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29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 22:35

Le 25 avril 2013, à l'invitation de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), le professeur Kim Kyong-sik, de l’Université Kim Il-sung de Pyongyang, animait à Paris une conférence-débat sur la géopolitique de la Corée, les relations franco-coréennes et la présentation de la Corée dans les médias. Pour l'occasion, le professeur Kim était entouré de Patrick Maurus, professeur de coréen à l'INALCO et de Pierre-Olivier François, réalisateur, de retour de Pyongyang où il a réalisé une série documentaire pour la chaîne de télévision ARTE. La présence en France d'un professeur d'université nord-coréen est un événement rare. La conférence du 25 avril était donc exceptionnelle à plus d'un titre puisqu'un public français (composé en grande majorité d'étudiants de l'INALCO, mais aussi d'universitaires et de membres de l'Association d'amitié franco-coréenne) a pu entendre, directement, les explications d'un universitaire nord-coréen sur la situation tendue qui prévaut en Corée. La qualité des intervenants, leurs propos souvent passionnés, ont contribué à remettre les faits en perspective et à rétablir certaines vérités, loin du « prêt-à-penser » servi par la plupart des médias, singulièrement en France, dès qu'il s'agit de la Corée du Nord.

INALCO_25042013.jpg

Enseignant au département de français de l'Université Kim Il-sung de Pyongyang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), le professeur Kim Kyong-sik est un parfait francophone et francophile. L'exposé qu'il a donné le 25 avril 2013 à l'INALCO a permis de mesurer la somme d'énergie, de volonté et de passion pour la culture et la langue françaises qui animent depuis 25 ans le professeur Kim, alors que la France n'a ouvert qu'en octobre 2011 un bureau de coopération culturelle à Pyongyang et n'envisage toujours pas l'établissement de relations diplomatiques complètes avec la RPDC.

La première partie de la conférence fut consacrée à la situation géopolitique dans laquelle évolue la Corée. D'emblée, le professeur Kim Kyong-sik a prévenu l'assistance qu'il ne s'attacherait qu'à donner des informations « objectives ». La péninsule coréenne, a-t-il rappelé, est entourée de grands et puissants voisins : la Chine, la Russie et le Japon. Son emplacement stratégique à l'extrémité orientale du continent eurasiatique, dont elle constitue la porte d'entrée, le « marchepied », face à l'océan Pacifique, ont fini de faire de la Corée un centre d'intérêt pour les grandes puissances.

En 1905, l'accord signé par William Howard Taft, secrétaire à la Défense des Etats-Unis, et Katsura Taro, Premier ministre de l'Empire du Japon, a scellé le destin de la Corée : les Etats-Unis autorisaient le Japon à exercer sa domination sur la Corée en échange d'une domination américaine sur les Philippines. Cet événement a provoqué une vague d'émigration coréenne vers la Mandchourie, la Russie, l'Asie centrale et le Japon, désormais puissance coloniale.

Après l'injustice de la domination coloniale sur la Corée, le professeur Kim a rappelé la deuxième injustice que fut la division de la Corée en 1945, alors qu'elle venait de se libérer de l'occupation japonaise. A la différence de l'Allemagne, la Corée n'était pourtant ni un pays déclencheur de la Seconde Guerre mondiale ni un pays vaincu. Pourquoi la Corée a-t-elle subi une telle injustice ? Parce que la Corée était trop faible pour résister aux grandes puissances, qu'il s'agisse des Etats-Unis qui proposèrent de diviser la Corée, ou de l'Union soviétique qui n'opposa pas son veto à cette décision.

C'est le souvenir des malheurs subis par la Corée alors qu'elle était un pays faible qui, selon le professeur Kim Kyong-sik, a incité la RPDC à se doter d'une force de dissuasion nucléaire. L'histoire qui a suivi la division de la Corée en 1945 n'a fait que conforter la RPDC dans ce choix. Le professeur Kim a ainsi rappelé les menaces d'utilisation de l'arme nucléaire par les Etats-Unis au cours de la guerre de Corée (1950-1953), lesquelles ont provoqué une nouvelle vague de migration coréenne, du nord de la péninsule vers le sud. Après la guerre, les Etats-Unis ont conservé des armes nucléaires en Corée du Sud. Plus tard encore, le président américain George W. Bush a menacé la Corée du Nord d'attaques « préventives ». Et que penser des pays attaqués par les Etats-Unis (Serbie, Irak...) après avoir été désarmés ? En outre les chiffres donnés par le professeur Kim parlent d'eux-mêmes : jusqu'en 2009, il y a eu 2 054 essais nucléaires dans le monde, dont 1 032 effectués par les Etats-Unis. Quant aux lancements de satellites, pour lesquels la RPDC est sanctionnée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, il y aurait actuellement 1 120 satellites américains en orbite autour de la Terre, dont 75 % sont des satellites à usage militaire. La fin du bloc socialiste, et la perte de ses alliés qui en a résulté, a fini de convaincre la RPDC qu'elle devait désormais compter sur ses propres forces. Bon connaisseur de l'histoire de France, le professeur Kim Kyong-sik a rappelé que, pour avoir subi seulement quatre ans d'occupation (et non quarante, comme en Corée), la France, qui ne voulait plus connaître l'effondrement de 1940, se dota dans les années 1960 de l'arme nucléaire et des capacités balistiques associées.

En conclusion de son intervention, le professeur Kim a affirmé que, ayant désormais les moyens de se défendre, la RPDC allait pouvoir se concentrer sur l'économie. « Vous allez voir dans les dix ans à venir ! »

Pour sa part, le professeur Patrick Maurus a souligné que la Corée n'a jamais été un pays agresseur mais s'est heurtée aux ambitions des grandes puissances. En conséquence, les Corée du Nord et du Sud ont hérité d'une histoire qui n'est pas la leur, et la confrontation Nord-Sud à laquelle nous assistons « ne se fait pas en fonction d'arguments forgés la semaine d'avant » chez l'un ou l'autre.

Pierre-Olivier François (réalisateur, en 2003, du documentaire « La frontière et la guerre »), a, lui, regretté que la question de la division de la Corée soit masquée par le « brouhaha » que suscitent les manœuvres américano-sud-coréennes ou la question du programme nucléaire nord-coréen. Revenant de Pyongyang où il a eu des entretiens avec plusieurs hauts responsables nord-coréens, Pierre-Olivier François a déclaré penser qu'il y a, en RPDC, « la volonté de passer à autre chose, notamment le développement économique », mais que cela est difficile dans le contexte actuel.

La deuxième partie de la conférence avait pour sujet les relations franco-nord-coréennes. Reprenant la parole, et sur un ton mi-sérieux mi-humoristique, Kim Kyong-sik a demandé « aux Français épris de paix et de justice de ne plus écouter les Américains, ou alors de l'oreille gauche, en gardant l'oreille droite pour la Corée du Nord ». Puis, évoquant les relations de son pays avec la France, il a regretté que le représentant officiel de la France en RPDC, le directeur du bureau de coopération culturelle ouvert en octobre 2011, ne parle pas coréen. Pour le professeur Kim, cela est « anormal » et une manifestation supplémentaire du peu de cas que fait la France de la Corée et de ceux qui y enseignent la langue et la culture françaises. Face à une telle situation, le professeur Kim a dit avoir été déjà interpellé dans son pays : « Pourquoi apprendre le français ? Etes-vous pro-français ? ». Ces questions ont appelé de sa part cette boutade : « Je ne suis pas pro-français, je suis pro-Zola et pro-Maupassant ! » Le professeur Kim Kyong-sik a livré tout son espoir d'une nouvelle ferveur pour l'étude du français en Corée du Nord appelant les étudiants de l'INALCO à être « les précurseurs d'une amélioration des rapports entre la France et la RPDC ».

Ancien conseiller culturel de l'ambassade de France en Corée du Sud, le professeur Maurus n'a pu que constater que, en effet, la langue française n'est pas porteuse d'avenir en Corée du Nord alors que l'absence de relations au niveau d'ambassades entre la France et la RPDC est choquante pour les Nord-Coréens. Et de relater un incident dont il fut, avec Kim Kyong-sik, le témoin, survenu lors d'une réunion à Pyongyang entre le représentant français, directeur du bureau de coopération culturelle, et les professeurs nord-coréens de français : dans un geste d'énervement, le directeur du bureau français lança sa carte de visite au visage de ses interlocuteurs coréens ! Ce geste fort peu diplomatique incita les universitaires coréens à ne plus passer par le représentant officiel de la France, y compris pour les questions qui seraient normalement de sa compétence. La venue du professeur Kim Kyong-sik en France a ainsi été discutée directement entre l'Université Kim Il-sung et l'INALCO.

Pierre-Olivier François a confirmé que les Coréens, peuple fier, sont sensibles à l'envoi de personnalités de premier plan pour négocier avec eux, comme en octobre 2000, lorsque l'administration Clinton délégua la secrétaire d'Etat Madeleine Albright à Pyongyang.

La dernière partie de la conférence abordait la question – le problème, devrait-on dire – du traitement de la Corée du Nord par les médias. Pour résumer la position des médias occidentaux, français en particulier, quand il s'agit de la RPD de Corée, Patrick Maurus a cité cette phrase de l'historien américain Bruce Cumings : « La Corée du Nord rend fou. » Une illustration de cette « folie » est l'obligation faite aux ONG françaises présentes en RPD de Corée de se taire en France quand elles tentent d'expliquer que la situation s'améliore sur place !

En effet, a rappelé le professeur Maurus, des changements sont visibles en Corée du Nord depuis quelques années, qu'il s'agisse de la construction de bâtiments ultra-modernes ou de la circulation automobile en augmentation à Pyongyang. Et aux journalistes qui taxeraient ces changements de « propagande », Patrick Maurus a envie de demander pourquoi cela ne se faisait pas avant. Quant aux journalistes qui se rendent en Corée du Nord une seule fois et déclarent à leur retour n'avoir rien vu, il répond que cela est normal : au premier voyage, personne ne dispose des règles d'analyse d'une société aussi complexe que la société nord-coréenne. Patrick Maurus s'est aussi étonné que les journalistes puissent poser aux voyageurs de retour de RPDC des questions sur le nucléaire nord-coréen et jamais sur le nucléaire français au prétexte que leur interlocuteur serait incompétent en ce qui concerne ce dernier. Selon Maurus, l'argument d'incompétence ne tient pas : pourquoi serait-on plus compétent sur le nucléaire nord-coréen que sur le nucléaire français ?

Revenant sur le contexte géopolitique, Patrick Maurus fit remarquer que tous les dirigeants des pays d'Asie du Nord-Est avaient été renouvelés en 2012, pouvant ainsi se présenter à de futures négociations « sans passif ». Même le président américain Barack Obama, réélu pour un second et dernier mandat, peut désormais se lancer dans des discussions sur de nouvelles bases.

Mais le plus important, pour le professeur Maurus, est que chacun, même au niveau le plus modeste, participe à l'amélioration des conditions géopolitiques dans lesquelles évolue une Corée du Nord « sur-conditionnée » par son environnement. Cette « stratégie de Gulliver », en référence au géant imaginé par Jonathan Swift, maîtrisé par les minuscules mais nombreux Lilliputiens, est d'autant plus pertinente que les Corée du Nord et du Sud peuvent difficilement s'adresser directement aux gouvernements dans ce but. Quant à la France « officielle », Patrick Maurus a jugé son rôle plutôt néfaste en Corée où elle cherche surtout à vendre des armes au Sud.

Aux questions des étudiants de l'INALCO qui s'inquiétaient d'une certaine rhétorique guerrière employée par Pyongyang, le professeur Kim Kyong-sik a répondu que le message de la RPD de Corée est tronqué dans les médias occidentaux : la RPDC s'engage seulement à répliquer si elle est attaquée et sa politique se fonde sur le constat que les pays détenteurs de l'arme atomique n'ont jamais été agressés par les Etats-Unis. La RPD de Corée, a réaffirmé le professeur Kim, ne veut qu'une chose : vivre heureuse et en paix.

Comme l'ont rappelé Patrick Maurus et Pierre-Olivier François, la situation vécue sur place, en Corée, est bien différente de celle montrée par les médias français. Les journalistes présents en Corée du Sud sont même souvent invités à censurer leurs reportages ou leurs articles quand ceux-ci vont à l'encontre de la ligne alarmiste fixée par les rédactions parisiennes.

C'est encore le professeur Kim Kyong-sik qui a le mieux résumé le travail des grands médias français sur la Corée du Nord : « un grand bêtisier »

La conférence du 25 avril 2013 avait lieu à Paris. Elle était publique. Aucun journaliste n'avait jugé utile d'y assister.

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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 00:23

Le 10 mars 2013, le foyer rural de Tousson, en Seine-et-Marne, a organisé, en partenariat avec l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), une projection du film documentaire Intérieur Nord, suivie d'un débat avec son réalisateur, le Britannique David Carr-Brown. Ce fut l'occasion d'une rencontre et d'une discussion autour du traitement de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) dans les médias, en présence notamment de Benoît Quennedey, vice-président de l'AAFC chargé des actions de coopération, auteur de L'économie de la Corée du Nord, et d'une délégation de diplomates nord-coréens en France, conduite par S.E. Yun Yong-il, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RPD de Corée auprès de l'UNESCO, délégué général de la RPD de Corée auprès de la République française.

Tousson 10032013 1Quand David Carr-Brown a réalisé Intérieur Nord, tourné en 2001 et sorti en 2002, son intention était de montrer des images alors inédites de la RPD de Corée en dépassant les habituels clichés sur la "dure marche" des années 1990. Le réalisateur a cherché à comprendre la perception de la Corée du Nord de l'intérieur même du pays. Pour ce faire, il a choisi un média, le cinéma nord-coréen, et comment son public, livrant ses impressions, livre son regard sur la société et ses évolutions. Intérieur Nord reste ainsi, aujourd'hui encore, l'un des très rares films sur la vie quotidienne en République populaire démocratique de Corée, qui donne une vision du pays profondément humaine, touchant au coeur de questions multiples : une fierté nationale exacerbée, faisant de la division du pays un drame pour l'ensemble des Coréens ; les besoins d'adaptation face à des problèmes nouveaux (non seulement les diffficultés alimentaires, mais aussi la délinquance juvénile) ; ou encore l'objet et la finalité des camps de rééducation, lesquels, rappelle l'auteur, remplaçaient alors le système carcéral, avec un double but de redressement moral et de réinsertion sociale. Ce n'est en effet que très récemment que sont apparues les premières prisons - au sens où nous l'entendons en Occident - en Corée du Nord. Le tout a été montré par David Carr-Brown sans fards, et avec un sens de la distanciation et aussi une pointe d'ironie grinçante vis-à-vis des lieux communs sur la Corée du Nord, pleins d'esprit british.

Intérieur Nord est l'un des trois volets d'une trilogie consacrée par ailleurs à Kim Dae-jung et Madeleine Albright, au tournant du siècle où tout semblait possible : les deux gouvernements coréens étaient engagés dans une politique de rapprochement sans précédent, et Madeleine Albright avait été dépêchée par le Président Bill Clinton à Pyongyang dans la perspective de l'établissement de relations diplomatiques complètes entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée. En tant que témoin privilégié, sinon acteur, de ces échanges, David Carr-Brown a pu rendre compte du changement dramatique dans la diplomatie internationale autour de la péninsule coréenne en l'espace de seulement une décennie, lors des débats avec la salle qui ont suivi la projection du film : le choix des images et leur traitement ont alimenté des questions multiples sur la perception de la RPD de Corée dans les médias occidentaux, ou encore sur les possibilités de voyage dans le pays.

Les échanges se sont poursuivis lors d'une table ronde avec Benoît Quennedey, qui a dédicacé des exemplaires de son ouvrage L'économie de la Corée du Nord, en mettant l'accent sur le bon usage des sources pour analyser la situation économique de la RPDC et son évolution. Celles-ci sont marquées à la fois par une production alimentaire structurellement déficitaire depuis les catastrophes naturelles (inondations, sécheresse) des années 1990, et des signes de modernité et d'avant-garde technologique, dont la mise sur orbite du satellite Kwangmyongsong-3, le 12 décembre 2012, est l'un des symboles.

Tousson_10032013_2.jpg 

Les débats ont enfin - et peut-être surtout - été nourris par les éclaircissements apportés par S.E. Yun Yong-il, délégué général de la RPD de Corée en France, et Jon Hyong-jong, conseiller politique à la délégation. Dans une atmosphère conviviale, les deux diplomates ont répondu aux multiples questions des participants, tant sur la situation actuelle de la RPD de Corée (où en est la production alimentaire ? quel est le mode d'organisation de la production ?) que sur les incertitudes géopolitiques du moment. Les échanges étaient d'autant plus nourris qu'y prenaient part David Carr-Brown, Benoît Quennedey, Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'AAFC, ainsi que des membres du foyer rural de Tousson ayant une expérience, directe ou indirecte, de la RPDC, notamment via les ONG françaises qui y sont implantées.

La rencontre s'est terminée par un buffet franco-coréen, où les participants ont pu déguster une fondue savoyarde et différents kimchi, notamment celui préparé par les épouses de diplomates nord-coréens en poste à Paris lors d'un stage de cuisine coréenne qui s'était tenu à Tousson - déjà - le 23 février dernier, faisant de la petite commune de Seine-et-Marne un des foyers de découverte en France de la culture et de la société coréennes, de toute la Corée.

 

Présentation de Intérieur Nord sur le site Internet de Artline Films

Site Internet du foyer rural de Tousson

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 22:31

Incroyable mais faux : non, nous n'avons aucune preuve qu'Elvis Presley soit vivant et encore moins qu'il habite à Pyongyang. Mais tout au long du reportage de Lionel de Coninck diffusé sur France 3 le 13 février 2013 dans l'émission "Pièces à conviction", et intitulé "Sur la piste des Françaises kidnappées par la Corée du Nord", vous n'avez la moindre preuve matérielle à l'appui du titre choc de ce "documentaire". Alors, pour la prochaine émission de Lionel de Coninck consacrée à la Corée du Nord, nous lui conseillons vivement de se pencher sur l'hypothèse Elvis Presley : en effet, beaucoup de personnes pensent qu'il n'est pas décédé. Et s'il est quelque part, pourquoi ne pas tabler sur la République populaire démocratique de Corée ? Ce sera tellement plus attrayant qu'une Française supposée avoir les yeux bleus, dont on ne connaît pas le nom et dont on n'a pas de photo ni même la date de la disparition... et cela fera encore plus de spectateurs !

Un jour que nous demandions à Philippe Pons, un des spécialistes de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), pourquoi certains de ses confrères pouvaient avancer sans preuves des hypothèses hautement invraisemblables sur ce pays comme autant de faits à leurs yeux incontestables, il nous avait répondu que, dans le cas de la Corée du Nord, le recoupement des sources étant impossible, il était malheureusement fréquent d'agir de la sorte.

Dans le cas de Lionel de Coninck, le journaliste croit vraisemblablement dur comme fer à la présence de Françaises "kidnappées" en Corée du Nord. Mais son reportage n'avance aucun élément convaincant, contrairement au principe qui devrait être celui de l'émission "Pièces à conviction". Ce n'est même pas un scoop en France - un article défendant la même thèse avait déjà été publié en 2008 dans Le Figaro - et encore moins au Japon où la question des citoyens japonais enlevés par les services secrets nord-coréens est à ce point un sujet national que des émissions de télévision lui sont consacrées chaque mois et qu'un ministère ne s'occupe que de ce sujet. C'est ainsi un combat permanent de militants d'extrême-droite japonais, épaulés par une partie de l'administration et les milieux du renseignement, d'essayer d'intéresser à leur cause d'autres pays en tentant d'accréditer la thèse que leurs citoyens auraient, eux aussi, été "kidnappés" par les services de renseignement de la RPD de Corée. Pour faire avancer cette cause, ils cherchent des médias étrangers à qui ils donnent, clés en main, tous les éléments nécessaires : c'était en 2008 le cas du Figaro, et c'est le cas cette fois-ci de France Télévisions.

Mais un travail d'enquête journalistique mené selon les règles déontologiques de la profession doit - ou devrait - recouper les sources. Et dans le cas de ces Françaises - car elles seraient trois - ce sont des dires d'autrui, des suppositions toutes exprimées au conditionnel et des preuves matérielles inexistantes qui servent de fil conducteur à une enquête de très faible qualité.

La source première, celle qui est systématiquement mise en avant par les services secrets japonais et les journalistes qui leur servent de relais, est un article publié dans un journal libanais en 1979 et évoquant trois Françaises. Lionel de Coninck a voulu contacter les sources de cet article : les personnes ayant fait ces déclarations sont malheureusement injoignables...

Alors, Lionel de Coninck a voulu interroger les "repentis" : déjà, l'inévitable Charles Jenkins, soldat américain basé en Corée du Sud et ayant fait défection au Nord en 1965. Il est évident que s'il voulait retourner dans le "monde libre", sans ennui - ce qu'il fit en 2004 -, il avait intérêt à raconter une belle histoire et à se poser en victime. Charles Jenkins n'aurait fait qu'entendre parler de ces Françaises, mais cet homme dont l'aventure lui a valu un livre à succès - surtout au Japon, car il a épousé une Japonaise - et une certaine notoriété, a la fâcheuse tendance à s'enhardir devant les caméras, ce qui en fait le client idéal. Seul problème pour les historiens : ses déclarations sont malheureusement trop souvent contradictoires avec celles d'un autre défecteur américain, toujours installé en RPDC, James Dresnok, à qui le réalisateur britannique David Gordon a d'ailleurs consacré un film.

Deuxième témoin convoqué à la barre par Lionel de Coninck : Kim Hyun-hee, l'espionne nord-coréenne qui aurait fait exploser le vol KAL858 en 1987. Mais Kim Kyun-hee est au centre d'une controverse en Corée du Sud : en 2007, des familles de victimes du vol KAL858 ont demandé l'ouverture d'une enquête sur l'implication des services secrets sud-coréens dans cet attentat... Bien sûr, le reportage diffusé par France 3 n'en dit rien.

Ne pouvant se contenter que de propos rapportés indirectement par des personnes qui auraient entendu parler de la présence de Françaises en RPDC, notamment de l'une d'entre elles qui aurait les yeux bleus ou qui ferait la cuisine (ce qui, soit dit en passant, correspond à deux clichés de la Française en Asie...), le réalisateur s'est tourné vers les administrations françaises, notamment le ministère de l'Intérieur et le ministère des Affaires étrangères. Les administrations ont répondu qu'elles ne savaient rien et ne pouvaient évidemment pas mener d'enquête sur des personnes dont on ne sait pas si elles ont disparu ni quand elles ont disparu, dont on ne connaît pas les noms et dont on ne possède même pas de photos ou de signalements. Des dizaines de milliers de Français et de Françaises sont portés disparus en France dans la période retenue par Lionel de Coninck (1975-1985) : alors, pourquoi privilégier une hypothétique piste nord-coréenne, quand, à notre connaissance, aucune famille française n'a jamais signalé la disparition d'un des siens en RPDC ? Une connaissance préalable plus fine des procédures d'enregistrement de disparitions par les administrations françaises, en métropole et à l'étranger (dans ce cas, par les services consulaires), aurait épargné à Lionel de Coninck de se heurter à ce qu'il a perçu - et a voulu faire percevoir au téléspectateur - comme un mur d'incompréhension.

Au demeurant, rien n'interdit à une personne de disparaître, et d'aller de son plein gré dans un pays étranger, que ce soit la Suisse ou la Corée du Nord. Parmi les millions de destins individuels de citoyens français, pourquoi certains n'auraient-il pas choisi de partir vivre en RPDC, à un moment où un autre des plus de soixante ans d'histoire de ce pays ? Des GIs américains qui étaient stationnés en Corée du Sud ont bien fait ce choix.

Entre les invasions extra-terrestres, les prophéties mayas et autres pandémies meurtrières, il y a certainement une place à prendre, parmi les grandes peurs du troisième millénaire, sur de prétendus enlèvements de Françaises par les Nord-Coréens. Mais alors que ce sujet, s'agissant de ressortissants japonais et sud-coréens, est un vrai débat toujours ouvert, il y a quelque chose de pitoyable à vouloir y associer des citoyens français, dans le seul but de favoriser l'identification du téléspectateur français. Si c'est l'intérêt des Japonais de jouer un tel jeu, pourquoi des journalistes français ou des responsables de chaînes du service public, qui achètent ces documentaires, acceptent-ils de s'y prêter ? Cela mériterait certainement, à défaut d'une émission spéciale de "Pièces à conviction", une enquête de la Cour des comptes sur le bon usage des deniers publics, en l'occurrence du produit de la redevance audiovisuelle payée par les ménages français.

TV cerveau

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23 novembre 2012 5 23 /11 /novembre /2012 13:50

bolchevisme_couteau.jpgDe par son incroyable pouvoir hypnotisant, le cinéma a très tôt été considéré comme le vecteur de diffusion de masse d’œuvres dotées de contenus idéologiques marqués. En effet, tout au long du XXème siècle, le cinéma a été utilisé comme moyen de toucher une population de plus en plus en plus large, au travers d’œuvres cinématographiques toujours plus fines et complexes. Néanmoins, il apparaît que dans une période confuse et anxiogène comme la nôtre, dans une société mondiale post-Guerre froide dans laquelle il devient de plus en plus difficile d’expliquer ses propres dysfonctionnements du fait des autres acteurs mondiaux (l’URSS et le bloc de l’Est faisaient des responsables tout trouvés de la répression politique et économique en cours dans le « Monde libre » autoproclamé), certains cinématographes aux  esprits les plus confus se ruent sur des vieilles catégories d’analyse périmées pour proposer au public des œuvres réchauffées qui viennent entretenir des stéréotypes dangereux et nauséabonds. Le film Red Dawn (« Aube rouge »), sorti sur les écrans le 21 novembre 2012 aux Etats-Unis, participe de ce « prêt-à-penser politique » qui mine les relations bilatérales entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). 

« Un groupe d'adolescents organise la résistance lorsque l'armée coréenne envahit leur ville » : à la lecture du synopsis du nouveau blockbuster américain signé Dan Bradley, on ne peut pas vraiment présager d’un opus qui viendra jeter un regard nouveau sur les relations internationales contemporaines ! Simpliste et manichéen, Red Dawn s’annonce comme le joyau cinématographique de la paranoïa américaine : en dépeignant une très improbable invasion des Etats-Unis par l’Armée populaire de Corée (c’est évidemment la Corée du Nord qui tient le mauvais rôle, et non pas son jumeau sud-coréen dont la politique de défense nationale intègre la présence croissante de commandants militaires américains), l’équipe du film cherche à baigner les spectateurs dans le discours idéologique dominant aux Etats-Unis (mais aussi en Europe comme on l’a vu lors du test - échoué - d’envoi d’un satellite en orbite par la RPD de Corée) pour s’assurer de cadrer avec les attentes d’un public déjà matraqué de propagande diffusée par des « experts » autoproclamés de la Corée du Nord. Red Dawn n’a même pas l’intérêt de l’originalité : comme son nom l’indique, il s’agit du remake d’un film éponyme (ce qui a donné L'Aube rouge en français à l’époque, traduction qui ne semble d’ailleurs plus nécessaire aujourd’hui) datant de 1984, et qui dépeignait l’invasion soviéto-cubaine (quelle imagination !) des Etats-Unis. L’URSS ayant disparu, nos grands géopolitologues-cinéastes ont décidé de tout simplement plaquer le nouvel ennemi - réel ou supposé - des Etats-Unis, à savoir la République populaire de Chine ; en effet, c’est originellement l’Armée populaire de libération chinoise qui devait marcher sur Washington dans Red Dawn, mais pour des raisons de distribution (le public chinois, tout aussi sensible que le public coréen quand on vient à représenter son pays, est un grand consommateur de blockbusters américains), on a jugé plus idoine de mettre en scène l’Armée populaire de Corée, qui fait office de punching-ball idéologique, dans la lignée d’autres produits culturels de consommation de masse comme le jeu vidéo Homefront, paru en 2010 (et dont le scénariste n’est autre que John Milius, réalisateur de L’Aube rouge).

Inutile de tenter de montrer longuement en quoi cette hypothèse d’invasion relève du fantasme : peu d’observateurs compétents considèrent crédible le fait que la RPDC, forte de 24 millions d’habitants, aille déclarer la guerre à la première puissance mondiale (treize fois plus peuplée), et dont le budget militaire total (700 milliards d’euros !) constitue environ 140 fois celui de la Corée du Nord. Par ailleurs, depuis la fin de la Guerre de Corée le 27 juillet 1953, l’Armée populaire de Corée n’a jamais été engagée dans une action militaire belliqueuse en dehors de ses frontières, à la différence des Etats-Unis, qui, comme le rappelle Thomas Rabino (auteur de De la Guerre en Amérique) a procédé à un déploiement militaire tous les trente-et-un mois depuis l’invasion échouée de la Baie des Cochons en 1961. L’intérêt pour les néoconservateurs américains de faire appel à un scénario aussi fantasque –mais considéré crédible par beaucoup d’Etats-Uniens – peut s’expliquer par le recours au fameux concept du soft power, c'est-à-dire la capacité pour un Etat ou une administration de diffuser son modèle culturel et toutes les valeurs (y compris idéologiques) qui y sont associées. Popularisé par l’interventionniste Joseph Nye dans les  années 1990, le concept de « pouvoir doux » n’est ni plus ni moins qu’une actualisation (dans le cadre d’un monde globalisé) du principe d’hégémonie culturelle du marxiste italien Antonio Gramsci qui décrivait la manière dont les classes dominantes peuvent imposer leurs points de vue au reste de la population pour maintenir leur domination.

Le cinéma et les films de la trempe de Red Dawn jouent un rôle fondamental dans l’établissement d’une hégémonie culturelle, surtout quand ils se veulent être des  « moments de détente » ou l’esprit critique des spectateurs n’est pas ou peu mobilisé (le fameux « temps de cerveau humain disponible » selon l’ex-PDG de TF1, Patrick Le Lay). Le philosophe français Michel Clouscard, disparu en 2009 (et dont la quasi-intégralité de l’œuvre vient d’être rééditée aux Editions Delga), pousse même la réflexion jusqu'à dire que dans la France post-plan Marshall, (le plan américain d’aide économique à l’Europe qui prévoyait notamment, selon les accords Blum-Byrnes, d’ouvrir les écrans français aux productions cinématographiques américaines après la Seconde Guerre mondiale) naît un nouveau capitalisme, un capitalisme de la séduction, qui fait la part belle au principe de plaisir au détriment de la lucidité des individus, conduisant une nouvelle aliénation culturelle (« dressage anthropologique ») le tout maquillé en une forme  soi-disant supérieure de progressisme sociétal.

Ainsi, si la critique ne retiendra sans doute pas Red Dawn comme un chef d’œuvre du cinéma (alors que d’autres films politiques ont pu faire consensus malgré leur parti pri idéologique, comme ceux d’Eisenstein par exemple), c’est un obstacle de plus qui est dressé sur le chemin de la concorde trans-pacifique mais aussi au sein de la péninsule coréenne ; en effet, si ce genre de produit de consommation culturelle de masse ne cause pas de crise politique en soi, il éloigne encore un peu plus les populations les unes des autres en entretenant leurs fantasmes.

 

Sources :

fiche du film sur Allociné

Wikipédia (article sur les dépenses militaires par pays) ;

Youtube

Michel Clouscard, Le Capitalisme de la Séduction, Editions Delga

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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 21:13

L'Association d'amitié franco-coréenne reproduit ci-dessous, avec l'autorisation de son auteur, une lettre adressée le 20 août 2012 à France Télévisions par M. Jean-Paul Batisse, professeur à l'Université de Reims. Monsieur Batisse s'élève contre le traitement réservé par la télévision publique française à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) pendant les Jeux olympiques de Londres.


Lettre FT 20082012

Madame, Monsieur,

Pendant les Jeux Olympiques un Armand ou Arnaud, spécialiste des sports de combat, s'est cru en droit d'énoncer des contre-vérités sur la situation politique en Corée du Nord. Une athlète de ce pays ayant décroché l'or, il a attiré l'attention sur son « sourire forcé » (« elle ne doit pas rire souvent, elle vient du régime le plus dur du monde »).

Ce nouveau spécialiste de l'Extrême Orient ne semble pas savoir que toutes les villes de ce pays furent rasées jusqu'au sol par les Américains qui, à ce jour, n'ont toujours pas signé de traité de paix avec la Corée, ce qui explique les difficultés auxquelles ce pays est confronté. La France est le seul pays d'Europe a ne pas l'avoir reconnue, en partie à cause de commentaires tels que ceux de Monsieur A. Par ailleurs, les sportifs coréens, qui se distinguent souvent dans les compétitions internationales, jouissent d'un très grand prestige chez eux. La Corée du Nord a même été nommée le « pays du sourire » par un journaliste de la BBC qui a fait un documentaire sur ce pays (« Holidays in the 'Axis of Evil' »).

Pourriez-vous rappeler à ce monsieur qu'il est employé pour commenter les sports et non la politique internationale ? Je vous en remercie.

 

L'Association d'amitié franco-coréenne félicite M. Jean-Paul Batisse pour son initiative. Il appartient en effet à chaque citoyen attaché au dialogue et à la paix de ne pas laisser passer de tels commentaires, surtout venant d'un journaliste sportif officiant sur une chaîne publique pendant la « trêve olympique ».

Après vérification, le journaliste qui réagit ainsi devant la médaille d'or remportée par la judokate nord-coréenne An Kum-ae est Arnaud Roméra. Monsieur Roméra est un récidiviste puisque, toujours pendant les JO de Londres, il a dit à l'antenne à propos d'un autre judoka coréen : « Il ne ressemble pas à grand-chose. » Quand l'ignorance le dispute à la bêtise... La déclaration du journaliste de France Télévisions était tellement déplacée qu'elle a été pointée par d'autres médias.

Après les pseudo-enquêtes exclusives et les docu-fictions aussi idiots que manipulateurs, l'Association d'amitié franco-coréenne déplore que les retransmissions d'événements sportifs constituent le nouveau canal par lequel certains se croient autorisés, sous couvert d'information, à déverser leur fiel sur un pays et un peuple dont ils ignorent tout ou presque.

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25 août 2012 6 25 /08 /août /2012 11:34

Après avoir été le cuisinier personnel du président nord-coréen Kim Jong-il entre 1988 et 2001, le Japonais Kenji Fujimoto (de son nom de plume) avait quitté la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et commencé à écrire des ouvrages racontant la vie privée des dirigeants nord-coréens. Sans être un spécialiste des questions politiques, Kenji Fujimoto était devenu la coqueluche des cercles néo-conservateurs et des milieux japonais et sud-coréens hostiles à la RPDC, car il pouvait apporter les détails vécus permettant de conforter leurs thèses et d'alimenter des campagnes médiatiques. Fin juillet 2012, Kenji Fujimoto est revenu à Pyongyang, sur l'invitation du Premier secrétaire Kim Jong-un. Mais les déclarations à son retour ne suscitent plus le même intérêt des officines néo-conservatrices. En effet, il a fait état des progrès économiques qu'il a constatés dans la capitale à Pyongyang, ainsi que d'un nouveau style de gouvernement : de telles déclarations ne cadrent pas avec la doxa officielle de l'establishment néo-conservateur, qui s'efforce de distiller dans l'opinion publique - contre toute évidence - la thèse de "l'effondrement" prochain de la Corée du Nord.

 

kenji_fujimoto.jpg

 

Si Kenji Fujimoto porte un bandana et des lunettes noires, c'est pour ne pas être reconnu, après avoir craint pendant des années les foudres de la RPDC après sa fuite en 2001, ayant laissé derrière lui sa femme et une fille. Aujourd'hui, c'est pour éviter les menaces de l'extrême-droite japonaise. Car depuis son retour à Pyongyang à l'issue d'une visite de deux semaines en juillet-août 2012, pour la première fois depuis onze ans, sur l'invitation du nouveau dirigeant Kim Jong-un, ses déclarations vantant les changements à Pyongyang ne sont pas du goût de tous.

 

Etreint chaleureusement à Pyongyang par le Premier secrétaire Kim Jong-un, Kenji Fujimoto s'est vu dire du dirigeant nord-coréen : "Nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps (...) Votre trahison est maintenant oubliée". Il a aussi revu sa femme et sa fille, qui vivent dans un grand appartement de la capitale - ce qui est un signe d'attention des autorités nord-coréennes, que le cuisinier japonais a tenu à remercier. Après le témoignage d'une Nord-Coréenne revenue au Nord après avoir fait défection au Sud, c'est la deuxième fois en quelques mois que s'effondre le mythe d'une répression systématique, définitive, contre les familles des personnes ayant fui la RPD de Corée. En outre, le Premier secrétaire Kim Jong-un a choisi de pardonner.

 

A son retour au Japon, Kenji Fujimoto a dépeint Kim Jong-un comme un dirigeant enjoué et à l'écoute, ce qui confirme la majorité des analyses des observateurs étrangers de la RPD de Corée. Selon le chef japonais, "le camarade général écoutait tout ce que je disais et a opiné même quand je l'ai pressé d'ouvrir la République sur le monde". Kenji Fujimoto a annoncé qu'il se rendrait à nouveau plusieurs fois par an en Corée du Nord.

 

Le cuisinier a surtout apporté un témoignage éclairant sur les améliorations, depuis 2001, de la vie quotidienne dans une capitale dont il a apprécié l'atmosphère beaucoup plus détendue : des magasins bien achalandés en produits alimentaires, des restaurants remplis de clients et une utilisation importante du téléphone portable. Il faut y voir un signe supplémentaire que la croissance en RPDC est réelle, à un rythme annuel estimé à plus de 5 % en 2011, très au-dessus des estimations systématiquement révisées à la baisse de la Banque centrale de Corée du Sud (qui ont cru déceler une croissance du PIB nord-coréen inférieure à 1 % en 2011, après plusieurs années de recul continu) - ce qui n'a rien de surprenant si l'on considère que la Banque centrale sud-coréenne est une autorité publique, dont les actions confortent la politique des conservateurs aujourd'hui au pouvoir à Séoul.

 

Sources : AAFC, The New York Times (dont photo, représentant les photos prises entre Kenji Fujimoto et le dirigeant Kim Jong-un et sa famille à Pyongyang en août-juillet 2012).

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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 16:35

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Les 20 et 21 avril 2012, l'antenne radio de BFM Business, qui compte 540.000 auditeurs quotidiens, a accueilli Benoît Quennedey, vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), dans l'émission "Good morning week-end" animée par Fabrice Lundy. Interrogé en tant qu'expert de la question coréenne après avoir conduit la délégation de l'AAFC présente en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) lors des cérémonies du centième anniversaire de la naissance du Président Kim Il-sung, déjà intervenu sur le plateau de télévision de BFM Business le 19 décembre 2011, Benoît Quennedey a débattu avec Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur de La géopolitique pour les nuls, Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l’ESG Management School et à Sciences Po Paris, et Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman. Nous revenons sur les principaux éléments de la discussion.

Présent, avec les autres membres de la délégation de l'AAFC, dans la tribune officielle lors du défilé militaire organisé, le 15 avril 2012, à l'occasion du centenaire de la naissance du Président Kim Il-sung, fondateur de la RPD de Corée en 1948, Benoît Quennedey a observé qu'un événément avait été le premier discours en public du général Kim Jong-un. Ce dernier, dont la ressemblance physique avec le Président Kim Il-sung est frappante, est apparu comme la réincarnation du fondateur de la RPD de Corée, qui a conduit avec succès la guérilla antijaponaise, a tenu tête aux Etats-Unis lors de la guerre de Corée puis a engagé la Corée du Nord sur la voie d'une croissance économique très rapide - vécue comme un âge d'or. Ce premier discours en public devait s'interpréter comme un signe de confiance en soi et de continuité politique de la direction de la RPD de Corée, tandis que l'apparition pour la première fois des missiles à longue portée Taepodong lors du défilé militaire signifiait que, pour Pyongyang, la leçon de l'invasion de l'Irak en 2003 était que seule la détention d'armes de destruction massive offre une dissuasion efficace face aux risques d'intervention militaire américaine. Interrogé sur la possibilité du lancement d'un missile intercontinental ou d'un troisième essai nucléaire  par la Corée du Nord, le vice-président de l'AAFC a observé que le discours du 15 avril, qui ne mettait pas en cause les Etats-Unis, avait réaffirmé la volonté de paix et de coopération de Pyongyang. Mais les condamnations des Etats-Unis et de leurs alliés après le lancement du satellite Kwangmyongsong-3 ont conduit à une révision de sa politique internationale par la Corée du Nord. Actuellement, des négociations entre les parties concernées étaient en cours, et différentes options restent ouvertes. La RPDC avait fait savoir qu'elle était prête à coopérer avec tous les pays étrangers respectant ses droits d'Etat souverain, mais qu'elle renforcerait ses capacités d'autodéfense en cas de politique hostile.

S'agissant de la situation économique, les membres de la délégation de l'AAFC ont pu constater une amélioration depuis leurs précédentes visites : important éclairage de la capitale la nuit témoignant d'une hausse de la production d'électricité, augmentation du nombre d'abonnement au réseau de téléphonie mobile ayant franchi la barre du million de souscripteurs, circulation automobile accrue... Même si ces témoignages se limitent à ce qui est montré aux visiteurs étrangers, et si comme l'a souligné Pascale Joannin il existe plusieurs économies en RPDC, le contraste est net par rapport à la situation du début des années 2000 : les photos satellitaires montrant une Corée du Nord souffrant d'une pénurie d'électricité la nuit correspondent à la situation des années 1990, et pas à celle de 2012, alors que la croissance économique a été évaluée à 5,2 % pour l'année 2011 par l'Institut de recherche du groupe Hyundai.

Interrogé sur les inégalités sociales et les difficultés vécues par les Nord-Coréens vivant dans les zones de rétention, Benoît Quennedey a observé que, dans tout pays, les zones d'éloignement et les lieux d'enfermement sont toujours ceux où la vie au quotidien est la plus précaire, mais qu'une amélioration générale de la situation économique et sociale se diffuse à l'ensemble du pays. A une remarque de Pascale Joannin sur la possibilité qu'avait eu l'Inde de procéder récemment à un tir de missile intercontinental, en violation des résolutions du Conseil de sécurité la concernant, il a remarqué que l'absence de condamnation par les Etats-Unis et les pays occidentaux, à la différence de la Corée du Nord, était une illustration de l'application de doubles standards dans les relations internationales. Interrogé enfin sur la cartographie du pouvoir nord-coréen, il a invité à tenir compte des liens interpersonnels sans se limiter à des critères comme la dichotomie entre les civils et les militaires, tout en soulignant l'importance de l'appartenance au groupe - comme dans les autres pays d'Asie orientale - pour mieux appréhender la réalité des centres de décision à Pyongyang. A cet égard, l'émergence d'une génération de dirigeants plus jeunes, âgés d'une soixantaine d'années, doit être relevée comme le signe d'un renouvellement en cours des élites.

 

L'ensemble de l'émission du 21 avril 2012 peut être téléchargée en cliquant sur ce lien. L'intervention de Benoît Quennedey commence à la 31ème minute.

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 10:23

couverture_courrier_international_kim_jong_un.jpgDans son numéro 1112 (du 23 au 29 février 2012), l'hebdomadaire Courrier International a consacré en une son dossier à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Sous le titre "Corée du Nord. Cet homme mettra-t-il  fin à la guerre froide ?", la couverture présente une photo du général Kim Jong-un - dont on notera d'ailleurs qu'elle a été tronquée dans la partie supérieure où figurent les autres titres et le nom du journal, ce que les Nord-Coréens ne manqueraient pas de considérer comme un signe d'irrespect en observant que, par exemple, les images du Président Nicolas Sarkozy ou du candidat François Hollande ne sont pas traitées de la même manière... Au-delà de cet aspect de maquette (toutefois chargé de symbolique), le dossier de Courrier International offre une analyse tout à fait intéressante, reprise et commentée ci-après.

 

Sur six pages (pp. 14 à 19), dans son dernier numéro hebdomadaire du mois de février 2012, Courrier international cherche à décrypter la situation actuelle et les perspectives nouvelles de la RPD de Corée, aujourd'hui dirigée par le général Kim Jong-un, après la disparition du Président Kim Jong-il le 17 décembre 2011.

 

La contribution la plus originale porte sur la perception allemande des perspectives de réunification de la Corée, dans un article d'une page (p. 16) de Jochen-Martin Gutsch intitulé "Petits conseils allemands pour se retrouver". S'il est regrettable que le point de vue retenu soit exclusivement celui de la Corée du Sud - mais il est vrai que les sources utilisées et disponibles ne provenaient que des invitations d'anciens hauts responsables allemands, de l'Est et de l'Ouest de l'Allemagne, par le ministère sud-coréen de la Réunification - il est particulièrement intéressant de relever les réactions de Rainer Eppelmann, dernier ministre de la Défense de la République démocratique allemande (RDA). Tout d'abord, Rainer Eppelmann est choqué qu'un des soucis majeurs des Sud-Coréens soit d'empêcher la libre-circulation des Nord-Coréens au Sud de la péninsule après la réunification, en créant une forteresse au Sud et en dressant des contrôles à une frontière (sic), la DMZ, laquelle n'en est pas une du point de vue des Coréens : "Une chose est sûre, les Sud-Coréens cherchent un moyen de faire rester les Nord-Coréens au nord après la réunification. Ils parlent de contrôles à la frontière. Bon sang ! Ils veulent sérieusement fermer la frontière une fois que le mur sera tombé !". Comme le commente ensuite Jochen-Martin Gutsch, "pour Eppelmann, c'est presque une insulte personnelle. Ancien Allemand de l'Est, il se sent quelque affinité avec les Nord-Coréens". On ne saurait mieux dire : la perception sud-coréenne de la réunification et des Nord-Coréens est lourdement chargée de la certitude, explicite ou implicite, que la Corée du Nord s'effondrera tôt ou tard (pourtant, Hong-Kong et la Chine, le Yémen et le Vietnam ne montrent-ils pas que le cas de la réunification allemande, par absorption d'un des deux Etats, est l'exception plus que la règle ?), et aussi d'une certaine forme de condescendance envers les citoyens de la RPD de Corée. De tels a priori sont, pour l'AAFC, le plus lourd handicap des Sud-Coréens dans leur approche de la réunification.

 

200px-Lothar_de_Maiziere_02.jpgToujours dans cet article, Lothar de Maizière, dernier Premier ministre de la RDA, souligne à cet égard que les Sud-Coréens commettent des erreurs en ne cherchant pas à connaître les attentes des Nord-Coréens, et en mettant en avant leurs plus grandes disponibilités financières dans un esprit qui procède d'une démarche néo-coloniale : "La commission est censée se réunir au cours des cinq prochaines années, alors j'ai posé la question à nos interlocuteurs coréens : est-ce que vous voulez vraiment la réunification ? Est-ce que vous savez ce que veulent les Nord-Coréens ? Ils n'en savent rien. Ils disent que c'est aux Sud-Coréens de régler le problème de la réunification, que c'est eux qui ont l'argent. C'était pareil pour nous. C'était aussi ça le problème. Cela peut créer un fort sentiment de colonisation (...) Chaque rupture historique crée sa génération perdue". Jochen-Martin Gutsch conclut en citant le vice-ministre de la Réunification Kim Chung-sik : "Notre plan prévoit d'abord la paix, ensuite la coopération, puis une confédération et enfin l'unité". L'AAFC observe que ce modèle n'est pas très éloigné de la conception fonctionnaliste de la réunification développée par les anciens présidents sud-coréens Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, mais que les mesures concrètes adoptées par l'actuel Président Lee Myung-bak depuis 2008 ne vont pas en ce sens.

 

Sur les données chiffrées, on notera que la croissance économique annuelle de la RPD de Corée est estimée à 4 % en 2009 (contre 3,9 % pour la Corée du Sud en 2011), confortant d'autres analyses sur le caractère ni fiable, ni cérdible des estimations officielles sud-coréennes sur l'évolution économique nord-coréenne depuis qu'une majorité conservatrice - hostile à l'engagement vis-à-vis du Nord - est au pouvoir à Séoul.

 

Les autres articles, généralement écrits par des Sud-Coréens, ont le mérite d'être mieux documentés que beaucoup d'analyses en français, sans toutefois échapper à une dépendance du point de vue et des médias sud-coréens - par exemple, sur le naufrage du Cheonan, dont de nombreux spécialistes étrangers et sud-coréens ont montré qu'il résultait d'un accident et non d'une attaque du Nord comme a tenté de l'accréditer le gouvernement conservateur du Président Lee Myung-bak, les recherches et les opinions non conformes à la ligne officielle étant censurées en application de la loi de sécurité nationale.

 

Dans "L'implosion du Nord n'est pas à l'ordre du jour", Chong Chang-hyon montre la stabilité et la continuité du pouvoir en RPD de Corée, ainsi que les progrès économiques aujourd'hui enregistrés, notamment dans les domaines de l'électricité et de la production de céréales (4,66 millions de tonnes en 2010 selon les estimations de la FAO et du Programme alimentaire mondial en 2010, soit un déficit par rapport aux besoins du pays ramené à 740.000 tonnes, en partie compensé par des importations de la Chine à hauteur de 320.000 tonnes). Comme l'observe également Chong Chang-hyon, "si l'ambitieux projet de construction de 100 000 logements dans les environs de Pyongyang n'a pas été réalisé, des gratte-ciel vont voir le jour en avril prochain à Mansudae, au centre de la capitale, et le nom de Kim Jong-un sera associé à cet exploit". Pour l'auteur, "il est urgent que le gouvernement du Sud renonce à l'idée de mettre à genoux le Nord via l'embargo et les pressions. Il doit au contraire développer les échanges et la coopération afin d'amener progressivement le Nord à s'ouvrir".

 

Mais une telle évolution est suspendue au résultat des prochaines élections en 2012 en Corée du Sud (législatives le 11 avril, présidentielle le 19 décembre), alors qu'un encadré de Courrier International titre "La droite sud-coréenne toujours intraitable" sur les relations intercoréennes, rejoignant notre analyse selon laquelle la RPD de Corée attend l'issue de ces scrutins pour la relance, ou non, des échanges intercoréens. Cependant, comme le détaille un autre article de Pak Song-il "Là où s'usine le dialogue" (p. 15), la zone industrielle conjointe de Kaesong a continué à se développer sous le mandat de Lee Myung-bak, employant aujourd'hui 50.000 ouvriers nord-coréens employés dans 123 sociétés sud-coréennes, mais à un rythme moins rapide que prévu, là encore du fait des politiques menées par le pouvoir conservateur à Séoul. Cité par Pak Song-il, Chong Ki-sop, vice-président (sud-coréen) du Conseil des entrepreneurs de la zone de Kaesong, a déclaré : "Nous sommes venus parce que le gouvernement nous avait promis des aides. Aucune de ces promesses n'a été respectée par l'actuel gouvernement !".

 

Dans "Une réunification hors de prix" (p. 17), Pak Pyong-rul n'échappe pas aux poncifs sur l'écart de développement économique entre le Nord et le Sud de la Corée. Les données ne sont pas fausses, mais leur présentation est biaisée, en faisant l'impasse sur la croissance économique rapide du Nord ainsi que sur son très riche potentiel minier, dont est largement dépourvu le Sud, et qui est un gage de développement futur, pour peu que soient rénovées les infrastructures permettant leur exploitation dans les meilleures conditions. Sur la même page, l'encadré "La femmes d'affaires, la veuve et le gourou" présente le rôle, dans la promotion des échanges intercoréens, de Hyun Jeong-eun, présidente du groupe Hyundai (premier investisseur sud-coréen au Nord), de Lee Hee-ho, veuve de l'ancien président Kim Dae-jung, et de Moon Hyung-jin, président de l'Eglise (Moon) de la réunification, dont il est notamment rappelé qu'elle possède le Washington Times, par ailleurs proche des républicains américains, et de fait souvent très bien informé sur la Corée du Nord, sur laquelle le quotidien a souvent donné des informations en exclusivité.

 

Le dossier de Courrier international rappelle aussi le rôle économique et politique de la Chine, d'abord attachée à la stabilité de la péninsule coréenne, dans la reproduction des extraits d'un article du quotidien Huanqiu Shibao, qui présente notamment l'intérêt de donner le point de vue officiel chinois : "La Chine se doit de protéger de façon claire et déterminée l'indépendance et l'autonomie de la Corée du Nord, en garantissant la non-ingérence de forces extérieures dans le processus de transition du pouvoir. Le nouveau dirigeant nord-coréen étant assez jeune, certains Etats nourrissent l'espoir de voir la Corée du Nord changer profondément et ils pourraient engager différentes actions pour engager une telle évolution. La Chine doit résolument chercher à contrebalancer les pressions exercées de l'extérieur (...). La Chine doit (...) oser assumer ses amitiés et ne peut se dérober dans les moments critiques. C'est ainsi que la Chine aura de plus en plus d'amis. Dans le cas contraire, son nombre d'alliés diminuerait". De fait, les relations traditionnelles d'amitié entre la RPD de Corée et la Chine se sont renforcées dans la période récente. On regretta toutefois que le graphique figurant sur la même page de Courrier international, en se contentant de reprendre les données déjà anciennes du service de recherche du Congrès américain (par ailleurs très documentées) sur les échanges bilatéraux entre la Chine et la RPD de Corée, datent déjà de plus de deux ans. En 2011, selon les douanes chinoises, le commerce entre les deux pays a atteint 5,63 milliards de dollars (contre 2,68 milliards de dollars en 2009 selon les chiffres figurant dans l'hebdomadaire). La même remarque peut être faite sur l'encadré économique de la page 16, qui donne également l'estimation la plus basse du PIB par habitant nord-coréen (1.800 dollars en parité de pouvoir d'achat, contre une estimation de plus du double par Global Insight, cette dernière étant plus conforme aux autres données disponibles, comme la consommation d'énergie).

 

Un dernier article est plus anecdotique, mais emblématique des rapports interhumains entre Nord et Sud-Coréens, qui partagent une même culture et une même histoire : Thomas Fuller du New York Times montre comment "Nord et Sud fraternisent... à Angkor !", dans l'un des restaurants nord-coréens établis en dehors de la péninsule coréenne. Un autre restaurant nord-coréen , le Pyongyang Begonia, vient d'ailleurs d'ouvrir récemment ses portes, en Europe cette fois, en ce début d'année 2012, à Amsterdam aux Pays-Bas (cf. photos ci-dessous, extraite du blog Beijing Shots).

 

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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 15:51

"Docteur en études nord-coréennes" de l'Université allemande de Tubingen, l'Américain Brian Reynolds Myers dirige le département d'études internationales de l'Université Dongseo, en Corée du Sud.  En 2010, il a été l'auteur d'un ouvrage, traduit en français et publié par les éditions Saint-Simon sous le titre La race des purs. Comment les Nord-Coréens se voient, qui cherche à s'imposer comme une lecture raciste ou racialiste de l'idéologie nord-coréenne. Si l'hypothèse est moins audacieuse qu'elle n'y paraît à première vue (B.R. Myers ne réinvente-t-il pas la vieille lune de l'amalgame communisme-nazisme, théorisé sous le vocable de totalitarisme ?), elle apparaît surtout très mal étayée, faute d'une étude approfondie des textes fondamentaux nord-coréens et, plus encore, elle se fonde entièrement sur un parti pris que l'auteur a cherché à étayer coûte que coûte, plutôt que d'étudier différentes hypothèses qui auraient pris en compte les spécificités historiques et culturelles de la Corée, nation qui n'est pas née avec l'avènement de la République populaire démocratique de Corée en 1948. Au final, la démarche de B.R. Myers relève plus de la propagande que de l'analyse sérieuse du chercheur, et elle souffre durement de la comparaison avec les travaux de recherche d'auteurs américains comme Bruce Cumings et Charles K. Armstrong. qui, eux, ont étudié des masses considérables de documents nord-coréens suivant une méthode universitaire.
 

couverture_br_myers_la_race_des_purs.jpgEn englobant l'ensemble des sources nord-coréennes auxquelles il a eu accès sous le vocable du "Texte", comme s'il existait une bible de l'idéologie de la RPD de Corée (cf. préface p. 17), B.R. Myers avoue d'emblée qu'il n'a pas conduit un travail de chercheur qui s'efforcerait de mener une analyse critique des nombreux documents qu'il dit avoir compulsés, mais qu'il ne cite que de manière très lacunaire. S'érigeant en exégète des écrits théoriques de la RPD de Corée (avec cette question à laquelle il évite de répondre : à quel titre ?), docteur d'une université peu connue internationalement pour ses études nord-coréennes, B.R. Myers a écrit un court ouvrage en petit format de 184 pages, dépouvu de toute bibliographie ou d'analyse des sources, qui quitte le champ strict des recherches universitaires pour entrer dans celui du pamphlet, lequel constitue un genre littéraire en soi qui mérite de retenir notre attention.

 

La race des purs développe une seule et unique idée, obsessionnelle dans la démarche de B.R. Myers, qui croit avoir reçu la révélation ayant échappé avant lui à tous les chercheurs sur la Corée du Nord : "Ce livre entend expliquer l'idéologie dominante de la Corée du Nord ou sa conception du monde - j'utilise indifféremment l'une ou l'autre expression - et de démontrer à quel point elle est étrangère au communisme, au confucianisme, et à la doctrine-vitrine qu'est le juche. Bien plus complexe que tout ceci, on peut la résumer ainsi : de sang trop pur, le peuple coréen est par conséquent trop vertueux pour survivre dans un monde malfaisant sans un Grand Guide familial. S'il fallait situer cette conception raciale du monde sur une échelle gauche droite, elle trouverait plus logiquement sa place à l'extrême droite qu'à l''extrême gauche du spectre. La ressemblance avec le fascisme japonais est en effet frappante" (préface, p. 13). 

 

D'emblée, de manière intellectuellement étroite, B.R. Myers exclut ainsi toute hypothèse selon laquelle les écrits théoriques de la Corée du Nord ne correspondraient pas nécessairement à la politique de la RPD de Corée, ou encore que les Nord-Coréens pourraient avoir une conception du monde qui ne recoupe pas point par point les textes officiels. Certes, contrairement à l'auteur de cet article, B.R. Myers n'a jamais fréquenté de près ou de loin d'autres Nord-Coréens que les transfuges passés au Sud, dont une partie sont devenus le fer de lance des mouvements anti-RPDC en Corée du Sud, étant instrumentalisés comme tels par l'extrême-droite sud-coréenne. Mais pourquoi avoir par principe ignoré un roman comme Des amis, où il n'aurait pas trouvé un seul exemple à l'appui de sa théorie racialiste de la Corée du Nord ? Un des vices fondamentaux du pamphlet de  B.R. Myers est d'avoir ainsi sélectionné les sources en fonction de la conclusion qu'il a voulu démontrer : la filiation entre le Japon militariste et racialiste et la RPD de Corée depuis 1948 (figée d'ailleurs dans une époque indéterminée).

 

La sélection partisane des sources aurait pu être comblée par la confrontation de plusieurs hypothèses. Là encore, B.R. Myers se garde bien de toute démarche de recherche critique. Un des principes cardinaux du confucianisme n'est-il pas le respect de l'autorité - de l'Etat, des pères et des maris - qui prédisposerait en soi à un modèle social patriarcal, tel qu'il le dénonce comme apparenté au militarisme japonais ? Ces principes très ancrés dans la culture coréenne n'ont-ils pas conduit à une imitation, revendiquée cette fois, du Japon de l'entre-deux-guerres par certains éléments de la junte militaire qui a exercé le pouvoir à Séoul pendant un quart de siècle, mais en Corée du Sud cette fois ? De tout cela, B.R. Myers ne souffle mot ; il suffit que le lecteur, qui n'a souvent qu'une connaissance superficielle de la Corée du Nord, croie B.R. Myers quand il affirme, péremptoirement, que la Corée du Nord ne peut être comprise sous le double angle du confucianisme ou de la coréanité, en évacuant d'emblée toute histoire de la Corée avant l'occupation et la colonisation japonaise, dont on ne sait plus très bien quand elle commence (1905 ? 1910 ?) à lire les premières pages de l'ouvrage.

 

Et là commence une entreprise systématique de révisionnisme historique, au sens propre du terme : réviser l'histoire coréenne telle qu'elle est admise non seulement par les chercheurs nord-coréens, mais aussi par les universitaires sud-coréens et des auteurs précités comme Bruce Cumings que B.R. Myers accuse de collusion intellectuelle avec la gauche sud-coréenne, sans s'interroger lui-même sur ses troublantes convergences avec les militants anti-RPDC par ses références à des sources comme DailyNK, site riche en témoignages souvent spectaculaires, mais généralement invérifiables.

 

Tout d'abord, B.R. Myers dresse le portrait mythique d'une Corée qui aurait collaboré avec ardeur avec le Japon. Cette image d'Epinal n'est pas propre à la Corée : on la retrouve dans le portrait d'une certaine France sous Vichy, à en croire des historiens révisionnistes... Dans l'histoire  coréenne ainsi revue par B.R. Myers, le lecteur ne sait donc pas que les bases révolutionnaires établies par les guérillas coréennes en Mandchourie préfiguraient la mise en oeuvre des réformes qualifiées de démocratiques, conduites en 1946 au Nord de la péninsule, ainsi que l'a démontré dans un  travail exhaustif Charles K. Armstrong. Pour le besoin de sa thèse, B.R. Myers a en effet eu besoin de gommer la légitimité historique de la RPD de Corée fondée sur la résistance du Président Kim Il-sung à l'occupation japonaise. C'est pourtant l'acquis essentiel des travaux de Charles K. Armstrong : comme la Chine ou le Vietnam, la RPD de Corée est issue de la résistance à une occupation étrangère.

 

De manière plus pernicieuse, à défaut de remettre en cause le passé de résistant de Kim Il-sung (comme l'a fait, pendant des décennies, l'appareil de renseignement du régime militaire sud-coréen), B.R. Myers invente l'idée que les responsables de la culture et de la propagande en Corée du Nord auraient tous été d'anciens collaborateurs. Pourquoi cacher le rôle fondamental des écrivains et des cinéastes, authentiques résistants, notamment ceux de la Korea Artista Proleta Federacio (KAPF), dans la mise en place des nouvelles institutions culturelles de la RPD de Corée ? Il est vrai que le nom même de la KAPF est espérantiste, renvoyant à l'espérance d'un dépassement des égoïsmes nationaux, et qu'une telle référence ferait singulièrement tache dans l'assertion péremptoire de B.R. Myers que la Corée du Nord est un dérivé du militarisme fasciste japonais... Doit-on y voir une ignorance de B.R. Myers, ou une omission volontaire ?

 

Le tour de passe-passe suivant consiste à identifier un discours sur les vertus, qu'on retrouve dans tout système de valeurs (qu'il soit religieux ou confucéen), à des valeurs racistes. Mais pourquoi la Corée du Nord, comme du reste la Corée du Sud, ethniquement homogènes à la Libération en 1945, devraient-elles être nécessairement vues comme enclines à un racisme d'exclusion ? La RPD de Corée a au contraire été un des premiers Etats décolonisés à soutenir les mouvements de Libération du Tiers Monde, du FLN algérien aux combattants contre l'apartheid en Afrique du Sud, en Namibie et en Rhodésie, sans oublier la résistance palestinienne. Des étudiants africains ou nord-vietnamiens ont été accueillis très tôt dans les universités nord-coréennes dès la fin des années 1950. Pourtant, seuls des incidents racistes ont la primeure de notre auteur (p. 43). N'en déplaise à B.R. Myers, il y a un authentique internationalisme prolétarien dans la politique et la diplomatie de la RPD de Corée qui a condamné fermement les politiques basées sur la racisme, et la fierté des Coréens de leur culture nationale est celle qu'on retrouve parmi de nombreux peuples du Tiers Monde ayant accédé à l'indépendance, avec cette différence avec une partie des nouveaux Etats que l'Etat coréen a une existence historique avérée plurimillénaire.

 

Le "culte de la personnalité" est évidemment mobilisé pour les besoins de la thèse fasciste de B.R. Myers (p. 35 sq). Là encore, nouveau mensonge par ignorance ou omission : le culte des fondateurs (de l'Etat, de la famille ou des chaebols sud-coréens) renvoie à un trait asiatique étranger aux conceptions occidentales du pouvoir, mais profondément ancré dans une culture coréenne et confucianiste que B.R. Myers refuse d'envisager.

 

La révision de l'histoire continue avec la guerre de Corée (1950-1953, p. 40 sq). B.R. Myers croit déceler une profonde hostilité vis-à-vis des Chinois dès cette époque, que contredit pourtant le fait que les Chinois sont aujourd'hui les seuls étrangers à pouvoir entrer et sortir comme ils le veulent de Corée du Nord, en reconnaissance du rôle joué il y a 60 ans, ou encore la célébration à Pyongyang du rôle joué par les volontaires chinois lors du conflit. De même, la lourde insistance sur les atrocités xénophobes commises par les Nord-Coréens est la remise en cause, sommaire, avec quelques maigres références, d'un travail bien plus approfondi conduit par Bruce Cumings sur la guerre de Corée, à partir d'archives d'époque et non plus des sources de seconde main éparses utilisées par B.R. Myers. Bruce Cumings est catégorique : si des atrocités ont été commises dans les deux camps, les troupes onusiennes sous commandement américain ont un plus lourd passif... De même, B.R. Myers semble n'avoir jamais lu la propagande lourdement raciste anti-asiatique des Américains entre 1950 et 1953, ni même entendu les faits de guerre des soldats occidentaux qui ont participé à cette guerre. Les référence racistes, dans leur désignation même de tous les Coréens (y compris du Sud) sous le terme péjoratif de guk, sont pourtant légion. Qui étaient donc les racistes ?

 

L'histoire de la RPD de Corée que nous livre B.R. Myers sur plusieurs dizaines de pages est trop souvent un catalogue d'anecdotes tirées de divers services de renseignement ou d'auteurs anticommunistes. Pour fonder son analyse d'un Etat raciste, l'auteur a alors curieusement oublié le plus souvent les sources nord-coréennes qu'il prétend être sa base première. L'impression donnée est celle de la plaidoirie à charge d'un avocat, qui mêle faits avérés et récits invérifiables, dans une lecture revisitée de l'histoire nord-coréenne qui n'a pas d'équivalent à notre connaissance. Comme l'a résumé Dwight Gamer dans son commentaire de l'ouvrage pour The New York Times : "provocateur". A la manière d'un pamphlet, qui révèle clairement les positions néoconservatrices de son auteur lorsqu'il critique la politique du rayon de soleil des présidents démocrates Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun comme un simple anti-américanisme (p. 63), et dont il ne cherche même pas à comprendre les causes ni le bien-fondé, ou lorsqu'il moque le sommet intercoréen de 2007 (p. 68) selon une lecture revisée de l'histoire qui n'a rien à envier à celle de l'extrême-droite sud-coréenne, mais dont on ne trouvera nulle trace dans les textes nord-coréens.

 

La deuxième partie du livre, qui se veut basée sur les textes nord-coréens, n'est ni plus objective, ni plus exacte. Dans un salimgondis de citations dûment choisies pour les besoins de sa démonstration, l'auteur continue de multiplier les idées reçues en exhibant des textes qui peuvent semblent d'autant plus pertinents à l'expert et au néophyte qu'il s'agit de références rarement utilisées sur la Corée du Nord. Ainsi, selon B.R. Myers, "la pensée du juche (...) a été d'abord conçue à l'intention d'un public étranger" (p. 94). Si tel était vraiment le cas, comment expliquer que les instituts et groupements  d'idées du Juche n'aient pratiquement plus reçu d'aides financières pour leurs activités depuis la dure marche des années 1990 ? Au contraire, tout indique que la propagande nord-coréenne - pour reprendre le cadre d'analyse de B.R. Myers - poursuit d'abord des objectifs internes ; si les activités des groupements et idées du Juche sont souvent cités par les médias nord-coréens, c'est bien d'abord dans un objectif interne de communivation vis-à-vis des Nord-Coréens, plus que dans une volonté de diffusion internationale. Une affirmation aussi lourdement erronée de B.R. Myers témoigne d'une bien piètre connaissance de l'idéologie nord-coréenne dont il se veut pourtant l'exégète. 

 

Autre contre-sens, dans le domaine culturel, "on voit très rarement les amants se toucher (...) Là ou le célibat du héros soviétique et chinois exalte sa totale maîtrise de lui-même, celui du héros nord-coréen exprime l'abstinence joyeuse de la race infantile" (p. 96). Un sociologue serait intéressé d'apprendre que l'état d'enfance a un caractère "racial". Les spécialistes de la littérature nord-coréenne seront eux, surpris, d'apprendre que les scènes explicites qu'ils ont lues dans les romans nord-coréens n'étaient qu'une illusion de leurs sens... Quant à Claude Lanzmann, qui a raconté des scènes peu chastes de son séjour en Corée du Nord dans Le lièvre de Patagonie, il a certainement visité un autre pays que celui décrit par B.R. Myers.

 

Autre affirmation péremptoire : "ces dernières années cependant, on a parfois montré des Japonaises aimables envers les Coréens ou admiratives du Cher Guide" (p. 138). Faux : dès les années 1950, la RPD de Corée a multiplié les témoignages d'étrangers, y compris japonais, favorables à la Corée du Nord. Et après 1959 le rapatriement de dizaines de milliers de Nord-Coréens du Japon s'est accompagné de la venue en RPD de Corée de milliers de leurs conjointes japonaises...

 

D'autres auteurs, comme l'universitaire Jean-Guillaume Lanuque, ont montré que la grille de lecture psychanalytique utilisée était forcée, indépendamment de l'exactitude ou non des faits à la base de la démonstration.

 

En conclusion, reconnaissons que B.R. Myers est un remarquable polémiste : en sélectionnant ses exemples, en jouant du bon usage de courtes citations sorties de leur contexte, il a réussi à créer une Corée du Nord imaginaire, à mille lieux d'un pays qu'il n'a jamais visité, et qu'il a façonnée à sa manière. Toute son habilité est d'avoir réussi à se hisser au rang de spécialiste auprès de médias plus crédules que soucieux d'un travail d'investigation qui reste à conduire, suivant l'objectivité scientifique des critères d'une recherche universitaire. Et plutôt que de sous-titrer son pamphlet "comment je vois les Nord-Coréens", il a imposé ce tour de force de faire croire qu'il avait montré "comment les Nord-Coréens se voient".

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28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 09:12

TV cerveauIl manque un ingrédient aux mauvais mélos pour faire pleurer à chaudes larmes dans les chaumières : quitter le champ de la fiction pour entrer dans celui du documentaire ou prétendu tel. C’est le pari de Gilles de Maistre, qui a partiellement tourné son film Voir le pays du matin calme en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Le résultat est proprement ahurissant. A l'instar de ces lourds  films de propagande en temps de guerre, le réalisateur ne cesse de mêler vraies images de la RPDC (monuments, spectacles, paysages...) et séquences réalisées par la suite en Corée du Sud, entre deux batifolages d'acteurs à la base d'un mélo insipide qui, s'il ne prenait pas place en Corée du Nord, n'aurait sans doute pas eu les honneurs du prime time sur une chaîne « culturelle » qu'on a connue mieux inspirée autrefois.

Le vendredi 23 septembre 2011 à 20h30 (rediffusion le samedi 1er octobre 2011 à 14h30), la chaîne de télévision franco-allemande Arte a diffusé un film réalisé par Gilles de Maistre, Voir le pays du matin calme, partiellement tourné en Corée du Nord avec des comédiens se faisant passer pour un groupe de touristes. Partiellement, car ce qui se veut un objet à mi-chemin de la fiction et du documentaire ne cesse de mêler vraies images de la Corée du Nord et séquences tournées en Corée du Sud mais censées se dérouler en RPDC, vrais Coréens du Nord et faux propos qui leur sont prêtés grâce à un astucieux doublage, le clou du film étant, in fine, des faux témoignages de faux réfugiés. A moins qu'il ne s'agisse « que » de vrais témoignages de faux réfugiés ou bien de faux témoignages de vrais réfugiés. Allez savoir avec Gilles de Maistre ! Ce film nous fait remonter le temps, en nous replongeant en plein maccarthysme qui, pendant la guerre de Corée (1950-1953), affectionnait ce type de procédés.
 
Qui n'a pas voyagé en Corée du Nord ou ne connaît pas un minimum ce pays pourrait croire à la véracité de ce qui lui est conté, des images et des récits véhiculés pendant 1h30. Tout juste apprend-on, pour qui prendra la peine de lire le générique de fin, que tous les Nord-Coréens avec lesquels les personnages de ce « docu-fiction » ont une conversation sont en réalité des acteurs Sud-Coréens et que ces scènes ont été tournées en Corée du Sud : nuit chez l'habitant, rencontre avec une famille prête à quitter le pays... aucune de ces scènes n'est vraie. Les auteurs du film ont poussé le vice jusqu'à doubler en français (accent coréen compris) les Nord-Coréens francophones rencontrés, à commencer par le guide du groupe de vrais-faux touristes français. Dans le film, ces Coréens tiennent donc des propos qu'ils n'ont souvent pas tenus, en premier lieu parce que c'est faux : non, la Corée du Nord ne prétend pas réunifier la Corée dans dix ans dans un régime de démocratie populaire ; non, le service militaire ne dure pas 20 à 30 ans...

Nul doute que, en France, une telle manipulation de l’image et du son à des fins de dénigrement vaudrait au manipulateur quelques ennuis avec la justice. Mais nous sommes en Corée du Nord. Gilles de Maistre ne risque rien et il le sait. Quant à ce qu'ont vraiment dit les Nord-Coréens on ne le saura sans doute jamais et, de toutes les façons, ça n’intéresse pas M. de Maistre. Quand une de ses actrices compare les Nord-Coréens à des lémuriens, tout est dit : pour Gilles de Maistre, les Nord-Coréens ne sont pas des êtres humains. Ce film nous en apprend donc moins sur la Corée du Nord que sur les intentions et les méthodes de son auteur.
 
Pour ceux qui auraient été abusés par le film diffusé par Arte mais veulent quand même comprendre la Corée, précisons qu'il n'y a pas eu d'enfants nord-coréens adoptés par des Occidentaux, puisque tel est un des propos du film. En revanche, des dizaines de milliers d'enfants sud-coréens ont bien été adoptés par des Américains ou des Européens, et continuent à l'être aujourd'hui. Et contrairement à ce qu'affirme le commentaire en voix off censé aider le mal-comprenant à saisir toute l'horreur de la RPDC, il n'y a pas de restriction aux visas pour le touriste occidental lambda, et donc, a fortiori, pas de touristes « triés sur le volet ».
 
Si Voir le pays du matin calme n’est pas une œuvre impérissable pour ses qualités artistiques et documentaires, ce film a quand même gagné sa place dans l'histoire de la propagande la plus grossière, quelque part entre Tintin au pays des soviets et les faux charniers de Timisoara.

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