L'arrivée au pouvoir du conservateur Lee Myung-bak à Séoul a ouvert une vague de répression sans précédent contre les partisans de la réunification : après le suicide du pasteur Kang Hui-nam, président honoraire de la branche sud-coréenne de l'Alliance pan-coréenne pour la réunification (Pomminryon), l'arrestation des six de Séoul a été le signal du procès des relations intercoréennes sous l'ère Roh Moo-hyun, en application de la loi dite de sécurité nationale. Comment expliquer cet acharnement anti-communiste, alors que dans le même temps la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) reste soumise à des difficultés économiques réelles ? En réalité, l'objectif du pouvoir à Séoul est de discréditer tout modèle alternatif, ainsi que les valeurs de solidarité nationale qui ont fondé la RPDC, perçues comme autant de menaces de subversion de l'ordre économique et social : là réside, pour les gouvernants au pouvoir à Séoul, le vrai danger venant du Nord.
Au plus fort des manifestations contre la reprise des importations de boeuf américain, les conservateurs au pouvoir à Séoul ont cru voir la main de Pyongyang : ils ont déclenché une répression brutale sous ce prétexte, alors même que les organisations ouvertement favorables au Nord sont interdites et que les partis de gauche - par ailleurs divisés sur la question des relations avec le Nord - ne recueillent généralement, en Corée du Sud, que moins de 10 % des suffrages exprimés aux élections.
Le gouvernement Lee Myung-bak croit-il réellement à la menace de subversion communiste ? De fait, la République de Corée (du Sud) s'est fondée davantage sur une opposition à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) que sur un anticommunisme classique : les valeurs que représente, ou qu'entend défendre Pyongyang, sont perçues comme autant de menaces à l'ordre économique et social qui a présidé à la constitution de la République de Corée. Ainsi, les fortunes actuelles en Corée du Sud ont été accumulées par d'anciens collaborateurs du pouvoir colonisateur japonais, qui a occupé la Corée entre 1910 et 1945, quand une épuration était menée au Nord. Aux inégalités en Corée du Sud, l'un des pays dotés d'une des plus faibles couvertures sociales parmi les Etats industrialisés membres de l'OCDE, fait écho la gratuité de l'éducation et de la santé au Nord, où des enfants d'ouvriers, de mineurs et de paysans ont pu gravir l'échelle sociale. En disqualifiant la Corée du Nord, le pouvoir sud-coréen veut remettre en cause toute aspiration à une plus grande justice sociale : la question ne porte alors pas tant sur les succès économiques comparés du Nord et du Sud (de fait, après 1948, et pendant une génération, le niveau de vie a été incontestablement plus élevé au Nord) que sur les valeurs et les principes qui fondent les deux Etats du Nord et du Sud.
Au-delà du socialisme, ce sont l'ensemble des valeurs que défend la Corée du Nord qui sont suspectes : alors que le mode de vie américain s'est imposé en Corée du Sud, où stationnent encore plus de 28.000 G.I s américains, la Corée du Nord a défendu l'autonomie nationale et l'identité coréenne. Au premier rang des idées aujourd'hui suspectes à Séoul, celle de réunification, dont tout partisan a longtemps été catalogué comme "rouge" à Séoul, ce qui entraîne ipso facto le placement sur une liste noire interdisant, par exemple, l'accès aux emplois publics. De fait, les premières propositions en vue d'une réunification ont été formulées au Nord, par le Président Kim Il-sung, et l'opposition (aujourd'hui au pouvoir à Séoul) avait déjà dénoncé les accord intercoréens du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007 comme autant de concessions, selon elles inacceptables, envers Pyongyang.
C'est ce contexte propre à la péninsule coréenne qui est de nature à expliquer les atteintes actuelles à la démocratie à Séoul. Mais notre conviction est que les anciens présidents démocrates Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun ont créé un nouvel état d'esprit qui rendra difficile la régression vers les années du régime militaire. La répression est le signe de la faiblesse du pouvoir à Séoul, et non de sa force.
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