Le 25 avril 2013, à l'invitation de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), le professeur Kim Kyong-sik, de l’Université Kim Il-sung de Pyongyang, animait à Paris une conférence-débat sur la géopolitique de la Corée, les relations franco-coréennes et la présentation de la Corée dans les médias. Pour l'occasion, le professeur Kim était entouré de Patrick Maurus, professeur de coréen à l'INALCO et de Pierre-Olivier François, réalisateur, de retour de Pyongyang où il a réalisé une série documentaire pour la chaîne de télévision ARTE. La présence en France d'un professeur d'université nord-coréen est un événement rare. La conférence du 25 avril était donc exceptionnelle à plus d'un titre puisqu'un public français (composé en grande majorité d'étudiants de l'INALCO, mais aussi d'universitaires et de membres de l'Association d'amitié franco-coréenne) a pu entendre, directement, les explications d'un universitaire nord-coréen sur la situation tendue qui prévaut en Corée. La qualité des intervenants, leurs propos souvent passionnés, ont contribué à remettre les faits en perspective et à rétablir certaines vérités, loin du « prêt-à-penser » servi par la plupart des médias, singulièrement en France, dès qu'il s'agit de la Corée du Nord.
Enseignant au département de français de l'Université Kim Il-sung de Pyongyang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), le professeur Kim Kyong-sik est un parfait francophone et francophile. L'exposé qu'il a donné le 25 avril 2013 à l'INALCO a permis de mesurer la somme d'énergie, de volonté et de passion pour la culture et la langue françaises qui animent depuis 25 ans le professeur Kim, alors que la France n'a ouvert qu'en octobre 2011 un bureau de coopération culturelle à Pyongyang et n'envisage toujours pas l'établissement de relations diplomatiques complètes avec la RPDC.
La première partie de la conférence fut consacrée à la situation géopolitique dans laquelle évolue la Corée. D'emblée, le professeur Kim Kyong-sik a prévenu l'assistance qu'il ne s'attacherait qu'à donner des informations « objectives ». La péninsule coréenne, a-t-il rappelé, est entourée de grands et puissants voisins : la Chine, la Russie et le Japon. Son emplacement stratégique à l'extrémité orientale du continent eurasiatique, dont elle constitue la porte d'entrée, le « marchepied », face à l'océan Pacifique, ont fini de faire de la Corée un centre d'intérêt pour les grandes puissances.
En 1905, l'accord signé par William Howard Taft, secrétaire à la Défense des Etats-Unis, et Katsura Taro, Premier ministre de l'Empire du Japon, a scellé le destin de la Corée : les Etats-Unis autorisaient le Japon à exercer sa domination sur la Corée en échange d'une domination américaine sur les Philippines. Cet événement a provoqué une vague d'émigration coréenne vers la Mandchourie, la Russie, l'Asie centrale et le Japon, désormais puissance coloniale.
Après l'injustice de la domination coloniale sur la Corée, le professeur Kim a rappelé la deuxième injustice que fut la division de la Corée en 1945, alors qu'elle venait de se libérer de l'occupation japonaise. A la différence de l'Allemagne, la Corée n'était pourtant ni un pays déclencheur de la Seconde Guerre mondiale ni un pays vaincu. Pourquoi la Corée a-t-elle subi une telle injustice ? Parce que la Corée était trop faible pour résister aux grandes puissances, qu'il s'agisse des Etats-Unis qui proposèrent de diviser la Corée, ou de l'Union soviétique qui n'opposa pas son veto à cette décision.
C'est le souvenir des malheurs subis par la Corée alors qu'elle était un pays faible qui, selon le professeur Kim Kyong-sik, a incité la RPDC à se doter d'une force de dissuasion nucléaire. L'histoire qui a suivi la division de la Corée en 1945 n'a fait que conforter la RPDC dans ce choix. Le professeur Kim a ainsi rappelé les menaces d'utilisation de l'arme nucléaire par les Etats-Unis au cours de la guerre de Corée (1950-1953), lesquelles ont provoqué une nouvelle vague de migration coréenne, du nord de la péninsule vers le sud. Après la guerre, les Etats-Unis ont conservé des armes nucléaires en Corée du Sud. Plus tard encore, le président américain George W. Bush a menacé la Corée du Nord d'attaques « préventives ». Et que penser des pays attaqués par les Etats-Unis (Serbie, Irak...) après avoir été désarmés ? En outre les chiffres donnés par le professeur Kim parlent d'eux-mêmes : jusqu'en 2009, il y a eu 2 054 essais nucléaires dans le monde, dont 1 032 effectués par les Etats-Unis. Quant aux lancements de satellites, pour lesquels la RPDC est sanctionnée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, il y aurait actuellement 1 120 satellites américains en orbite autour de la Terre, dont 75 % sont des satellites à usage militaire. La fin du bloc socialiste, et la perte de ses alliés qui en a résulté, a fini de convaincre la RPDC qu'elle devait désormais compter sur ses propres forces. Bon connaisseur de l'histoire de France, le professeur Kim Kyong-sik a rappelé que, pour avoir subi seulement quatre ans d'occupation (et non quarante, comme en Corée), la France, qui ne voulait plus connaître l'effondrement de 1940, se dota dans les années 1960 de l'arme nucléaire et des capacités balistiques associées.
En conclusion de son intervention, le professeur Kim a affirmé que, ayant désormais les moyens de se défendre, la RPDC allait pouvoir se concentrer sur l'économie. « Vous allez voir dans les dix ans à venir ! »
Pour sa part, le professeur Patrick Maurus a souligné que la Corée n'a jamais été un pays agresseur mais s'est heurtée aux ambitions des grandes puissances. En conséquence, les Corée du Nord et du Sud ont hérité d'une histoire qui n'est pas la leur, et la confrontation Nord-Sud à laquelle nous assistons « ne se fait pas en fonction d'arguments forgés la semaine d'avant » chez l'un ou l'autre.
Pierre-Olivier François (réalisateur, en 2003, du documentaire « La frontière et la guerre »), a, lui, regretté que la question de la division de la Corée soit masquée par le « brouhaha » que suscitent les manœuvres américano-sud-coréennes ou la question du programme nucléaire nord-coréen. Revenant de Pyongyang où il a eu des entretiens avec plusieurs hauts responsables nord-coréens, Pierre-Olivier François a déclaré penser qu'il y a, en RPDC, « la volonté de passer à autre chose, notamment le développement économique », mais que cela est difficile dans le contexte actuel.
La deuxième partie de la conférence avait pour sujet les relations franco-nord-coréennes. Reprenant la parole, et sur un ton mi-sérieux mi-humoristique, Kim Kyong-sik a demandé « aux Français épris de paix et de justice de ne plus écouter les Américains, ou alors de l'oreille gauche, en gardant l'oreille droite pour la Corée du Nord ». Puis, évoquant les relations de son pays avec la France, il a regretté que le représentant officiel de la France en RPDC, le directeur du bureau de coopération culturelle ouvert en octobre 2011, ne parle pas coréen. Pour le professeur Kim, cela est « anormal » et une manifestation supplémentaire du peu de cas que fait la France de la Corée et de ceux qui y enseignent la langue et la culture françaises. Face à une telle situation, le professeur Kim a dit avoir été déjà interpellé dans son pays : « Pourquoi apprendre le français ? Etes-vous pro-français ? ». Ces questions ont appelé de sa part cette boutade : « Je ne suis pas pro-français, je suis pro-Zola et pro-Maupassant ! » Le professeur Kim Kyong-sik a livré tout son espoir d'une nouvelle ferveur pour l'étude du français en Corée du Nord appelant les étudiants de l'INALCO à être « les précurseurs d'une amélioration des rapports entre la France et la RPDC ».
Ancien conseiller culturel de l'ambassade de France en Corée du Sud, le professeur Maurus n'a pu que constater que, en effet, la langue française n'est pas porteuse d'avenir en Corée du Nord alors que l'absence de relations au niveau d'ambassades entre la France et la RPDC est choquante pour les Nord-Coréens. Et de relater un incident dont il fut, avec Kim Kyong-sik, le témoin, survenu lors d'une réunion à Pyongyang entre le représentant français, directeur du bureau de coopération culturelle, et les professeurs nord-coréens de français : dans un geste d'énervement, le directeur du bureau français lança sa carte de visite au visage de ses interlocuteurs coréens ! Ce geste fort peu diplomatique incita les universitaires coréens à ne plus passer par le représentant officiel de la France, y compris pour les questions qui seraient normalement de sa compétence. La venue du professeur Kim Kyong-sik en France a ainsi été discutée directement entre l'Université Kim Il-sung et l'INALCO.
Pierre-Olivier François a confirmé que les Coréens, peuple fier, sont sensibles à l'envoi de personnalités de premier plan pour négocier avec eux, comme en octobre 2000, lorsque l'administration Clinton délégua la secrétaire d'Etat Madeleine Albright à Pyongyang.
La dernière partie de la conférence abordait la question – le problème, devrait-on dire – du traitement de la Corée du Nord par les médias. Pour résumer la position des médias occidentaux, français en particulier, quand il s'agit de la RPD de Corée, Patrick Maurus a cité cette phrase de l'historien américain Bruce Cumings : « La Corée du Nord rend fou. » Une illustration de cette « folie » est l'obligation faite aux ONG françaises présentes en RPD de Corée de se taire en France quand elles tentent d'expliquer que la situation s'améliore sur place !
En effet, a rappelé le professeur Maurus, des changements sont visibles en Corée du Nord depuis quelques années, qu'il s'agisse de la construction de bâtiments ultra-modernes ou de la circulation automobile en augmentation à Pyongyang. Et aux journalistes qui taxeraient ces changements de « propagande », Patrick Maurus a envie de demander pourquoi cela ne se faisait pas avant. Quant aux journalistes qui se rendent en Corée du Nord une seule fois et déclarent à leur retour n'avoir rien vu, il répond que cela est normal : au premier voyage, personne ne dispose des règles d'analyse d'une société aussi complexe que la société nord-coréenne. Patrick Maurus s'est aussi étonné que les journalistes puissent poser aux voyageurs de retour de RPDC des questions sur le nucléaire nord-coréen et jamais sur le nucléaire français au prétexte que leur interlocuteur serait incompétent en ce qui concerne ce dernier. Selon Maurus, l'argument d'incompétence ne tient pas : pourquoi serait-on plus compétent sur le nucléaire nord-coréen que sur le nucléaire français ?
Revenant sur le contexte géopolitique, Patrick Maurus fit remarquer que tous les dirigeants des pays d'Asie du Nord-Est avaient été renouvelés en 2012, pouvant ainsi se présenter à de futures négociations « sans passif ». Même le président américain Barack Obama, réélu pour un second et dernier mandat, peut désormais se lancer dans des discussions sur de nouvelles bases.
Mais le plus important, pour le professeur Maurus, est que chacun, même au niveau le plus modeste, participe à l'amélioration des conditions géopolitiques dans lesquelles évolue une Corée du Nord « sur-conditionnée » par son environnement. Cette « stratégie de Gulliver », en référence au géant imaginé par Jonathan Swift, maîtrisé par les minuscules mais nombreux Lilliputiens, est d'autant plus pertinente que les Corée du Nord et du Sud peuvent difficilement s'adresser directement aux gouvernements dans ce but. Quant à la France « officielle », Patrick Maurus a jugé son rôle plutôt néfaste en Corée où elle cherche surtout à vendre des armes au Sud.
Aux questions des étudiants de l'INALCO qui s'inquiétaient d'une certaine rhétorique guerrière employée par Pyongyang, le professeur Kim Kyong-sik a répondu que le message de la RPD de Corée est tronqué dans les médias occidentaux : la RPDC s'engage seulement à répliquer si elle est attaquée et sa politique se fonde sur le constat que les pays détenteurs de l'arme atomique n'ont jamais été agressés par les Etats-Unis. La RPD de Corée, a réaffirmé le professeur Kim, ne veut qu'une chose : vivre heureuse et en paix.
Comme l'ont rappelé Patrick Maurus et Pierre-Olivier François, la situation vécue sur place, en Corée, est bien différente de celle montrée par les médias français. Les journalistes présents en Corée du Sud sont même souvent invités à censurer leurs reportages ou leurs articles quand ceux-ci vont à l'encontre de la ligne alarmiste fixée par les rédactions parisiennes.
C'est encore le professeur Kim Kyong-sik qui a le mieux résumé le travail des grands médias français sur la Corée du Nord : « un grand bêtisier »
La conférence du 25 avril 2013 avait lieu à Paris. Elle était publique. Aucun journaliste n'avait jugé utile d'y assister.