Après le refus du ministère sud-coréen de la Réunification d'autoriser des chefs d'entreprise sud-coréens de la zone industrielle de Kaesong à se rendre au Nord de la péninsule, l'incertitude grandit sur la reprise, ou non, des activités du complexe industriel, symbole de la coopération intercoréenne, suspendues depuis le 9 avril 2013, et où 53.000 ouvriers nord-coréens travaillaient jusqu'à récemment pour 123 PME sud-coréennes (photo ci-contre, les cadres et entrepreneurs sud-coréens quittant Kaesong). Dans ce contexte, il peut être tentant d'établir un parallèle avec la zone touristique des monts Kumgang, qui était également gérée par la filiale Hyundai Asan du conglomérat sud-coréen Hyundai, située au Nord de la péninsule, et visitée par quelque 2 millions de Sud-Coréens jusqu'à ce que la mort accidentelle d'une touriste, le 11 juillet 2008, entraîne la fin du tourisme intercoréen dans cette région. Mais un certain nombre de différences entre les deux projets industriels incitent à ne pas considérer comme définitif l'arrêt des activités à Kaesong, en imaginant les scénarios d'une sortie de crise.
Tout d'abord, les causes ayant conduit à suspendre l'un et l'autre de ces projets économiques intercoréens répondent à des situations différentes. Dans le cas du tourisme intercoréen des monts Kumgang, malgré la dégradation des relations intercoréennes ayant suivi l'élection du conservateur sud-coréen à la présidence de la République à Séoul (et dont avait rendu compte un éditorial du Rodong Sinmun, journal du Parti du travail de Corée, en date du 1er avril 2008), c'est un dramatique accident, fortuit, qui a conduit la partie sud-coréenne à décider de suspendre les circuits touristiques. Cette décision avait été prise à titre conservatoire, dans l'attente d'une enquête conjointe Nord-Sud qui n'a jamais eu lieu. En effet, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a mené seule ses propres investigations, après que les faits se furent produits dans une zone militaire où avait pénétré la touriste mortellement blessée, visiblement suite à une négligence du groupe Hyundai Asan dans l'entretien d'une clôture de sécurité. S'agissant de la zone industrielle de Kaesong, la suspension de ses activités - décidée par les Nord-Coréens dans un contexte de fortes tensions intercoréennes, au motif qu'ils ne pouvaient plus assurer la sécurité des Sud-Coréens présents sur le site - s'inscrit, pour sa part, dans le cours global des relations Nord-Sud.
Les conséquences économiques de la suspension des activités de l'une et l'autre zones spéciales - outre de moindres ressources en devises pour la RPD de Corée - ne sont pas non plus les mêmes du point de vue sud-coréen. Dans les monts Kumgang, c'est surtout le groupe Hyundai qui a subi un manque à gagner. A Kaseong, c'est un tissu de petites et moyennes entreprises qui sont menacées de faillite - si bien que l'une des premières mesures annoncées par les autorités sud-coréennes a porté sur leur indemnisation, alors qu'il avait été estimé que le groupe Hyundai pourrait économiquement faire face, seul, à la fin des circuits touristiques intercoréens dans les monts Kumgang.
Les entrepreneurs sud-coréens de Kaesong représentent ainsi un groupe beaucoup plus large, et potentiellement plus revendicatif, de citoyens qui peuvent peser dans la réouverture des échanges intercoréens de Kaesong. Ils se sont d'ailleurs aussitôt mobilisés et se sont fait entendre dans les médias - quand le groupe Hyundai avait choisi, pour sa part, des modes d'action plus discrets. Si, pour les monts Kumgang, la direction de Hyundai avait eu des échanges au plus haut niveau avec les autorités nord-coréennes, le gouvernement sud-coréen se méfie manifestement des initiatives prises par les chefs d'entreprise de la zone industrielle de Kaesong, en ayant refusé leur visite au Nord de la péninsule tout en disant clairement qu'il ne voulait, sur ce dossier, que des discussions intergouvernementales - c'est-à-dire piloter lui-même les relations Nord-Sud. Cette décision d'autorité est très peu libérale dans son esprit : l'argument selon lequel les Nord-Coréens pourraient ainsi créer des divergences entre le gouvernement et les citoyens de Corée du Sud n'est-il pas l'affirmation revendiquée d'un monolithisme sud-coréen, ce même monolithisme que le gouvernement sud-coréen reproche précisément à la RPD de Corée ? Elle est surtout le signe d'un malaise : réduits au rang de subordonnés des Etats-Unis dans la décision prise par Washington d'escalade des tensions en Corée, les gouvernants sud-coréens n'arrivent pas à imaginer la mise en place de canaux de dialogue intercoréens qui permettraient de relancer les discussions. Il pourrait s'agir soit de représentants du groupe Hyundai, jusqu'ici étonnamment discret, soit de personnalités politiques sud-coréennes disposant d'un meilleur crédit en RPD de Corée que les conservateurs aujourd'hui au pouvoir à Séoul.
Si les anciens présidents démocrates sud-coréens sont aujourd'hui décédés, des représentants de l'opposition sud-coréenne ont fait des offres de bons offices, au nom des intérêts supérieurs de la nation coréenne. Au demeurant, il existe des formules juridiques - comme les parlementaires en mission, agissant donc pour le compte de l'exécutif - qui permettraient aux autorités de Séoul de ne pas "perdre la face" dans leur exigence que les négociations soient conduites au niveau gouvernemental. Comme les deux gouvernements coréens partagent le même constat que la suspension des activités de Kaesong est regrettable, il est de l'intérêt d'envisager des voies nouvelles pour renouer un dialogue qui ne peut qu'être profitable à tous les Coréens, du Nord comme du Sud de la péninsule.
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