Il manque un ingrédient aux mauvais mélos pour faire pleurer à chaudes larmes dans les chaumières : quitter le champ de la fiction pour entrer dans celui du documentaire ou prétendu tel. C’est le pari de Gilles de Maistre, qui a partiellement tourné son film Voir le pays du matin calme en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Le résultat est proprement ahurissant. A l'instar de ces lourds films de propagande en temps de guerre, le réalisateur ne cesse de mêler vraies images de la RPDC (monuments, spectacles, paysages...) et séquences réalisées par la suite en Corée du Sud, entre deux batifolages d'acteurs à la base d'un mélo insipide qui, s'il ne prenait pas place en Corée du Nord, n'aurait sans doute pas eu les honneurs du prime time sur une chaîne « culturelle » qu'on a connue mieux inspirée autrefois.
Le vendredi 23 septembre 2011 à 20h30 (rediffusion le samedi 1er octobre 2011 à 14h30), la chaîne de télévision franco-allemande Arte a diffusé un film réalisé par Gilles de Maistre, Voir le pays du matin calme, partiellement tourné en Corée du Nord avec des comédiens se faisant passer pour un groupe de touristes. Partiellement, car ce qui se veut un objet à mi-chemin de la fiction et du documentaire ne cesse de mêler vraies images de la Corée du Nord et séquences tournées en Corée du Sud mais censées se dérouler en RPDC, vrais Coréens du Nord et faux propos qui leur sont prêtés grâce à un astucieux doublage, le clou du film étant, in fine, des faux témoignages de faux réfugiés. A moins qu'il ne s'agisse « que » de vrais témoignages de faux réfugiés ou bien de faux témoignages de vrais réfugiés. Allez savoir avec Gilles de Maistre ! Ce film nous fait remonter le temps, en nous replongeant en plein maccarthysme qui, pendant la guerre de Corée (1950-1953), affectionnait ce type de procédés.
Qui n'a pas voyagé en Corée du Nord ou ne connaît pas un minimum ce pays pourrait croire à la véracité de ce qui lui est conté, des images et des récits véhiculés pendant 1h30. Tout juste apprend-on, pour qui prendra la peine de lire le générique de fin, que tous les Nord-Coréens avec lesquels les personnages de ce « docu-fiction » ont une conversation sont en réalité des acteurs Sud-Coréens et que ces scènes ont été tournées en Corée du Sud : nuit chez l'habitant, rencontre avec une famille prête à quitter le pays... aucune de ces scènes n'est vraie. Les auteurs du film ont poussé le vice jusqu'à doubler en français (accent coréen compris) les Nord-Coréens francophones rencontrés, à commencer par le guide du groupe de vrais-faux touristes français. Dans le film, ces Coréens tiennent donc des propos qu'ils n'ont souvent pas tenus, en premier lieu parce que c'est faux : non, la Corée du Nord ne prétend pas réunifier la Corée dans dix ans dans un régime de démocratie populaire ; non, le service militaire ne dure pas 20 à 30 ans...
Nul doute que, en France, une telle manipulation de l’image et du son à des fins de dénigrement vaudrait au manipulateur quelques ennuis avec la justice. Mais nous sommes en Corée du Nord. Gilles de Maistre ne risque rien et il le sait. Quant à ce qu'ont vraiment dit les Nord-Coréens on ne le saura sans doute jamais et, de toutes les façons, ça n’intéresse pas M. de Maistre. Quand une de ses actrices compare les Nord-Coréens à des lémuriens, tout est dit : pour Gilles de Maistre, les Nord-Coréens ne sont pas des êtres humains. Ce film nous en apprend donc moins sur la Corée du Nord que sur les intentions et les méthodes de son auteur.
Pour ceux qui auraient été abusés par le film diffusé par Arte mais veulent quand même comprendre la Corée, précisons qu'il n'y a pas eu d'enfants nord-coréens adoptés par des Occidentaux, puisque tel est un des propos du film. En revanche, des dizaines de milliers d'enfants sud-coréens ont bien été adoptés par des Américains ou des Européens, et continuent à l'être aujourd'hui. Et contrairement à ce qu'affirme le commentaire en voix off censé aider le mal-comprenant à saisir toute l'horreur de la RPDC, il n'y a pas de restriction aux visas pour le touriste occidental lambda, et donc, a fortiori, pas de touristes « triés sur le volet ».
Si Voir le pays du matin calme n’est pas une œuvre impérissable pour ses qualités artistiques et documentaires, ce film a quand même gagné sa place dans l'histoire de la propagande la plus grossière, quelque part entre Tintin au pays des soviets et les faux charniers de Timisoara.