Ronda Hauben est chercheuse, journaliste indépendante et spécialiste de l’histoire et des usages d’Internet. Elle a notamment mis en évidence le rôle déterminant d'Internet dans la mobilisation des citoyens lors des grandes manifestations aux chandelles de 2002 en Corée du Sud. Dans l'article suivant, elle s'intéresse au caractère biaisé des informations véhiculées par les grands médias dès qu'il s'agit de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Si Ronda Hauben s'attache à décrire la couverture par certains grands médias américains de l'échec des pourparlers à six sur le nucléaire nord-coréen, son analyse peut aussi bien s'appliquer aux principaux médias français.
Les médias américains et l'échec des pourparlers à six
Par Rhonda Hauben
Alors que beaucoup des grands médias américains rendent la Corée du Nord responsable de chaque problème survenant dans les pourparlers à six [RPDC, Corée du Sud, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon], un article extraordinairement important [1] paru dans le Washington Post fournit des informations sur un aspect du problème qui a récemment fait déraper les négociations et menace de mettre un terme aux pourparlers à six si aucune solution n'est trouvée.
Cet article, qui aurait dû paraître à la une, n'est paru qu'en vingtième page et n'a suscité que peu d'attention. Son auteur, Glenn Kessler, apporte des précisions sur l'environnement hostile dans lequel évolue le département d'Etat américain et qui a sapé le processus des négociations avec la Corée du Nord. Il décrit comment, aux Etats-Unis, les partisans de la ligne dure ont mis au point une procédure de vérification prête à être imposée à la Corée du Nord et qui revenait quasiment, selon les propres termes d'un expert en désarmement nucléaire, à une "autorisation d'espionner chaque site militaire [nord-coréen]."
Après avoir écarté Christopher Hill, le secrétaire d'Etat adjoint qui avait mené les négociations pour la partie américaine aux pourparlers à six, et ignoré les mises en garde de la Chine et de la Russie, les négociateurs américains ont présenté à la Corée du Nord un plan de vérification grossier qui, s'il avait été accepté, aurait constitué une menace pour la souveraineté nord-coréenne.
Une copie de ce plan de vérification de quatre pages est disponible en ligne.
Par ailleurs, le président des Etats-Unis, George Bush, n'a pas tenu son engagement de retirer la Corée du Nord de la liste des pays soutenant le terrorisme. Le 26 juin, Bush a présenté au Congrès sa demande de retirer la Corée du Nord, ouvrant le délai de 45 jours requis pour que le Congrès l'autorise à mettre en oeuvre ce retrait. Cependant, à l'issue de ce délai de 45 jours et en l'absence d'objection de la part du Congrès, Bush n'a pas retiré la Corée du Nord de la liste, déclarant que ce pays devait accepter un plan de vérification.
Dans un discours délivré le 27 septembre devant l'Assemblée générale des Nations Unies, le vice-ministre des Affaires étrangères nord-coréen, Pak Kil-yon, a expliqué que les Etats-Unis utilisent à présent le "prétexte de la vérification pour ne pas rayer le pays de leur liste des Etats soutenant le terrorisme, même après avoir reconnu officiellement que la RPDC ne constitue pas un tel pays."
Le lundi 22 septembre, parlant devant la Korea Society de la responsabilité de l'administration Bush dans le blocage des pourparlers à six, Leon Sigal, membre du Social Science Research Council, a rappelé que l'administration Bush est tenue d'agir en réponse à chaque action de la RPDC afin de respecter ses obligations.
Sigal a rappelé que l'accord atteint par les six pays prévoyait que, dans une deuxième phase, la Corée du Nord "désactive le réacteur, les installations de retraitement et l'usine de fabrication de combustible de Yongbyon et déclare les matériaux et équipements nucléaires à éliminer au cours d'une troisième phase." La Corée du Nord a aussi promis de "ne pas transférer des matériaux, technologies et savoir-faire nucléaires" à des tierces parties. Les Etats-Unis, conformément à leur obligation d'une action pour une action, ont promis de "commencer le processus de retrait de la RPDC de la liste des pays soutenant le terrorisme et de faire progresser le processus de levée de l'application à la RPDC de la Loi sur le commerce avec les pays ennemis."
Une vérification, d'après Sigal, "entrait dans la troisième phase des négociations, lorsqu'on s'attacherait au démantèlement des installations nucléaires du Nord et à l'élimination du plutonium ou des armes en sa possession."
Sigal a souligné que le premier signe d'une administration ayant "cédé aux partisans de la ligne dure" est apparu le 30 juillet quand un membre du Conseil national de sécurité, Dennis Wilder, déclara aux journalistes que le retrait de la Corée du Nord de la liste des Etats soutenant le terrorisme exigerait l'acceptation par la Corée du Nord d'un protocole de vérification. Puis, a expliqué Sigal, Bush a prononcé le 7 août un discours dans lequel il informait la Corée du Nord qu'elle devait accepter un accord sur la vérification pour être ôtée de la liste.
Le gouvernement américain a changé unilatéralement les termes de l'accord, imposant à la Corée du Nord une condition ne figurant pas dans l'accord initial.
La plupart des grands médias américains n'ont pas informé le public de ce changement arbitraire dû au gouvernement des Etats-Unis, démonstration supplémentaire que les médias aident le gouvernement américain à tromper le public. Les médias ont joué un rôle similaire dans la diffusion des fausses histoires de l'administration Bush au sujet des armes de destruction massive détenues par l'Irak et ont été très critiqués depuis pour ça. [2]
En dépit de toutes les critiques sur leurs défaillances passées, il existe une réticence de la part des médias américains à exposer la nature du différend à l'origine de la récente rupture des pourparlers à six. Par exemple, l'agence United Press International (UPI) a donné la parole à un prétendu expert de la Corée du Nord appartenant à un institut de réflexion londonien, selon lequel la Corée du Nord essaie de diviser les pays engagés dans les pourparlers à six. [3]
D'autres articles de presse ont décrit comment Chris Hill, le représentant des Etats-Unis aux pourparlers à six, voulait se rendre en Corée du Nord afin de sortir les négociations de la crise actuelle, mais le problème ayant mené à cette crise ne fut que peu ou pas évoqué. Et même quand il y eut un article comme celui du Washington Post pour révéler la sévérité du processus de vérification auquel devait se soumettre la Corée du Nord, il fut relégué dans les pages intérieures du journal au lieu de figurer à la une comme une telle histoire l'aurait mérité.
Article original paru sur OhmyNews le 29 septembre 2008 (traduction et choix des illustrations : AAFC)
Notes:
[2] Les grands médias américains ont connu une situation similaire juste avant la guerre d'Irak. Les articles relayant les fausses déclarations du gouvernement américain sur la possession d'armes de destruction massive par l'Irak figuraient en première page de quotidiens tels que The Washington Post et The New York Times tandis que les articles doutant de ces allégations n'étaient pas publiés ou relégués dans d'autres rubriques du journal. La "campagne de désinformation" menée par la Maison Blanche, lors de la conférence de presse tenue par Tony Blair et George Bush à Camp David le 7 septembre 2002, en est un exemple. Ils citèrent un "nouveau rapport" de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), selon lequel l'Irak était à six mois de se doter de l'arme nucléaire. La presse tut le fait que ce rapport n'existait pas, à l'exception d'un article de Joseph Curl publié en page 16 du Washington Times, et d'un article du Washington Post écrit par de Karen DeYoung sur cette conférence de presse et citant un porte-parole de l'AIEA affirmant que ce rapport n'avait jamais existé. Mais cela ne fut pas mis en avant de l'article de Karen DeYoung et relégué en fin d'article, vingt-et-un paragraphes plus bas.
Lire John R. MacArthur, "Lies We Bought”, The Columbia Journalism Review, mai-juin 2003