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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 23:48

À l'occasion de la sortie de son ouvrage La Corée du Nord, cette inconnue aux éditions Delga, Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne, a donné une conférence  à l'amphithéâtre Roussy aux Cordeliers, à l'invitation du Cercle universitaire d'études marxistes (CUEM), en collaboration avec les éditions Delga, le 15 février 2018, sur le thème « Socialisme, réunification, nucléaire : les enjeux de la question coréenne ». Nous rendons compte de cette conférence ci-après.

Les citations sont des extraits de l’ouvrage de Benoît Quennedey « la Corée du Nord, cette inconnue » publié par les Éditions Delga, 2017.

Combattre pour la paix en Corée : retour sur une conférence au CUEM le 15 février 2018

La Corée du Nord est un thème vendeur dans les médias occidentaux : tout journaliste qui aborde un sujet nord-coréen a peu de risque d’être démenti, et plus son récit sera effrayant, spectaculaire, hors normes, plus il sera considéré comme ayant mis à jour une situation intolérable, sur laquelle le monde entier ne doit plus fermer les yeux. Ce biais est inhérent à la culture dominante des « grands » médias en Occident : trouver un « scoop », en appeler à l’émotion, faire parler, en bien ou en mal, l’essentiel étant d’attirer l’attention dans le flot incessant de nouvelles. Parfois les « informations » les plus étranges sont ensuite (discrètement) démenties […] Cependant, dans la plupart des cas, les fausses informations ne sont pas démenties- et même en cas de démenti celui-ci a moins de force et de visibilité que « l’information » initiale. Or précisément, dans le cas de la Corée du Nord, la désinformation vient presque toujours des services de renseignement sud-coréens et de militants néo-conservateurs d’extrême-droite […] (page 21)

La Corée du Nord – de son nom officiel, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) – a été fondée le 9 septembre 1948, trois ans après la fin de la Seconde guerre mondiale et de la colonisation japonaise de la Corée qui – loin d'aboutir à la restauration d'un État coréen souverain unifié – a conduit à la division du pays de part et d'autre du trente-huitième parallèle, défini par des officiers américains comme la ligne autour de laquelle les troupes soviétiques (au nord) et les troupes américaines (au sud) interviendraient dans la péninsule pour combattre les troupes japonaises et recevoir leur reddition. De fait, si les Soviétiques prirent part aux combats contre les Japonais, les Américains ne débarquèrent qu'après la fin des hostilités et eurent comme priorité, parallèlement à la mise en place d'une administration militaire, de saper les fondements de la République démocratique de Corée créée à l'initiative des Coréens qui avaient combattu pour la libération du pays – comme en France à la même époque. Ils favorisèrent comme président de la République de Corée (Corée du Sud) le très autoritaire Syngman Rhee, qui avait présidé le gouvernement provisoire coréen en exil.

La division nationale de la Corée est le résultat de la tenue d'élections séparées en mai 1948, dans la seule partie sud de la péninsule, sous l'égide des Nations unies, boycottées par la plupart des forces de gauche et également une partie des nationalistes qui, tel Kim Ku (assassiné au sud en 1949), se rendirent au Nord, à Pyongyang pour rencontrer le Président Kim Il-sung, ancien chef de guérilla de la lutte anti-japonaise qui devient l'homme fort du Nord. La division devenant un fait acquis avec la proclamation de la République de Corée, les forces politiques au Nord (Parti du travail, issu de la fusion de plusieurs organisations communistes, Parti démocrate et Parti chondogyo, d'inspiration religieuse) organisèrent des élections dans la moitié nord, tenues clandestinement au sud : l'Assemblée populaire suprême qui proclama la République Populaire Démocratique de Corée (dont le nom même s'inspirait de celui de la République démocratique de Corée), le 9 septembre 1948, était constituée de représentants de l'ensemble de la péninsule.

La guerre de Corée (25 juin 1950 – 27 juillet 1953) a entériné la division de la péninsule de part et d'autre du 38e parallèle, mais suivant un nouveau tracé correspondant à la ligne de front lors de la conclusion de l'accord d'armistice – qui aurait dû conduire à la signature d'un traité de paix, qui n'est toujours pas intervenue à ce jour, et explique pour partie les affrontements meurtriers entre soldats des deux parties divisées de la Corée, notamment dans les zones maritimes intégrées unilatéralement par les Américains dans le territoire sud-coréen, à la faveur de leur domination des espaces maritimes.

S'il est communément affirmé en Occident que la guerre de Corée est le résultat d'une vaste offensive des troupes de l'Armée populaire de Corée (du Nord), les historiens progressistes sud-coréens, à l'instar du spécialiste américain de la guerre de Corée Bruce Cumings, soulignent les multiples affrontements Nord-Sud à la veille du déclenchement généralisé des hostilités. En outre, après des élections locales en mars 1950 peu favorables au pouvoir sud-coréen, Kim Il-sung, ancien guérillero, pouvait estimer que les troupes du Nord seraient favorablement accueillies par toute une partie des Sud-Coréens – comme plus tard au Vietnam avec la présence de maquis communistes au Sud. Après une avancée très rapide, les troupes nord-coréennes sont bloquées autour de Pusan, dans le Sud-Est. La situation se retourne avec l'intervention des troupes des Nations unies sous commandement américain – rendue possible par la politique de la chaise vide pratiquée par l'Union soviétique au Conseil de sécurité, en protestation contre le fait que la République de Chine à Taïwan continuait de représenter la Chine après la proclamation de la République populaire de Chine en octobre 1949. Les soldats des Nations unies dépassent le trente-huitième parallèle et atteignent la frontière chinoise, entraînant l'intervention des volontaires du peuple chinois aux côtés des Nord-Coréens : une nouvelle offensive conduit à la reprise de Séoul, capitale du Sud, par les forces nord-coréennes et chinoises, avant un reflux et une stabilisation du front autour du trente-huitième parallèle. Une guerre de tranchées succède à la guerre de mouvement de la première partie du conflit.

Quelque 3 000 soldats français ont participé à la coalition internationale déployée sous le drapeau des Nations unies. Inversement, d'importantes manifestations en France – et ailleurs dans le monde – ont refusé la guerre, à l'initiative du Parti communiste français et du Mouvement de la paix : la manifestation du 28 mai 1952 à Paris fera deux morts, tués par les forces de l'ordre, place de Stalingrad (l'AAFC souhaite d'ailleurs qu'une plaque soit apposée, rappelant que Hocine Belaïd et Charles Guénard sont morts par refus de la guerre de Corée).

Lorsque la Corée s’est libérée du joug japonais en 1945, la plupart des nations d’Afrique et d’Asie étaient encore colonisées. La République populaire démocratique de Corée a considéré alors qu’il lui incombait d’aider d’autres États du Tiers-Monde à accéder eux aussi à l’indépendance dans le cadre de la solidarité internationaliste ; l’aide qu’elle a apportée aux mouvements de décolonisation a été non seulement politique, mais aussi militaire [...] (p.135)

La guerre de Corée causera entre 2 et 3 millions de morts, les pertes les plus importantes ayant touché le Nord, deux fois moins peuplé que le Sud avec 10 millions d'habitants. La guerre de Corée correspond à la première utilisation du napalm à grande échelle, par les États-Unis, qui ont également utilisé des armes chimiques. Malgré les démentis persistants du Pentagone américain, des documents déclassifiés (comme ceux du dossier du savant Frank Olson) attestent de l'utilisation de ces armes de destruction massive. Le général MacArthur a envisagé l'utilisation d'armes nucléaires, en créant une ceinture de cobalt radioactive à la frontière sino-coréenne, mais ne sera pas suivi par les autorités américaines.

Dévastée humainement et matériellement par la guerre, la Corée du Nord se releva au rythme de Cheollima, le cheval ailé des légendes coréennes, enregistrant des taux de croissance économique parmi les plus élevés au monde, et s’affirmant comme un modèle de développement pour les pays à économie planifiée du Tiers-Monde. Ces résultats ont été obtenus par une mobilisation de toute la population, Kim Il Sung multipliant les visites de terrain à travers tout le pays. La Chine, l’Union Soviétique et les démocraties populaires d’Europe de l’Est ont également apporté une coopération, qu’il s’agisse de capitaux ou de techniques, qui a contribué à un effort d’industrialisation et de modernisation sans précédent. Au moins jusqu’au début des années 1970 (les estimations variant ensuite selon les chercheurs), le revenu par habitant était plus élevé au nord de la péninsule coréenne qu’au sud. (page 17)

Mais l’économie de la Corée du Nord a

[…] ensuite enregistré un fort recul après 1990 (avec un PIB en baisse de 30 % environ), sous l’effet conjugué de la fin des échanges commerciaux (en partie sous forme de troc) avec l’URSS et les démocraties populaires, d’une pénurie d’énergie qui a notamment résulté de la fin des livraisons de fioul soviétique à des tarifs préférentiels et de catastrophes naturelles à répétition ayant eu des effets dramatiques pour la population. L’endettement du pays (notamment vis-à-vis de l’URSS), les restrictions aux transferts de technologies du fait de l’embargo occidental dont les principes ont été définis lors de la guerre de Corée et la mise à l’écart des circuits financiers financiers internationaux ont aggravé la crise économique des années 1990-1999.

Depuis1999, la croissance économique est estimée en moyenne à un peu plus de 1 % par an par la banque de Corée (du Sud). » (page 62/63)

[...] si l’économie a retrouvé un certain dynamisme (sans atteindre les taux de croissance annuels à deux chiffres des années 1960 et 1970), c’est au prix d’un creusement des inégalités entre classes sociales et entre régions, [...] » (page 66)

L’économie nord-coréenne présente aujourd’hui plusieurs strates : l’économie planifiée, les marchés généraux de biens et de services et les zones économiques spéciales (ZES). S’ajoute une économie non officielle, impliquant des acteurs publics et privés […] (page 56)

Après ce rappel historique des origines de la RPD de Corée, comment caractériser politiquement le régime politique, décrit à l'envi comme le dernier pays « stalinien » de la planète ? Si les institutions mises en place dès la Libération se sont inspirées de l'organisation soviétique, elles puisent aussi leurs racines dans les gouvernements populaire révolutionnaires mis en place par les partisans coréens dans le Nord-Est de la Chine, en Mandchourie, à la fin des années 1930, lors des années de la guérilla anti-japonaise : les lois de 1946 sur l'égalité hommes-femmes, la réforme agraire et la collectivisation des moyens de production s'inspirent de ces gouvernements. Lors du conflit sino-soviétique, les Nord-Coréens ne veulent pas être réduits au rôle de supplétifs de l'un ou l'autre camps : ils mettent de plus en plus fortement en avant une idéologie qui leur est propre, les idées du Juche – qui consistent à rechercher l'autonomie dans tous les domaines – et qui supplante finalement le marxisme-léninisme comme idéologie directrice. Si le marxisme inspire la production intellectuelle (par exemple dans le domaine économique), si la propriété collective des moyens de production reste la norme malgré les réformes économiques mises en place depuis l'adoption des mesures du 1er juillet 2002, et que la gratuité de l'éducation et de la santé restent des principes cardinaux, il n'est plus fait référence au marxisme, ni même au communisme. Symboliquement, les portraits de Marx et Lénine qui ornaient la place Kim Il-sung ont été décrochés en avril 2012, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du fondateur de la RPDC. La RPDC se revendique d'un socialisme à la coréenne, tout en tirant sa légitimité de la lutte de libération nationale – à l'instar de la Chine ou du Vietnam. Après la disparition de l'URSS et des démocraties populaires d'Europe de l'Est, qu'elle impute à une perte de confiance des citoyens de ces pays dans le socialisme, la Corée du Nord a toutefois participé activement à la promotion et à la défense du « socialisme réel », en organisant dès 1992 une conférence internationale à Pyongyang, à l'issue de laquelle a été adoptée la déclaration de Pyongyang mettant en avant les principes de socialisme et de souveraineté nationale.

Si la Corée du Nord a noué des alliances (y compris militaires) avec la Chine et l’Union soviétique en 1961, la crise de Cuba en 1962 l’a convaincue qu’elle ne pouvait compter que sur ses propres forces pour se protéger de ce qu’elle perçoit toujours comme une menace américaine pesant sur son système politique et social. Le développement simultané de l’économie et de la défense nationale est alors devenu une ligne politique réaffirmée jusqu’à la période contemporaine, » (page 17/18)

« Si l’URSS a été fortement présente dans les années de mise en place du nouvel État, elle a refusé en revanche tout engagement direct pendant la guerre de Corée (juin1950-juillet 1953) au contraire de la République de Chine dont les « volontaires du peuple chinois » ont joué un rôle décisif pour l’issue du conflit.

Ces conditions historiques, combinées à la rupture sino-soviétique… ont déterminé la position de la RPDC vis à vis de l’URSS…la recherche d’une indépendance nécessaire au maintien d’une position équilibrée entre la Chine et l’URSS (pages 119/120)

(...) les liens avec l’URSS se sont distendus...Avant même la disparition de l’URSS, Moscou établit des relations diplomatiques officielles avec la République de Corée (Corée du Sud)… État successeur de l’URSS, la Russie a désormais engagé une politique d’équilibre avec les deux États Coréens, la balance penchant toutefois nettement vers Séoul. (page 121)

[Mais] soucieuse de ne pas dépendre exclusivement d’un partenariat avec la Chine – qui risquerait de placer la RPDC devant le fait accompli en raison de l’importance de la relation bilatérale entre Pékin et Washington -, la RPDC veille à rééquilibrer ses relations extérieures en favorisant notamment les échanges avec Moscou. (page 122)

« [ils] veulent donc diversifier les partenariats extérieurs, en se tournant notamment vers les pays du Tiers Monde et la Russie. » (page 117)

Le développement du programme nucléaire nord-coréen, associé à des capacités balistiques permettant d'atteindre (depuis 2017) le territoire américain, est ancien (il aurait commencé dès la fin des années 1950) et relève d'une logique de dissuasion : les Nord-Coréens considèrent que, pour empêcher une attaque américaine et ne pas subir le sort de l'Irak en 2003 et de la Libye en 2011, ils doivent disposer d'une capacité de riposte qui dissuadera leurs adversaires de toute attaque. Pour autant, ils soulignent qu'ils restent fondamentalement attachés non seulement à la non-prolifération des armes nucléaires mais aussi à l'élimination complète de cette arme de destruction massive (dont la seule utilisation militaire à ce jour, par les États-Unis, à Hiroshima et Nagasaki, a fait des travailleurs coréens alors présents au Japon la deuxième communauté nationale, après les Japonais, victime de l'arme nucléaire) : le 27 octobre 2016, la RPDC a été le seul État doté de l'arme nucléaire à voter pour la résolution L.41 du premier comité de l'Assemblée générale des Nations unies, en charge du désarmement – avant toutefois d'estimer ne pas être aujourd'hui en mesure de soutenir le traité sur l'interdiction des armes nucléaires adopté le 7 juillet 2017, promu notamment par la coalition ICAN, prix Nobel de la paix 2017, qui plaide non pas pour l'élimination de toutes ses armes nucléaires par la Corée du Nord, comme préalable au dialogue, sur la base des arguments avancées par les États-Unis pour soi-disant accepter de discuter avec les Nord-Coréens, mais bien pour un dialogue qui inclurait le désarmement de toute la péninsule coréenne, et à terme la négociation d'un traité de paix en lieu et place de l'accord d'armistice de 1953.

Avec les États -Unis, le Japon constitue l’une des grandes puissances avec lesquelles la République Populaire Démocratique de Corée n’a toujours pas établi de relations diplomatiques complètes. Cette situation tient notamment à la persistance d’un certain nombre de contentieux historiques qui, de part et d’autre, bloquent toute évolution.

Le lourd dossier de la colonisation japonaise de la Corée entre 1910 et 1945 a laissé plusieurs plaies béantes : la mobilisation forcée des travailleurs coréens, l’enrôlement de jeunes Coréens dans l’armée impériale japonaise, la prostitution de quelque 200000 « femmes de réconfort » coréennes, esclaves sexuelles de l’armée impériale et le pillage des ressources de la péninsule... (page 127)

Quant à la France :

Si les relations entre la France et la République de Corée (Corée du Sud) sont anciennes - dès la proclamation du nouvel État en 1948 – la République française reste en revanche l’un des derniers pays de l’Union Européenne, avec l’Estonie, à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la République populaire démocratique de Corée. [bien que] le Général de Gaulle, à l’origine de la reconnaissance par la France de la République Populaire de Chine en 1964, décida en 1968 d’établir des relations diplomatiques avec la RPDC, [...] (page 147)

Ce combat pour la paix en Corée et dans le monde est aujourd'hui la priorité de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), fondée en 1969 pour promouvoir le dialogue et les échanges avec l'ensemble des Coréens, qui participe de la bataille pour sortir des caricatures trop fréquentes des médias sur la Corée du Nord (qui feignent aujourd'hui d'oublier que la menace d'une guerre ne provient pas des Nord-Coréens, qui subiraient des pertes incommensurables en cas d'attaque en premier, mais bien de l'administration Trump), des actions menées pour encourager les coopérations dans tous les domaines, notamment universitaires, et favoriser les actions humanitaires : alors que l'UNICEF a affirmé que les sanctions prises contre la RPDC, sans précédent dans l'histoire des Nations unies, peuvent entraîner la mort de 60 000 enfants, l'AAFC considère qu'il faut immédiatement mettre un terme aux politiques criminelles consistant à prendre en otage les populations nord-coréennes pour satisfaire les objectifs de politique intérieure des néoconservateurs américains.

Le spectaculaire rapprochement inter-coréen à l'occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud, rappelle de part et d'autre la volonté des Coréens de travailler pour la paix et la réunification, dans la continuité des sommets historiques Nord-Sud de juin 2000 et d'octobre 2007. La situation politique en République de Corée a évolué en ce sens, après que la présidente sud-coréenne Park Geun-hye a été chassée du pouvoir par la rue et est aujourd'hui en prison dans l'attente de son procès, après avoir été courtisée par les dirigeants occidentaux peu regardant sur les atteintes systématiques aux droits de l'homme alors commises dans le sud de la péninsule (c'est ici dans les locaux de l'université de médecine Pierre et Marie Curie qu'elle a été faite docteur honoris causa, par la volonté du Président français François Hollande). Lors des Jeux de Pyeongchang, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a remis au Président sud-coréen Moon Jae-in une invitation à visiter le Nord, en temps utile. Il faut soutenir ce mouvement, auquel s'opposent les forces néo-conservatrices, américaines, sud-coréennes, japonaises et françaises, qui ont besoin d'un abcès de fixation pour poursuivre la course aux armements dans la région Asie-Pacifique qui devient le nouveau pivot de déploiement de la puissance militaire américaine dans le monde (avec en toile de fond la rivalité stratégique avec la Chine et la Russie, qui ne sont pas des alliées mais des partenaires de la Corée du Nord, en ayant voté à son encontre des sanctions aux effets dramatiques). Ces mêmes forces bellicistes souhaitent aussi que les États-Unis continuent à organiser plusieurs fois par an les plus grandes manœuvres militaires au monde en temps de paix, au large de la péninsule coréenne, et qui ont gagné en ampleur depuis 40 ans. Elles mènent enfin une offensive médiatique sans précédent qui doit décrire, encore et toujours, la Corée du Nord comme un enfer sur terre : la propagande de guerre est déjà à l’œuvre. Ces manœuvres à contre-courant des aspirations à la paix des Coréens, Nord comme Sud, doivent plus que jamais être contrées.

Vers la réunification ?

[…] le premier sommet inter-coréen, initialement prévu en 1994 […] s’est finalement tenu à Pyongyang du 13 au 15 juin 2000. [...]Un second sommet s’est tenu, également à Pyongyang, le 4 octobre 2007 […]. Cette seconde déclaration a consolidé les résultats déjà atteints notamment la zone économique spéciale inter-coréenne de Kaesong. (pages 97/98)

Le nationalisme coréen est une donnée politique fondamentale, et il est pour le moins surprenant de constater que les succès sportifs de l’une ou l’autre Corée sont salués par l’autre […] Dans ce contexte, la réunification, quel que soit son horizon, constitue une donnée implicite du comportement des acteurs en présence. (page 103)

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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 23:50

Alors que les Jeux olympiques et paralympiques de Pyeongchang ont mis en lumière la République de Corée (Corée du Sud), Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), a été invité à présenter la Corée, dans le cadre des activités périscolaires, devant des élèves de CM2 de l'école élémentaire Arago, à Paris 14e. Retour sur une expérience nouvelle pour l'AAFC. 

La Corée expliquée aux enfants de l'école élémentaire Arago à Paris

Savez-vous situer la Corée sur une carte ? A l'aide d'une mappemonde, les élèves ont déjà été invités à localiser la péninsule coréenne - et il leur a été expliqué par la même occasion ce qu'est une péninsule, et demandé s'ils connaissaient d'autres péninsules dans le monde.

Puis, grâce à un rapide historique sur la Corée resitué dans le cadre de l'histoire du vingtième siècle, il leur a été expliqué comment la Corée, pays de plus de 76 millions d'habitants, a été divisée après avoir été libérée de l'occupation japonaise, en 1945.

En expliquant d'où venait le défilé en commun des athlètes sud et nord-coréens en ouverture des Jeux olympiques de Pyeongchang, l'intervenant a rappelé que le dialogue et les échanges intercoréens avaient déjà connu des progrès par le passé, surtout pendant la période 1998-2008. Toutefois, les familles coréennes séparées par la division ne peuvent toujours pas avoir d'échanges entre elles.

La séance s'est terminée par une explication sur l'écriture du coréen, les noms des élèves ayant été écrits en alphabet coréen, et la présentation des symboles nationaux - comme les drapeaux.

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10 mars 2018 6 10 /03 /mars /2018 10:23

Le vendredi 9 mars à 20h00, pendant six minutes, lors du journal de la chaîne Russia Today (en français) la présentatrice Magali Forestier a interrogé Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC). Le sujet bien sûr est celui du jour, l’annonce d’une rencontre entre Donald Trump et Kim-Jong-un.

Qu’est ce qui a permis ce retournement ?

- Deux interprétations possibles. Celle de Donald Trump : les sanctions ont fonctionné, l’économie du pays est au bord du gouffre, le pays n’a plus d’autre choix que la négociation. Celle de la Corée du Nord qui considère que, disposant désormais de la capacité nucléaire, elle peut négocier en position de force. Ce qui compte c’est que les deux pays voient l’opportunité de pouvoir amorcer un dialogue et peut-être arriver à solder un conflit qui a commencé avec la guerre de Corée en 1950-1953, sans traité de paix jusqu'à ce jour.

Est-ce que la politique agressive de Donald Trump a porté ses fruits ?

C’est ce qu’il pense et aujourd’hui il est flatté d’avoir une proposition qui de plus lui est transmise par un responsable des services de sécurité nationale de Corée du sud qui sont très proches de leurs homologues américains. C’est une opération de séduction de Kim Jong-un qui a fonctionné.

Donald Trump sera-t-il celui qui réussira là où ses prédécesseurs ont échoué ?

Il rêve de réussir ce que les présidents démocrates ont échoué à résoudre. Il veut montrer que sa politique non-conventionnelle est efficace.

C’est donc un moment important.

Deux sujets vont immédiatement se retrouver sur la table de négociation. Côté américain la suspension des essais nucléaires et balistiques mais aussi une dimension à long terme avec un système de contrôle international et le retour des inspecteurs de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique). Côté coréen la diminution des sanctions. Tout ceci va prendre du temps.

Comment va se dérouler cette rencontre ?

Les deux partenaires doivent apprendre à se connaître. L'actuelle vice-ministre nord-coréenne des Affaires étrangères, spécialiste des affaires américaines, a été envoyée en Occident pour mieux comprendre la mentalité de Donald Trump, qui n’est pas toujours facile à appréhender. Restent les questions du lieu à déterminer, de l’agenda et des gestes de bonne volonté possibles. Par exemple les prochaines manœuvres militaires américano-sud-coréennes pourraient être d’ampleur inférieure ou au moins pas supérieure à celle de l’année dernière. La Corée du Nord ayant arrêté plusieurs ressortissants américains, elle pourrait offrir à Donald Trump de rentrer avec eux. Si au début les discussions sont bilatérales, la nécessité d'offrir des garanties de sécurité nécessitera l’inclusion de la Russie et de la Chine dans un accord international. Il faudra donc à un certain moment une série de négociations multilatérales.

Rencontre Donald Trump – Kim Jong-un, le point de vue de l’AAFC sur les plateaux télé. Benoît Quennedey a la parole.

A 22h00 dans le journal de France 24 (en français) c’est la journaliste Florence Thomazeau qui a questionné Benoît Quennedey. Bien entendu les questions étaient quasiment les mêmes et les réponses par conséquent très semblables. Nous n’en reproduirons donc pas l’intégralité.

Pourquoi ce changement de ton entre Donald Trump et Kim Jong-un ?

Il fallait sortir de l'impasse et c’est le cas avec l’intelligence historique des deux protagonistes de saisir l’opportunité de JO.

La rencontre est due à la réussite de la politique américaine ?

Chaque partie a sa propre interprétation…

Comment la Corée du nord pourrait-elle renoncer à l’arme nucléaire qui est le fondement de sa politique ?

Le processus de négociations sera long. Elle souhaite des garanties de sécurité, de non-attaque, la levée des sanctions, l'établissement de relations bilatérales avec Washington, de l’aide économique et un processus de sécurité collective.

En 1985 et 1993 il y a déjà eu des tentatives de dénucléarisation mais qui ont échoué, pourquoi aujourd’hui cela serait-il différent ?

La différence est qu’aujourd’hui la Corée du Nord dispose d’une réelle capacité de dissuasion et qu’elle aborde les négociations avec plus de confiance. De plus une rencontre au niveau des chefs d’Etat est inédite et importante pour un pays très fier. Le processus sera complexe mais peut aboutir à la fin de la situation résultant de la guerre de 1950-1953.

La Chine est absente de ce processus apparemment mais a-t-elle pu avoir un rôle d’intermédiaire ?

La Corée du Nord a choisi pour porter son message des Sud-Coréens et de plus membres des services de sécurité, qui sont proches des milieux américains. En 2017 sur ce dossier il est vrai que la Chine a montré de la lassitude et la Russie a repris l’initiative. La Chine ne veut pas d’escalade en Asie ; elle accueille ce sommet avec optimisme et elle sait que si un système de sécurité collective est mis en place elle aura un rôle à y jouer.

Rencontre Donald Trump – Kim Jong-un, le point de vue de l’AAFC sur les plateaux télé. Benoît Quennedey a la parole.
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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 23:58

Longtemps, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a été maltraitée dans les médias, ramenée à quelques clichés véhiculés par des spécialistes n'ayant jamais mis les pieds dans le pays. La récente séquence - des Jeux olympiques de Pyeongchang aux propositions de dialogue de Pyongyang - ont accentué une tendance déjà engagée avant l'apaisement récent des tensions. Le professeur Robert Charvin, doyen honoraire de la faculté de droit et de sciences économiques de Nice, vice-président de l'AAFC, auteur de plusieurs ouvrages sur la Corée et observateur attentif du traitement médiatique de la question coréenne depuis plus de trente ans, livre son analyse dans la tribune ci-après.

Encore un petit effort !

Il y a peu de temps, la Corée du Nord faisait consensus dans les grands médias : ce petit pays avait toujours tort et menaçait le monde. Dans l'éventail politique, de droite à gauche, Pyongyang était toujours coupable (y compris des pires « complots ») et son socialisme n'était pas le bon ! A gauche, il était clair que l'on préférait les socialistes ne socialisant rien plutôt qu'un régime ayant étatisé les moyens de production, fondement d'une collectivisation plus sociale à venir. Et puis la Corée du Nord étant un « petit » pays, il ne coûtait rien à personne de le dénoncer à tout propos.

Ce temps semble passé. Sur nos écrans et nos ondes, n'est plus invité un sinistre rigolo, n'ayant jamais mis les pieds à Pyongyang, armé de seules sources étasuniennes, qui depuis des années avait le monopole des analyses sur la Corée lorsqu'elle était à l'ordre du jour médiatique. On n' entendra plus ses inepties, révélant son inculture et sa mauvaise foi politique. Comme si la tornade des stupidités de Trump sur la Corée, comme sur les autres questions, avait vacciné les médias qui, sans avoir atteint le stade de la guérison, voient leur pathologie nord-coréenne régresser.

Des universitaires compétents (tels le professeur Maurus ou Madame Morillot, par exemple) commencent à intervenir sur les différentes chaînes de radio ou de télévision pour parler avec sérieux de cette Corée du Nord que de si nombreux journalistes, allant dans le sens du vent, ont longtemps si mal traitée sans le moindre scrupule déontologique. Visiblement, les rédacteurs en chef ont renouvelé leur carnet d'adresses. Tous les espoirs sont permis !

Les Jeux olympiques d'hiver en Corée du Sud, qui ont été l'occasion d'un rapprochement entre le Nord et le Sud, malgré l'hostilité des États-Unis, ont perturbé l'agressivité et l'ironie méprisante d'hier pour laisser place à un simple scepticisme sur la « bonne volonté » des Nord-Coréens qui s'affaiblit encore avec l'annonce d'un prochain sommet nord-sud.

Il y a du mieux, décidément : il y a quelques mois, on s'inquiétait dans certaines rédactions d'un « éventuel » débarquement des hordes de Pyongyang sur les côtes étasuniennes, après un « possible » bombardement nucléaire ! Le malheur pour cette bonne presse, c'est que le nouveau Président de Corée du Sud n'a pas la même servilité vis-à-vis des Etats-Unis que l'ancienne Présidente aujourd'hui incarcérée pour corruption et contre laquelle le Parquet de Séoul réclame 30 ans de prison ! A moins d'être naturalisé yankee, comment être plus sud-coréen que les Sud-Coréens eux-mêmes ? La tâche de nos chers médias est ainsi devenue plus complexe et les journalistes prétendument « spécialisés » vont devoir se mettre à travailler sur l'histoire de la Corée, sur le confucianisme et sur la persévérance de Pyongyang à demander à Séoul comme à Washington l'ouverture de négociations !

Sans Pékin et Moscou, les grands voisins pourtant très prudents, n'y aurait-il pas déjà eu liquidation par les forces « civilisatrices » du Pentagone de ce petit pays qui ose affirmer sa souveraineté face à la première puissance mondiale ! Sous les applaudissements des médias aux ordres...

Désormais, il va peut-être falloir que les braves journalistes, tous « indépendants et d'esprit critique », se mettent à réfléchir sur ces « broutilles » que sont les conséquences sociales, économiques, politiques et culturelles d'un embargo sévère qui dure depuis près de 70 ans, après une guerre dévastatrice, sur un peuple et contre un régime !

Ceux qui écrivent ou bavardent dans les médias vont aller peut-être jusqu'à s'interroger philosophiquement, comme l'a fait Montesquieu, avec ironie, au XVIIIe siècle, à propos des Persans : « Comment peut-on être Coréen du Nord ? ». A l'heure du « monde fini qui commence », vont-ils admettre qu'il soit possible d'être ni Français, ni Européen, ni Occidental et de vivre bien que privés de TF1, de BFM, de la publicité, du Front National, du PSG et de la succession de Johnny, dans un pays sans chômage, où la santé, l'éducation et le logement sont quasiment gratuits.

Dans la presse progressiste elle-même, ira-t-on jusqu'à se rallier à la position de Régis Debray (publiée par l'Humanité du 31.01.2017) : « Quand Marx ne donne pas la main à Bolivar, ça ne marche pas !» ; en remplaçant Bolivar par Confucius et en songeant qu'il a fallu au peuple coréen et au Parti du Travail une sacré capacité de résistance pour survivre et progresser malgré de très faibles moyens, alors que tant d'autres partis sont morts ou moribonds ! Il est vrai que certains « révolutionnaires » occidentaux cultivent la nostalgie et préfèrent les vaincus à ceux qui, tant bien que mal, y compris à l'aide d'un parti unique, ont tenu bon face au reste du monde (y compris leurs alliés) !

La nostalgie est plus confortable, y compris électoralement, que la solidarité à contre-courant !

Ces discrètes mutations médiatiques sont une revanche pour ceux qui ont été pris pour des fous, des dogmatiques, voire des mercenaires, durant de longues années, non seulement par leurs adversaires politiques mais aussi par leurs amis.

Notre espérance renaît si les journalistes dans leur ensemble s'y mettent, même s'ils restent très « prudents » !

Encore un petit effort, Messieurs et Mesdames, et merci d'avance pour quelques nouveaux pas vers plus d'intelligence du réel !

Robert Charvin, 4 mars 2018

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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 19:41

En janvier 2018, l'équipe de rédaction de Nord-Sud XXI - ONG de défense des droits de l'homme ayant statut consultatif auprès des Nations unies, et qui a été présidée par l'ancien président algérien Ahmed Ben Bella jusqu'à sa disparition le 11 avril 2012 - a publié un numéro de sa revue Un autre monde / Another world. Sous le nom "Réconciliation(s) ?", ce numéro a examiné notamment plusieurs situations de réconciliation nationale (Afrique du Sud, Libye, Palestine, Côte-d'Ivoire, Corée...). L'article consacré à la Corée, intitulé "Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire" avait été rédigé par Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) en novembre 2017, avant le rapprochement Nord-Sud à l'occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang. Nous le reproduisons ci-après, avec l'autorisation de l'équipe de rédaction de Nord-Sud XXI. 

"Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire"

Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire

Pays de près de 80 millions d'habitants (l'équivalent de l'Allemagne), dont la superficie est inférieure de plus de moitié à celle de la France, la Corée a été un Etat unifié pendant au moins dix siècles de son histoire, avant d'être divisée au sortir de la Deuxième guerre mondiale, après 35 années d'une féroce colonisation japonaise (1910-1945). Au Sud du 38e parallèle, où se sont déployées les troupes américaines depuis septembre 1945, la République de Corée (Corée du Sud) a été fondée le 15 août 1948, à l'issue d'élections séparées, boycottées par de nombreuses forces politiques car s'étant tenues dans la seule moitié Sud du pays. En conséquence de cette initiative prise par des forces politiques au Sud ayant conduit à inscrire en droit une division alors de fait, la République populaire démocratique de Corée a été fondée le 9 septembre 1948 au Nord du 38e parallèle, où se trouvaient depuis 1945 des troupes soviétiques. La guerre de Corée, guerre civile internationalisée qui a causé près de 3 millions de morts entre juin 1950 et juillet 1953, a ensuite entériné la division du pays autour de la ligne de front, à proximité du 38e parallèle, se concluant par un simple accord d'armistice, et non un traité de paix qui devrait créer les conditions nécessaires pour empêcher les affrontements sporadiques qui ont continué d'endeuiller, de part et d'autre du 38e parallèle, la péninsule coréenne depuis plus de six décennies. Malgré la fin de la guerre froide, la réunification de la Corée semble difficilement réalisable dans un horizon proche : les 51 millions de Sud-Coréens et les 26 millions de Nord-Coréens ne peuvent toujours pas communiquer entre eux d'une manière ou d'une autre (courrier, téléphone, mél...), les échanges économiques et humains sont redevenus quasiment nuls après une courte décennie de présidences conservatrices à Séoul (2008-2017) et les tensions diplomatiques et militaires ont atteint un point paroxysmique à partir de l'été 2017. Cette escalade doit être resituée dans le contexte d'une volonté américaine de maintenir son hégémonie dans la région Asie-Pacifique, 28 500 GIs restant stationnés en permanence en Corée du Sud, théâtre, plusieurs fois par an, des plus grandes manœuvres militaires au monde en temps de paix. Pourtant, les raisons demeurent d'espérer une réconciliation et d'entrevoir, à terme, une réunification désirée ardemment par tous les Coréens, du Nord, du Sud et d'outre-mer.

 

La Corée est à la mode dans les médias, ou plus exactement la Corée du Nord, objet de tous les fantasmes et sujet privilégié de fausses nouvelles (fake news) : le pays prétendument le plus fermé au monde est nimbé d'un halo de mystère. Pour nous y être rendu à sept reprises entre août 2005 et août 2017, nous pouvons cependant témoigner que Pyongyang n'est en rien une destination inaccessible, et que celui qui veut voir la réalité nord-coréenne par lui-même en a la possibilité : des agences de voyage se sont spécialisées dans les visites du pays, qui est demandeur de coopérations dans tous les domaines (politiques, économiques, sociaux, universitaires, culturels, sportifs...). Depuis sa création en 1969, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a d'ailleurs organisé à de multiples reprises des déplacements de délégations de Français en Corée du Nord et de Nord-Coréens en France, notamment l'accueil d'une troupe de jeunes artistes handicapés en février 2015 et d'une délégation du Comité coréen des relations culturelles avec les pays étrangers à Paris, les 23 et 24 juin 2017, dans le cadre d'une conférence internationale pour la paix et la réunification en Corée.

 

Si la Corée – et singulièrement la Corée du Nord – est réputée si méconnue, c'est d'abord par paresse intellectuelle ou désintérêt volontaire, notamment de la part des médias institutionnels qui façonnent l'opinion publique : une des myopies les plus fréquentes provient ainsi du refus de voir que la Corée du Nord est d'abord et avant tout coréenne, étant dépositaire d'une culture plurimillénaire propre à toute la péninsule, renforcée par une homogénéité ethnique.

 

Les Coréens du Nord et du Sud partagent une langue commune et (je l'ai constaté personnellement) s'intercomprennent, en dépit de différentes linguistiques mineures de prononciation et de vocabulaire, qu'on peut retrouver dans d'autres contextes (par exemple, si l'on compare le français parlé en France, en Suisse et au Québec). Les Coréens partagent la même histoire et les mêmes mythes fondateurs. Leurs attitudes culturelles au quotidien restent profondément marquées par l'empreinte confucéenne, laquelle respecte notamment l'autorité et les plus anciens. La vénération des dirigeants au Nord, qui semble si exotique aux Occidentaux, fait écho au culte des fondateurs des grands groupes sud-coréens (qui se perpétue elle aussi de génération en génération) ou encore à la statue géante, érigée dans sa ville natale, du général Park Chung-hee, ayant gouverné la Corée du Sud d'une main de fer (les opposants sont morts, au bas mot, par milliers) entre 1962 et 1979.

 

En opposant à l'envi et de manière forcée les deux Etats coréens, les médias institutionnels campent l'image d'une division prétendument indépassable entre deux Etats qui seraient devenus étrangers l'un à l'autre. Ils évacuent ainsi de facto la possibilité même d'une réconciliation ouvrant la voie, à terme, à une réunification, qui est pourtant l'une des dominantes du discours politique, tant à Séoul qu'à Pyongyang – même si les modalités d'un tel processus ne sont évidemment pas identiques (y compris entre les différentes forces politiques au Sud) et qu'il s'agit de « deux rêves dans un même lit », pour reprendre une expression coréenne.

 

Déplorant les uns et les autres une division nationale qui leur a été imposée par les grandes puissances en 1945, les Coréens se considèrent pleinement comme partie prenante du monde non occidental. Soutien actif des mouvements de décolonisation (hier en Algérie ou au Zimbabwe, aujourd'hui encore en Palestine) et de résistance à l'impérialisme américain (comme en Syrie et au Vénézuela), le Nord a été un modèle de développement économique socialiste après 1953, affichant alors les taux de croissance économique les plus élevés au monde, et l'un des moteurs du mouvement des non-alignés. Pour sa part, tout en cherchant une reconnaissance internationale (marquée entre autres par l'organisation des Jeux olympiques de Séoul en 1988), le Sud a aussi augmenté de manière visible son aide publique au développement, conjuguée à la volonté de faire connaître aux pays récipiendaires d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine le « miracle économique du fleuve Han » (du nom du fleuve qui traverse Séoul), ayant fait de l'un des pays les plus pauvres au monde en 1960, dépourvu de ressources minières, un des quatre « dragons asiatiques » puis une économie nationale d'une taille aujourd'hui comparable à celles de la France et de l'Italie. Ces deux images méritent certes des nuances et peuvent donner lieu à des objections : ainsi, l'économie nord-coréenne s'est effondrée entre 1990 et 1999, sous l'effet conjugué de la disparition de l'URSS et des démocraties populaires, d'erreurs de gestion, de catastrophes naturelles et d'un embargo aujourd'hui sans équivalent au monde ; l'économie sud-coréenne a connu un développement spectaculaire grâce à des injections massives de capitaux américains et japonais, et l'exploitation (ainsi que l'oppression) des travailleurs y ont été les plus fortes du monde industrialisé. Il n'en demeure pas moins que les Coréens, au Nord comme au Sud, partagent une même éthique (pour reprendre une analyse et des termes propres à Max Weber), ancrée dans des valeurs culturelles antérieures à la division, où l'importance cardinale de l'éducation et l'accent mis sur l'innovation sont quelques-uns des moteurs du développement économique et industriel. Les vicissitudes de l'histoire nationale ont aussi engendré un puissant sentiment patriotique dans un pays victime de la colonisation, la réunification étant largement considérée comme le point d'achèvement nécessaire d'un processus, sinon de libération, du moins de construction nationale.

 

Après une phase d'opposition radicale (chacun des deux Etats prétendant alors représenter toute la péninsule coréenne), Nord et Sud-Coréens ont ensuite adopté des déclarations communes et mis en place, progressivement et suivant un processus non uniforme où des reculs ont succédé à des avancées, des instruments d'échanges intercoréens dans les différentes domaines. Après le communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juillet 1972, définissant les principes d'une coexistence pacifique et de coopérations en vue de parvenir à une réunification graduelle du pays par les Coréens eux-mêmes, sans ingérence extérieure, les deux Etats sont entrés simultanément aux Nations unies en septembre 1991 et deux rencontres au sommet ont eu lieu à Pyongyang, donnant lieu à des déclarations conjointes.

 

En juin 2000, le dirigeant nord-coréen Kim Jong Il a accueilli au Nord le président sud-coréen Kim Dae-jung, ancien opposant politique qui avait été condamné à mort par la junte militaire, et dont l'élection, en 1997, avait marqué la première alternance politique démocratique en Corée du Sud. En octobre 2007, c'est à nouveau le dirigeant nord-coréen Kim Jong Il qui a reçu à Pyongyang le président sud-coréen Roh Moo-hyun. La mise en cause des conditions du dialogue intercoréen par les présidents conservateurs sud-coréens, et la dégradation des relations internationales avec la poursuite de la constitution d'une capacité de dissuasion nucléaire autonome par Pyongyang, ont ensuite ruiné un à un les acquis du dialogue intercoréen. Outre la fin des réunions de familles séparées par la division, la mesure la plus spectaculaire a été la fermeture en février 2016 du parc industriel de Kaesong, au Nord de la péninsule, où quelque 60 000 ouvriers nord-coréens travaillaient dans plus de 120 PME sud-coréennes. De nouvelles perspectives de reprise des échanges sont ouvertes par l'élection à Séoul en mai 2017 d'un nouveau président démocrate, Moon Jae-in. Son arrivée au pouvoir a fait suite à la destitution, puis à l'emprisonnement, de sa prédécesseur, la conservatrice Mme Park Geun-hye, sur fond de scandale de corruption et de dérive autoritaire des institutions sud-coréennes ayant entraîné des manifestations ininterrompues de millions de Coréens pour exiger – et obtenir – le départ du pouvoir de la fille de l'ancien général Park Chung-hee.

 

Si le contexte actuel d'escalade entre les Présidents Kim Jong Un et Donald Trump n'avait, en novembre 2017, jusqu'alors laissé aucun espace à une reprise des échanges intercoréens qui devrait résulter d'une diminution des tensions diplomatiques et militaires, plusieurs obstacles s'opposent à une reprise du dialogue Nord-Sud, tel qu'il a existé jusqu'en 2008 :

- la subordination diplomatique et militaire de la Corée du Sud aux intérêts stratégiques américains, alors même que sur les sujets de contentieux nippo-sud-coréens, les Etats-Unis ont toujours privilégié les Japonais ;

- l'existence d'un puissant lobby (politique, militaire, religieux) néoconservateur anti-Corée du Nord en Corée du Sud, appuyé par des services de renseignement tentaculaires et jamais réellement démocratisés, qui veut accélérer un hypothétique effondrement de la Corée du Nord prédit, vainement, depuis un quart de siècle ;

- une difficulté des progressistes sud-coréens à envisager les rapports avec le Nord en dehors des schémas binaires du soutien ou de l'opposition au système politique et social nord-coréen, dans une société travaillée par un puissant anticommunisme où la loi de sécurité nationale punit toujours tout contact entre Nord et Sud-Coréens non autorisé préalablement par le gouvernement.

 

Notre conviction est que la réunification de la Corée, en tant qu'horizon indépassable, traduit un sentiment politique profondément ancré dans la culture nationale, et a ainsi vocation à donner lieu, tôt ou tard, à de nouvelles politiques d'échanges économiques, humains, sociaux et culturels entre le Nord et le Sud. Une plus grande incertitude porte sur le processus de réunification lui-même, alors que les exemples historiques sont rares et ne peuvent en aucun cas être calqués tels quels sur le contexte coréen :

 

- à l'issue d'une guerre civile internationalisée (dans le cas du Vietnam),
- dans le cadre d'une absorption d'un Etat (la RDA) par un autre (la RFA),
à la suite d'une concertation ayant finalement échoué (le Yémen, les anciens dirigeants sud-yéménites ayant finalement dénoncé les conditions de la réunification),
​​​​​​​- après des discussions impliquant une puissance tierce (le Royaume-Uni) dans une organisation politique se rapprochant d'un système fédéral (la Chine et Hong Kong, étant entendu cependant que Hong Kong était plus de 200 fois moins peuplé que la Chine et qu'il s'agissait plutôt de solder un héritage de la colonisation que de mener un processus de réunification).

 

En définitive, ce sera bien aux Coréens eux-mêmes de définir les modalité de leur coopération pour progresser vers la réunification, comme le principe en avait été posé dès 1972.

 

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26 février 2018 1 26 /02 /février /2018 21:06

Le 13 janvier 2018, Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), et Damien Jamet, membre du comité régional Grand Est de l'AAFC (créé en novembre 2017), étaient dans les studios de Radio Primitive pour une émission du magazine Larchmütz qui était consacrée à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) à l'occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang, en février 2018. Nous revenons sur cette émission (téléchargeable à cette adresse), Larchmütz étant diffusée le troisième vendredi de chaque mois à 18h et rediffusée le quatrième dimanche du mois à 10h, sur Radio Primitive (Reims, 92.4). 

L'AAFC sur Radio Primitive : la Corée du Nord au-delà "des fake news et des anecdotes farfelues"

Larchmütz, ou l'émission en désaccord : le parti pris des réalisateurs était de dépasser les clichés auxquels trop souvent se réduit l'actualité médiatique sur la RPDC, en donnant la parole à l'Association d'amitié franco-coréenne : 

La Corée du Nord, c'est surtout des fake news et des anecdotes farfelues dans les médias.

Ce mois-ci, dans Larchmütz, on a eu envie de vous proposer d'autres clefs de lecture. Pour ce, on a invité, dans les locaux de Radio Primitive, l'association d'amitié franco-coréenne qui vient justement de créer un comité dans la région Grand Est.

Cet échange a été enregistré le 13 janvier dernier.

On va parler histoire, réunification, échanges, relations France-Corée... Du Nord, du Sud.

Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'AAFC, a d'abord resitué le contexte historique de constitution d'une identité nationale qui est propre à la Corée, dont la division - de part et d'autre du trente-huitième parallèle -, avant d'être consacrée par la guerre de Corée, a obéi à des contingences historiques au lendemain de la capitulation japonaise en 1945 : ce sont deux officiers américains qui ont dessiné la ligne de division, sur une carte du National Geographic, permettant de scinder la péninsule en deux moitiés approximativement égales en superficie mais plaçant la capitale (Séoul) dans la zone sud (sous influence américaine, le nord étant sous influence soviétique). Puis la guerre de Corée s'est soldée par un accord d'armistice, en l'absence encore à ce jour d'un traité de paix pour lequel milite l'AAFC. La force de dissuasion nucléaire qu'a ensuite développée la Corée du Nord s'est inscrite dans une logique de dissuasion du faible au fort - suivant une doctrine nucléaire d'ailleurs très proche de celle mise en place en France par le général de Gaulle.

Dans ce contexte, l'AAFC, fondée en 1969 et ayant rassemblé depuis cette date des personnalités de sensibilités politiques très diverses (gaullistes, communistes, socialistes, chrétiens...), est - il est utile de le rappeler - une association indépendante de la Corée du Nord, dont elle ne reçoit aucune subvention, et ayant ses propres orientations. Ses actions visent à informer sur la situation en Corée, à intervenir auprès des autorités françaises pour qu'elles développent une position plus équilibrée vis-à-vis des deux Etats coréens, et à encourager des actions de coopération concrètes en jouant un rôle de facilitateur et de mise en contact - par exemple, dans le domaine du cinéma (avec la présentation de jeunes réalisateurs au Festival international du film de Pyongyang), de l'agriculture (en mettant en relation des agriculteurs français et coréens, ou en organisant des déplacements des diplomates nord-coréens en France dans des fermes ou sur des sites industriels agro-alimentaires) ou de la coopération universitaire. A cet égard, Damien Jamet a observé que la France, contrairement à d'autres pays européens (l'Allemagne, l'Italie), décourage les coopérations universitaires - du moins dans son domaine (les mathématiques et l'informatique) - même lorsqu'elles relèvent de programmes européens comme Erasmus. Damien Jamet a cité son expérience personnelle : il s'est adressé à l'AAFC en 2014 pour entrer en contact avec un chercheur nord-coréen ayant la même spécialité que lui, ayant ainsi pu se rendre à l'Université Kim Il-sung de Pyongyang en juin 2015 (déplacement dont il a rendu compte à l'IUT de Saint-Dié-des-Vosges en septembre 2015), avant cependant de ne pouvoir retourner en RPDC qu'à titre personnel, pour poursuivre ces échanges universitaires, en décembre 2017. Manifestement, la montée des tensions internationales autour de la péninsule coréenne, entre 2015 et 2017, a expliqué ce revirement des autorités françaises qui ont refusé tout nouveau déplacement dans un cadre universitaire fin 2017 : il y a bien un boycott universitaire de la Corée du Nord par la France et propre à notre pays, un Korean ban à défaut d'un Muslim ban. Comme l'observe Damien Jamet, 

Ceux qui décident ne sont pas ceux qui comprennent. Pour eux, les mots en "ique" riment avec "bombe atomique". Alors que mon domaine de recherche est la géométrie.

Revenant sur les sanctions internationales, Patrick Kuentzmann a observé qu'elles sont devenues un instrument de politique internationale de plus en plus utilisée par les Etats-Unis, suivant une logique très ancienne - celle de la poliorcétique, de la forteresse assiégée qu'il faut faire tomber en affamant ceux qui sont réfugiés derrière des remparts. Comme la Corée du Nord ne s'est pas effondrée d'elle-même, contrairement aux prédictions formulées à la fin de la guerre froide, l'administration Trump l'y aide en mettant en place nouveau train de sanctions sur nouveau train de sanctions, quelle que soit par ailleurs la politique nord-coréenne - Pyongyang ayant par ailleurs affirmé qu'elle poursuivrait sa politique de dissuasion nucléaire, quelles que soient les sanctions à son encontre.

Revenant sur les espoirs de réunification, réanimés par les Jeux olympiques de Pyeongchang, les représentants de l'AAFC ont rappelé leur soutien à la "politique du rayon de soleil" mise en place par les administrations démocrates au pouvoir à Séoul (1998-2008), alors que les bases du dialogue intercoréen (réunification indépendante, pacifique et dans le cadre d'une grande union nationale, au-delà de différences de systèmes économiques et politiques) ont été posées dès 1972, et ont conduit à deux sommets intercoréens au plus haut niveau en 2000 et en 2007. Puis est intervenue la rupture de tous les canaux de relations intercoréens pendant deux mandats présidentiels conservateurs à Séoul (2008-2017) - ce dont les membres de l'AAFC ont subi les dommages collatéraux, Patrick Kuentzmann ayant été placé sur liste noire en 2013 et interdit d'entrée en Corée du Sud en 2015 au motif que sa présence sur le sol sud-coréen aurait représenté une menace pour la sécurité nationale. L'élection du démocrate Moon Jae-in (un ancien artisan de la "politique du rayon de soleil") à la présidence sud-coréenne ouvre l'espoir, encore fragile, du retour à une phase de dialogue intercoréen.

En ce qui concerne les relations France - RPD de Corée, la France est l'un des deux derniers pays de l'Union européenne (avec l'Estonie) à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la Corée du Nord. Les motifs invoqués (droits de l'homme, question nucléaire, relations intercoréennes) apparaissent de circonstance au regard des relations qu'entretient la République française avec des pays aussi éloignés d'elle en matière de droits de l'homme (comme l'Arabie Saoudite) ou étant également des puissances nucléaires (le Pakistan, l'Inde et Israël). La position de la France sur la question nord-coréenne tranche avec l'usage diplomatique français de reconnaître les Etats et non les régimes. Le nouveau président Emmanuel Macron a toutefois montré une certaine volonté que la France soit plus autonome des Etats-Unis en Asie ; ces paroles doivent à présent se traduire en acte, alors que les Nord-Coréens sont déçus que le pays des Lumières aligne aujourd'hui trop souvent sa diplomatie sur celle de Washington.

Présentant enfin le traitement médiatique de la question nord-coréenne, les intervenants ont observé que, si les télévisions françaises tendent à colporter les rumeurs les plus folles et à faire preuve de paresse dans l'analyse, un certain nombre de titres de la presse écrite effectuent un travail de fond, grâce à leurs correspondants qui connaissent le dossier coréen - en citant Philippe Pons pour Le Monde et Dorian Malovic pour La Croix

Prenant appui sur un paradoxe dans la réaction française par rapport à la Corée du Nord, Damien Jamet a appelé à dissocier les actions menées avec les habitants d'un pays du regard qu'on peut avoir sur le gouvernement de ce pays : lui-même n'est pas accusé de soutenir la base américaine de Guantanamo quand il se rend aux Etats-Unis, pourquoi devrait-il être coupable de sympathies pro-Corée du Nord quand il travaille avec des collègues nord-coréens, comme il le fait avec des collègues américains ? Il serait utile que de grandes figures nationales se mobilisent sur la question coréenne - comme elles ont pu le faire en s'engageant sur d'autres dossiers internationaux, tels que l'Ethiopie et le Kurdistan.

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24 février 2018 6 24 /02 /février /2018 22:04

Le 24 février 2018, à l'issue du cours d'initiation à la langue et à la civilisation coréennes qu'organise l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) tous les quinze jours rue Bezout dans le quatorzième arrondissement de Paris, une réception a eu lieu à l'occasion du nouvel an lunaire (appelé Seollal en Corée), autour d'un buffet franco-coréen, avec les professeurs et les élèves du cours de coréen.

 

L'AAFC célèbre le nouvel an lunaire

La fête de Seollal, qui marque le premier jour de l'année dans le calendrier lunaire (et appelée improprement nouvel an chinois, car sa célébration dépasse les limites de la Chine), est célébrée - selon les années - entre le 21 janvier et le 20 février. En 2018, l'entrée dans le nouvel an lunaire a eu lieu le 16 février. Comme l'année solaire comporte une dizaine de jours de plus que les douze mois du calendrier lunaire, sept mois intercalaires sont ajoutés par période deux-neuf ans, afin d'assurer une cohérence avec le calendrier solaire.

A l'occasion de Seollal, les Coréens s'inclinent, vêtus de l'habit traditionnel, devant leurs parents en signe de respect (pratique du jeol), avant que les familles ne se rendent sur les tombes de leurs ancêtres. La commémoration de Seollal donne ainsi lieu à d'importants mouvements de populations à l'intérieur de la péninsule coréenne, notamment des zones les plus urbanisées (qui concentrent une plus forte proportion de jeunes) vers les moins grandes villes et les zones rurales. 

Des cadeaux sont également échangés à l'occasion du Seollal.

Des plats traditionnels du nouvel an lunaire sont la soupe de riz gluant (tteokguk) et la soupe de boulettes de viande ou de légumes, souvent cuites à la vapeur, appelées mandu (la soupe de mandu s'appelant manduguk).

Le nouvel an lunaire est l'occasion de pratiquer des jeux traditionnels comme yutnori, un jeu de plateau où les pions où des bâtons marqués de croix sont les équivalents des dés dans les jeux de plateau occidentaux. 

A l'occasion du nouvel an lunaire, les Coréens s'intéressent au signe astrologique chinois qui est celui de leur année de naissance : les années se suivent par cycle de douze ans, chaque année correspondant à un animal - le rat, le boeuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, le coq, le chien et le cochon. L'année 2018 est celle du chien. 

L'AAFC célèbre le nouvel an lunaire

Source : 

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 22:25

Le 23 février 2018, le comité jeunes et étudiants de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a organisé une réunion publique dans les locaux de l'UL-CGT du 16e arrondissement de Paris pour discuter de la question de la paix dans la péninsule coréenne, en présence de participants sud-coréens (qui constituaient la moitié de l'assistance), ce qui a permis un large échange entre Français et Coréens. Au moment où les Jeux olympiques de Pyeongchang ont favorisé un spectaculaire rapprochement intercoréen, tous les participants ont convenu de la nécessité de promouvoir la paix et la dialogue, en repoussant les manoeuvres à contre-courant des néo-conservateurs américains qui exacerbent les tensions dans la péninsule coréenne. 

"Quelle paix dans la péninsule coréenne ?" retour sur la conférence du comité jeunes de l'AAFC

Les tentatives pour ruiner la paix et le dialogue sont à la mesure des espoirs soulevés par le rapprochement intercoréen en cours, lors des Jeux olympiques et paralympiques de Pyeongchang, comme en atteste la dénonciation par les néoconservateurs américains et sud-coréens (complaisamment relayés par la presse occidentale) du général Kim Yong-chol, qui dirigera la délégation nord-coréenne lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques : alors qu'en raison des fonctions qu'il occupe pour les relations Nord-Sud il a vocation à diriger la délégation nord-coréenne lors de cette cérémonie, les quelque 70 députés sud-coréens de droite qui protestent contre sa venue font deux raccourcis généralement omis par les médias occidentaux. D'une part, incriminer la RPDC dans le dramatique naufrage de la corvette "Cheonan" qui a causé la mort de 46 marins sud-coréens au printemps 2010, c'est faire fi de toutes les lacunes de l'enquête officielle, ce qui a conduit à ce que les conclusions de l'enquête officielle américano-sud-coréenne soient remises en question, entre autres, par un ancien membre du groupe d'enquête (le 26 mai 2010), par des chercheurs indépendants d'universités américaines (le 12 juillet 2010), et par les experts de la marine russe (juillet 2010) invités par Séoul à examiner les « preuves » de la culpabilité de la Corée du Nord. D'autre part, l'implication du général Kim Yong-chol est plus que douteuse, comme l'a rappelé le gouvernement sud-coréen.

Et dans le même temps, ne faut-il pas rappeler aux députés conservateurs sud-coréens qui manifestent contre la venue du général Kim Yong-chol que l'homme à l'origine de la mort de plus de 300 Sud-Coréens dans le naufrage d'un autre navire, le "Sewol", était notoirement proche d'eux, et que le gouvernement qu'ils dirigeaient alors a été incapable de sauver des centaines de vies humaines ? Comment oublier que les conservateurs, eux, étaient aussi au pouvoir lorsqu'a été tué le manifestant paysan Baek Nam-gi, un parti politique interdit à l'issue d'un procès truqué par les services de renseignement et qu'ont été commises des atteintes systématiques aux libertés publiques et aux droits de l'homme ? Les participants à la conférence ont alors témoigné des emprisonnements d'opposants (le dirigeant syndical Han Sang-gyun étant toujours derrière les barreaux) et de la pratique des "listes noires" visant à empêcher que les artistes et intellectuels jugés proches de l'opposition bénéficient de subventions et de commandes publiques. 

"Quelle paix dans la péninsule coréenne ?" retour sur la conférence du comité jeunes de l'AAFC

Lors des débats animés par Loïc Ramirez, président du comité jeunes de l'AAFC, les participants ont souligné la nécessité de permettre le dialogue entre Coréens du Nord et du Sud, pour que la réunification de la Corée s'opère sans ingérence extérieure - à commencer par celle des Etats-Unis, le vice-président américain Mike Pence ayant cherché, à Pyeongchang, à torpiller tous les efforts de dialogue qui permettent aujourd'hui de sortir du cycle des tensions qui ont atteint un point paroxysmique fin 2017 - et qui servent les intérêts américains : l'annonce ce même 23 février de nouvelles sanctions américaines à l'encontre de 27 entreprises, 28 navires et 1 personnes physique, basés ou enregistrés en Corée du Nord ou dans d'autres pays (Chine, Singapour, Taïwan, Hong Kong, îles Marshall, Tanzanie, Panama, Comores), s'inscrit bien dans une politique d'asphyxie économique de la Corée du Nord, pour contrecarrer les appels au dialogue et à la paix qui constituent des perspectives inacceptables pour les Etats-Unis de Donald Trump. Des comparaisons ont été faites avec l'attitude de l'administration américaine dans d'autres régions du monde - notamment la Syrie et le Venezuela, alors que la reprise annoncée des manoeuvres militaires américano-sud-coréennes constitue un mauvais signal pour le dialogue. 

Le comité jeunes de l'AAFC a appelé à le rejoindre toutes celles et tous ceux qui sont attachés au combat pour la paix et les libertés publiques dans la péninsule coréenne. 

"Quelle paix dans la péninsule coréenne ?" retour sur la conférence du comité jeunes de l'AAFC
"Quelle paix dans la péninsule coréenne ?" retour sur la conférence du comité jeunes de l'AAFC
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12 février 2018 1 12 /02 /février /2018 13:05

Isolement de la Corée du Nord ? Dès 7h du matin, lundi 12 février, dans le journal télévisé de Russia Today France (en français) a été diffusée l’opinion de l’AAFC.

Les Etats-Unis veulent-ils vraiment la paix en Corée ?

En effet, malgré une actualité tragique en Russie avec l’écrasement d’un avion de ligne qui a été le principal sujet du journal télévisé, Russia Today a sollicité le point de vue de Benoît Quennedey, président de l’AAFC sur l’aspect diplomatique des JO. Puis les différents journaux télévisés suivants ont repris son intervention.

La chaîne a présenté « l’attitude de marbre du vice-président Mike Pence lors de l’apparition de la délégation coréenne pendant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques » qu’elle a qualifiée d’attitude symptomatique de « vouloir isoler économiquement et diplomatiquement la Corée du Nord » puis a questionné Benoît Quennedey sur sa perception des évènements : « rapprochement spectaculaire après une année terrible de montée des tensions », «volonté sincère du président Moon-Jae-in mais aussi du Dirigeant Kim Jong-un, exprimée dans son discours du premier janvier, de renouer le dialogue ».

La vraie question étant selon Benoît Quennedey de savoir ce qu’il en sera de l’attitude des autres puissances impliquées, et en particulier celle des Etats-Unis, une fois la trêve olympique terminée.

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 18:43

Le samedi 6 janvier 2018, Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a donné une conférence sur les relations entre le Vietnam et la Corée depuis 1945, à la maison des associations du 3e arrondissement de Paris - dans le cadre d'un cycle de conférences organisé par le comité de Paris de l'Association d'amitié franco-vietnamienne (AAFV). Nous reproduisons ci-après le texte de la conférence. 

Pour l'examen des relations entre la Corée (ou plus exactement les deux États coréens) et le Vietnam (lui-même divisé en deux États de 1954 à 1975), il convient d'éviter les conclusions hâtives liées au fait que la République socialiste du Vietnam et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) sont deux régimes dits de démocratie populaire : en effet, les deux États ont procédé à des choix différents de politique économique et de politique extérieure. Ainsi, le Vietnam est, parmi les démocraties populaires d'Asie, celle qui a les meilleures relations avec la République de Corée (Corée du Sud).

À titre préliminaire, rappelons les similitudes qui existent entre ces deux nations d'Asie de l'Est :

- elles sont toutes deux bordées par la Chine (le Vietnam est situé au sud-est de la Chine, et la Corée au nord-est) ;

- elles ont été colonisées, le Vietnam par la France et la Corée par le Japon ;

- l'une et l'autre ont eu une relation tributaire avec l'empire chinois, mais qui n'a pas laissé la même empreinte culturelle : le confucianisme, dominant dans le royaume de Corée, a conduit les dirigeants coréens à se considérer comme les vrais héritiers de la culture chinoise après l'accession d'une dynastie étrangère (mandchoue) sur le trône impérial à Pékin, au XVIIe siècle, suivant un phénomène qualifié de “petit-sinocentrisme”, qu'on ne retrouve pas au Vietnam ;

- elles ont été politiquement divisées, de 1954 à 1975 pour le Vietnam, la Corée l'étant toujours (depuis 1945 en fait et depuis 1948 en droit) ;

- elles ont été au coeur de l'affrontement Est-Ouest de la guerre froide, ayant connu des guerres civiles internationalisées, de 1950 à 1953 pour la Corée et de 1965 à 1973 pour le Vietnam.

Par ailleurs, la Corée et le Vietnam, qui occupent l'une et l'autre des positions stratégiques en Asie et ont connu de forts taux de croissance économique, ont des poids géographiques et démographiques assez comparables : le Vietnam compte environ 94 millions d'habitants, répartis sur 330 000 km2, et la Corée 77 millions d'habitants (plus de 51 millions au Sud et plus de 25 millions au Nord) sur 220 000 km2.

Mon intérêt pour les relations Vietnam-Corée a été motivé par mon parcours personnel. Membre de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) depuis 2004, dont je suis président depuis avril 2017, j'ai voyagé à neuf reprises en Corée entre 2005 et 2017, sept fois au Nord et deux fois au Sud – ainsi qu'une fois dans la province chinoise coréenne autonome de Yanbian. Secrétaire exécutif du groupe interparlementaire d'amitié France-Vietnam du Sénat entre 2009 et 2014, ce qui m'a donné l'occasion de visiter deux fois le Vietnam, je suis membre de l'Association d'amitié franco-vietnamienne (AAFV) depuis 2009, et appartiens au bureau national de l'AAFV depuis 2014.

Le sujet traité se limite à l'époque contemporaine, depuis 1945. Mais les contacts sont beaucoup plus anciens ; en particulier, des représentants de la dynastie Ly, qui a régné sur le Vietnam entre 1009 et 1225, se sont réfugiés en Corée, parmi lesquels un fils adoptif de l'empereur vietnamien et ses partisans : leurs descendants ont constitué la dynastie des Lee de Jeongson, dans la province de Gangwon. Un autre exilé vietnamien, Ly Long Tuong, s'est illustré en tant que général coréen dans la lutte contre les Mongols.

La question des relations France-Vietnam est peu traitée dans les études francophones. Deux articles, consultés et utilisés pour la présente étude, doivent toutefois être mentionnés :

- dans le numéro 39 (avril à juin 2014) de la revue Outreterre consacré à la Corée, un article de Donald Keyser et Shin Gi-wook, “Corée du Sud-Vietnam : les deux puissances moyennes d'Asie” (p. 311-321, traduction de l'anglais par Arnaud Leveau) ; les deux auteurs ont co-écrit l'ouvrage Asia's Middle Powers ? South Korea and Vietnam, publié en 2013 ;

- dans un ouvrage qu'il a dirigé (La guerre de Corée et ses enjeux stratégiques de 1950 à nos jours, L'Harmattan, 2013), Pierre Journoud a écrit un très bon article de synthèse, “De la guerre à la paix : les relations vietnamo-coréennes depuis 1950” (p. 319-338).

S'agissant des études anglophones, plus nombreuses, nous avons utilisé les articles suivants, accessibles gratuitement sur Internet, notamment sur le sujet, moins bien connu, des relations Vietnam – Corée du Nord :

- Nate Fischler, “Vietnam's role in North Korea : a 'frienship' endures ?”, in Asia Times, 30 juillet 2017 ;

- Pham Thi Thu Thuy, “The colourful history of North Korea – Vietnam relations”, in NK News, 1er août 2017 ;

- concernant les relations Vietnam – RPD de Corée, les travaux d'un chercheur, Balazs Szalontai, qui a travaillé sur des documents déclassifiés (les archives diplomatiques d'anciennes démocraties populaires d'Europe de l'Est) dans le cadre du Centre Woodrow Wilson, dont il faut toutefois souligner qu'ils ne reflètent ni le point de vue vietnamien, ni celui nord-coréen, et peuvent donner une approche biaisée des relations entre Pyongyang et Hanoï ;

- les deux articles de l'encyclopédie collaborative Wikipédia (non traduits en français) “Vietnam – South Korea relations” et “Vietnam – North Korea relations”.

L'exposé a été conduit de manière chronologique, en distinguant chacun des deux États coréens (et, pendant deux décennies, des deux États vietnamiens), avant d'aborder le rôle de médiateur que peut aujourd'hui jouer le Vietnam sur la question coréenne.

*

I - Le Vietnam en guerre et l'implication coréenne

A) Vietnam du Sud – Corée du Sud : deux bastions autoritaires de l'anticommunisme

Dans un article intitulé “La paix indivisible : la diplomatie française, la fin de la guerre de Corée et l'issue de la guerre d'Indochine” (in Pierre Journoud, La guerre de Corée et ses enjeux stratégiques de 1950 à nos jours, op. cit.), Pierre Grosser a souligné “un aspect méconnu de la guerre froide en Asie : les projets de coalition entre les régimes nationalistes anticommunistes, à savoir la Corée du Sud, Taïwan, le Vietnam, voire les Philippines” (ibid., p. 121), et cette “hypothèse a été étudiée sérieusement à Washington”.

Avant même la bataille de Dien Bien Phu, et dès la fin de la guerre de Corée en juillet 1953, le président sud-coréen Syngman Rhee, qui n'était pas favorable à la cessation des hostilités en Corée, avait proposé l'intervention des soldats sud-coréens au Vietnam pour lutter contre le communisme, ce dont ne voulait pas la France qui craignait une internationalisation du conflit et l'intervention de soldats chinois en cas d'implication sud-coréenne. La proposition, renouvelée en 1954 après la proclamation du Vietnam du Sud, pouvait apparaître d'autant moins illégitime que de nombreux combattants américains en Corée allaient ensuite être redéployés au Vietnam. Toutefois, les autorités sud-vietnamiennes n'accueillirent pas favorablement le principe de l'intervention de troupes sud-coréennes, alors que le souvenir des troupes japonaises pendant la Seconde guerre mondiale était encore vif.

Il faut attendre 1964 pour que les autorités de Saïgon changent de position, avec l'arrivée à cette date des premiers militaires sud-coréens au Vietnam : 34 officiers et 69 soldats d'une unité médicale militaire, accompagnés de 10 instructeurs de taekwondo (le sport national de combat coréen).

Le bataillon sud-coréen au Vietnam pendant la guerre a ainsi été le deuxième plus important bataillon étranger en effectifs, après le contingent américain : 312 853 soldats sud-coréens ont été déployés au Vietnam jusqu'en 1973, sous la direction du lieutenant général Chae Myung-shin. Toujours selon les sources sud-coréennes, 5 099 sont morts, dont 3 800 au combat, et ils auraient tué 41 400 ennemis (dont plus de 5 000 civils).

Soldats sud-coréens au Vietnam appartenant à la 9e division d'infanterie (photo Phillip Kemp)

Soldats sud-coréens au Vietnam appartenant à la 9e division d'infanterie (photo Phillip Kemp)

Les troupes sud-coréennes au Vietnam ont été accusées d'atrocités, en ayant tué plus de 400 villageois désarmés au village de Binh Hoa en 1966, 168 villageois à Binh Tai en octobre 1966, 135 femmes, enfants et vieillards, massacrés par des Marines à Ha My en février 1968... Toujours en février 1968, des meurtres de masse ont eu lieu à Phong Ni et Phong Nhat. Une commission vérité et réconciliation sud-coréenne a estimé le nombre de victimes non combattantes à plus de 9 000. Plusieurs auteurs de la littérature coréenne contemporaine ont rendu compte de leur participation à la guerre du Vietnam, dont Hwang Sok-hyong et Ahn Junh-hyo.

Les soldats sud-coréens au Vietnam ont aussi laissé derrière eux des milliers d'enfants métis, les “Lai Dan Han”, fils et filles de femmes vietnamiennes et d'hommes coréens.

La reconnaissance des crimes commis par les soldats coréens a été tardive et partielle : en 2001, le président Kim Dae-jung a présenté ses condoléances pour les souffrances alors infligées au peuple vietnamien, tout en déclarant qu' “elles n'étaient pas intentionnelles”. C'est finalement la société civile sud-coréenne qui s'est le plus fortement engagée : après une série d'articles publiés dans le quotidien progressiste Hankyoreh en 2003 dénonçant les atrocités de guerre, une donation de 100 000 dollars américains a été consacrée à la création d'un musée de la paix dans la province de Phu Yen.

Cette approche contraste avec l'histoire officielle encore professée en Corée du Sud : le musée de la guerre à Séoul présente la guerre du Vietnam comme une opportunité pour développer l'économie sud-coréenne alors en plein essor : la contribution du conflit à la croissance nationale a été estimée entre 3 % et 4 % du PNB sud-coréen.

Si l'intérêt diplomatique de la participation à la guerre du Vietnam était de consolider l'alliance avec les États-Unis, l'intérêt économique a été renforcé par le fait que l'effort de guerre sud-coréen a été en réalité financé par le gouvernement américain via des aménagements secrets, notamment le programme Food for peace (“de la nourriture pour la paix”) de l'Agence internationale pour le développement.

B) Vietnam démocratique – Corée populaire : une solidarité anti-impérialiste en actes

Avec l'établissement de relations diplomatiques entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et la République démocratique du Vietnam (RDC) le 31 janvier 1950, la RPDC devient le troisième pays à reconnaître la RDC, après la Chine et l'URSS.

Après 1954, la solidarité politique entre les deux États s'exprime notamment par les visites de leurs dirigeants : en juillet 1957 Ho Chi Minh se rend en RPDC, puis Kim Il Sung visite le Vietnam en novembre-décembre 1958 et en novembre 1964. Des dons symboliques rendent compte des échanges ainsi noués – comme les éléphants vietnamiens au zoo de Pyongyang. En février 1961 un accord de coopération scientifique et technique est conclu entre les deux gouvernements.

Kim Il Sung accueille Ho Chi Minh en Corée en 1957

Kim Il Sung accueille Ho Chi Minh en Corée en 1957

La guerre du Vietnam conduit à une intensification de l'aide et de la coopération nord-coréennes, la RPD de Corée étant alors un pays plus développé qui soutient le peuple vietnamien à l'instar d'autres peuples en lutte pour leur libération nationale (les Palestiniens, les Sahraouis du Front Polisario...) et les combats contre l'apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie.

S'agissant du Vietnam, l'aide militaire (armes, munitions, uniformes...) et économique (ciment, acier, textile, médicaments, engrais chimiques...) nord-coréenne, notamment dans le cadre d'un accord “armes contre riz”, est estimée, entre 1966 et 1969, entre 12 et 20 millions de roubles par an, soit un montant particulièrement significatif pour un pays de la taille de la RPD de Corée. Elle s'accompagne de l'accueil de nombreux étudiants vietnamiens en RPDC (jusqu'à 2 500 en 1968, parmi lesquels un futur ambassadeur vietnamien en Corée du Sud) – ce qui fera de l'association des anciens étudiants vietnamiens en Corée du Nord l'un des acteurs essentiels des relations bilatérales, concomitamment avec les Associations d'amitié Vietnam-RPDC (fondée en 1965) et Corée-Vietnam.

En revanche, et à la différence des Sud-Coréens, l'implication militaire directe des Nord-Coréens dans le conflit restera limitée : il est estimé qu'environ 200 pilotes auraient combattu entre 1965 et 1968, dont 14 sont décédés. Un mausolée leur est consacré à Bac Giang, où les anciens combattants ont été honorés en 2001 par Kim Yong Nam, président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême de la RPDC.

L'aide nord-coréenne diminue toutefois au début des années 1970, cessant pour l'essentiel en 1973 avec la conclusion des accords dits de Paris. Il a été avancé que les Nord-Coréens auraient été plus que réservés à l'engagement de négociations de paix avec les États-Unis, mais Balazs Salontai a avancé d'autres motifs : le sentiment nord-coréen d'une aide à sens unique, une concurrence des deux pays pour intégrer le Mouvement des non-alignés... En tout état de cause, l'un et l'autre sont aux avant-postes de la lutte anti-impérialiste : début 1968, l'offensive du Têt intervient presque simultanément à l'incident du Pueblo (le navire espion américain capturé par les Nord-Coréens) – même si les archives diplomatiques déclassifiées ne permettent pas de confirmer l'hypothèse, alors souvent retenue en Occident à l'époque, d'une coordination entre Hanoï et Pyongyang.

II – Continuité et ruptures dans les relations Vietnam-Corée après la réunification du Vietnam

A) 1975-1992 : une relation politique exclusive du Vietnam avec la RPD de Corée affectée par des sujets diplomatiques avec des pays tiers (Cambodge, Chine)

Les divergences sont antérieures à la réunification : pendant la guerre civile cambodgienne (1967-1975), Pyongyang a accueilli favorablement la proposition chinoise de création d'un front uni des cinq nations révolutionnaires asiatiques (Chine, RPDC, Vietnam, Laos, Cambodge) – alors que le Vietnam, comme l'Union soviétique, ont été réservés face à cette initiative, et de fait dans le schisme sino-soviétique, le Vietnam n'a pas été pro-chinois.

La question cambodgienne va affecter encore plus fortement les relations Hanoï-Pyongyang après 1975, lorsque la RPDC apporte son soutien aux Khmers rouges. À partir de cette date, Norodom Sihanouk fera d'ailleurs de fréquents séjours à Pyongyang, où les Nord-Coréens lui construisent un palais et lui fournissent des gardes du corps qui lui resteront fidèles jusqu'à sa disparition. Si rien n'atteste de relations personnelles entre Ho Chi Minh et Kim Il Sung, le dirigeant nord-coréen et Norodom Sihanouk ont en revanche noué des relations humaines fortes, indépendamment des relations politiques d'État à État.

Les relations sont encore dégradées par la dénonciation par la RPDC de l'intervention vietnamienne au Cambodge en 1979 et le refus de reconnaître la nouvelle République populaire du Kampuchea.

A contrario le retrait vietnamien du Cambodge en 1989 favorise le développement des échanges, avec la création d'un comité intergouvernemental Vietnam-RPDC pour la coopération économique, scientifique et technologique.

B) Depuis 1992 : l'essor des relations Vietnam – République de Corée

L'établissement de relations diplomatiques entre la République socialiste du Vietnam et la République de Corée (Corée du Sud) le 22 décembre 1992 n'est pas le premier succès de la politique d'ouverture aux démocraties populaires de Séoul : la Corée du Sud avait déjà établi des relations diplomatiques avec l'URSS le 30 septembre 1990, puis avec la République populaire de Chine le 24 août 1992. Il entraîne toutefois la suspension immédiate de l'accord de coopération économique, scientifique et technologique conclu entre Pyongyang et Hanoï en 1989. Sur un autre plan, il favorise le développement des études coréennes au Vietnam, marquées par la création d'un Centre d'études coréennes dans la capitale vietnamienne.

1.Des relations d'abord économiques en croissance exponentielle

Dans sa recherche d'investissements étrangers depuis l'engagement de sa politique de réformes économiques (Doï Moï) en 1986, le Vietnam voit dans la Corée du Sud un potentiel partenaire de premier plan – tandis que pour sa part la Corée du Sud, pays autrefois parmi les plus pauvres du monde devenu membre de l'OCDE malgré son absence de ressources premières en abondance, se voit volontiers comme un modèle de développement, non seulement pour le Vietnam mais aussi pour l'Afrique subsaharienne.

Dès 1996, la République de Corée est devenu le troisième partenaire commercial du Vietnam (avec un volume d'échanges annuels bilatéraux de 1,3 milliard de dollars) et le quatrième investisseur étranger au Vietnam (à hauteur de 2 milliards de dollars).

Aujourd'hui, la Corée du Sud est le premier investisseur étranger au Vietnam : le stock des investissements directs étrangers (IDE) sud-coréens au Vietnam s'élevait à 54 milliards de dollars en juin 2017, générant près d'un million d'emplois dans l'économie locale. En sens inverse, ce sont quelque 4 000 entreprises vietnamiennes qui ont investi en Corée du Sud (dont Petro Vietnam Oil Corporation, Vietnam Air Petrol Company...).

La Corée du Sud est le deuxième pourvoyeur d'aide publique au développement (APD) au Vietnam, le Vietnam étant le premier récipiendaire de l'APD sud-coréenne.

L'essor du commerce bilatéral illustre le mieux le développement des relations économiques, à la faveur des mesures de libéralisation engagées d'abord dans le cadre des relations ASEAN-Corée du Sud, puis de l'accord de libre-échange bilatéral, négocié à partir de 2010, signé le 5 mai 2015 et entré en vigueur le 20 décembre 2015. Les Vietnamiens exportent notamment en Corée du Sud des produits de la mer (poisson, poulpes, crevettes, calamars...) quand les exportations sud-coréennes au Vietnam se concentrent sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication qui correspondent à l'un des pôles d'excellence de la République de Corée. En 2016, le commerce bilatéral s'est élevé à 45,1 milliards de dollars, ayant plus que doublé depuis 2012 (21 milliards de dollars) et progressé de 20 % par rapport à 2015. Sur les neuf premiers mois de l'année 2017, les échanges commerciaux s'élevaient à 35,5 milliards de dollars (soit une progression de 30 % d'une année sur l'autre), correspondant à un volume annuel d'échanges de l'ordre de 60 milliards de dollars – et une multiplication par quarante-cinq des échanges commerciaux en valeur (en dollars courants) depuis 1996.

Cet essor des échanges profite cependant inégalement aux deux parties, le Vietnam accusant un fort déficit commercial : l'abolition des barrières tarifaires a déjà profité à l'économie sud-coréenne, plus développée.

2. Quel partenariat politique et stratégique ?

Au regard de l'importance des échanges économiques, les dirigeants vietnamiens tendent à rejeter dans le passé les atrocités commises pendant la guerre par le bataillon sud-coréen au Vietnam – malgré des questions d'intérêt commun, comme les conséquences de l'agent orange non seulement sur les populations vietnamiennes, mais aussi sur les soldats sud-coréens ayant combattu au Vietnam, également engagés dans une bataille juridique contre les firmes pharmaceutiques américaines (en janvier 2006, Monsanto et Dow Chemical ont été condamnés à verser des dommages et intérêts 6 800 anciens combattants sud-coréens au Vietnam, mais la décision n'a pas été confirmée dans la suite de la procédure).

Le rapprochement politique Hanoï-Séoul est cependant favorisé par des intérêts convergents : les deux pays ont la Chine comme premier partenaire économique mais une alliance en droit (s'agissant de la Corée du Sud) ou potentielle (concernant la Vietnam) avec les États-Unis, dans le cadre de la rivalité stratégique américano-chinoise dans la zone Asie-Pacifique ; enfin, les diasporas coréenne et vietnamienne sont l'une et l'autre importantes aux États-Unis.

Après l'établissement de relations diplomatiques entre Hanoï et Washington en 1994, le Vietnam a ainsi recherché l'appui américain dans ses différends avec la Chine, notamment les conflits territoriaux en mer de Chine du Sud. Mais le Vietnam cherche aussi à gagner la Corée du Sud à ses positions : en octobre 2012, un colloque a ainsi été organisé en Corée du Sud, sous le double patronage de l'Université de Chosun et de l'Université nationale de Hanoï, à propos de la souveraineté des îles en mer de Chine méridionale et dans la mer orientale.

L'armée sud-coréenne aide par ailleurs à la modernisation de l'armée vietnamienne et forme des officiers vietnamiens.

Les visites des dirigeants de l'un ou l'autre pays ont ainsi ponctué un partenariat en construction, y compris dans le domaine politique : en 1998, Kim Dae-jung a été le premier président sud-coréen à visiter le Vietnam depuis la réunification ; en 2001, la visite du Président Tran Duc Luong en Corée du Sud était la première d'un chef d'État vietnamien depuis l'établissement des relations diplomatiques en 1992.

La notion de “partenariat global” a été développée au début des années 2000, et qualifiée de “partenariat stratégique” à l'occasion de la visite du président sud-coréen Lee Myung-bak au Vietnam en 2009. En mars 2012, le Président Nguyen Tan Dung a été reçu à Séoul, et la Présidente Park Geun-hye a effectué une visite d'État au Vietnam du 7 au 11 septembre 2013.

Les Présidents Nguyen Tan Dung et Lee Myung-bak en 2012

Les Présidents Nguyen Tan Dung et Lee Myung-bak en 2012

3. D'importantes présences sud-coréenne au Vietnam et vietnamienne en Corée du Sud

Pour le Vietnam, pays jeune dont 50 % de la population a moins de 30 ans, la Corée du Sud est déjà connue par la vague Hallyu de la culture pop sud-coréenne (cinéma, musique), si populaire que selon Pierre Journoud 70 % des programmes diffusés par la télévision vietnamienne sont d'origine sud-coréenne.

Les Coréens au Vietnam étaient au nombre de 83 640 en 2011 selon le ministère sud-coréen des Affaires étrangères et du commerce, et leur nombre aurait atteint 130 000 en 2013, selon une estimation de la télévision vietnamienne, dont la moitié dans la capitale économique Ho Chi Minh – ville, ce qui traduit le caractère essentiellement économique de cette présence sud-coréenne, qui s'accroît avec le développement des échanges. Il s'agit de la deuxième plus importante communauté coréenne en Asie du Sud-Est, après les Philippins, et de la deuxième plus forte communauté d'expatriés au Vietnam, après les Taïwanais.

Dès 1995 se constitue l'association Koviet, communauté des Coréens ayant grandi au Vietnam.

Cette présence sud-coréenne n'est pas sans susciter également des réactions de rejet, les chefs d'entreprise sud-coréens étant perçus comme trop exigeants tandis que des faits divers alimentent une certaine xénophobie (comme en 2008, lors du meurtre d'une étudiante de l'Université de Hanoï par son petit ami sud-coréen).

À cette présence de moyen et long termes s'ajoutent les flux touristiques : en 2013, 536 000 Sud-Coréens avaient visité le Vietnam, tandis que la même année 106 000 Vietnamiens avaient visité la Corée du Sud.

La présence vietnamienne en Corée du Sud remonte principalement à la guerre du Vietnam, à la suite des premiers mariages mixtes. Aujourd'hui, alors que la Corée du Sud souffre d'un déséquilibre de son sex ratio au détriment des femmes, environ 5 000 Vietnamiennes rejoignent la République de Corée dans le cadre de mariages internationaux, et plus de 2 000 agences matrimoniales sud-coréennes se sont établies au Vietnam. Un racisme s'est aussi développé en Corée du Sud à l'encontre de leurs épouses vietnamiennes et de leurs enfants métis, les Sud-Coréens tendant à classer les métis dans la catégorie de population étrangère.

La majeure partie de la communauté vietnamienne en Corée du Sud (forte de plus de 100 000 membres) est cependant constitué de travailleurs (dont le nombre était estimé à 65 000, souvent dans les secteurs manufacturier et de la pêche, où leurs conditions de vie sont précaires) et dans une moindre mesure d'hommes d'affaires et de cadres. S'ajoute enfin une communauté étudiante vietnamienne.

C) Les relations Vietnam-Corée du Nord depuis 1992 : au-delà de la fraternité des anciens compagnons d'armes, quelles coopérations concrètes ?

Comme l'observe notamment Nate Fischler dans un article de Asia Times publié le 30 juillet 2017, le terme d' “amitié” perdure.

Entre 1957 et 2002, ce sont ainsi 135 accord bilatéraux conclus qui ont été recensés. Il reste des symboles de la période d'essor des échanges de la deuxième moitié des années 1960 : le jardin d'enfants de Hanoï, créé à l'origine avec des fonds nord-coréens, et dont le nombre d'enfants a fortement augmenté depuis sa création (de 120 à 880), est aujourd'hui l'un des plus réputés (et aussi l'un des plus sélectifs) de la capitale. Il a reçu de multiples récompenses, tant du côté nord-coréen que de celui vietnamien, comme l'a montré Pham Thi Thu Thyu dans un article publié par NK News en août 2017 “The colourful history of North Korea – Vietnam relations”.

Le retrait vietnamien du Cambodge, et l'attente d'investissements étrangers au Vietnam, ont d'abord favorisé les échanges économiques : en 1993, un investissement conjoint nord-coréano-vietnamien à Hai Duong a porté sur la production de soie. Mais les difficultés économiques de la RPDC l'ont ensuite conduite à revendre ses parts au Vietnam en 2001.

Des incidents financiers ont aussi affecté les relations bilatérales : selon les Vietnamiens, les Nord-Coréens n'auraient pas honoré, en 1996, le paiement de 20 000 tonnes de riz vietnamien, pour une valeur estimée à 18 millions de dollars. La RPDC aurait cependant réglé sa facture en livrant deux sous-marins de la classe Yugo, qui seraient d'ailleurs toujours utilisés par l'armée vietnamienne pour ses entraînements.

S'agissant des échanges économiques, c'est aujourd'hui plus la Corée du Nord qui s'intéresse au Vietnam que l'inverse : alors que des zones économiques spéciales ont été créées en RPDC, des experts nord-coréens se rendent régulièrement au Vietnam pour étudier ses réformes économiques, vues de Pyongyang comme offrant un modèle de développement socialement plus stable que la voie chinoise vers le socialisme de marché.

La question des réfugiés nord-coréens passant par le Vietnam, notamment pour rejoindre la Corée du Sud (alors que la frontière sino-vietnamienne est plutôt facile d'accès, étant peu montagneuse), a été une pomme de discorde entre les deux pays. Initialement, les autorités vietnamiennes ont fait le choix de tolérer le départ des Nord-Coréens vers la Corée du Sud depuis quatre centres d'accueil gérés par la Corée du Sud au Vietnam. Cette situation a changé avec l'annonce, en juillet 2004, que 468 réfugiés nord-coréens avaient gagné la Corée du Sud depuis le Vietnam. Dès lors, les autorités vietnamiennes ont renforcé le contrôle aux frontières des Nord-Coréens, et expulsé les Sud-Coréens gérant les centres de réfugiés nord-coréens sur leur territoire.

La fin des années 2000 a été marquée par un regain des échanges politiques bilatéraux : des visites nord-coréennes au Vietnam de haut niveau ont eu lieu en 2010, 2012 (avec la visite du Président Kim Yong Nam du 5 au 7 août) et 2015 (Pak Yong Sik, ministre nord-coréen des Forces armées, a été reçu par le Président Truong Tan Sang) ; pour sa part, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien (PCV) Nong Duc Manh a visité Pyongyang en octobre 2007 – c'était la première visite à ce niveau d'un responsable du PCV depuis l'accueil de Ho Chi Minh à Pyonyang en 1957.

La place du Vietnam parmi les amis de la RPDC doit cependant être relativisée : dans les réponses du Maréchal Kim Jong Un aux messages de félicitations des dirigeants et chefs de parti étrangers en mai 2014, le Vietnam n'apparaît qu'en huitième position – après la Chine, Cuba, le Népal, le Laos, Myanmar, la Mongolie et le Cambodge, avant le Congo démocratique et l'Angola.

D) La question coréenne, opportunité pour le Vietnam de s'affirmer comme médiateur sur la scène internationale ?

Les bonnes relations qu'entretient le Vietnam avec les deux États coréens en font un possible médiateur sur la question coréenne, d'autant plus qu'il manifeste des ambitions diplomatiques pour renforcer sa stature internationale, y compris au sein de l'ASEAN, comme puissance responsable cherchant à régler les conflits.

Les autorités vietnamiennes expriment des positions équilibrées, les mêmes acteurs pouvant tenir un discours cohérent vis-à-vis tant de la Corée du Sud que de la Corée du Nord : le secrétaire général du PCV Nong Duc Manh, qui était à Pyongyang en octobre 2007, se trouvait à Séoul fin 2017, où il prônait la dénucléarisation, la paix et la réunification de la péninsule.

Cet appel constant au dialogue et à la dénucléarisation va cependant de pair avec le soutien de Hanoï aux positions américaines (et chinoises) pour que Pyongyang respecte ses engagements internationaux, notamment les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sanctionnant la poursuite de ses programmes nucléaires militaires et balistiques par la RPDC. En juillet 2016, en application des sanctions internationales, le Vietnam a interdit d'entrée sur son territoire douze ressortissants nord-coréens.

Néanmoins, dans des périodes de crise (comme le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan le 26 mars 2010, ayant causé 46 morts, imputée à la Corée du Nord par Séoul et Washington selon une thèse battue en brèche par de nombreux experts), Hanoï a appelé, comme du reste la Chine et la Russie, au dialogue et à la retenue de toutes les parties, en évitant les condamnations de la seule Corée du Nord. Ces positions gouvernementales divergent en revanche de celles des médias sociaux qui, comme en Chine, sont souvent plus critiques vis-à-vis de la RPDC.

Plusieurs exemples montrent cependant que le rôle de médiateur du Vietnam sur la question coréenne reste à développer :

- le Vietnam a accueilli des pourparlers intercoréens comme des pourparlers Japon – RPDC, mais ces discussions n'ont souvent pas permis des avancées décisives , et surtout ne se sont pas inscrites dans une politique diplomatique continue ;

- le Vietnam pourrait favoriser des discussions entre les États-Unis et la RPDC (comme l'ont fait la Yougoslavie du Maréchal Tito ou la Roumanie de Nicolas Ceaucescu pendant la guerre froide), mais là encore la volonté et la persévérance manquent encore trop souvent côté vietnamien ;

- plus prometteurs, les forums régionaux de l'ASEAN plus trois (Chine, Japon, Corée du Sud) offrent un cadre approprié, qui pourrait du reste répondre aux ambitions de la Corée du Sud de s'affirmer comme une puissance régionale.

*

En conclusion, quelles sont les perspectives d'évolution des relations Vietnam-Corée, et dans quelle mesure la réunification vietnamienne puis son ouverture économique pourraient-elles constituer un cas d'école pour la Corée ?

Sur le premier point, si les élites vietnamiennes tendent à se répartir entre une tendance plus traditionnelle (qui pourrait manifester une sympathie politique vis-à-vis de la Corée du Nord) et une tendance plus moderniste et plus nationaliste, davantage attirée par la Corée du Sud, les tendances lourdes sont au renforcement des échanges économiques, et donc à faire pencher la balance vers la République de Corée.

Concernant la deuxième question, la réunification vietnamienne à l'issue d'une guerre civile internationalisée est un modèle peu attractif et surtout daté ; le principal intérêt de l'organisation politique du Vietnam est peut-être aujourd'hui l'équilibre régional des postes de direction politique (qui n'est d'ailleurs pas propre au Vietnam : on peut également citer les équilibres ethnico-religieux du Liban), qui pourrait inspirer des institutions de type confédérale en Corée. Par ailleurs, l'ouverture économique du Vietnam intéresse non seulement les Nord-Coréens, mais aussi des spécialistes sud-coréens qui, à l'instar de l'ancien diplomate Park Joon-woo en mars 2012, voyait dans l'évolution économique du Vietnam “l'un des meilleurs modèles” pour la Corée du Nord. Assurément, la réunification de la Corée, qui sera l'oeuvre des Coréens eux-mêmes, prendra probablement des formes originales, qui ne seront pas la répétition de situations politiques advenues en d'autres temps et d'autres lieux.

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