La révision constitutionnelle de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), adoptée au début de la 14ème législature de l'Assemblée populaire suprême, a été dévoilée le 11 juillet 2019. Depuis sa promulgation en 1972, cette Constitution – la seconde dans l’histoire de la RPDC depuis 1948 - a fait l’objet de sept amendements et la révision adoptée en avril 2019, la dernière en date, apporte trois modifications principales. Premièrement, le titre de chef de l’Etat n’est plus uniquement dévolu au président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême mais aussi au président de la Commission des affaires d’Etat, Kim Jong-un. Ensuite, un nouveau mode de gestion et d’organisation des entreprises vient officiellement remplacer le modèle dit Tae-an, en vigueur depuis le début des années 1960. Enfin, on ne trouve plus trace dans la Constitution de référence à la politique de Songun donnant la priorité aux affaires militaires.
La révision de la Constitution de 1972 votée le 11 avril 2019 au cours de la première session de la 14ème législature de l'Assemblée populaire suprême est la septième (après les révisons constitutionnelles de 1992, 1998, 2009, 2012, 2013 et 2016) et la quatrième depuis l'arrivée au pouvoir de Kim Jong-un (décembre 2011). On savait que, au cours de cette première session, outre le passage de flambeau entre Kim Yong-nam et Choe Ryong-hae au poste de président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême, une révision constitutionnelle avaient été adoptée mais le texte final n’avait pas été publié. C’est chose faite depuis le 11 juillet 2019.
En premier lieu, on retiendra de la révision du 11 avril 2019 qu’elle vient mettre fin à une « bizarrerie constitutionnelle », dans le sens où auparavant, le titre de chef de l’Etat était dévolu au président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême et non pas au président de la Commission des affaires d’Etat, c’est-à-dire à Kim Jong-un, par ailleurs président du Parti du travail de Corée et commandant suprême des forces armées de la RPDC. Avec cette révision, la Constitution accorde à présent, dans son article 100, la fonction de « représenter l’Etat » non seulement au président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême mais aussi au président de la Commission des affaires d’Etat.
Dans les faits, il s’agit d’une évolution symbolique et qui ne devrait pas apporter un changement significatif dans la pratique de l’exercice du pouvoir en RPDC. De l’avis de certains analystes, ce changement devrait favoriser la signature d’un traité de paix remplaçant l'accord d'armistice de 1953, dans le sens où si un tel traité devait être conclu, ce serait au Chef de l’Etat, Kim Jong-un en l'occurrence, de le signer. La signature d’un traité de paix en Corée dépend toutefois d'autres paramètres qu’une révision constitutionnelle…
Sur le plan protocolaire, cette révision constitutionnelle n’a qu’un effet assez limité. En effet, conformément à l’article 116 de la Constitution révisée, il revient toujours au président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême la mission de recevoir les lettres de créance des ambassadeurs étrangers en poste à Pyongyang.
La deuxième modification majeure apportée à la Constitution par la révision du 11 avril 2019 réside dans l’actualisation du modèle de gestion jusqu’alors en vigueur dans les entreprises. En effet, le « modèle Tae-an » est remplacé à l’article 33 de la Constitution par un « modèle de gestion responsable des entreprises socialistes », officialisant ainsi l’accroissement de l'autonomie des dirigeants d’entreprises sur les unités de production, tout en rappelant l’existence du concept de « profitabilité », déjà présent dans la Constitution nord-coréenne.
Avec ce changement, c’est tout un pan de la culture économique nord-coréenne qui se transforme. En effet, à l'occasion d'une visite à l’usine de machines électriques de Tae-an en décembre 1961, Kim Il-sung, alors Premier ministre de la RPD de Corée, avait reconnu qu’« en examinant en profondeur qui dirige la production, comment cela se concrétise, de quelle manière les ateliers sont dirigés et de quelle façon ces derniers s’acquittent de leurs tâches, nous avons constaté que l’actuel système de direction de la production présente de graves défauts ». (Kim Il-sung, De la gestion de l’économie socialiste, Editions en langues étrangères, Pyongyang, 1992, pp 37-38)
Sur la base de ce constat, Kim Il-sung avait préconisé un nouveau modèle d’organisation des entreprises, dit Tae-an, d’après lequel il revenait au comité du Parti du travail de Corée dans les usines, placé sous l’autorité d’un ingénieur en chef, de jouer le rôle d’« état-major chargé de diriger la production » ainsi que d’être en charge de la « coordination des différents services ». Ce modèle avait ensuite été généralisé aux autres unités de production dans tout le pays.
Sur ce volet, la révision d’avril 2019 a pour objectif de donner plus d’autonomie aux entreprises et à leurs dirigeants dans l’organisation quotidienne de la production et notamment par rapport au plan. En effet, à l’heure actuelle, il est possible pour les entreprises de conserver une part des bénéfices réalisés une fois que les exigences du plan ont été satisfaites.
Cette révision constitutionnelle entérine une réalité quotidienne déjà à l’œuvre depuis plusieurs années dans la gestion des entreprises et qui avait été appelée de ses vœux par Kim Jong-un lors de son discours de clôture du 7ème congrès du Parti du travail de Corée en mai 2016.
Enfin, la révision constitutionnelle du 11 avril 2019 a supprimé toute référence à la politique de Songun donnant la priorité aux affaires militaires, initiée par Kim Jong-il et intégrée dans la Constitution en octobre 1998. Preuve de son importance, l’article 3 de la Constitution de 1972 disposait, dans sa version amendée en 2009, que « la République populaire démocratique de Corée se guide dans ses activités sur les idées du Juche, les idées du Songun ».
A l’époque, la politique de Songun était une réponse à un contexte politique incertain, qui avait vu disparaître les alliés traditionnels de la RPDC et se multiplier les offensives diplomatiques contre elle, notamment suite au développement de sa force de dissuasion nucléaire.
Après son accession à la direction suprême de la RPD de Corée en décembre 2011, Kim Jong-un a opéré un rééquilibrage : la priorité à l’armée de la politique de Songun a laissé la place au Byongjin, soit le développement parallèle de l’arme atomique et de l’économie. Après la réussite de son sixième essai nucléaire (3 septembre 2017) et du lancement d'un missile balistique intercontinental (29 novembre 2017), la RPDC a considéré disposer d'une force de dissuasion suffisante, et a mis un terme au Songun et au Byongjin pour se focaliser sur le développement économique, notamment grâce aux technologies de pointe.
Cette révision constitutionnelle ne doit cependant pas laisser croire que l’Armée populaire de Corée jouera un rôle secondaire à l'avenir. Il faut comprendre de cette révision que l’armée a accompli sa tâche en développant avec succès l’arme nucléaire et les vecteurs associés, garantissant à la RPDC sa souveraineté et son indépendance et lui permettant de parler d’égal à égal avec les autres puissances, à commencer par les Etats-Unis. Maintenant, l’armée nord-coréenne, qui est aussi un opérateur économique de première importance, peut se consacrer pleinement au développement du pays, en intervenant sur les grands chantiers en cours en RPDC.
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