La Corée du Nord en 100 questions de Juliette Morillot et Dorian Malovic, qui vient de sortir en poche aux éditions Tallandier, détonne dans la littérature française consacrée à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) : en effet, l'ouvrage, facilement accessible au non-spécialiste, offre un aperçu d'ensemble documenté et exhaustif, sans tomber dans les témoignages douteux, les partis pris ou les caricatures auxquels n'échappent pas la plupart des auteurs francophones, y compris parmi certains qui ont un titre de chercheur. L'un des co-auteurs, Dorian Malovic, chef du service Asie au quotidien La Croix, était l'invité au Foyer rural de Tousson (Seine-et-Marne) ce 12 janvier 2018, pour une rencontre avec les lecteurs, dont l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) était également à l'initiative - et qui fait suite à de multiples manifestations sur la Corée (du Nord comme du Sud) organisées à Tousson par le Foyer rural.
Pierre Beltante, animateur du foyer rural de Tousson, présente la soirée avec Dorian Malovic
Comment parler de la Corée du Nord, sans tomber dans le travers d'un des récits nationaux (ou des propagandes, ce mot ne devant pas être perçu de manière connotée) sur le pays - que ce récit soit nord-coréen, sud-coréen, américain, japonais, russe ou chinois ? En Occident, ce sont les propagandes américaine, japonaise et sud-coréenne sur la Corée du Nord qui dominent, avec l'idée fallacieuse que, parce qu'elles émaneraient de démocraties libérales comme la France, elles seraient plus exactes.
Spécialiste de la Chine depuis plus de 30 ans, où son refus de dénigrer systématiquement la Chine le faisait déjà taxé de parti pris pro-Pékin, Dorian Malovic s'est longtemps intéressé à la Corée du Nord, avant toutefois de ne s'y rendre pour la première fois qu'en octobre 2017 : c'est à partir de cette visite de 11 jours à l'automne dernier qu'il a commencé à présenter le pays, pour démonter les idées reçues. N'étant pas un militant, il considère qu'exercer son métier de journaliste consiste à prendre en compte les différents récits pour les confronter à la réalité et faire partager cette réalité au public. Ce sérieux et cette honnêteté déontologique expliquent pourquoi, selon nous, Dorian Malovic, approchera toujours mieux la réalité nord-coréenne qu'un énième documentaire recyclant les vieux clichés éculés sur la RPD de Corée.
Alors, oui, la Corée du Nord est un pays dont le niveau de vie de la population s'élève après la famine des années 1990, où les réformes économiques ont créé une nouvelle classe moyenne, et qui s'est doté de l'arme nucléaire à des fins de dissuasion comme l'a fait, par exemple, la France du général de Gaulle. Il serait temps d'accepter ces réalités, niées également par le ministère des Affaires étrangères français qui feint de s'indigner qu'aucun régime de sanctions au monde n'est inviolable.
Si le visiteur en Corée du Nord voit ce qu'on lui montre (comme dans tout pays, les autorités sont plus enclines à vous faire voire ce qui donne une bonne image du pays...), il est possible pour un journaliste de s'y rendre sans devoir jouer les faux touristes embarqués, et sortir ainsi des jugements de valeur pour apprécier une culture plus éloignée de la nôtre que ne l'est assurément celle du Luxembourg. Cette approche n'est pas spécifique à la Corée du Nord : elle est propre à toute culture extra-européenne.
Avant de répondre aux nombreuses questions de son auditoire - qui ont porté sur le rôle de la Chine, les richesses minérales ou encore les camps de rééducation - Dorian Malovic a dédicacé des exemplaires de La Corée en 100 questions, dont des exemplaires sont toujours disponibles à la librairie de la Halle dans la commune voisine de Milly-la-Forêt, à l'issue d'une soirée riche en débats.
Quand la presse française veut parler de relations internationales aux enfants, le résultat est parfois loin d'être heureux. Ainsi, dans son numéro de janvier 2018, le magazine Youpi(édité par le groupe de presse Bayard), destiné aux 5-8 ans, a doctement expliqué que l'État d'Israël et la Corée du Nord ne sont pas de vrais pays (voir ci-contre). L'affirmation – pour le moins péremptoire – au sujet d'Israël a valu au magazine Youpi d'être retiré de la vente. L'Association d'amitié franco-coréenne se devait aussi de réagir concernant la Corée. Une lettre a donc été envoyée dès le 26 décembre 2017 à Pascal Ruffenach, président du directoire du groupe de presse Bayard. Voici le texte de ce courrier.
Monsieur le Président,
Créée en 1969 pour encourager les relations entre la France et l'ensemble de la péninsule coréenne (Nord comme Sud), l'Association d'amitié franco-coréenne vous fait part de ses interrogations quant au numéro 352 du magazine Youpi (janvier 2018), depuis retiré des ventes, après la réaction du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). On pouvait lire dans ce numéro : « On appelle ces 197 pays des États, comme la France, l'Allemagne ou l'Algérie. Il en existe quelques-uns de plus, mais tous les autres pays du monde ne sont pas d'accord pour dire que ce sont de vrais pays (par exemple l'État d'Israël ou la Corée du Nord). »
Nous ne reviendrons pas sur la question d'Israël, qui est extérieure à l'objet de notre association. Pour notre part, nous sommes extrêmement surpris que le magazine Youpi, qui se veut éducatif, puisse enseigner à ses jeunes lecteurs des faits aussi lourdement erronés que l'idée selon laquelle la Corée du Nord (de son nom officiel la République populaire démocratique de Corée) ne serait pas un « vrai pays » selon d'autres « pays » (sans doute l'auteur de l'article a-t-il voulu dire « gouvernements ») du monde.
Ces gouvernements, qui nieraient l'existence d'un État nommé la République populaire démocratique de Corée, n'existent plus depuis que la Corée du Nord, conjointement d'ailleurs avec la République de Corée (Corée du Sud), a rejoint l'organisation des Nations unies il y a plus d'un quart de siècle. Non seulement plus des quatre cinquièmes des États de la planète ont établi des relations diplomatiques complètes avec la Corée du Nord, mais même le petit nombre de ceux qui ne l'ont pas fait, comme les États-Unis, le Japon ou la France (seul État de l'Union européenne, avec l'Estonie, dans ce cas), non seulement ont des relations d'État à État avec la Corée du Nord (par exemple, dans le cadre de la représentation diplomatique nord-coréenne en France et de la représentation diplomatique française en Corée du Nord, ou encore d'accords bilatéraux, comme entre les États-Unis et la RPD de Corée sur le statut des diplomates nord-coréens des organisations des Nations unies résidant aux États-Unis), mais encore chaque État membre des Nations unies reconnaît en droit les autres États membres de l'organisation internationale.
La difficulté dans laquelle s'est enfermé Youpi a consisté à confondre État et pays : un État a un gouvernement, qui exerce son autorité sur une population dans un territoire donné. Les cas d'États non reconnus par la plupart des autres États existent, mais ne concernent pas aujourd'hui la Corée du Nord : il s'agit par exemple de la République turque de Chypre Nord, reconnue seulement par la Turquie. Par ailleurs, il y a le cas d'États reconnus par une partie seulement de la communauté internationale, comme la République de Chine à Taïwan et la République arabe sahraouie démocratique. Pourtant, même dans cette hypothèse, Youpi aurait pu s'appuyer sur les textes des Nations unies, lesquels définissent, par exemple, les territoires (ou pays) à décoloniser, et aurait alors pu apprendre que les territoires français d'outre-mer sont considérés comme des pays colonisés... La vraie difficulté de compter le nombre d'États dans le monde réside ici, pas dans la reconnaissance diplomatique de certains États par une partie seulement de la communauté internationale.
Enfin, un pays peut être divisé et avoir plusieurs gouvernements sur son territoire : c'est le cas, malheureusement, de la Corée, et œuvrer à la réunification de la Corée et à la paix dans cette partie du monde est un des objectifs de l'Association d'amitié franco-coréenne. Personne ne niait, avant même l'entrée des deux Corée aux Nations unies, qu'il existe un pays nommé Corée dont les habitants sont les Coréens, sauf l'Empire du Japon, qui a colonisé la Corée entre 1910 et 1945, interdit l'usage de la langue coréenne (les Coréens étant alors assimilés aux Japonais), réduit en esclavage sexuel pour son armée des centaines de milliers de femmes et d'adolescentes coréennes. Nous n'osons croire que Youpi a ainsi eu conscience de se placer dans l'héritage idéologique de l'extrême-droite japonaise... En tout cas, l'article de Youpi, s'adressant à un public d'enfants français et francophones, n'a pu que conforter les forces négationnistes, toujours très actives dans l'archipel nippon, au plus haut niveau de l'État. Des esprits malveillants pourraient donc aisément parler de négationnisme historique à propos de cet article.
Dans l'attente d'avoir le plaisir de lire le rectificatif que le groupe Bayard voudra bien publier concernant la grossière erreur commise dans Youpi au sujet de la Corée du Nord, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l'expression de nos salutations les meilleures.
le président de l'Association d'amitié franco-coréenne, Benoît Quennedey
L'Association d'amitié franco-coréenne ne manquera pas de faire connaître la réponse du groupe Bayard.
Le dernier numéro de Diplomatie (n° 89, novembre-décembre 2017) propose un dossier sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) de très bon niveau - malgré quelques erreurs et affirmations pour le moins contestables, essentiellement contenues dans l'article d'Antoine Bondaz - par ailleurs très pertinent et de bien meilleure qualité que son ouvrage grand public à sensation, multipliant les clichés et les manipulations photographiques (d'images sur fond invariablement gris et brumeux, signées Benjamin Decoin), et fort subtilement intitulé Corée du Nord, plongée au cœur d'un Etat totalitaire.
Il est ainsi erroné d'affirmer (p. 56) que le Président Lee Myung-bak aurait été élu président "notamment" par rejet de la politique du rayon du soleil, dans une campagne en réalité dominée par les questions économiques (et le ralentissement de la croissance, que le nouveau chef de l'Etat entendait relever à 7 % par an) - par ailleurs, si la question nord-coréenne avait pesé d'un aussi grand poids dans l'élection de 2007, le dissident conservateur Lee Hoi-chang, qui avait lui fait campagne sur une ligne anti-Corée du Nord après avoir échoué deux fois de très peu à accéder à la Maison bleue, n'aurait pas été aussi largement battu. De même, il est pour le moins hasardeux d'affirmer (p. 58), qu'une "très large majorité des Sud-Coréens" soutiendrait désormais l'alliance avec les Etats-Unis - sauf à discuter de ce qu'on appelle un soutien (en particulier, le déploiement du système américains de missiles antimissile THAAD, auquel s'est rallié le Président Moon Jae-in, est toujours loin de faire l'objet d'un consensus au Sud de la Corée). Enfin, écrire sans nuances (p. 57) que la Présidente Park Geun-hye aurait sincèrement cherché à améliorer les relations intercoréennes après son élection relève d'une acceptation trop rapide des éléments de langage développés à cette époque par les autorités sud-coréennes, la réalité des faits montrant au contraire que, en quelques semaines, la Présidente Park a épousé les thèses des faucons néo-conservateurs, tout en refusant les offres de dialogue du Nord.
Sous ces réserves qui ne font que tempérer notre appréciation extrêmement positive sur ce dossier très fouillé et bien renseigné de Diplomatie, deux articles ont retenu notre attention, l'un et l'autre écrits par Théo Clément, doctorant à l'Université de Vienne. Théo Clément parle chinois et a enseigné à l'Université de science et de technologie de Pyongyang (acronyme anglais, PUST). Dans son article "Chine - Corée du Nord, cinquante nuances de méfiance", il montre notamment dans quelle mesure l'amitié entre la Chine et la RPD de Corée, régulièrement rappelée et célébrée par les deux parties, relève du "mythe fondateur" des relations bilatérales, "reconstruit a posteriori".
Le Président Kim Il-sung reçu à Pékin, le 1er janvier 1958, par le Premier ministre chinois Zhou Enlai
Il est des clichés qui ont la vie dure (y compris dans la tête de certains chefs d'Etat nord-américains), comme celui d'une alliance indéfectible entre la République populaire de Chine et la République populaire démocratique de Corée, que les mêmes chefs d'Etat se font fort de croire pouvoir remettre en cause à eux seuls. Mais en diplomatie, comme en politique, il n'y a pas d'amitié, seulement des convergences d'intérêts. La relation sino-nord-coréenne n'y fait pas exception : certes, les communistes coréens ont joué un rôle déterminant dans les combats menés par les forces communistes alliées en Mandchourie dans les années 1930, et ce soutien a été payé en retour par la Chine populaire lors de la guerre de Corée avec l'intervention des volontaires du peuple chinois - dont 420.000 auraient trouvé la mort sur le front coréen. Comme tous les mythes fondateurs, celui de l'amitié indéfectible sino-(nord-)coréenne magnifie des faits incontestables.
Sauf que, comme l'observe Théo Clément, il a toujours existé une profonde méfiance des Nord-Coréens vis-à-vis des Chinois, qui ont maintenu pendant des siècles une relation de suzerain à vassal avec leur étranger proche qu'étaient le Vietnam et la Corée. La période contemporaine reste ainsi marquée par des relations de méfiance qui, paradoxalement, ont atteint leur paroxysme pendant la guerre de Corée, du fait de la pratique chinoise de mise à l'écart des Nord-Coréens de la conduite des opérations :
L'épisode de la guerre de Corée fut en réalité un moment de tension extrême entre Pékin et Pyongyang, ainsi qu'une période humiliante pour la Corée du Nord, exclue du commandement opérationnel des troupes par la Chine et l'URSS. Dans sa gestion des affaires péninsulaires, Pékin a en effet eu régulièrement la main lourde, ce qui s'est avéré extrêmement frustrant pour les Nord-Coréens.
De même, les ingérences chinoises dans la politique intérieure nord-coréenne - où les partisans d'une alliance resserrée avec Pékin ont occupé des positions importantes jusqu'en 1956 - ont été totalement contre-productives quant à l'influence de la Chine sur la RPD de Corée. Comme l'analyse encore Théo Clément :
En 1956, alors que Pyongyang cherche à purger l'appareil du Parti du Travail de Corée des éléments ayant manifesté une admiration trop prononcée pour les modes de développement chinois ou russe, Pékin ne prend pas de gants, en dépêchant sur place une délégation (co-dirigée par Peng Dehuai, celui-là même qui avait demandé la mise sur la touche des commandants militaires nord-coréens quelques années auparavant) chargée de ramener Pyongyang dans le droit chemin, en concertation avec Moscou.
On peut discuter des événements et de leur interprétation - selon une lecture historiographique dominante en Occident, les factions "pro-russe" et "pro-chinoise" auraient tenté de remettre en cause la position du Président Kim Il-sung, qui aurait ensuite réagi en démettant de leurs fonctions les dirigeants de ces deux factions, avant que les Russes et les Chinois ne volent ensuite au secours de ceux qui apparaissaient sinon comme leurs partisans, du moins comme leurs relais. En tout état de cause, en bon stratège le Président Kim Il-sung fit d'abord marche arrière en 1956, et rétablit - mais provisoirement - ceux qui étaient devenus ses adversaires, et qui seraient mis à l'écart peu de temps après (plusieurs d'entre eux sont alors partis à Moscou ou à Pékin, où ils ont entretenu une version des faits qui leur donne bien évidemment le beau rôle).
Ce qu'il faut retenir de ces deux faits - modalités de l'intervention chinoise dans la guerre de Corée, ingérence chinoise en 1956 dans la politique intérieure nord-coréenne - est qu'ils n'ont pas pu ne pas avoir d'effet sur la confiance des Nord-Coréens dans leurs camarades chinois. Moins de dix ans après la fondation de la RPD de Corée en 1948, le ton était ainsi donné des relations sino-nord-coréennes, traduisant des intérêts convergents, mais dans lesquelles la Corée du Nord chercherait à s'affranchir de toute tutelle de son trop grand voisin chinois. Exiger aujourd'hui de Pékin de remettre en cause son "alliance" avec Pyongyang, c'est non seulement méconnaître la nature exacte des relations RPDC-Chine, mais aussi saper la position de médiateur qu'entend jouer la Chine sur le dossier coréen.
En cette toute fin d'année 2017, un incident tend à éclairer le dilemme chinois, qui cherche à maintenir le statu quo et éviter tout risque de guerre, sans rompre avec Washington ni avec Pyongyang : des navires chinois auraient enfreint l'embargo sur les produits pétroliers à destination de la Corée du Nord, entraînant une réaction furieuse du Président Donald Trump. Pékin a protesté, rappelant que l'embargo n'était pas total. La vérité est que, quand bien même la Chine pourrait contrôler le commerce avec la RPDC aussi étroitement que le souhaitent les autorités américaines (ce dont on peut douter, la seule frontière terrestre sino-coréenne étant très poreuse), elle n'a aucun intérêt (stratégique, économique ou humain - en termes de flux migratoires) à provoquer l'effondrement de la Corée du Nord à laquelle tend, implicitement ou explicitement, la politique des Etats-Unis et de leurs alliés. S'engager sur une politique de levée des sanctions est la seule raisonnable dans cette partie du monde, au regard des intérêts des différentes parties. Moscou a encore tenté d'en convaincre Washington. Mais les idéologues qui tiennent le haut du pavé à la Maison Blanche sont-ils capables de sortir de l'ornière où les a conduits une politique à courte vue ?
Le 3 décembre 2017, l'émission "Sept à huit" de TF1 a consacré un reportage au Président Kim Jong-un de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Un reportage qui ne mérite pas qu'on s'y attarde quant à son contenu - car l'on n'y apprend rien de nouveau sur la RPD de Corée ni sur son dirigeant. En revanche, nous avons été intéressés par le fait que les auteurs du reportage ont interrogé plusieurs responsables de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) dont les entretiens ont tous intégralement disparu lors du montage de l'émission. Parmi eux, Robert Charvin, vice-président de l'AAFC, auteur de "Comment peut-on être Coréen (du Nord) ?", réédité en 2017 aux éditions Delga, qui nous livre ci-après son ressenti, dans un article intitulé TF1 : "Comment peut-on être Coréen (du Nord) ?"
« L'aventure » que représente la participation à un reportage de TF1 sur la RPDC mérite d'être contée à ceux qui n'assimilent pas la Corée du Nord au diable et qui se veulent partisans de solutions équitables et pacifiques à la crise des relations RPDC – États-Unis.
Le journaliste de TF1 qui m'a sollicité sur la question a consacré avec son caméraman près d'une heure, le 22 septembre 2017, à m'interviewer à la Faculté de Droit, Place du Panthéon, pour finalement ne rien utiliser dans l'émission diffusée à 19h10 le dimanche 3 décembre 2017.
Il n'est sans doute pas responsable de cette « omission » qui concerne à coup sûr d'autres interviewés. Ce journaliste, très ouvert et sympathique, avait manifesté d'autant plus d'intérêt à mes paroles que visiblement il découvrait la question coréenne pour la première fois dans son activité professionnelle.
Source d'étonnement pour moi, il ne s'intéressait qu'à Kim Jong-un de manière quasi anecdotique. Rien sur ses prédécesseurs, rien sur la guerre de 1950-1953, ni la dévastation du pays par les bombardements américains, rien sur l'absence de traité de paix avec les États-Unis, rien sur l'embargo international subi depuis plus de soixante-dix ans avec toutes ses conséquences sur les problèmes à résoudre pour Pyong Yang, rien sur la passivité des Nations unies directement impliquées avec les États-Unis, rien sur la non-reconnaissance diplomatique par la France.
Kim Jong-un est une sorte de génération spontanée dont la politique n'a aucune relation avec le passé immédiat et lointain ! Il ne s'agissait pas de comprendre le pourquoi de la volonté de la RPDC de maîtriser une force de dissuasion nucléaire, réponse à l'agressivité américaine et à la présence permanente des forces armées US en Corée du Sud et dans toute la région, sans parler des manœuvres militaires régulières aux frontières coréennes. Les racines des problèmes n'intéressent pas TF1 : il faut de la personnalisation, du spectacle (même s'il a été cent fois reproduit avec des images standards sur les défilés militaires nord-coréens, les avenues « trop » larges et sans circulation, etc.). En bref du « Paris Match » animé.
La grande chaîne privée regrette sans doute que le leader de la RPDC n'ait pas été filmé par les services américains à l'occasion de quelques frasques avec une belle étrangère ou que l'on n'ait pas trouvé trace de quelques milliards personnels placés dans un paradis fiscal, comme n'importe quelle banque ou personnalité occidentales qui se respectent !
Pour bénéficier d'un autre ton (comme celui que les grands médias adoptent lorsqu'ils parlent du Qatar, de l'Arabie Saoudite, des Émirats, du Pape ou de Johnny Halliday), il aurait fallu que Kim Jong-un et la Corée du Nord aient la capacité d'investir quelques milliards en France ou que le Leader ait eu un visage à l'occidental type Che Guevara.
Notre société du spectacle et ses médias ne manquent pas de perversité « culturelle », à défaut d'être encore les héritiers du Siècle des Lumières.
TF1, qui revendique évidemment, comme tous les autres médias de notre pays, son « objectivité », a présenté une émission exclusivement à charge, sauf pendant les trente dernières secondes permettant à un chercheur compétent de souligner que la RPDC n'avait aucun intérêt à déclencher une guerre. Une concession sans doute accordée au brave journaliste, victime d'un montage où seuls les témoignages accusateurs ont trouvé leur place...
TF1, comme tout le monde, n'apprécie pas Trump et ses provocations : exception faite pour la Corée du Nord !
Un triste bilan pour une grande chaîne de télé française, indifférente à la complexité de la réalité et fabriquant un produit « consensuel » pour téléspectateurs primaires. Toutefois, une expérience quasi humoristique pour un universitaire, qui pendant l'interview songeait à l'analyse de Pierre Bourdieu « De la Télévision » et à la liberté d'expression dont il racontait à ses étudiants les mésaventures françaises en rappelant que Montesquieu disait, il y a quelques siècles : « Comment peut-on être Persan ».
Dans son numéro 3461 (du 1er au 7 novembre 2017), l'hebdomadaireL'Express a consacré sa couverture et un épais dossier (p. 30-45) au "retour de la bombe" nucléaire, en faisant le constat que l'horizon d'un monde sans armes nucléaires, posé comme objectif en 2009, apparaît s'être considérablement éloigné au regard, notamment, de l'escalade entre les puissances dotées de l'arme nucléaire que sont les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). L'Association d'amitié franco-coréenne revient sur ce dossier, auquel ont contribué une dizaines de journalistes et d'experts, pour ce qui concerne son domaine de compétence : la situation dans et autour de la péninsule coréenne.
Photo de couverture du magazine
D'emblée, reconnaissons qu'il s'agit d'un dossier fouillé et apportant de manière claire de nombreuses informations utiles pour le néophyte : il donne à la fois des points de repère (en soulignant le tournant qu'a constitué l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, p. 31, ou en mentionnant l'inefficacité de la politique de l'actuelle administration américaine pour empêcher la Corée du Nord de se doter d'une force de dissuasion nucléaire, p. 32) et apporte des informations assez détaillées : il n'y a toujours pas de traité de paix depuis l'accord d'armistice de 1953, aboutissant effectivement à la situation d'un "conflit gelé" (titre de l'encadré p. 33) ; l'arsenal nord-coréen compterait désormais entre 30 et 60 bombes (p. 35), tandis que 93 % du stock mondial d'armes nucléaires reste détenu par les Etats-Unis et la Russie (p. 42)...
Quelques erreurs grossières altèrent toutefois la qualité de l'analyse : non, la Chine ne soutient pas "indéfectiblement" la Corée du Nord (p. 32), dont elle vote et applique les sanctions à son encontre ; non la Corée du Nord n'a pas été "jusqu'à menacer de frapper l'île de Guam" (p. 33), mais a envisagé de procéder à des tirs de missiles dans les eaux internationales en direction de l'île de Guam ; non, la Corée du Nord n'a pas une armée de 1,4 million d'hommes (chiffre fantaisiste établi par la seule CIA) qui "se prépare à affronter à nouveau son voisin du Sud" ; non, les Etats-Unis n'ont pas "parfois" bombardé au napalm la Corée du Nord, mais bien fait un usage systématique du napalm pendant la guerre de Corée, détruisant un pays pour soi-disant le sauver. De même, il est regrettable que les justifications ayant conduit la RPDC (comme l'Iran) à se doter de l'arme nucléaire relèvent des poncifs et de propos outranciers qu'on croirait issus d'un manuel de propagande de guerre (p. 33 : "puissances régionales devenues incontrôlables", "vieux nationalismes qui ne demandent qu'à disposer de nouvelles armes technologiques ou de missiles balistiques pour compenser leur arriération ou leur isolement", en oubliant au passage que les dernières sanctions contre la Corée du Nord, visant à la priver de 90 % de ses recettes d'exportations, sont le fait des Etats-Unis et de leurs alliés, et pas d'une supposée volonté nord-coréenne...). Il manque cruellement (toujours p. 33) une analyse stratégique rigoureuse qui aurait rappelé la stratégie de la dissuasion nucléaire (du faible au fort), telle que l'a développée la France du Général de Gaulle, et que reprend aujourd'hui à son compte la Corée du Nord. A ignorer totalement la doctrine nucléaire nord-coréenne, le dossier de L'Express conforte l'image lourdement erronée d'un pays soi-disant irrationnel et incontrôlable.
Heureusement, l'entretien avec Juliette Morillot rappelle quelques faits évidents sur le rapport de forces réel entre Washington et Pyongyang ou encore la volonté des dirigeants nord-coréens de ne pas subir le sort de leurs homologues irakiens (en 2003) et libyens (en 2011). Cependant, les propos recueillis par Vincent Hugeux donnent parallèlement la parole à Valérie Niquet, qui affiche un néo-conservatisme américain bon teint (se félicitant de la présence américaine en Asie: "Heureusement qu'ils le sont !", s'exclame-t-elle p. 39) et multiplie les affirmations d'autorité : non, Mme Niquet, la Corée n'est pas "soutenue financièrement à bout de bras par la Chine" (p. 37, mais qu'a donc fait la Chine pour mériter un tel bashing dans ce dossier ?), de même qu'il ne suffit pas d'affirmer péremptoirement "quand on veut contrôler on contrôle" (p. 37) dans une volonté malhonnête d'accabler la Chine de tous les maux (comme s'y emploient les néo-conservateurs américains), tout en menaçant ce pays de sanctions américaines si elle ne coopère pas assez avec les Etats-Unis, ainsi que le rappelle opportunément (toujours p. 37) notre porte-voix des faucons américains. De même, les propos bellicistes de Valérie Niquet, farouchement hostile au dialogue, reçoivent une couverture exceptionnelle dans un hebdomadaire que l'on a connu moins prompt à afficher avec autant de complaisance le point de vue du lobby américain pro-guerre. Reconnaissons cependant que l'interview croisée de Juliette Morillot et Valérie Niquet a le mérite de souligner que, selon les deux expertes, le risque de guerre nucléaire est faible (p. 38) - une opinion d'ailleurs partagée par Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (p. 44). Enfin, Juliette Morillot rappelle le rôle positif, pour le dialogue et la paix, que pourraient jouer la France d'Emmanuel Macron et l'Union européenne. Toutefois, cette perspective aussitôt balayée comme inacceptable par Mme Niquet - dont les propos clôturent l'interview en assénant une nouvelle contre-vérité (obsessionnelle dans la tête des néo-conservateurs), la fantasmatique "coopération Pyongyang-Pékin" (p. 39) permettant soi-disant à la RPDC de gagner du temps dans la mise en place de son programme nucléaire... auquel la Chine est en réalité fermement opposée, refusant une course aux armements nucléaire et conventionnels dans la région. Non seulement le journaliste ayant conduit l'entretien, Vincent Hugeux, ne juge pas utile de tempérer Mme Niquet, mais il conclut son article sur ces propos délirants et gravement erronés.
Enfin, l'analyse tend à être déséquilibrée en ce qu'elle déforme ou oublie, volontairement ou non, des informations de base. Ainsi, le lecteur pourrait croire, à la vue de la photo d'une manifestation renvoyant dos à dos Donald Trump et Kim Jong-un (et prise comme de juste devant l'ambassade nord-coréenne à Berlin, insinuant d'où viendrait la menace principale...), que telle serait la position de l'ONG Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (acronyme anglais, ICAN), prix Nobel de la Paix 2017 : rien n'est plus inexact, ICAN soutenant en réalité une pétition qui appelle au retour au dialogue et à la fin des menaces américaines sur la Corée du Nord pour sortir de l'impasse et empêcher un conflit meurtrier. Si L'Express s'inquiète légitimement et à juste titre d'un conflit dont les conséquences seraient catastrophiques (la fin de l'article p. 35 a un ton alarmiste parfaitement compréhensible), son atlantisme naturel le conduit à sous-estimer la grave menace sur la paix que pose Donald Trump : si l'article en page 34 s'intitule bien "Si les Etats-Unis passaient à l'action...", il passe sous silence les propos du président américain aux Nations unies voulant "détruire" la Corée du Nord, menaçant de l'emploi d'armes nucléaires ou préconisant encore leur retour sur le sol sud-coréen. A n'insister que sur les intentions qui sont prêtées à la Corée du Nord (et les accusations sont aussi lourdes que non étayées, comme celle selon laquelle des agents nord-coréens infiltrés au Sud seraient prêts à mener des opérations terroristes, sic), l'hebdomadaire oublie de mentionneur que des exercices de guerre, bien réels ceux-là, sont menés par les Etats-Unis au large de la Corée, plusieurs fois par an, et sont les plus grands au monde dans une zone qui n'est pas en guerre.
L'ancien diplomate nord-coréen Thae Yong-ho n'était nullement un familier des cercles dirigeants de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et il a encore moins une connaissance directe de ce que peuvent penser les Nord-Coréens, dès lors qu'il a passé la plus grande partie des dix dernières années de sa vie à l'étranger en dehors de la Corée du Nord. Il a su toutefois se créer une légende, avec l'aide des services secrets de l'Etat qui l'a accueilli (la Corée du Sud), dans la grande tradition de la guerre froide : celui d'être un "défecteur de haut niveau", dont la parole bénéficie d'une exposition médiatique sans commune mesure avec la connaissance réelle d'un Etat où il n'a plus mis les pieds depuis des années. Cette situation lui garantit ainsi des conditions d'existence avantageuses, à la condition de satisfaire ceux qui sont, selon toute son évidence, son nouvel employeur (et lui assurent en tout cas une protection inaccessible au Sud-Coréen ordinaire), les services secrets sud-coréens (National Intelligence Service,NIS), de sinistre réputation pour leurs atteintes systématiques et répétées aux droits de l'homme. Dans ce contexte, au regard de l'étroitesse des relations tissées entre le NIS et la CIA, il était attendu que Thae Yong-ho se voit garantir un accès aux autorités américaines, en faisant croire qu'il serait un témoin "unique" : il a été longuement entendu par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Nous revenons donc ci-après sur les messages - inédits, car prônant un dialogue direct entre Washington et Pyongyang - qu'a entendu faire passer le NIS via un de ses agents d'influence de haut niveau.
Thae Yong-ho est un agent d'influence de haut niveau des services de renseignement sud-coréens
Nous ne reviendrons pas sur les banalités alignées par Thae Yong-ho concernant le développement de mécanismes d'économie de marché en Corée du Nord - qui ne sont en aucun cas une nouveauté (les premières mesures économiques prises en ce sens par les autorités nord-coréennes datent d'il y a près de 20 ans) et encore moins une révélation pour toute personne connaissant un peu cet Etat. Nous ne reviendrons pas non plus sur l'énième prédiction d'un effondrement imminent de la Corée du Nord - qui est l'un des airs favoris qu'aiment entonner les néo-conservateurs de tous les pays, du NIS en général et de M. Thae en particulier : plus les années passent sans que les faits ne donnent raison à notre Nostradamus de salon, plus ce dernier se sent obligé d'apporter force détails dans son exercice périlleux de voyance. Naturellement, en bon militant néo-con, Thae Yong-ho prend soin de ne pas incriminer des sanctions sans équivalent au monde qui sont de nature à faire de nombreuses victimes parmi les Nord-Coréens : vivant pour sa part dans un appréciable confort matériel, Thae Yong-ho est un partisan résolu de cette politique. Non, si effondrement il doit y avoir, c'est parce que la révolte gronderait, affirme-t-il doctement, en n'hésitant pas, au passage, à se contredire lui-même : il parle d'un régime de "terreur" - le mot fait toujours mouche, depuis l'exécution de Robespierre par les réactionnaires thermidoriens qui ont été bien plus violents que l'homme qu'ils ont condamné à l'échafaud - mais estime en même temps que le contrôle gouvernemental sur la population s'affaiblit...
Si nous nous intéressons ici aux propos de Thae Yong-ho, agent de haut niveau du NIS, ce n'est pas pour entendre leurs sempiternelles et prétentieuses prédictions, mais parce qu'ils révèlent - ce qui est rare - une mise en cause quasi-explicite de la politique américaine actuelle de l'administration Trump, en encourageant le Président des Etats-Unis à rencontrer son homologue, le Président Kim Jong-un. Selon une dépêche de l'AFP, abondamment reprise dans les médias français :
"Nous devons prendre en compte le sacrifice humain que comporterait l'option militaire", a-t-il prévenu, assurant qu'à la moindre action de l'armée américaine Pyongyang déchaînerait dans l'instant le feu contre la Corée du Sud voisine. Y compris dans le cas d'une frappe préventive limitée, lui a demandé une parlementaire? "Oui", a-t-il asséné, avant de supplier: "avant toute action militaire, il est nécessaire de rencontrer Kim Jong-Un, pour tenter de comprendre sa manière de penser et de le convaincre qu'il sera détruit s'il continue ainsi".
Ces quelques phrases sont capitales, et constituent à notre sens la seule information importante : les services secrets sud-coréens, restés très influents dans le processus de décision politique et militaire à Séoul malgré l'alternance politique de mai 2017, ne veulent pas d'une attaque américaine, même "limitée" - parce qu'ils craignent que leur pays ne soit aux premières loges d'un conflit et qu'elle engendrerait une escalade aux conséquences imprévisibles. Quant à la proposition d'une rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, sauf à supposer que ce soit un moyen pour l'administration américaine de faire passer un message à la RPDC (ce qui est hautement improbable, car Thae Yong-ho est considéré comme un traître dénué de principes à Pyongyang), elle représente bel et bien le point de vue du NIS, qui cherche ainsi habilement à gagner à sa cause la Chambre des représentants américains. Au moment où l'envie de Donald Trump d'en découdre militairement avec la Corée du Nord fait consensus contre elle dans l'appareil d'Etat américain, et avant la visite à Séoul du numéro un américain, la démarche est intelligente et rejoint les positions de l'Association d'amitié franco-coréenne pour retrouver le chemin du dialogue et de la paix dans la péninsule coréenne.
COREE DU NORD - Son témoignage est jugé "unique" au moment où Washington semble hésiter entre diplomatie et option militaire face à Pyongyang: un dissident nord-coréen a assuré ce mercredi 1...
Un spectre hanterait la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) : le spectre de l'antichristianisme. Encore et toujours, la Corée du Nord serait prétendument le pays offrant le moins de liberté religieuse au monde. Soucieuse de présenter la réalité nord-coréenne au-delà des clichés et du prêt-à-penser médiatique, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a dû, à plusieurs reprises, corriger des affirmations à l'emporte-pièce sur la pratique religieuse en RPDC : ainsi, en août 2013, nous avions répondu à Gonzague Saint Bris qui s'était exprimé à ce sujet dans les colonnes du Monde, en faisant état pour notre part de ce que nous avions vu à Pyongyang. La difficulté est cependant qu'il ne s'agit pas seulement de rétablir les faits pour ouvrir un vrai débat où chacun puisse se forger son opinion, mais encore de toucher le lectorat le plus large. Dans ce contexte, quand un journal qui se définit comme catholique, le bimensuel Monde&Vie, a proposé un entretien sur la Corée du Nord à l'AAFC, celle-ci a donné suite au regard des questions posées et des garanties apportées quant à la publication de l'intégralité des réponses. L'idée est aussi d'atteindre un public qui n'est pas celui habituel du site Internet de l'AAFC, association indépendante de tout parti politique. Avec l'autorisation de Monde&Vie, l'AAFC reproduit ci-après le texte de l'entretien qu'a accordé Benoît Quennedey, président de l'AAFC, dans le numéro 946 daté du 19 octobre 2017.
Haut-fonctionnaire et auteur d’un livre sur l’économie de la Corée du Nord, Benoît Quennedey est l’un des meilleurs connaisseurs français des questions nord-coréennes. La Corée, il la connaît, tant au nord qu’au sud. Jeune président de l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC), il a bien voulu livrer pour Monde&Vie ses analyses sur les récentes polémiques et tensions consécutives au dernier essai nucléaire entrepris par Pyongyang.
« Je ne crois absolument pas à une nouvelle guerre de Corée »
Dialogue avec Benoît Quennedey
Monde&Vie (M&V) : Récemment, on a assisté à une véritable escalade verbale de la part de Donald Trump, notamment aux Nations Unies, contre la Corée du Nord, pensez-vous qu’un conflit armé est envisageable entre Pyongyang et Washington ?
Benoît Quennedey (BQ) : Une guerre verbale est très différente d’une action militaire, même si les autorités nord-coréennes ont récemment parlé de déclaration de guerre. Alors que l’utilisation d’armes nucléaires entraînerait une destruction mutuelle qui n’est pas envisageable, certains milieux américains évoquent une frappe préventive et ciblée contre la Corée du Nord. Pourtant, une telle action n’aurait guère de sens aux plans stratégique et militaire : l’arsenal nucléaire nord-coréen est disséminé et enfoui ; le dirigeant nord-coréen pour sa part ne peut être localisé précisément car il se déplace constamment ; enfin, comme pendant la guerre de Corée (1950-1953), les Nord-Coréens sont prêts à vivre sous terre pour échapper aux bombardements. C’est pourquoi, même si des accrochages militaires meurtriers sont possibles (il y en a d’ailleurs eu à de multiples reprises depuis l’armistice de 1953), je ne crois absolument pas à une guerre dans les circonstances actuelles.
M&V : Le régime de Pyongyang n’est-il pas aussi dans une fuite en avant, multipliant provocations et déclarations belliqueuses ?
BQ : Vivant dans une logique obsidionale depuis sept décennies, les autorités nord-coréennes veulent absolument conjurer le sort de l’Irak en 2003 et de la Libye en 2011 et considèrent donc la dissuasion nucléaire comme leur assurance vie qui les protégera de toute attaque américaine. Elles poursuivront leurs essais nucléaires et leurs tirs balistiques jusqu’à ce qu’elles estiment disposer d’une force de dissuasion complète, c’est-à-dire des vecteurs balistiques pouvant transporter des armes nucléaires miniaturisées qui atteindraient des points précis du continent américain. Pour la Corée du Nord, ce n’est plus qu’une question au plus d’années, sinon de mois.
M&V : Vous ne souscrivez pas à ceux qui font de la Corée du Nord le dernier régime stalinien du monde…
BQ : En Corée du Nord il n’y a pas de portrait de Marx et de Lénine, l’idéologie est celle du Juche qui pose comme principe cardinal l’autonomie et l’indépendance des peuples d’une part, des individus d’autre part... Parler de marxisme, et a fortiori de stalinisme, est méconnaître la réalité économique, sociale et politique de la Corée du Nord.
M&V : Comment décrire le régime nord-coréen et la société qu’il régit ? Une monarchie ?
BQ : C’est un régime socialiste et nationaliste, dont les structures sont héritées des démocraties populaires mais qui ont fortement évolué avec la disparition de l’URSS et des démocraties populaires, la mise en place de mécanismes de marché à la faveur de l’effondrement économique des années 1990 (et d’une sévère pénurie alimentaire) puis de zones économiques spéciales, s’inspirant peu ou prou de celles créées en Chine deux décennies plus tôt.
Dans ce cadre, la place prépondérante du dirigeant, et la succession de père en fils sur trois générations depuis la fondation du pays en 1948, est un trait typiquement coréen, qui puise ses racines dans l’héritage confucianiste très ancré dans l’ensemble de la péninsule et qui honore les pères et les fondateurs. Formellement, cela rappelle les monarchies, mais il existe des processus décisionnels – au sein du Parti du travail – qui sont étrangers à une monarchie, qu’elle soit absolue ou inscrite dans un régime parlementaire. Plus fondamentalement, la place politique éminente du dirigeant ne dit rien sur les processus décisionnels effectifs, les cercles de pouvoir... La France a ainsi connu quatorze siècles de monarchie, mais quoi de commun entre les rois dits fainéants de la fin de l’ère mérovingienne et les rois Louis apparaissant comme des monarques absolus ?
M&V : Quel est le jeu de Kim Jong Un ? A-t-il renforcé son emprise sur les institutions ?
BQ : Lors de la disparition de son père et prédécesseur Kim Jong Il, en décembre 2011, il n’avait été étroitement associé au processus politique au plus haut niveau que depuis moins de trois ans et il n’avait pas encore 30 ans. L’accélération – et les réussites, au plan technique – des programmes nucléaires et balistiques ont renforcé son statut de commandant en chef des forces armées, ainsi que vraisemblablement affermi son statut de dirigeant incontesté. J’emploie à dessein le terme « vraisemblablement » car, dans la société politique issue de la guérilla antijaponaise qu’est la Corée du Nord, qui a mis en place des systèmes très efficaces de préservation du secret d’État, on ne sait rien de certain sur les processus décisionnels effectifs.
M&V : Y a-t-il une liberté religieuse en Corée du Nord ?
BQ : Lors de la création du pays et de sa partition, les chrétiens – et plus particulièrement les protestants, plus nombreux que les catholiques aujourd’hui encore en Corée – étaient positionnés à droite sur l’échiquier politique, et opposés aux communistes coréens. Mais beaucoup d’eau a depuis coulé sous les ponts : à la fin des années 1980 on assiste à la réouverture d’églises de différents cultes en Corée du Nord et à l’impression de bibles à Pyongyang, parallèlement à un rôle croissant de missionnaires chrétiens étrangers pour aider les populations nord-coréennes. Si l’immense majorité des Nord-Coréens n’ont pas de religion (ou se déclarent bouddhistes), le temps des oppositions frontales entre chrétiens et communistes athées appartient au passé… Les catholiques de Corée du Nord ont aussi salué l’élection du pape François et, très pragmatiquement, les Nord-Coréens utilisent les canaux du dialogue religieux pour favoriser les échanges inter-coréens. Ceci dit, comme dans les ex-démocraties populaires, la pratique religieuse est plus tolérée qu’encouragée, et dans le cadre d’associations religieuses pro-gouvernementales. L’action des missionnaires évangélistes, très actifs auprès des réfugiés nord-coréens à la frontière sino-coréenne, est combattue par les autorités nord-coréennes, comme plus largement tout ce qu’elles considèrent comme un prosélytisme anti-régime.
M&V : La Corée est l’un des rares pays du monde à rester divisé en demeurant officiellement en guerre. Pensez-vous qu’une réunification est envisageable, à terme, entre le Nord et le Sud ?
BQ : En effet, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, l’armistice signé n’a jamais conduit à la conclusion d’un traité de paix et des affrontements meurtriers ont émaillé les relations inter-coréennes. Pour autant, le nationalisme coréen, très fort dans l’ensemble de la péninsule, a conduit à un net essor des échanges dans tous les domaines pendant dix ans (1998-2008) avant que le retour au pouvoir des conservateurs à Séoul ne remette en cause les fragiles acquis du dialogue inter-coréen, qui ouvrait la voie vers la réconciliation, la paix et à terme la réunification. Mais des espoirs de reprise des échanges resurgissent depuis l’élection du Président Moon Jae-in à Séoul, après que la rue eut chassé du pouvoir la très autoritaire Mme Park Geun-hye qui était sous l’influence de sa gourou Mme Choi Soon-sil – une sorte de Raspoutine à la mode coréenne.
La réunification sera un processus long et difficile, mais la force dans toute la Corée du sentiment national – et, disons-le, identitaire – rend à mon sens la réunification inéluctable, sous des formes qui seront à déterminer : peut-être une confédération, avec deux États et deux systèmes ? Ce sera aux Coréens d’en décider, dans le respect de leur souveraineté, sans ingérence étrangère.
M&V : Quel est le rôle de l’association que vous dirigez ?
BQ : Nous favorisons les échanges avec les deux parties d’une nation divisée contre son gré par le jeu des grandes puissances au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Nous ne croyons pas aux donneurs de leçons de démocratie : l’ouverture de la Corée du Nord doit s’effectuer en tenant compte des réalités et non par des calculs hasardeux. Aujourd’hui tout le monde peut observer qu’en Libye, la chute du colonel Kadhafi, en créant un sanctuaire de l’État islamique, a augmenté durablement les tensions et les dangers dans cette partie du monde. Ses objectifs, l’AAFC les mène de manière réaliste : accueil d’une délégation de jeunes handicapés à Paris en février 2015 (en collaboration avec un pasteur anglican d’origine sud-coréenne), encouragement aux coopérations scientifiques en liaison avec les chercheurs, actions humanitaires pour venir en aide aux populations nord-coréennes en cas de catastrophes, en relation étroite avec les ONG laïques ou chrétiennes… Nous avons le souci de venir en aide aux plus faibles, tout en favorisant les échanges et la coopération internationale franco-nord-coréens, certains d’œuvrer, à notre échelle grâce à un réseau de bénévoles dévoués dans toute la France, à un monde de paix fondé sur le dialogue et la compréhension mutuelle, loin des caricatures et des anathèmes. C’est de l’échange fécond que naît l’espoir d’un monde meilleur.
Propos recueillispar François Hoffman
Source : Monde&Vie, n°946, 19 octobre 2017, pp. 16-17
En mai 2017, le logiciel malveillant de type rançongicielWannaCry a été utilisé lors d'une vaste cyberattaque ayant touché plus de 300 000 ordinateurs dans 150 pays, ayant conduit au plus grand piratage à rançon de l'histoire d'Internet. Si la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a été une fois encore hâtivement mise en cause par certains médias, les experts en informatique ont montré qu'en réalité les hackers étaient probablement chinois - comme l'explique un article de The Telegraph traduit ci-après de l'anglais.
La cyberattaque WannaCry qui a touché 150 pays pourrait avoir été l’œuvre de hackers parlant chinois, indiquent de nouvelles recherches.
Des enquêteurs de chez Flashpoint ont rejeté les rapports arguant que des pirates nord-coréens seraient derrière le rançongiciel après avoir trouvé des preuves que le message avait été traduit à partir d’une langue tierce vers le coréen.
Leurs investigations montrent que des locuteurs chinois pourraient être à l’origine de l’attaque WannaCry, qui a pris pour cible des centaines de milliers d’ordinateurs au sein d’organisations telles que la caisse d’assurance maladie de Grande-Bretagne mais qui a également touché des grandes entreprises comme Nissan ou Telefonica.
« Flashpoint évalue avec un grand degré de certitude que les auteurs des messages affichés chez les personnes infectées par Wannacry écrivent couramment chinois », avance un chercheur. « Le langage utilisé s’apparente à celui du sud de la Chine, de Hong Kong, Taiwan ou Singapour. »
Les spécialistes ont analysé les 28 différentes langues du message de rançon apparu sur les ordinateurs touchés par l’attaque demandant le payement de 300 dollars américains.
Ils se sont aperçus que les messages écrits en chinois et en anglais sont les seuls semblant avoir été rédigés par un être humain. Le message en coréen contenait des erreurs grammaticales et de ponctuation qui indiquent une traduction depuis l’anglais.
« Les analyses révèlent que presque tous les messages de rançon ont été traduit par le biais de Google Translate et qu’uniquement les versions anglaise et chinoise semblent avoir été traduites par une personne plutôt que par une machine », ajoute Flashpoint
Les chercheurs indiquent que seuls les messages en chinois semblent avoir été écrits par un natif du pays, ce qui pourrait signifier que les auteurs seraient d’origine chinoise.
« Les deux messages de rançon chinois diffèrent substantiellement des autres par leur contenu, leur format et leur ton », nous précise Flashpoint. La version chinoise possède du contenu absent des autres langues, alors qu’aucun texte ne présente des phrases n’apparaissant pas dans la version chinoise.
« La relative familiarité présente dans le texte chinois par rapport aux autres versions suggère que les auteurs parleraient couramment la langue – peut-être avec suffisamment d'aisance pour y rédiger le message initial. »
Ces découvertes apparaissent après qu’une autre enquête a incriminé le groupe de hackers nord-coréens dénommé Lazarus Group. Ce dernier, qui selon les experts serait lié à l’Etat nord-coréen, serait derrière le piratage de Sony Pictures Entertainment en 2014 et responsable de l’attaque ayant mené au vol de 81 millions de dollars à la Banque centrale du Bangladesh. [NdT : la responsabilité de la RPD de Corée, tant dans le piratage de la Banque centrale du Bangladesh que de Sony Pictures, apparaît fabriquée.]
Le texte anglais de WannaCry, à l’inverse de la version chinoise, contient une erreur grammaticale majeure indiquant l’improbabilité que son auteur parle couramment la langue.
Les analyses révèlent que les messages dans les autres langues ont été traduits depuis le texte anglais.
Flashpoint a également comparé les messages de WannaCry avec ceux des rançongiciels précédents mais n’y a pas trouvé de liens significatifs.
The WannaCry cyber attack that hit 150 countries could have been the work of Chinese-speaking hackers, new research shows. Researchers at Flashpoint have dismissed reports that North Korean hackers
La semaine dernière, l'annonce que l'USS Carl Vinson (un des plus grands navires de guerre américain) serait au large de la Corée pour dissuader d'une éventuelle initiative nord-coréenne (essai nucléaire, lancement d'un missile balistique intercontinental...) - qui n'a pas eu lieu - avait suscité de nombreux commentaires quant à l'imminence d'un conflit. Sauf que l'USS Carl Vinson ne s'est jamais approché de la Corée, dans la région de laquelle il ne parviendra qu'aux alentours du 25 avril - comme prévu de longue date dans le cadre des exercices militaires américano - sud-coréens. Retour sur un immense bluff de l'administration Trump.
L'USS Carl Vinson dans le détroit de la Sonde
Comme l'a indiqué l'agence de presse sud-coréenne Yonhap, au moment où le Président américain Donald Trump menaçait la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) d'une réaction sans précédent en cas de nouvel essai nucléaire ou de lancement d'un missile balistique intercontinental, l'instrument supposé de cette riposte - le bâtiment USS Carl Vinson - se trouvait en réalité à des milliers de kilomètres au sud de la péninsule coréenne, dans le détroit de la Sonde :
Mais à ce moment précis, le porte-avions en question, l’USS Carl Vinson, était dans le détroit de la Sonde, selon une photo diffusée et une légende indiquant que «l’USS Carl Vinson (CVN 70) est en transit dans le détroit de la Sonde. Un déploiement dans le Pacifique Ouest du groupe aéronaval d’attaque du porte-avions Carl Vinson est prévu».
Alors pourquoi ces rodomontades ? Dans le but manifestement de montrer que lui, Donald Trump, n'inscrirait pas ses pas dans ceux de son prédécesseur Barack Obama sur la question nord-coréenne. Et qu'importe si le mensonge devait finalement être éventé : le temps médiatique a ses raisons. L'annonce de Donald Trump donnant des coups de menton a reçu un écho bien plus important que les révélations sur la manipulation de l'opinion publique concernant le porte-avions Carl Vinson, et c'est bien tout ce qui compte. A toutes fins utiles, de nouveaux éléments de langage ont été servis aux médias internationaux qui ont docilement suivi la feuille de route de l'administration US, à savoir que le Carl Vinson aurait finalement changé de cap et sera de toute manière au large de la Corée autour du 25 avril.
Des images satellite auraient facilement révélé la supercherie. Mais si en ce domaine le site étonnamment bien informé 38 North nous indique en temps réel les prochains essais ou tirs de missile nord-coréens (réels ou supposés), dans le cas américain les mêmes sources se taisent. S'agissant des Etats-Unis, il est interdit de toucher au secret-défense ; dans l'autre cas, nous avons à faire à la stratégie classique de manipulation de l'opinion publique, via les médias dits de référence, par le Pentagone et le département d'Etat.
Mais il y a peut-être aussi une autre raison, plus pragmatique : le Président Donald Trump trouve soudain de nombreuses vertus à la politique chinoise envers la RPD de Corée - après n'avoir cessé de critiquer Pékin pour sa gestion du dossier nord-coréen). Pour ce faire, rien ne vaut une preuve patente de l'estime qu'on a pour son nouveau partenaire : et si Donald Trump avait délibérément menti à l'opinion publique américaine et internationale dans le seul but de s'afficher avec la Chine qui aurait finalement su, en tout état de cause, grâce aux moyens militaires dont elle dispose, la réalité sur le USS Carl Vinson ? Après les revirements de position sur la Russie et la Syrie, Donald Trump n'est plus à un retournement de veste près. Jusqu'au prochain coup de tête de l'imprévisible président américain.
Fondé en 1986, FAIR (Fairness & Accuracy In Reporting, « équité et précision des reportages ») est un groupe d'observateurs des médias aux Etats-Unis, « offrant une critique documentée de la censure et des partis pris médiatiques » et entendant faire vivre le Premier amendement de la Constitution américaine, relatif à la liberté d'expression, « par la promotion d'une plus grande diversité de la presse et l'examen minutieux des pratiques médiatiques qui mettent de côté l'intérêt public, les minorités et les points de vue divergents ». A cet égard, le traitement des affaires coréennes, et en particulier de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), constitue un cas d'école, avec des médias dominants qui multiplient les préjugés et font peu de place aux analyses s'écartant d'une ligne quasi-officielle imputant tous les torts à la seule Corée du Nord. Cette dernière semble prise dans un étau médiatique dont les deux mâchoires seraient les attaques sur le thème des droits de l'homme et les attaques sur le thème du danger que représente pour le reste du monde la RPDC, petit pays de 25 millions d'habitants soumis à un embargo féroce depuis plusieurs décennies et ayant subi une guerre d'anéantissement entre 1950 et 1953. Il est aujourd'hui avéré que certains témoignages spectaculaires servant aux offensives médiatiques anti-RPDC sur le terrain des droits de l'homme, par exemple ceux de Park Yeonmi et de Shin Dong-hyuk, sont mensongers ou, pour le moins, très douteux. Sur le terrain de la « menace » nord-coréenne, beaucoup d'analyses relayées par les médias sont aussi sujettes à caution, comme le démontre FAIR dans un article -dont l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) propose ici une traduction en français – qui s'appuie sur l'exemple d'un célèbre groupe de réflexion (think tank) alimentant régulièrement les grands médias américains puis occidentaux, groupe connu pour servir les intérêts du complexe militaro-industriel et de gouvernements étrangers. De leur côté, les médias, aux Etats-Unis, en France et ailleurs, sauf rares exceptions, semblent avoir renoncé à l'objectivité et à tout travail sérieux d'explication - voire à la déontologie - dès qu'il s'agit de la Corée du Nord, malgré l'importance des affaires coréennes pour la paix et la sécurité du monde. L'étau médiatique dans lequel est prise la Corée est une machine à désinformer pour ensuite pousser les peuples vers la guerre, comme l'a encore dénoncé l'AAFC dans son communiqué du 20 mars 2017.
Une fondation de droite et des cartes terrifiantes sur le nucléaire orientent le récit au sujet de la « menace » nord-coréenne
Les tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sont de retour dans la presse après une série de tests balistiques et des menaces proférées via le compte Twitter présidentiel. Pendant ce temps, un groupe de réflexion conservateur – qu'on croyait moribond – a refait son apparition grâce à son alignement sur Donald Trump. Le résultat est que la Heritage Foundation a fourni l'ossature du récit à la base des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis à l'ère Trump, tournant en boucle dans des douzaines d'articles de presse et d'apparitions télévisuelles.
Le plus célèbre des experts de la Heritage est l'ancien analyste de la CIABruce Klingner, lequel joue la partition du Faucon Raisonnable, en insistant sur le fait que la Corée du Nord est « en train d'accroître [ses] capacités nucléaires et balistiques » et constitue une « une menace existentielle pour la Corée du Sud et le Japon et sera bientôt une menace directe pour le continent des Etats-Unis », mais en s'opposant à un bombardement préventif ou à une invasion tant que la menace n'est pas « imminente » - un terme qu'il ne définit jamais exactement (mais que, il convient de le noter, l'actuel secrétaire d'Etat utilise pour décrire la situation).
Avec l'analyste politique Michaela Dodge et le directeur du Centre d'études asiatiques de la Heritage Walter Lohman, Klingner truffe les reportages des médias de citations présentant la Corée du Nord et la Chine comme les seules à mal se comporter, soulignant l'urgente nécessité d'un « leadership » militaire des Etats-Unis, et appelant fréquemment à augmenter les dépenses militaires :
"Fondamentalement, après la Guerre froide, nous avons pris des vacances au lieu de moderniser la force de dissuasion nucléaire", a déclaré Michaela Dodge, une analyste spécialisée dans la politique nucléaire militaire au Centre pour la défense nationale de la Heritage Foundation.
"Il y a chez eux ce sentiment d'être assurés pour le moment", a dit Bruce Klingner, directeur de recherche pour l'Asie du Nord-Est à la Heritage Foundation à Washington, "mais le Japon et la Corée du Sud sont comme des petits chiens agités qui ont constamment besoin d'être rassurés et sont tout le temps nerveux."
"La Chine a été une partie du problème plutôt qu'une partie de la solution", a affirmé Bruce Klingner, directeur de recherche à la Heritage Foundation, qui décrit la Corée du Nord comme une menace militaire globale..."[La Chine a] une réponse neutre et ne veut pas porter de jugement de valeur quand elle appelle les deux Corée à ne pas accroître les tensions, alors que c'est seulement sa Corée qui agit ainsi."
MSNBC (19 mars 2017) a récemment reçu Klingner pour un entretien désinvolte et dépourvu de tout sens critique. L'animateur Jacob Soboroff a lancé des balles faciles à propos des sinistres intentions de la Corée du Nord et de l'urgence d'une prééminence militaire des Etats-Unis, en utilisant une variante de l'astuce rhétorique du « certains disent que » pour faire passer des suppositions très contestables sur les motivations de la Corée du Nord :
De nombreuses personnes ont interprété ces dernières actions, provocations de la part de la Corée du Nord, comme un message lancé directement aux Etats-Unis. Pourquoi, selon votre estimation, la Corée du Nord est-elle si concentrée sur les Etats-Unis d'Amérique ?
Qui sont ces « nombreuses personnes » ? Quelles sont leurs motivations ? Des experts ont-ils été sondés quant aux intentions de la Corée du Nord ? Soboroff ne le dit pas.
La Terrifiante Carte Imaginaire sur le Nucléaire
Un élément clé des rapports sur le programme d'armes nucléaires de la Corée du Nord est la Terrifiante Carte Imaginaire sur le Nucléaire montrant un missile balistique intercontinental totalement hypothétique, dont-la-fabrication-n'a-pas-encore-été-prouvée, atteignant le continent américain.
Un exemple récent paru dans leNew York Times (4 mars 2017) montre les pièges posés par laTerrifiante Carte Imaginaire sur le Nucléaire.
« Portée croissante de la Corée du Nord - La portée potentielle des armes actuelles de la Corée du Nord, en particulier les missiles KN-14 et KN-18, permettrait à ses têtes nucléaires d'atteindre la majeure partie du monde »
Il faut noter la présence de deux missiles, le KN-14 et le KN-08, en bas à droite, couvrant les Etats-Unis. Ces missiles n'ont pas été testés par la Corée du Nord, contredisant donc le seul critère retenu dans le tableau associé, à savoir « les fusées actuellement testées ». Il faut noter la mention du tableau, précisant que les deux missiles prétendument capables d'atteindre les Etats-Unis sont exclus dudit tableau.
« L'arsenal nord-coréen - Les fusées actuellement testées présentent une large gamme de tailles et de capacités »
Foreign Policy (10 mars 2017) a également utilisé une carte similaire et trompeuse qui enterrait le fait que la portée indiquée, laissant croire qu'une bombe nucléaire pourrait être lancée sur les Etats-Unis, n'avait, en réalité, pas été démontrée.
Les missiles KN-14 et KN-08, « pas encore testés »
Ces fusées devaient être incluses afin que le Terrifiant Grand Cercle Nucléaire couvre le territoire continental des Etats-Unis, de sorte que le Times et Foreign Policy ont joué avec la capacité théorique des missiles pour aider à relever le niveau de la menace.
Même si les plus petits cercles figurant sur ces cartes représentent des missiles qui ont été testés, cela ne doit pas induire les lecteurs en erreur en les laissant penser que les portées revendiquées pour ces missiles ont réellement été démontrées par les tests nord-coréens. Par exemple, le plus grand cercle suivant sur ces cartes – d'un rayon de 2 200 miles [3 500 kilomètres] incluant les Philippines, Guam et une partie de la Thaïlande – représente le missile nord-coréen Musudan. D'après un compte-rendu exhaustif des essais balistiques de la Corée du Nord paru dans Business Insider (29 octobre 2016) :
Cette année, la Corée du Nord a mené jusqu'à aujourd'hui huit tests de missiles Musudan. Tous les lancements, à l'exception du sixième le 22 juin, ont été considérés comme des échecs.
Le missile du test qui a réussi a parcouru 250 miles [400 kilomètres] (Business Insider,21 juin 2016), un peu plus du dixième de la portée revendiquée du missile sur les cartes de la menace nord-coréenne. La Corée du Nord a conduit par la suite un autre test du Musudan avec succès, atteignant une portée de 310 miles [500 kilomètres] (CNN, 13 février 2017). La plus grande distance parcourue par un missile au cours des tests de la Corée du Nord est, en réalité, de 620 miles, soit 998 kilomètres (New York Times, 5 mars 2017).
Dans la soirée du mardi 21 mars 2017, un autre missile a explosé « dans les secondes » qui ont suivi le lancement. Jusqu'à présent, l'affirmation selon laquelle ce missile peut atteindre Tokyo, sans parler de la Thaïlande, relève de la spéculation.
A gauche : « La portée maximale des tests balistiques réalisés à ce jour est de 998 km (New York Times, 5 mars 2017). » A droite : « La portée maximale, d'après les spéculations sur la capacité balistique, est de 13 000 km (Heritage Foundation). »
Bien sûr, la première carte illustre toujours un danger potentiel pour les millions de personnes vivant dans son rayon, mais les récits guerriers sont rarement fondés sur des menaces fabriquées de toutes pièces, plutôt en exagérant ces menaces ou en les mettant en avant. La portée potentielle de la Corée du Nord présente certainement un intérêt pour les médias, mais combien de lecteurs parcourant ces Terrifiantes Cartes Imaginaires sur le Nucléaire en viennent à penser qu'il s'agit de portées réelles, testées et basées sur la capacité actuelle ? L'écart entre ce qui est objectivement vrai et ce qui est possible se brouille en un hiver nucléaire dévorant le monde.
La Heritage Foundation diffuse sa propre Terrifiante Carte Imaginaire sur le Nucléaire, au travers de publications telles que Business Insider (10 février 2016, 16 février 2016, 2 décembre 2016), Daily Caller (11 février 2016) et Real Clear Defense (9 février 2016) qui l'ont insérée dans des articles traitant de la capacité nucléaire de la Corée du Nord parus au cours de l'année dernière :
« La Corée du Nord étend la portée de ses missiles pour couvrir le territoire continental des Etats-Unis – Le lancement par la Corée du Nord de son Taepodong 3 [le dimanche 7 février 2016] a mis en évidence une portée estimée de 13 000 kilomètres – signifiant qu'elle peut maintenant atteindre toutes les parties des Etats-Unis. Auparavant, sa portée était estimée à 10 000 kilomètres. »
Ce graphique est presque toujours inséré dans les articles au sujet de la capacité nucléaire de la Corée du Nord mais, après examen, concerne seulement la capacité non nucléaire de la Corée du Nord. Il se peut que ce tour de passe-passe n'ait pas été l'intention du créateur de la carte – qui établit clairement que celle-ci n'implique pas une charge nucléaire — mais c'est ainsi qu'elle est présentée dans de nombreux articles, associée avec des gros titres mettant en garde contre l'ambition nucléaire de la Corée du Nord.
Que la Corée du Nord puisse atteindre le territoire continental des Etats-Unis avec des missiles non nucléaires reste du domaine de la spéculation. Le propre rapport de la Heritage Foundation sur la question (Daily Signal, 9 février 2016) utilise les termes « peut avoir » et « pourrait » quand il décrit la prétendue portée de 13 000 kilomètres – un chiffre obtenu en examinant les composants techniques et en résumant la capacité potentielle, plutôt qu'en s'appuyant sur la preuve concrète d'un test balistique. Ce calcul apparaît dans un article unique et non signé du journal japonais Mainichi (8 février 2016), lequel ne donne pas la source originale de ce chiffre.
D'autres médias, tels que Business Insider (13 janvier 2017), Time (8 mars 2017) et le Washington Post (8 février 2016), rapportent qu'il est peu probable ou inconnu que la Corée du Nord dispose actuellement de la capacité de bombarder les Etats-Unis, encore moins avec une bombe nucléaire.
Selon Luke Coffey de la Heritage Foundation, le chiffre de 13 000 km – nécessaire pour étendre la portée jusqu'à inclure toute la partie continentale des Etats-Unis – vient du ministre sud-coréen de la Défense. Quand on lui a demandé précisément à quelle date le ministre avait fait cette déclaration, ou un lien vers un endroit où cette déclaration apparaît, Coffey a répondu : « Je ne suis pas votre chercheur. Cherchez par vous-même. » La seule citation trouvée sur le site Internet de la Heritage renvoyait à la source anonyme du Mainichi.
La Heritage ne divulgue pas la liste de ses donateurs, et a connu des affaires de conflits d'intérêts dans le passé. A la fin des années 1990, elle a été critiquée pour avoir accepté un financement de 1 million de dollars directement de la part du gouvernement sud-coréen. Un article de 2015 paru dans The Intercept (15 septembre 2015) a montré la relation intime existant entre la fondation et la société Lockheed Martin en contrat avec l'armée, la Heritage concevant les supports de communication nécessaires au travail de lobbying auprès du Congrès pour étendre le programme du F-22, en poussant à l'achat de 20 avions destinés à être revendus au Japon, à l'Australie et « probablement à la Corée du Sud ». Mackenzie Eaglen, le chercheur nommé dans les courriers électroniques, nie avec véhémence les allégations sur une contrepartie.
La Heritage Foundation n'a pas répondu aux demandes de commentaires de la part de FAIR au sujet de son financement, ni si elle reçoit ou non des dons du gouvernement sud-coréen ou de ses fondations associées.
Bien qu'il y ait eu des rapports épars évoquant une querelle au sujet de la mise en place du système de santé, la Heritage Foundation a été incroyablement influente dans l'administration Trump, ayant écrit beaucoup de ses propositions de coupes budgétaires et concevant les politiques à un niveau élevé.
Adam Johnson est un analyste contribuant à FAIR.org. Il peut être suivi sur Twitterà @AdamJohnsonNYC.
Tensions between the United States and North Korea are making their way back into the news after a series of missile tests and presidential Twitter threats. Meanwhile, a conservative think ...