme historique des autorités japonaises actuelles. Les passions anti-américaines risquent encore de croître à l'approche du 70e anniversaire de la libération de la Corée et du début de sa division à l'initiative des États-Unis. La méfiance - pour ne pas dire plus - d'une partie des citoyens sud-coréens vis-à-vis des grandes puissances, au premier rang desquelles les États-Unis, est un phénomène suffisamment important et profond pour que le colonel Jiyul Kim, directeur des études asiatiques à l’US Army War College, y consacre, en 2005, un article dont l'Association d'amitié franco-coréenne propose ici une traduction. Si l'AAFC ne partage pas toutes les idées exprimées par le colonel Kim, elle souscrit pleinement à l'avertissement lancé il y a dix ans par cet officier de l'armée américaine : « Les Américains devraient se soucier de la ferveur émotionnelle qui accompagne aujourd’hui le débat public sur le passé en Corée du Sud notamment, mais pas seulement, au sujet de la période du colonialisme japonais et du rôle des États-Unis dans l’histoire de la Corée moderne, pendant la Guerre de Corée et la période de la dictature allant des années 60 au milieu des années 80. »

Manifestation le 9 mars 2009 à Seongnam, Corée du Sud, contre les manoeuvres américano-sud-coréennes "Key Resolve"/"Foal Eagle"

Manifestation le 9 mars 2009 à Seongnam, Corée du Sud, contre les manoeuvres américano-sud-coréennes "Key Resolve"/"Foal Eagle"

Le nationalisme pan-coréen, l’opposition aux grandes puissances et les relations entre les États-Unis et la Corée du Sud

Jiyul Kim*

Japan Focus - 13 décembre 2005

 

L’attention accordée généralement à la question nucléaire nord-coréenne semble avoir empêché un examen minutieux de la relation entre les États-Unis et la Corée du Sud alors que celle-ci entre dans une période de transition profonde.1 Les tendances et dynamiques actuelles de la politique sud-coréenne exigeront de reconsidérer les fondements de cette relation. On peut prévoir une mutation majeure des caractéristiques de cette alliance, spécialement de ses aspects miliaires. Cependant, une telle transformation ne doit pas être vue comme nuisant aux États-Unis.

Nouvelles idéologies de l’identité coréenne

Deux tendances idéologiques majeures sont en train de gagner du terrain en Corée du Sud, le nationalisme pan-coréen et l’opposition aux grandes puissances, ce qui amènera un changement significatif dans la position et les intérêts du pouvoir politique. Ces tendances ne sont pas nouvelles, mais ce qui les rend particulièrement fortes aujourd’hui est l’impact du changement de génération et du phénomène de « rupture historique », selon l’expression de Sheila Miyoshi Jager et Rana Mitter, résultat de la fin de la Guerre froide et de la démocratisation survenues toutes les deux presque simultanément en Corée du Sud à la fin des années 80.2

Le nationalisme pan-coréen et l’opposition aux grandes puissances sont étroitement associés à des notions d’identité et de nationalisme en pleine évolution. Ce sont des courants idéologiques soumis à des facteurs culturels comme le symbolisme de l’expérience historique ou, plus précisément, la mémoire de cette histoire. Ce qui arrive de nos jours dans la politique sud-coréenne est un combat qui tient autant au passé qu’à l’avenir.

Le nationalisme pan-coréen est le terme que j’utilise pour décrire le sentiment national coréen englobant le nord et le sud en Corée du Sud. L’opposition aux grandes puissances se réfère au désir des Coréens d’échapper à l’exploitation et la persécution, réelles ou perçues, de la part des grandes puissances, dont la péninsule coréenne a fait l’expérience depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Ces deux idées sont étroitement liées, mais la façon d’envisager ce lien et de l’exprimer en politique, basée sur la manière avec laquelle l’histoire est rappelée et devrait être rectifiée, a provoqué une profonde division entre jeunes et vieux. Le principal fossé entre générations s’est ouvert entre ceux qui se souviennent de la Guerre de Corée et les autres.

La jeunesse tend à imaginer et comprendre la situation de la péninsule après la Guerre de Corée en fonction du statu quo de l’après-Guerre froide dans lequel la Corée du Nord n’est plus l’agresseur malfaisant, mais tout aussi victime de la politique des grandes puissances. Cela a forgé une nouvelle terminologie, « conflit sud-sud » (nam-nam kaltung) décrivant la profonde division et désunion qui existe maintenant entre les jeunes, dont beaucoup embrasseraient et aideraient le Nord, et les vieux, qui adhèrent à la ligne anti-communiste et anti-Corée du Nord remontant à la Guerre de Corée. Il existe bien sûr des exceptions, par exemple l’apparition récente de la Nouvelle Droite qui rassemble des jeunes Coréens du Sud rejetant aussi bien la gauche jugée anti-démocratique et anti-capitaliste, que la droite traditionnelle jugée corrompue. Mais de telles exceptions ont encore peu de poids politique et restent relativement marginales.3

La Corée du Sud est donc dans une période de transition. La génération qui a suivi la Guerre de Corée a mûri et est prête à assumer la direction politique. L’élection de Roh Moo-hyun au poste de président en 2002 était dans une grande mesure le premier pas de cette transition. Ils rejettent par dessus tout le paradigme politique qui avait fonctionné auparavant sous l’égide de la Guerre froide et était fondé sur des liens intimes avec les États-Unis. Ils cherchent à réaliser le vieux rêve de parvenir à l’autodétermination, une Corée maîtresse de son sort et de sa destinée, une destinée prometteuse de grandeur. A leurs yeux, une telle destinée peut seulement s’affirmer grâce à une réunification pacifique.

Le nationalisme pan-coréen

La fin de la Guerre froide a excité des forces qui ont abouti à l’apparition de formes profondément modifiées de nationalismes dans toute l’Asie de l’Est. Chez les principaux protagonistes asiatiques de la Guerre froide, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam et Taïwan, la résurgence et la redécouverte de mémoires et de lectures du passé réprimées par les politiques de Guerre froide leur ont permis de retrouver une image plus libre et peut-être plus puissante d’eux-mêmes en tant que peuples et nations. Ce nouveau nationalisme a aussi lourdement pesé sur les relations non seulement entre eux, mais surtout avec les États-Unis, en raison du rôle prépondérant de ces derniers dans la défaite du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale puis tout au long de la Guerre froide. Peu, si ce n’est aucun, des décideurs et intellectuels américains ne comprennent l’intensité et l’ampleur de cette mutation qui aura indubitablement de profonds impacts sur les relations des États-Unis avec l’Asie de l’Est. Tout comme l’année 1945 interrompit le cours précédent de l’histoire et fit entrer dans un nouvel ordre mondial, la fin de la Guerre froide a provoqué une rupture historique fondamentale qui génère maintenant une nouvelle logique de l’identité nationale et de nouvelles relations internationales.4 La globalisation contribue certainement à la nouvelle équation, mais la nouvelle forme du nationalisme est-asiatique a peut être une place tout aussi grande. Le monde de l’après-Guerre froide est paradoxal car il est davantage interconnecté grâce à la globalisation, mais a stimulé en même temps les particularismes et les nationalismes tournés vers l’intérieur fondés sur l’ethnie, la religion et d’autres bases culturelles.

Ce qui est remarquable en Asie de l’Est c’est que, sur le chemin de l’édification du nouvel ordre mondial, ce combat est autant un combat pour la résolution de l’histoire que pour l’avenir. La démocratisation de pays comme la Corée du Sud et Taïwan a rendu possible l’ouverture à la discussion et au débat public d’une histoire refoulée et réprimée durant la Guerre froide. Les Américains devraient se soucier de la ferveur émotionnelle qui accompagne aujourd’hui le débat public sur le passé en Corée du Sud notamment, mais pas seulement, au sujet de la période du colonialisme japonais et du rôle des États-Unis dans l’histoire de la Corée moderne, pendant la Guerre de Corée et la période de la dictature allant des années 60 au milieu des années 80. Il n’est pas fortuit que le Président Roh Moo-hyun ait pris pour thème principal de ses allocutions du Jour de la Libération d’août 2004 et 2005 le « nettoyage de l’histoire ».5 Pour Roh et beaucoup de ses collègues, l’histoire de la rivalité entre les grandes puissances et du conflit autour de la Corée est la cause principale des malheurs de la Corée que sont la colonisation, la division, la guerre, une modernité et un développement tortueux, et, peut-être plus que tout, d'être privée du pouvoir de choisir sa voie et sa destinée. Le résultat, tel que communément perçu, fut une souffrance incommensurable du peuple coréen victime de la colonisation, des guerres et des crimes des troupes d’occupation, et versant son sang au Vietnam en y en envoyant des soldats en échange de gains matériels.

Les premiers agents des tourments passés et contemporains de la Corée sont ainsi vus comme étrangers plutôt que nationaux, externes plutôt qu’internes. Le siècle d‘oppression et de soumission du peuple coréen pris à la fin du XIXe siècle dans le jeu des grandes puissances suivi par quarante années de colonisation japonaise, puis enfermé dans les polémiques et conflits de la Guerre froide par des dirigeants autoritaires et dictatoriaux, a créé une pression immense pour chercher à résoudre l’exploitation, l‘injustice et un sort de victime de l’histoire. Comprendre les conséquences politiques de ce mouvement est crucial pour comprendre l’avenir de la Corée du Sud, l’avenir de la péninsule coréenne et celui des relations entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Le 15 septembre de cette année [2005], 55e anniversaire du débarquement d’Incheon qui a inversé le cours de la Guerre de Corée, une dispute couvant autour d’une statue relativement inoffensive du Général MacArthur à Incheon a éclaté en une confrontation violente opposant 4 000 Coréens du Sud voulant déboulonner la statue et 4 000 policiers anti-émeutes soutenus par un millier de citoyens partisans de la statue. Le mouvement pour déboulonner la statue de MacArthur qui avait débuté ce printemps par une petite campagne de citoyens s’est intensifié pour devenir une bataille symbolique entre les nouvelles et anciennes générations. Le mouvement anti-MacArthur est une branche d’un mouvement anti-américain plus large qui a identifié la statue comme symbole d’une des plus grandes trahisons américaines vis-à-vis de la Corée. Un dirigeant du mouvement expliquait ainsi le raisonnement : « Il est temps de réévaluer le rôle de MacArthur dans l’histoire. Si elle n‘était pas là pour lui, notre pays n’aurait pas été colonisé et divisé comme il l’a été. » En fait certains membres du groupe anti-MacArthur seraient prêt à croire que l’unification par la Corée du Nord aurait été une bonne chose et qu’elle a été tragiquement contrecarrée par l’intervention des États-Unis.6 Une telle position est aussi, bien sûr, un défi fondamental pour la légitimité de l’État sud-coréen que ces critiques voient essentiellement comme une colonie de l’Empire américain issu de la Guerre froide. Bien que cette opinion soit encore minoritaire, la position ambiguë du parti Uri au pouvoir indique qu’il est enclin à soutenir cette position révisionniste. C’est seulement la dernière manifestation publique d’un anti-américanisme croissant jugé si perturbant par le Congrès des États-Unis qu’il a adressé une lettre de protestation au Président Roh en lui offrant de déplacer la statue vers une place d’honneur à Washington.7

L’opposition aux grandes puissances

La conscience anti-américaine en Corée du Sud va grandissante. Bien qu’il ait existé dans les années de Guerre froide, ce sentiment, spécialement parmi les plus jeunes génération de l’après-Guerre de Corée, a fait brutalement irruption sur la place publique avec les révélations sur les accusations de massacres délibérés de civils perpétrés par les troupes américaines à Nogun-ri et dans beaucoup d’autres lieux pendant la Guerre de Corée. En 2002 la mort de deux jeunes filles renversées et tuées par un véhicule blindé américain pendant un exercice a provoqué des démonstrations de masse au cours desquelles des drapeaux américains furent brûlés. Dans le sillage de démonstrations si crues perçues par le Congrès des États-Unis comme une marque d’ingratitude de la part du peuple coréen, le Congrès ignorait en 2003 une résolution marquant le 50e anniversaire du Traité de sécurité mutuelle entre les États-Unis et la Corée du Sud tandis qu’il adoptait des résolutions pour reconnaître le 150e anniversaire des relations diplomatiques établies en 1853 entre les États-Unis et le Japon et le 25e anniversaire de l’Acte de relation avec Taïwan de 1979. Cette rebuffade du Congrès ne reçut que peu d’attention en Corée du Sud.8

L’anti-américanisme n’est qu’une partie d’un mouvement culturel plus large qui pourrait être qualifié d’opposition aux grandes puissances et dont les racines remontent au milieu du XIXe siècle si ce n’est avant. Peu après la Guerre de l’opium, la Corée faisait partie du jeu des grandes puissances en Asie de l’Est. Dans l’historiographie coréenne et dans la mémoire populaire c’est là l’origine de plus d’un siècle de victimisation coréenne par les grandes puissances. Dans ce récit, le Japon occupe une grande place non seulement parce qu’il fut le premier à obliger la Corée à s’ouvrir en 1876, par l’affermage de deux nouveaux ports dont il proclame l’extraterritorialité grâce à la diplomatie de la canonnière, mais plus sûrement à cause du legs de quatre décennies de colonialisme. En grande partie réprimé pendant la Guerre froide, l’anti-japonisme a fleuri avec la rupture historique marquant la fin de la Guerre froide à mesure que le débat public et de nombreuses affaires judiciaires s’intéressaient aux questions de l’oppression des « femmes de réconfort » pour l’armée et de la main-d’œuvre esclave coréenne.

Quand l’ambassadeur du Japon déclara en février 2005 que l’île de Tokdo/Takeshima dans la mer de l’Est/du Japon était un territoire sous souveraineté japonaise, il suscita une vague massive et générale d’activisme anti-japonais chez les citoyens qui tourna en ridicule la déclaration bilatérale officielle faisant de 2005 l’année de l’Amitié nippo-coréenne.9 Un récent sondage effectué entre fin août et début septembre [2005] par le quotidien national JoongAng Ibo révélait de façon étonnante que 62 % des Coréens haïssaient le Japon. Le pourcentage était de 9 % pour la Corée du Nord et de 14 % pour les États-Unis. Un sondage pour le quotidien national Hanguk Ilbo et le quotidien japonais Yomiuri montrait en mai [2005] que 57,2 % des Coréens voyaient le Japon comme une menace militaire tandis que seulement 6,2 % des Japonais éprouvaient la même chose au sujet de la Corée du Sud. Le compte-rendu du Yomiuri sur le même sondage soulignait des chiffres encore plus dérangeants. Un chiffre record de 90 % des Coréens du Sud disaient se méfier du Japon et 89 % pensaient que les relations bilatérales étaient négatives. Par contraste 59 % des Japonais disaient faire confiance à la Corée du Sud et 60 % pensaient que les relations bilatérales étaient positives. Quand ils furent interrogés sur les facteurs qui contribuaient à une relation négative, 94 % des Coréens du Sud et 65 % des Japonais citèrent l’affaire Tokdo/Takeshima.10

L’ironie presque tragique de cette situation est que l’énorme vague de culture populaire sud-coréenne déferlant au Japon, surtout les films, les pièces de théâtre et les chanteurs, a fait des Japonais les touristes les plus nombreux en Corée du Sud. Les rues de Séoul et d’autres destinations touristiques essentielles se spécialisent ainsi dans la satisfaction des visiteurs japonais à un moment d’hostilité croissante des Coréens à l’égard du Japon. L’anti-japonisme ne s’est heureusement pas traduit par des actions violentes, mais les sentiments sont profonds, forts et animés par la persistance des questions autour de la compensation pour le colonialisme, surtout le travail forcé, les « femmes de réconfort » et les victimes de la bombe atomique11, autour de la protection, des positions privilégiées et de la promotion des collaborateurs, autour du débat interminable sur les textes des livres d’histoire japonais, autour de la controverse suscitée par la visite du Premier ministre japonais au sanctuaire Yasukuni, et plus récemment, autour de l‘affaire de la souveraineté de l’île de Tokdo/Takeshima.

Même la mémoire de Park Chung-hee, le président à poigne de fer de la plus grande partie des années 60 et 70 largement considéré comme le principal responsable de la transformation économique de la Corée du Sud, est entachée par son passé d’instituteur et d’officier au service du Japon impérial. Le mouvement anti-Park a réussi quelques actions absurdes mais hautement symboliques comme la décision de retirer le panneau avec sa calligraphie à Gwanghwamun, le cœur politico-culturel de Séoul, et de le remplacer par un ensemble de caractères dessinés par un roi de la dynastie Choson dont les références nationalistes sont sans doute moins contestées.12

Les exemples de la colère dirigée contre les États-Unis jalonnent le long XXe siècle, mais c’est seulement dans l’ère de l’après-Guerre froide que ces affaires sont passées au premier plan. Ici, aussi, c’est une longue suite de griefs. Un des résultats de la médiation de Théodore Roosevelt pendant la guerre russo-japonaise en 1905 fut l’accord secret Taft-Katsura par lequel les États-Unis et le Japon reconnaissaient mutuellement la primauté des intérêts de l’autre en Corée et aux Philippines. Cela autorisa le Traité de protectorat qui fit de la Corée une colonie japonaise en 1905. Beaucoup se souviennent aujourd’hui de la libération survenue en 1945, avec la défaite du Japon, comme de la répression par les États-Unis des mouvements nationalistes de gauche en zone américaine et de l’instauration d’une division permanente de facto de la péninsule.

Il faudrait noter qu’après avoir refusé pendant des décennies de reconnaître les nationalistes de gauche comme des combattants pour l’indépendance, la Corée du Sud a décidé cette année [2005] de les reconnaître et de les honorer, bien qu’une proposition d’y inclure Kim Il-sung ait été rejetée.13 La Guerre de Corée, la plus grande tragédie de l’histoire de la Corée moderne, est maintenant largement vue comme une guerre par procuration entre les États-Unis d’un côté, et l’Union Soviétique et la Chine de l’autre. Dans cette perspective, les Coréens, au nord et au sud, furent seulement les pions et les victimes d’une guerre désastreuse. L’implication américaine est relevée même avant la Guerre de Corée dans la répression sanglante du soulèvement de Jeju au printemps de 1948. La trahison a continué à être perçue pendant la Guerre froide avec la tolérance, l’acceptation et le soutien des États-Unis pour les régimes autoritaires et dictatoriaux successifs. Le coup d’État de Park Chung-hee qui renversa en 1961 un régime démocratique de moins d’un an, s’il inquiéta d’abord les Américains, reçut rapidement leur soutien.

Le soutien à grande échelle apporté par la Corée du Sud pendant la Guerre du Vietnam, avec le maintien d’une force de 50 000 hommes, de loin la force non américaine la plus importante engagée dans la guerre, est maintenant vu par beaucoup comme un pacte avec le diable visant à échanger du sang contre de l’argent et du matériel. En 1965, le traité de normalisation avec le Japon, une mesure de plus en plus considérée comme un contrat humiliant pour que le peuple renonce à son droit de demander les justes réparations et dédommagements pour les souffrances du colonialisme, fut signé grâce à la pression exercée par les Américains sur les Japonais et les Coréens. Quand le Président Nixon visita la Chine continentale en 1972, le choc et le sentiment de trahison en Corée du Sud (tout comme au Japon) frôlèrent l’accablement. Presque toute une nuit, un allié résolu des États-Unis et du monde libre dans la Guerre froide, Taïwan, fut écarté, tandis que le Japon et la Corée furent informés de ce grand revirement stratégique seulement après l’événement. En Asie, le sentiment d’une trahison de ses alliés par l’Amérique fut encore renforcé par la perception de la trahison du Vietnam du Sud forcé d’accepter, fin 1972, les Accords de paix de Paris, et par la décision de Nixon de retirer de Corée du Sud presque la moitié des forces américaines terrestres sensiblement au même moment, en vertu de la doctrine de Guam nouvellement proclamée. La visite du Président Chun Doo-hwan, premier chef d’État à rencontrer la nouvelle administration Reagan en 1981, moins d’un an après sa répression sanglante du soulèvement démocratique de la population de Kwangju en mai 1980, un épisode glaçant où certains voient la complicité et le soutien des États-Unis, et après le coup d’État de Chun de décembre 1980, est considéré par beaucoup comme une preuve de la politique cynique des États-Unis démentant la rhétorique de promotion de la liberté et de la démocratie.

Dans cette série de trahisons américaines perçues par le peuple coréen, la dernière, et le début de la vague actuelle d’activisme anti-américain, a pour point de départ le changement abrupt de politique vis-à-vis de la Corée du Nord en 2001 quand George Bush est entré à la Maison Blanche. L’an 2000 avait été une année exceptionnelle pour la concrétisation des espoirs d’unification. Le Président Kim Dae-Jung, propulsé par sa populaire politique du rayon de soleil, fit en juin une visite triomphale à Pyongyang. La secrétaire d’État Albright suivit à l’automne et il y eut des rumeurs crédibles quant à une visite du Président Clinton en Corée du Nord.

Cette promesse et ce rêve furent, dans l’esprit du peuple coréen, brisés par l’administration Bush qui suspendit immédiatement pour six mois la politique envers la Corée du Nord avant de démontrer clairement qu’elle traiterait la Corée du Nord avec suspicion, méfiance et même hostilité, la qualifiant de membre de l'« axe du mal », visant donc ainsi à renverser son régime. La fin de la Guerre froide et la politique du rayon de soleil de Kim Dae-Jung avaient inscrit dans le cœur des Coréens du Sud la possibilité de s’imaginer et même de vivre dans l’époque de l’après-Guerre de Corée. L’après-Guerre de Corée peut être vue comme emblématique d’une opinion ne considérant plus le Nord comme un ennemi, responsable de la Guerre de Corée, mais comme un frère qu’il faut prendre dans ses bras et aider. La fin de la Guerre froide, une confiance née de l’accession de la Corée du Sud au rang de puissance régionale qui contrastait de manière spectaculaire avec l’effacement de la Corée du Nord tout comme l’amélioration de la situation politique sous les administrations Clinton et Kim Dae-Jung, firent de l’idée d’une Corée unifiée et de la notion de nationalisme pan-coréen quelque chose de réalisable et de tangible.

La raison pour laquelle l’année 2005 a revêtu une telle charge symbolique est qu’elle vit coïncider les anniversaires de trois événements essentiels : le 100e anniversaire du traité de protectorat japonais, le 60e anniversaire de la libération et de la division de la Corée et le 40e anniversaire du traité de normalisation avec le Japon.

Ces événements éclairent la mémoire historique dominante et les forces qui déterminent les nouvelles tendances politiques et lignes de fracture : l’anti-japonisme, l’anti-américanisme et le nationalisme pan-coréen. Il est à mettre au crédit de la maturité de la démocratie sud-coréenne, peut-être la démocratie la plus vivante en Asie de l’Est, que le débat et discours sur ces sujets controversés soit porté dans l’arène publique, ce qui aboutit parfois à une confrontation physique.

Suivant l’appel du Président Roh Moo-hyun à « nettoyer l’histoire » dans son allocution d’août 2004, l’Assemblée nationale a voté une série de lois établissant un grand nombre de commissions pour la vérité afin d’examiner beaucoup de questions historiques essentielles de la période coloniale comme de l’ère du pouvoir militaire entre 1961 et la fin des années 80.14 Il est ainsi frappant de voir que les points les plus controversés du débat portent davantage sur le Japon que sur les États-Unis, spécialement sur le sujet des travailleurs forcés et des « femmes de réconfort ».

Sur le plan intérieur on se focalise sur les collaborateurs de l’ère coloniale et les droits de l'homme sous le régime militaire. Les deux sujets sont intimement liés surtout en la personne de Park Chung-hee, qui jette un pont conceptuel direct entre la collaboration et les violations des droits de l'homme par le régime militaire. Cela a des implications politiques depuis que la propre fille de Park, le député Park Geun-hye, dirige le Grand Parti national conservateur et figure en tête des candidats pour l'élection présidentielle de 2007. [NdT : le candidat conservateur sera finalement Lee Myung-bak] Ainsi, Park Geun-hye ne se bat pas seulement pour sa vision de l’avenir de la Corée du Sud, mais aussi pour la mémoire historique de son père, symbole de la subordination au conquérant japonais pour certains, père du développement coréen pour d’autres.

Certains ont fait le lien entre les commissions pour la vérité, qui ont réouvert d’anciennes et cruelles blessures dans la psyché coréenne, et le processus pour la vérité et la réconciliation en Afrique du Sud. Peut-être cela aboutira-t-il finalement à enterrer le passé, mais une telle issue est douteuse. L’Institut privé pour la recherche sur les activités collaborationnistes (minjok munje yonguso) s’est engagé à publier une liste complète des collaborateurs d’ici la fin de 2007.15

Son but n’est pas seulement de discréditer les collaborateurs, parmi lesquels plusieurs jouèrent un rôle éminent surtout comme politiciens, hommes d’affaires et chefs militaires dans le développement de la Corée du Sud, mais aussi d’ôter à leurs descendants l’opportunité de profiter de ce qui est vu comme les profits matériels mal acquis de cette collaboration tels que la richesse et la terre accumulées grâce à leurs affaires et positions dans le gouvernement colonial. Plusieurs de ces personnes ont acquis une telle place dans l’histoire et la société que plane la menace d’un grand tremblement de terre faisant bouger les lignes de fracture politiques. Plusieurs Coréens du Sud ont à l’esprit les premières purges de « collaborateurs » en Corée du Nord dans les années précédant la Guerre de Corée. Dans cette optique, la Corée du Sud est donc vue par les partisans du nettoyage comme accusant un retard de près de 60 ans dans une entreprise vitale destinée à retrouver une pure identité coréenne.

La transformation des relations entre les États-Unis et la Corée du Sud

Quelles sont les conséquences de cette période tumultueuse pour l’avenir des relations entre les États-Unis et la Corée du Sud et de l’alliance? Consécutivement à la Seconde Guerre mondiale, l’entrée des États-Unis en Corée, la décision de diviser la péninsule, l’intervention américaine pendant la Guerre de Corée et le stationnement des troupes américaines qui se poursuit six décennies après l’« indépendance » sont des produits de la Guerre froide. La question est : quel est le rôle des États-Unis dans une Corée de l’après-Guerre froide?

Il y a presque un siècle, le Président Wilson a enthousiasmé les peuples soumis dans le monde avec sa vision idéaliste de la liberté et de l’autodétermination de tous les peuples. Un nombre croissant de Coréens du Sud croient aujourd’hui qu’ils peuvent parvenir à cette autodétermination avant de créer une Corée unifiée qui peut tracer son propre chemin. L’opinion est de plus en plus répandue que le temps est venu pour la Corée du Sud de transcender le passé colonial et celui de la Guerre froide pour entrer dans l’époque de l’après-Guerre de Corée et réaliser le rêve si longtemps chéri d’une Corée unie qui n’est plus la victime des grandes puissances. L’idéologie sous-jacente est la notion de Restauration nationale (minjok chunghung), concept et expression qui trouve ses racines dans la période coloniale et en particulier chez Park Chung-hee au début des années 1960.16

La stratégie actuelle des États-Unis pour leur sécurité nationale obéit à trois intérêts nationaux principaux : la défense du pays, la prospérité économique et la promotion de la démocratie. Aucun de ces trois intérêts ne requiert un traité bilatéral de sécurité mutuelle entre les États-Unis et la Corée et une alliance militaire s’appuyant sur la présence de soldats américains en Corée du Sud. La nécessité stratégique pour les États-Unis d’établir à travers le monde les bases de corps expéditionnaires pour parer de manière flexible à toute éventualité ne sera pas mise en péril si les forces militaires des États-Unis ne stationnent pas en Corée du Sud puisque l’armée américaine restera sûrement ancrée au Japon, à Guam et partout dans le Pacifique. En effet, la déclaration du Président Roh Moo-hyun indiquant plus tôt cette année [2005] que la Corée du Sud n’appuierait pas le déploiement en Corée de forces américaines destinées à être engagées dans des conflits régionaux, montre qu’il peut être désavantageux de chercher à maintenir une large présence militaire en Corée du Sud. Même si l’éventualité d’un retrait militaire américain de Corée du Sud est presque impensable pour beaucoup d’analystes, une telle action doit être mise en parallèle avec la fin de l’alliance et les très importantes relations économiques. Les sondages les plus récents révèlent que le nombre de Coréens du Sud favorables à un retrait des forces américaines a régulièrement augmenté ces dernières années au point de sembler constituer une majorité.17 Dans ces circonstances, on peut dire qu’ôter cette épine des relations entre les États-Unis et la Corée contribuerait à consolider les bases de leurs relations économiques et stratégiques.

Si la Corée du Sud souhaite la réduction et même la disparition de la présence militaire américaine, il nous revient de superviser le repositionnement de ces forces à nos conditions et sous notre contrôle. L’accord récent à l’initiative des États-Unis ramenant de 37 000 à 25 000 les forces américaines en Corée pour les concentrer sur les bases au sud de la rivière Han pourrait être le préliminaire à une redéfinition des relations sécuritaires, même si certains Coréens du Sud interprètent la décision comme une ruse américaine visant à lancer une attaque préventive sur le Nord.18 Nous ne devrions pas être inquiets de la réussite du processus si c’est ce que veut le peuple sud-coréen. Il est même possible d’imaginer que le retrait américain facilitant l’unification des deux Corées pourra contribuer à surmonter l’énigme nord-coréenne en tant que défi sécuritaire permanent pour la région. Il faut pour cela un changement de perception en Chine pour laquelle une Corée unifiée sans la présence militaire américaine, une Corée unifiée férocement indépendante, pourrait constituer un meilleur État-tampon que la Corée du Nord. La Chine détient la carte d’atout de l’unification par le simple fait qu’elle assure seule l’existence de la Corée du Nord. Elle apprécie aussi les bonnes relations avec la Corée du Sud. La possibilité d’avoir une Asie du Nord-Est plus stable fondée sur l’équilibre d’un bloc continental composé de la Chine et d’une Corée unie pro-chinoise d’un côté, et d’un bloc maritime arrimé à l’alliance formée par les États-Unis et le Japon de l’autre, est peut-être une issue favorable.19

En conclusion, la politique sud-coréenne est dans une profonde période de transition due à un changement de génération, à la fin de la Guerre froide, à la démocratisation et à une confiance en soi croissante. Parmi les forces politiques émergentes, celles qui sont en train de dessiner les lignes de fracture politiques majeures sont les idéologies du nationalisme pan-coréen et de l’opposition aux grandes puissances. Ces tendances pourraient bien signifier la fin de l’alliance telle que nous la connaissions entre les États-Unis et la Corée du Sud. Plus important, un tel résultat, qui pourrait finalement aboutir à un retrait militaire complet des États-Unis, n’a pas besoin de signifier l’arrêt d’une relation étroite entre les deux pays. En effet, il pourrait très bien résoudre certaines des questions sécuritaires les plus épineuses pour la région. Surtout, nous pouvons être rassurés de savoir qu’une telle échéance pour la Corée du Sud et la péninsule coréenne satisferait le vieil idéal wilsonien d’un monde organisé selon le principe de l’autodétermination, mais encouragerait aussi l’extension de la démocratie et de la liberté en accord avec la réalisation de ce principe. C’est un résultat à souhaiter et non à redouter.

 

* Le colonel Jiyul Kim est le directeur des études asiatiques à l’US Army War College. Cet article ne reflète ni les positions, ni la politique du gouvernement des États-Unis, du département de la Défense ou de l’armée des États-Unis. 

 

Notes :

1 Je remercie Sheila Miyoshi Jager de l’Oberlin College, qui a été ma principale partenaire intellectuelle et une conseillère écoutée depuis plus d’une décennie spécialement pour les questions traitant de la Corée. Beaucoup des points soulevés dans le présent article proviennent directement de notre effort commun et, comme tels, sont autant son œuvre que la mienne. On peut se reporter aux articles suivants de Japan Focus sur les questions évoquées : "Korean Collaborators : South Korea’s Truth Committees and the Forging of a New Pan-Korean Nationalism" ; "Rewriting the Past / Re-Claiming the Future : Nationalism and the Politics of Anti-Americanism in South Korea".

2 Sheila Miyoshi Jager et Rana Mitter, Ruptured Histories : War, Memory and the Post-Cold War in Asia, Harvard University Press, 2007

3 La Nouvelle Droite semble être un mouvement politique en plein essor bien qu’il puisse transformer le paysage politique sud-coréen en créant une troisième alternative par la création d’un nouveau courant politique alliant des conservateurs modérés de gauche et des réformateurs modérés de droite. Pour le contexte, se reporter à l’article de Kim So Young , "Korea : New Conservative Groups Band Against Roh, Uri Party", The Korea Herald, 30 novembre 2004

4 Le présent développement s’appuie largement sur l’ouvrage de Jager et Mitter mentionné précédemment, Ruptured Histories

5  Une version en anglais de l’allocution de 2005 est disponible sur le site du Nautilus Institute.

6 Donald Kirk, "Korea’s Generational Clash : A Statue of Gen. MacArthur Has Drawn Fire from Leftists and Support from War Vets", The Christian Science Monitor, 8 août 2005. Barbara Demick, "MacArthur Is Back in the Heat of Battle", Los Angeles Times, 15 septembre 2005. "What Is the Ruling Party’s Position on the Incheon Landing?", Digital Chosun, 12 septembre 2005

7 Lettre de la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants à Roh Moo Hyun, 15 septembre 2005

8 Résolution marquant le 150e anniversaire des relations diplomatiques entre les États-Unis et le Japon, H.CON.RES.418, adoptée par la Chambre le 22 juillet 2004 ; résolution marquant le 25e anniversaire de l’Acte de relation avec Taïwan, H.CON.RES.462, adoptée par la Chambre le 15 juillet 2004 ; résolutions marquant le 50e anniversaire du Traité de défense mutuelle entre les États-Unis et la République de Corée, H.RES.385, présentée le 1er octobre 2003, et S.RES.256, présentée le 31 octobre 2003 au 108e Congrès. Seul compte-rendu coréen de cette affaire : "U.S. Congress Killed Korea Resolution", Digital Chosun, 25 mars 2005.

9 Kim Hyun, "Seoul Frowns at Tokyo Approach over Occupied Islets", Yonhap News, 24 février 2005. Voir aussi les publications suivantes de Japan Focus présentant les points de vue sud-coréen et japonais sur l’affaire Tokdo/Takeshima pour un aperçu des facteurs historiques et techniques qui en ont fait une question symbolique affectant et déformant les perceptions japonaise et sud-coréenne à l'égard de l’autre : "Takeshima/Tokdo and the Roots of Japan-Korea Conflict", 28 mars 2005 ; Kosuke Takahashi, "Japan-South Korea Ties on the Rocks", 28 mars 2005 ; Wada Haruki, "A Plea to Resolve a Worsening Dispute", 28 mars 2005 ; Lee Sang-tae, "Dokdo is Korean Territory", 28 juillet 2005.

10 Le sondage du JoongAng Ibo faisait partie d’un sondage national sur des questions variées destiné à marquer le 40e anniversaire du journal et a été effectué entre le 24 août et le 10 septembre 2005. Les résultats ont été publiés le 22 septembre 2005. Un résumé en anglais des principaux résultats du sondage est disponible sous le titre "Majority Opposes U.S. Troop Presence" du 22 septembre 2005. Le sondage du Hanguk Ilbo et du Yomiuri, destiné à marquer le 51e anniversaire du Hanguk Ilbo, a été effectué simultanément en Corée et au Japon pour évaluer la perception et l’opinion que chaque pays avait de l’autre ainsi que d’un certain nombre de sujets politiques clefs pour la région. L’analyse coréenne des résultats a été publiée le 11 juin 2005 par le Hanguk Ilbo. L’article du Yomiuri consacré au sondage a été repris par Japan Focus sous le titre "South Korean Mistrust of Japan : Poll", le 10 juin 2005.

11  Selon certaines évaluations 20 à 30 000 des tués ou 10 à 20 % du total des décès immédiatement dus au largage de la bombe atomique sur Hiroshima étaient Coréens. Il y avait environ 50 000 Coréens à Hiroshima. Voir Lisa Yoneyama, "Memory Matters : Hiroshima’s Korean Atom Bomb Memorial and the Politics of Ethnicity", Public Culture 7.3, printemps 1995, p. 502. Le mémorial des victimes coréennes d’Hiroshima indique que 20 000 des 200 000 tués furent des Coréens. A Nagasaki on estime que 10 000 Coréens vivaient parmi la population quand la bombe fut lancée. Je n’ai pas pu trouver d’estimation précise des Coréens morts, mais un article récent évoque « des milliers ». Voir Kathleen E. McLaughlin, "Foreign A-Bomb Victims are all but Forgotten", San Francisco Chronicles, 10 août 2005. Cependant, la bonne question ne concerne pas tant ceux qui furent tuées que les compensations du gouvernement japonais pour les survivants. Voir Andreas Hippin, "The End of Silence : Korea’s Hiroshima, Korean A-Bomb Victims Seek Redress", The Japan Times, 2 août 2005. Cet article cite une estimation coréenne de 50 000 tués et 80 à 120 000 « victimes  » de la seconde génération qui devraient recevoir des compensations.

12 Le 24 janvier 2005, le quotidien national Hangyoreh a été le premier à rapporter l’histoire du panneau de Gwanghwamun sous le titre « Trace de la dictature militaire, le panneau de Gwanghwamun est à changer » (kunsa tokje ui olluk, Kwanghwamun hyon’pan pakkwinda). La nouvelle calligraphie du panneau repose sur un décalque de caractères tracés par le roi Jeongjo (1776-1800).

13 Dans deux articles du Korea Times, Seo Dong-shin dresse un bon tableau d’ensemble de l’initiative destinée à reconnaître les nationalistes de gauche et des actions entreprises pour reconnaître 214 personnes de gauche à l’occasion du 60e anniversaire de la libération le 15 août 2005 : "Independence Activists to Get Posthumous Honors", The Korea Times, 1er février 2005, et "Leftist Independence Activists to Get Honors", The Korea Times, 3 août 2005. La contrepartie de l’action en reconnaissance des nationalistes de gauche est le mouvement civique réclamant l’enlèvement des tombes de « collaborateurs » des cimetières nationaux où ils sont honorés comme des patriotes. Voir par exemple Yang Hui-sun, « Qui sont les combattants pour l’indépendance dans l’histoire? » (Nuga yoksa ui toknip t’usainga?), OhmyNews.com, 2 mars 2005. La controverse « Kim Il-sung, combattant pour l’indépendance » a surgi quand Kang Man-gil, historien éminent et président du Comité national pour la célébration du 60e anniversaire de la libération de la Corée, déclara à des journalistes qu’il voyait les actions de la guérilla anti-japonaise de Kim Il-sung comme faisant partie du mouvement pour l’indépendance. Le professeur Han Hong-gu de l’université de Sungkonghoe et membre de la commission pour la vérité historique mandatée par le gouvernement avait écrit en 2004 que Kim Il-sung était un « nationaliste du XXe siècle ». Voir "Kim Il-sung a Freedom Fighter, Committee Chair Says", Digital Chosun, 11 avril 2005, et Seo Dong-shin, "Kim Il-sung Legacy Controversial in S. Korea", The Korea Times, 8 juillet 2005.

14 Norimitsu Onishi, "Korea’s tricky task : digging up past treachery", The New York Times, 5 janvier 2005. "S. Korea’s Spy Agency Picks 7 Cases for Reinvestigation", Yonhap, 3 février 2005.

15 Le site internet de l’Institut apporte un regard complet sur le mouvement et les efforts pour débusquer les collaborateurs en Corée du Sud (www.minjok.or.kr). Entamée en 2001, la liste des collaborateurs doit être achevée et publiée en décembre 2007 [NdT : une liste de 5 207 noms a finalement été publiée en novembre 2009]. Les détails sur le projet, tels que son contexte, ses objectifs, sa chronologie et ses membres peuvent être trouvés sous l'onglet « Répertoire des collaborateurs » (ch’inil inmyong sajon).

16 Je remercie Bruce Cumings d’avoir précisé les origines coloniales de cette expression.

17 Les résultats les plus récents sont ceux du sondage effectué pour le JoongAng Ibo en août et septembre 2005, référencés dans la note 10. Il a révélé que 54 % des sondés voulaient voir partir les forces des États-Unis tandis que 30 % souhaitaient les voir rester « pendant longtemps » et seulement 16 % étaient favorables à une présence permanente.

18 C’est bien sûr absurde.

19 La présente conception d’un équilibre régional bipolaire fut suggérée en premier par Robert Ross ("The Geography of the Peace : East Asia in the Twenty-first Century", International Security, Vol. 23, No. 4, printemps 1999, 81-118). J’ai développé davantage cette notion dans mon étude des conséquences de certains facteurs et tendances clefs pour la sécurité à long terme en Asie du Nord-Est ("Continuity and Transformation in Northeast Asia and the End of American Exceptionalism : a Long-Range Outlook and US Policy Implications" , The Korean Journal of Defense Analysis, Vol. 13, No. 1, automne 2001, 229-261).

 

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3 mars 2015 2 03 /03 /mars /2015 23:41

Le 2 mars 2015, les armées américaine et sud-coréenne ont entamé leurs exercices conjoints annuels "Key Resolve" et "Foal Eagle", prévus pour durer jusqu'à fin avril. Cinq autres pays participent à ces exercices militaires, dont la France. Malgré les espoirs soulevés par les appels au dialogue lancés par les dirigeants du Nord et du Sud en début d'année, ces manœuvres font replonger la Corée dans un nouveau cycle de tensions où le moindre incident peut avoir des conséquences incalculables.

L'exercice "Key Resolve", basé sur des simulations informatiques, se tient jusqu’au vendredi 13 mars 2015, avec la participation d’environ 10 000 soldats sud-coréens et 8 600 américains. Officiellement, "Key Resolve" vise à renforcer les capacités de combat des forces américano-sud-coréennes. L'exercice "Foal Eagle" se déroule, lui, jusqu’au 24 avril 2015 et mobilise 200 000 soldats sud-coréens et 3 700 américains pour des manœuvres sur terre, en mer et dans les airs.

 

L’USS Fort Worth, navire de combat littoral de 3 450 tonnes, capable d’approcher au plus près des côtes grâce à sa grande maniabilité, prendra part à ces exercices. On note aussi la participation de cinq autres pays : l'Australie, le Canada, le Danemark, la France et la Grande-Bretagne. En 2014, la France n'avait pas participé aux exercices "Key Resolve" et "Foal Eagle", selon le ministère français des Affaires étrangères interrogé à ce sujet.

le navire de combat littoral américain USS Fort Worth

le navire de combat littoral américain USS Fort Worth

A la veille du début de l'édition 2015 de "Key Resolve" et "Foal Eagle", l'état-major de l'Armée populaire de Corée (APC) a exposé dans un communiqué sa "position de principe" à l'égard de ces exercices récurrents vus comme le prélude à une attaque contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) :

"1. Nos forces armées révolutionnaires ne resteront pas témoins passifs de l’actuelle tension créée par suite des présents exercices de guerre d’agression aventuriers des Etats-Unis et des pays satellites contre notre République.
Les Etats-Unis durcissent sans cesse leur politique hostile à notre République. Obama et consorts redoublent leurs calomnies et diffamations, et intensifient sanctions et pression et élargissent l’envergure et la sphère de leurs exercices de guerre d’agression contre notre pays. Aussi, nous avons déclaré à la face du monde notre volonté de prendre des mesures de riposte beaucoup plus énergiques et redoutables que les leurs.
[...]
2. Nos forces armées révolutionnaires ne permettront pas la moindre violation de notre territoire, de notre espace aérien et de nos eaux territoriales par les Etats-Unis et les pays satellites.
Si ceux-ci provoquent une guerre conventionnelle contre nous, nous leur répondrons par une guerre conventionnelle à la coréenne. Si c’est une guerre nucléaire, nous lui opposerons une guerre nucléaire de notre invention. S’ils tentent de nous 'renverser' par la cyberguerre, nous leur infligerons une défaite totale en hâtant leur fin par une cyberguerre prompte et redoutable, proprement coréenne.
[...]
3. Les Etats-Unis et les pays à la remorque de ceux-là doivent se rendre clairement compte que leurs manœuvres d’agression forcenées et cyniques, affublées de paix, sont condamnées à l’échec car le monde entier chérit l’équité et la justice. En effectuant les exercices de guerre visant à 's’emparer' d'un seul coup de la capitale d’un pays souverain et à en 'éliminer' la direction suprême, les Etats-Unis osent les décrire cyniquement comme les exercices militaires de caractère 'défensif' et 'annuel'. 'Key Resolve', 'Foal Eagle' et d’autres mouvements militaires intenses des Etats-Unis dans la péninsule coréenne et à ses environs ne visent pas seulement notre République.
[...]
Les agresseurs US, les fantoches sud-coréens et les forces à la remorque des Américains auront à se repentir amèrement et à se lamenter douloureusement d’avoir effectué 'Key Resolve' et 'Foal Eagle' car ces exercices aventuriers ne leur apporteront que des conséquences désastreuses et irrémédiables."

 

De son côté, le ministère nord-coréen des Affaires étrangères a publié le 2 mars un communiqué soulignant que la RPDC avait proposé en début d'année de suspendre ses essais nucléaires si les Etats-Unis et leurs alliés renonçaient à leurs exercices militaires de grande ampleur. En réponse, rappelle le communiqué du ministère, le président américain Barack Obama avait décrété des sanctions supplémentaires contre la RPDC.

 

Pour la paix en Corée et dans le monde, il est plus que jamais urgent que toutes les parties en présence retrouvent la voie d'un dialogue sincère. Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne n'aura de cesse d'appeler les autorités françaises à jouer un rôle positif dans cette partie du monde.

 

 

Sources :

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17 janvier 2015 6 17 /01 /janvier /2015 22:54

Le 10 janvier 2015, l'Américaine Shin Eun-mi a été expulsée de la République de Corée (Corée du Sud) et interdite de séjour dans le pays pendant cinq ans, suite à une décision prise par le service sud-coréen de l'immigration, sur une requête du ministère de la Justice. Mme Shin, qui a voyagé trois fois en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) en 2011 et 2012, est accusée d'avoir tenu, lors d'une conférence, des propos violant la loi de sécurité nationale (LSN). Le 7 janvier 2015, le ministère sud-coréen de la Culture, des Sports et du Tourisme a exigé le retrait des librairies et autres lieux publics, d'ici la fin du mois, du livre de Shin Eun-mi faisant le récit de ses voyages en RPD de Corée. Cette mesure d'urgence a été prise dans le cadre d'une enquête en cours quant à la conformité à la LSN d'Une Coréenne Américaine d'âge moyen va en Corée du Nord. En 2013, ce livre avait pourtant bénéficié d'une large diffusion en République de Corée, avec l'appui des pouvoirs publics, après avoir été qualifié d' "excellent ouvrage de littérature" par la Fondation culturelle du livre. L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) condamne cette nouvelle violation de la liberté d'expression qui a touché, cette fois, une citoyenne américaine, et soulevé des critiques publiques du département d'Etat américain, en dépit de l'alliance politico-militaire entre Washington et Séoul. L'AAFC exhorte les opinions publiques et l'ensemble des gouvernements occidentaux à ne plus se taire face aux atteintes de plus en plus graves aux libertés publiques qui sont commises en Corée du Sud depuis l'élection à la présidence de la République, en décembre 2012, de Mme Park Geun-hye.

Couverture de l'ouvrage de Shin Eun-mi, "Une Coréenne Américaine d'âge moyen va en Corée du Nord", naguère un ouvrage de référence en Corée du Sud, aujourd'hui mis à l'index par la censure

Couverture de l'ouvrage de Shin Eun-mi, "Une Coréenne Américaine d'âge moyen va en Corée du Nord", naguère un ouvrage de référence en Corée du Sud, aujourd'hui mis à l'index par la censure

L'expulsion et l'interdiction de séjour de Mme Shin Eun-mi signe une nouvelle page tragique dans l'histoire des libertés publiques en Corée du Sud.


Mme Shin est accusée par le ministère sud-coréen de la Justice d'avoir fait "l'éloge" de la RPD de Corée lors d'une récente conférence-débat, dont l'une des co-organisatrices, Mme Hwang Seon, a par ailleurs été placée sous mandat d'arrêt, pour avoir loué, encouragé et aidé l'ennemi en contradiction avec la loi de sécurité nationale, au regard des propos qu'elle aurait tenus pendant la conférence. Le Parquet entend également interroger, dès son retour de l'étranger, Mme Lim Soo-kyung, députée du Parti progressiste unifié (PPU) récemment déchue de son mandat, suite à l'interdiction du PPU qui a soulevé une vague d'indignation parmi les organisations de défense des droits de l'homme. Mme Hwang Seon était porte-parole du PPU, ce qui inscrit cette nouvelle vague de répression dans le cadre en cours contre le PPU et ses dirigeants. 

Le retrait de l'ouvrage de Mme Shin sur ses voyages au Nord de la Corée, qui a perdu son label d'ouvrage recommandé par les autorités sud-coréennes, a soulevé la stupeur dans les milieux professionnels. Après avoir reçu l'ordre gouvernemental le 14 janvier 2015, l'employé d'une bibliothèque de Séoul, cité par le quotidien Hankyoreh, a déclaré : "Nous avons été gênés quand le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme nous a soudain demandé de leur renvoyer le livre." Un représentant du ministère a déclaré : "Nous avons décidé de rappeler le livre dès lors que sa désignation comme un excellent ouvrage de littérature avait été révoquée. Si les bibliothèques avaient continué de proposer cet ouvrage, cela aurait créé une confusion ou une incompréhension inutiles." Au-delà de la douteuse pratique d'interdire l'expression de certaines opinions, il semble donc ne plus avoir de demi-mesure entre un ouvrage recommandé et un ouvrage interdit : en d'autres termes, si les autorités sud-coréennes vont au bout de leur logique, elles s'arrogent le droit d'interdire tout livre qui n'a pas ou plus leur imprimatur, sans autre forme de procès. La liberté d'expression est tombée à son plus bas niveau en Corée du Sud depuis l'époque révolue du régime miltaire, il y a une génération.

Dans un article publié le 12 janvier 2015 sur le site Sino NK, Steven Denney a cité un entretien donné par Shin Eun-mi au site de jounalisme participatif Ohmynews, très populaire en Corée du Sud : il en ressort une vision optimiste de la Corée du Nord, considérant que les Coréens forment un seul peuple, engagée en faveur de la réunification. Cette appréciation peut être qualifiée de "naïve" selon Steven Denney mais, toujours d'après ce dernier, elle ne constitue en aucun cas une quelconque menace à la sécurité nationale sud-coréenne, alors que Shin Eun-mi peut estimer à juste titre avoir été trahie par les autorités sud-coréennes qui, jusqu'à présent, recommandaient le récit de ses voyages en Corée du Nord :

"[Cet entretien] suggère également qu'elle a le sentiment justifié que, d'une certaine manière, le gouvernement sud-coréen l'a trahie ; en d'autres termes, elle apparaît difficilement comme une vraie menace à la sécurité nationale."

 

Mais de quel crime Shin Eun-mi s'est-elle rendue coupable ? Alors que les médias publics et conservateurs sud-coréens se gardent de détailler le contenu des propos reprochés à Mme Shin durant une conférence publique à Séoul en novembre 2014, en se contentant ainsi de souligner les motifs infâmants de l'administration sud-coréenne selon laquelle elle aurait enfreint la loi de sécurité nationale en louant la RPD de Corée, l'agence américaine AP observe que Shin Eun-mi a fait état de la volonté de défecteurs nord-coréens de retourner au Nord (ce que, du reste, au moins des centaines d'entre eux ont déjà fait) et de leurs espoirs de changements après l'accession au pouvoir du Maréchal Kim Jong-un. Mme Shin a aussi loué le goût de la bière nord-coréenne et la propreté des fleuves en Corée du Nord.

Shin Eun-mi, en pleurs après son expulsion

Shin Eun-mi, en pleurs après son expulsion

Une expulsion assortie d'une interdiction du territoire sud-coréen suivant de tels motifs a soulevé, une fois n'est pas coutume, des critiques ouvertes du département d'Etat américain, malgré l'étroite relation alliance politico-militaire entre Washington et Séoul. Mme Jen Psaki, porte-parole du département d'Etat, a ainsi déclaré à la presse :

"Nous sommes préoccupés que la loi de sécurité nationale, telle qu'elle est interprétée et appliquée dans certains cas, limite la liberté d'expression et restreigne l'accès à Internet."

 

Signe de l'intolérance croissante en Corée du Sud, en décembre 2014 un jeune sud-coréen de 18 ans avait jeté une bombe artisanale lors d'une conférence de Mme Shin Eun-mi, blessant deux personnes.

 

Sumit Galhotra, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), a souligné dans une étude approfondie que la mesure d'exception prise à l'encontre de Mme Shin s'inscrit dans un contexte de menaces croissantes vis-à-vis des journalistes de la part du pouvoir présidentiel, qui apparaît ainsi comme étant directement à l'origine des atteintes de plus en plus fortes à la liberté d'expression - ce qui soulève, de fait, des interrogations sur l'indépendance de la justice sud-coréenne. Après un article publié le 28 novembre 2014 dans le quotidien sud-coréen Segye Ilbo, des conseillers de la présidence mis en cause ont intenté une action en diffamation. En octobre 2014, des poursuites ont aussi été engagées à l'encontre de Tatsuya Kato, chef du bureau à Séoul du quotidien japonais Sankei Shimbun, au motif qu'il aurait propagé des rumeurs sur l'absence de la Présidente Park Geun-hye pendant sept heures après le dramatique naufrage du Sewol, en avril 2014, dont la gestion de crise a par ailleurs donné lieu à des mouvements de protestation diffamés par les autorités sud-coréennes. Le procès de M. Kato a commencé fin novembre, et son interdiction de voyager, prise en août 2014, a été prolongée depuis cette date.

Signe de l'intolérance croissante en Corée du Sud, en décembre 2014 un jeune sud-coréen de 18 ans avait jeté une bombe artisanale lors d'une conférence de Mme Shin Eun-mi, blessant deux personnes.

Sources :

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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 22:45

Le 11 janvier 2015, les Etats-Unis ont rejeté la proposition faite par la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) de suspendre ses essais nucléaires si les Etats-Unis et leurs alliés (au premier rang desquels la République de Corée, Corée du Sud) renonçaient à leurs exercices militaires de grande ampleur autour de la RPDC, et dénoncés par Pyongyang comme des préparatifs de guerre. En fermant une nouvelle fois la porte du dialogue qu'avaient ouverte les Nord-Coréens, les Américains ont campé sur leur position de front de refus (ni dialogue, ni échanges et renforcement continu des sanctions - de nouvelles mesures ayant été prises au lendemain du piratage de Sony Pictures, dans lequel la RPD de Corée a pourtant nié toute implication et selon des accusations du FBI mises en doute par de nombreux experts occidentaux en sécurité informatique). Dans ce contexte, le rêve américain d'une coalition avec la République populaire de Chine sur la question nord-coréenne s'est avéré une nouvelle fois chimérique, un commentaire publié par l'agence de presse chinoise Xinhua, intitulé "La paix dans la péninsule coréenne requiert des actions réciproques" - dont nous reproduisons et commentons ci-après de larges extraits - montrant un élargissement du fossé entre Washington et Pékin, la Chine ayant soutenu de manière constante la résolution des différends dans la péninsule coréenne par la voie du dialogue.

Washington ferme la porte au dialogue avec Pyongyang : le refus américain est condamné par la Chine

Soulignant que l'offre de dialogue de Pyongyang avait non seulement été rejetée par Washington, mais dénoncée comme une "menace implicite", Xinhua regrette que le refus opposé au geste d'ouverture de Pyongyang ait éloigné la perspective d'une "solution pacifique" à la question coréenne, telle que la promeut la Chine dans le cadre, notamment, des pourparlers à six (les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon) sur la question nucléaire, dont les sessions se sont tenues à Pékin jusqu'à 2008. Pour la Chine, une solution pacifique aux différends en suspens implique tout particulièrement de créer un climat de confiance entre les différentes parties, que ne contribue pas à instaurer le rejet catégorique opposé par les Etats-Unis.

"En fait, l'offre, que les Etats-Unis considèrent comme une 'menace implicite', est en quelque sorte un acte de bonne volonté publié par la République populaire démocratique de Corée (RPDC) pour une solution pacifique à la crise qui perdue depuis dix ans sur la péninsule coréenne.

La proposition est le dernier des efforts déployés ces derniers mois par l'administration Kim Jong Un pour apaiser les tensions et établir un dialogue basé sur la confiance ou un climat détendu avec les États-Unis et la Corée du Sud.

Malheureusement, cette proposition n'a pas été accueillie à bras ouverts."

 

La mention par Xinhua du changement d'administration à Pyongyang ("l'administration Kim Jong Un"), à un moment dont on peut observer qu'il marque la fin du deuil officiel de trois ans après la disparition du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, aurait pourtant dû favoriser un changement d'approche, selon l'agence de presse chinoise.

Soulignant implicitement (l'idée figure explicitement dans le titre de l'article) que des gestes doivent être accomplis de part et d'autre, le commentaire de Xinhua rappelle que la RPDC est "un pays isolé et sanctionné depuis des décennies" et que les préoccupations légitimes de Pyongyang quant à sa sécurité nationale conduisent logiquement à devoir lier la question nucléaire nord-coréenne et les exercices militaires américano-sud-coréens. Dissocier ces deux dossiers, comme veut le faire Washington, est un non-sens.  

"Les Etats-Unis n'ont pas remarqué, ou ont choisi d'ignorer, le changement positif potentiel à l'atmosphère intense entourant la péninsule coréenne qui pourrait être apporté si la proposition était mise en œuvre.

La sécurité nationale est la 'priorité des priorités' pour n'importe quel pays de la planète, et l'est encore plus pour une nation comme la RPDC qui est isolée et sanctionnée depuis des décennies.

Contrairement à ce qu'a dit Mme Psaki (porte-parole du département d'Etat américain), la possibilité d'essais nucléaires de Pyongyang et les exercices militaires américano-sud-coréens ne sont pas des dossiers distincts."

 

Soulignant que l' "arrogance aveugle" américaine n'a produit aucun résultat positif, ne faisant que renforcer l' "anxiété" et exacerber la "sensibilité" de la RPDC, le commentaire de Xinhua conclut en appelant les Etats-Unis à changer d'attitude et en soulignant que c'est à eux de prendre à présent les bonnes décisions, en répondant positivement aux "branches d'olivier" tendues par la Pyongyang : "la balle est maintenant dans le camp de Washington."

"Croyez-le ou non, la région et le monde en général ne bénéficiera en rien d'une RPDC acculée au mur et téméraire. L'arrogance aveugle et la négligence constante face aux branches d'olivier tendues par le pays pourraient s'avérer le coup de grâce pour la nation isolée.

Tout comme l'a exhorté la Chine à plusieurs reprises, un dialogue basé sur la confiance est la seule issue à l'impasse qui perdure depuis des décennies et pour la reprise des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule, et cela a été approuvé par la communauté internationale.

Il est vivement souhaité que les Etats-Unis saisissent l'opportunité et répondent à la dernière offre par la positive. Après tout, la paix sur la péninsule et le rapprochement entre les ennemis de longue date nécessitent des actions réciproques. La balle est maintenant dans le camp de Washington."

 

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24 décembre 2014 3 24 /12 /décembre /2014 14:50

Dans un article publié le 24 décembre 2014 sur le site de L’Obs, intitulé « Et si ce n’était pas la Corée du Nord qui avait piraté Sony ? », Paul Laubacher souligne que « pour de nombreux experts en cybersécurité, les preuves avancées par le FBI contre Pyongyang ne tiennent pas la route ». Nous reprenons ci-après les principaux éléments de leur démonstration, tout en observant que les principaux médias occidentaux (y compris français) – notamment ceux dits « de référence » - n’ont pas (pas encore ?) jugé utile de faire état des contre-enquêtes menées par des spécialistes en cybersécurité en réponse aux accusations (mal étayées) contre Pyongyang du Président américain Barack Obama et des agents du FBI, qu’ils ont complaisamment diffusées le plus largement possible. Toute vérité ne serait-elle pas bonne à dire ? En fait, pour ces médias, démentir serait reconnaître auprès de leurs lecteurs, auditeurs ou spectateurs que leurs journalistes ont été manipulés ou se sont laissé manipuler, en d’autres termes qu’ils n’ont pas jugé utile de vérifier ou contre-expertiser les « informations » et autres « révélations » du FBI, ce qui constitue pourtant le b.a.-ba du métier. Le coût de la révélation du mensonge – en termes de réputation, d’audience et donc d’argent - serait-il donc à ce prix ?

L'entrée des studios de Sony Pictures

L'entrée des studios de Sony Pictures

Dans l’article de L’Obs, Paul Laubacher rappelle tout d’abord quelles sont les « preuves » du FBI :


« - une analyse technique du logiciel malveillant, qui provoque l'effacement de données utilisé dans ce piratage, "révèle des liens" avec un autre logiciel malveillant que "le FBI sait avoir été développé par des Nord-Coréens". Le FBI évoque des "similarités" dans des lignes de codage spécifiques, le cryptage d'algorithmes et les méthodes d'effacement de données".

- selon l'agence fédérale, il existe des "chevauchements importants" entre les infrastructures (les serveurs et les ordinateurs) du piratage de Sony et celles utilisées dans d'autres attaques directement attribuées par le gouvernement américain à Pyongyang. Exemple : le FBI a découvert que plusieurs adresses IP, le numéro d'identification d'un ordinateur qui se connecte à internet, sont associées à des infrastructures nord-coréennes connues et étaient inscrites dans les codes du logiciel qui a infiltré Sony.

- les outils mobilisés dans le piratage de Sony présentent des "similarités" avec une cyber-attaque menée en mars 2013 contre des banques et des médias de Corée du Sud, qui avait été attribuée à la Corée du Nord. »

Or, ainsi que l’observe le site américain Vox, « aucune de ces preuves ne permet de conclure que la Corée du Nord est derrière le piratage de Sony », du fait notamment, comme le souligne Paul Laubacher citant largement Vox, que le partage est un principe de base dans le milieu des hackers.


Pour reprendre chacun des éléments de « preuve » avancés par le FBI, s’agissant du logiciel malveillant qui aurait été utilisé par la Corée du Nord dans de précédentes attaques (ce qu’elle nie, au demeurant), selon Paul Laubacher, la Corée du Nord aurait ainsi « pu utiliser un logiciel malveillant qui avait déjà été utilisé ailleurs. Ce qui met à mal l'hypothèse de la paternité nord-coréenne du logiciel qui a touché Sony ».

En ce qui concerne les adresses IP, selon Vox les serveurs et ordinateurs qui leur sont associés pourraient constituer une « infrastructure partagée et utilisée par de nombreux hackers », avec laquelle la Corée du Nord pourrait éventuellement avoir été en relation, mais toujours selon Vox « pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le piratage de Sony ».

Le PDG d’Errata Security, Robert Graham, également cité par Paul Laubacher observe également que tout se partage dans le milieu des hackers et que, pour lui « il est invraisemblable que la Corée du Nord ait pu développer son propre logiciel malveillant à partir de rien ».

Le magazine américain Wired a aussi eu très tôt des doutes quant à l’origine de l’attaque, en observant qu’un hacker compétent – et l’attaque contre Sony était sophistiquée – ne laisse pas de traces et n’est identifié que s’il a commis des erreurs ou s’il est dénoncé. Au contraire, ils sèment de faux indices : la demande de retrait de The Interview aurait ainsi eu pour but d’attirer l’attention sur les Nord-Coréens, qui au demeurant ont déclaré que les pirates étaient sensibles à leurs préoccupations concernant The Interview… Des médias occidentaux en ont hâtivement conclu que, si ce n'était pas des hackers nord-coréens, il ne pouvait s’agir que de leurs agents. Mais les hackers ont manifestement agi pour des raisons financières, réclamant très rapidement de grosses sommes, en menaçant sinon de publier des données confidentielles, ce qu’ils ont effectivement fait ensuite. Or en termes d’argent, Sony Pictures a davantage les moyens de payer que la Corée du Nord de financer des mercenaires.

Il reste en effet à identifier (ou tenter d’identifier, tant les responsabilités peuvent être imbriquées) les vrais suspects, ainsi que leurs mobiles. Kurt Stammberger, PDG de l’entreprise Norse « qui suit les attaques informatiques en temps réel » comme le précise Paul Laubacher, le doute n’est pas permis : à l’issue de l’enquête qu’il a menée, et dont il a livré les résultats dans une interview donnée à CBS « Sony n'a pas juste été piraté. L’entreprise a été atomisée de l'intérieur ». Kurt Stammberger a identifié une certaine Lena, association au groupe des Gardiens de la paix qui se présentent comme les auteurs de l’attaque contre Sony. Lena est une ancienne employée de Sony pendant dix ans (jusqu’en mai 2014), qui aurait contacté plusieurs médias après le piratage du groupe américain. L’hypothèse est audacieuse, plus difficile à démontrer que la non-implication des Nord-Coréens, mais mérite d’être prise en considération.

Alors que certaines voix, aux Etats-Unis, ont réclamé que la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) soit réinscrite sur la liste des Etats soutenant le terrorisme, le département d’Etat américain a refusé en déclarant que de telles sanctions ne seraient pas efficaces… mais le critère du manque d’efficacité n’a pas empêché Washington, par le passé, de toujours renforcer davantage un régime de sanctions aujourd’hui le plus draconien au monde. La vérité est ailleurs : la RPD de Corée n’a rien à voir avec le terrorisme, et le piratage d’une entreprise comme Sony ne relève d’ailleurs en aucun cas d’un acte qualifié de terroriste en droit international. Même Barack Obama a dû ensuite rétropédaler en déclarant que le piratage de Sony n’était pas un acte de guerre mais du vandalisme – si les mots ont un sens, il semble donc que le Président américain sache que le piratage de Sony est étranger à Pyongyang. Mais peut-il à présent reconnaître avoir menti, quand plusieurs de ses prédécesseurs ont dû laisser leur poste après être passé aux aveux ?

Pendant ce temps, la machine médiatique s’emballe : les récentes coupures du réseau Internet de la Corée du Nord sont interprétées comme les mesures de rétorsion des tout-puissants Américains. Washington se tait. Mais outre que les hackers liés au Gouvernement américain agiraient sans doute de manière plus agressive qu’une simple interruption du réseau nord-coréen, celle-ci peut être le fait de groupes de hackers bien moins organisés, car ne nécessitant pas une grande sophistication. A cet égard, la Corée du Sud (pays le plus connecté au monde) ne manque pas d’activistes anti-Corée du Nord qui, à la nouvelle que le film The Interview avait été largement déprogrammé, ont pu décider de faire justice eux-mêmes, en toute impunité grâce à la protection dont ils bénéficient de la part des autorités sud-coréennes… Mais ce n’est qu’une hypothèse. En tout cas, la surréaction de Barack Obama a entraîné des réactions en chaîne, en encourageant les groupes de pirates du monde entier à frapper la Corée du Nord, traduisant une attitude irresponsable fustigée par Pyongyang, qui a d'ailleurs évoqué des représailles. Il n’y a ainsi pas que dans le domaine conventionnel que les Etats-Unis sont capables de déclencher des guerres.

Principale source :

« - une analyse technique du logiciel malveillant, qui provoque l'effacement de données utilisé dans ce piratage, "révèle des liens" avec un autre logiciel malveillant que "le FBI sait avoir été développé par des Nord-Coréens". Le FBI évoque des "similarités" dans des lignes de codage spécifiques, le cryptage d'algorithmes et les méthodes d'effacement de données". 

« - selon l'agence fédérale, il existe des "chevauchements importants" entre les infrastructures (les serveurs et les ordinateurs) du piratage de Sony et celles utilisées dans d'autres attaques directement attribuées par le gouvernement américain à Pyongyang. Exemple : le FBI a découvert que plusieurs adresses IP, le numéro d'identification d'un ordinateur qui se connecte à internet, sont associées à des infrastructures nord-coréennes connues et étaient inscrites dans les codes du logiciel qui a infiltré Sony.

« - les outils mobilisés dans le piratage de Sony présentent des "similarités" avec une cyber-attaque menée en mars 2013 contre des banques et des médias de Corée du Sud, qui avait été attribuée à la Corée du Nord ».
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23 décembre 2014 2 23 /12 /décembre /2014 18:19

Après le piratage dont a été victime Sony Pictures, Barack Obama et le FBI ont cru bon de devoir accuser la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), qui a nié toute implication, tout en rejetant la proposition nord-coréenne de mener une enquête conjointe. Par ailleurs, les menaces de rétorsion américaines, qui auraient pu être conduites rapidement, ne semblent pas s'être (encore ?) concrétisées. Et pour cause : pour de nombreux experts, ainsi que pour la minorité de journalistes occidentaux ne se contentant pas de  reproduire les éléments de langage du gouvernement américain, la mise en accusation de la RPD de Corée n'est pas fondée. En outre, elle constitue un exutoire commode après les graves failles de la sécurité informatique de Sony Pictures qu'a révélées l'attaque informatique. En particulier, Guerric Poncet a titré un de ses articles publié par Le Point : "Sony : pourquoi la Corée du Nord n'est probablement pas responsable" - le "probablement" étant de mise, faute de pouvoir conclure définitivement en l'absence de preuves. Nous reproduisons et analysons ci-après les principales conclusions du chroniqueur du Point.

L'entrée des studios Sony Pictures Entertainment

L'entrée des studios Sony Pictures Entertainment

 

Guerric Poncet souligne d'emblée que la mise en accusation de la RPD de Corée constitue "une piste très fragile, voire peu crédible", car apparue a posteriori après de premières (et classiques) demandes de rançon par les pirates de Sony :

"La presse américaine a dévoilé que cinq dirigeants de Sony ont reçu une lettre de menaces demandant de l'argent, avant que les soupçons ne commencent à se porter sur la Corée du Nord. C'est alors que l'exigence de l'annulation de la sortie du film The Interview a émergé : ce décalage est pour le moins étrange."

En fait, les pirates informatiques ont toujours intérêt à suggérer l'interférence d'un Etat pour que les soupçons ne se portent pas sur eux. Pour le FBI, la Corée du Nord constituait "le coupable idéal" (pour reprendre l'expression de Guerric Poncet), dont les réfutations seraient naturellement rejetées par la grande majorité des médias occidentaux.  

Mais qui a alors pu piraté Sony Pictures ? Guerric Poncet évoque plusieurs pistes :

"La piste de l'ancien employé. La bonne connaissance des défenses de Sony par les hackers semble indiquer qu'au moins un ancien employé les a aidés. Il pourrait même s'agir de l'acte isolé d'un ancien collaborateur voulant se venger, après un licenciement par exemple.

La piste chinoise. Les armées de hackers chinois sont (comme les Américains !) spécialistes de l'usurpation d'identité et peuvent aisément faire transiter leurs attaques par la Corée du Nord. De manière générale, un cyberattaquant fera systématiquement croire que le piratage provient d'un autre pays. Mais le mobile reste dans ce cas un peu flou : pourquoi Sony ? Certains évoquent la haine historique entre la Chine et le Japon (patrie d'origine de Sony), et notamment des groupes de hackers voulant venger le massacre de Nankin en décembre 1937, il y a tout juste 77 ans.

La piste du concurrent. Les studios concurrents, s'ils peuvent être inquiets pour leur sécurité après les révélations, ne peuvent que se réjouir des mésaventures de Sony Pictures. Le mobile est évident, mais il est toutefois peu probable qu'une entreprise pour laquelle le marché américain est vital prenne le risque de commanditer un tel acte et de se faire prendre par le FBI. Ces trois pistes pourraient aussi n'en constituer qu'une seule : les synergies sont courantes dans le monde du hacking..."

Dans la mesure où les autorités américaines ont demandé une coopération à la Chine (qui en a accepté le principe), il semble que la piste chinoise soit prise au sérieux par le FBI. Mais elle n'est pas la seule. Après la désignation de principe du coupable idéal - pour satisfaire une partie de l'opinion publique - par un président américain minoritaire au Congrès (en effet, l'extrême droite américaine n'a pas apprécié le récent rapprochement avec Cuba), le FBI doit maintenant trouver les vrais responsables, alors que la divulgation d'autres données sensibles a été promise par les pirates.

Quant aux mesures de rétorsion contre la Corée du Nord, elles ne sont évidemment pas à l'ordre du jour. Leur annonce relevait d'une stratégie de communication, et les Etats-Unis n'ont d'ailleurs pas pris les moyens d'une action offensive. Comme le conclut Guerric Poncet :

"si l'opinion publique américaine réclame une vengeance, la décision de la Maison-Blanche de confier l'affaire au bureau fédéral d'investigation plutôt qu'au Commandement des opérations cybernétiques (Cyber Command) de l'armée montre qu'une action offensive ne semble pas à l'ordre du jour. Il y a d'ailleurs, là encore, une absurdité : si le FBI dispose de preuves aussi solides qu'il l'affirme contre Pyongyang, il est illogique qu'aucune riposte ne soit déclenchée. La doctrine cyber présentée par Hillary Clinton en 2010 prévoit une réplique immédiate aux cyberattaques... Il va falloir attendre que les pirates se manifestent de nouveau pour en savoir plus."

La RPDC et le film The Interview n'étaient que des prétextes, et le FBI le sait. L'affaire du piratage de Sony ne fait donc sans doute que commencer.

 

Source :

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