Won-tai Sohn est un Coréen américain - aux Etats-Unis, il est fréquent que les Coréens suivent l'usage occidental d'énoncer en premier leur prénom, et non leur nom de famille (en l'occurrence, Sohn). Personnalité reconnue dans le domaine médical, après que les hasards de la vie l'eurent conduit en Amérique, Won-tai Sohn, né en 1914, a côtoyé Kim Sung-ju, le futur président Kim Il-sung de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), lorsque tous deux vivaient en Mandchourie, et plus précisément dans la province de Jilin, où s'organisait la résistance à l'occupation japonaise de la Corée. Bien que tardif - il n'a été publié qu'en 2003 - son récit historique et biographique Kim Il-sung and Korea's struggle. An unconventional firsthand history est un témoignage exceptionnel direct abordant, notamment, les années où Kim Sung-ju a rejoint la résistance antijaponaise, dès 1926 selon les historiens nord-coréens. La valeur documentaire de cet ouvrage est d'ailleurs attestée par son inscription au fonds de la Bibliothèque du Congrès américain. Pour l'anecdote, le frère de Won-tai Sohn, alors également présent en Chine, est le futur ministre de la Défense sud-coréen Sohn Won-il (1909-1980), généralement considéré comme le fondateur de la marine sud-coréenne : alors qu'il est interdit, au Sud de la péninsule, de porter une appréciation positive sur le Président Kim Il-sung, Sohn Won-il déclarera ensuite prudemment n'avoir pas de souvenirs à cette époque sur Kim Sung-ju, qui allait devenir le Président Kim Il-sung... Nous publions ci-après, traduits de l'anglais par nos soins, des extraits de l'ouvrage précité de Won-tai Sohn, issus du chapitre 4 intitulé "L'Association des enfants coréens de Jilin", qui éclairent d'un jour nouveau l'entrée dans la résistance de Kim Sung-ju, au moment où la RPD de Corée s'apprête à célébrer le 101ème anniversaire de la naissance de son fondateur, le Président Kim Il-sung. Alors que nombre d'historiens occidentaux et sud-coréens mettent en doute que le futur Kim Il-sung, alors âgé de seulement 14 ans, ait pu s'engager dès 1926 dans la résistance antijaponaise, Won-tai Sohn nous montre qu'un tel parcours était classique, notamment chez les enfants de patriotes, tout en observant que Kim Sung-ju se distinguait par ses qualités d'organisation et d'analyse. La vocation de résistant de Kim Il-sung a ainsi été nourrie du combat déjà mené contre l'occupant japonais par son père Kim Hyong-jik. Puis le propre père de Won-tai Sohn, le pasteur protestant Sohn Jong-do, une autre figure éminente de la résistance coréen réfugiée à Jilin, a encouragé et incité le jeune Kim Sung-ju à s'engager dans la lutte antijaponaise, après que ce dernier, connu comme le fils de Kim Hyong-jik (suivant l'usage coréen de désigner les enfants comme les fils et les filles de leurs parents), eut perdu son propre père, le 5 juin 1926.
"Des personnes m'ont demandé s'il était vrai que le Président Kim Il-sung de la Corée du Nord avait réellement commencé son combat pour l'indépendance nationale alors qu'il était encore adolescent. C'est bien évidemment vrai, mais plus au sens compliqué de l'expérience, et pas simplement de la capacité. On ne peut pas répondre à cette question en seulement quelques mots d'explication pour ceux qui ne sont pas familiers de cette époque, et qui n'ont pas connu les souffrances endurées par les patriotes coréens pendant les années d'occupation de l'impérialisme japonais. Il y a une grande différence entre la connaissance et l'expérience.
Je suis le fils d'un pasteur patriote coréen qui était violemment antijaponais. S'il avait vécu dans le confort de la fortune héritée de ses ancêtres comme un érudit confucéen ou un fonctionnaire, je serais peut-être devenu un tout autre Sohn Won-tai. Mais mon père a choisi de quitter la lignée nobiliaire et de devenir un pasteur chrétien. Comme beaucoup d'autres pasteurs protestants à cette époque, il s'est impliqué dans la lutte anti-japonaise, le coeur brûlant de ferveur patriotique. Ce que je voyais, entendais et ressentais depuis le jour de ma naissance baignait dans l'ambiance du sentiment antijaponais et l'esprit de résistance à l'occupation impérialiste pour refuser de vivre comme des esclaves. C'était une ambiance d'enthousiasme pour un mouvement d'indépendance déterminé à faire vaincre la Corée de la domination japonaise (...).
Les jours de pluie, nous, les enfants, nous restions à l'intérieur, généralement dans la salle de séjour de quelqu'un. Nos discussions portaient souvent sur nos villages de naissance que nous avions laissés derrière nous, et il n'était pas rare que nos visages s'emplissent de larmes. Le malheur avait fait grandir trop vite des garçons de douze ou treize ans. Nous chantions un chant de nostalgie et profondément pathétique qu'avait composé Won-yil (alors âgé de quinze ans) et Pak Il-pha, à propos de Beishan (...).
Kim Sung-ju avait deux ans de plus que moi, mais trois ans de moins que Won-yil. Bien qu'ayant à peu près notre âge, il était différent de nous. Il ne se contentait pas de pleurer la perte de notre pays et de laisser d'autres reconquérir sa liberté... il était le fils de Kim Hyong-jik, le célèbre vétéran pour l'indépendance et l'indomptable combattant antijaponais !
A l'âge de 15 ans [NdT : 15 ans en âge coréen, 14 ans en âge occidental, donc en 1926], Kim Sung-ju était déjà déterminé à restaurer la nation coréenne par ses propres efforts et, malgré sa jeunesse, il avait commencé à élaborer des plans pour y parvenir. Il était doté de qualités exceptionnelles, et avait notamment le talent de placer la connaissance et l'expérience sur des chemins pratiques pour les rendre effectives. Cette différence est ce qui séparait Kim Sung-ju des autres garçons du même âge, comme nous, dans l'accomplissement de notre destin.
Kim Sung-ju préparait déjà la lutte effective pour reconquérir l'indépendance de la Corée. Sa stratégie était claire : pour y parvenir, toute la nation devait être étroitement unie pour créer la grande force nécessaire à l'objectif commun, la défaite du Japon. Cela, il l'avait compris alors qu'il était encore adolescent, et il mettait déjà en pratique certaines de ses idées. Il formait différentes organisations, tant légales qu'illégales, rassemblant les enfants pour s'impliquer dans les associations, les étudiants dans les sociétés, et l'ensemble des jeunes dans les organisations de soutien de la jeunesse. L'Association des enfants coréens de Jilin était l'un de ces projets.
J'étais membre de l'Association des enfants coréens de Jilin. Au printemps 1927, sept ans après l'installation de ma famille à Jilin, je suivais les cours d'une école primaire de province mais étais en situation d'échec en première année. J'avais été un écolier brillant à l'Ecole primaire Kwangsong de Pyongyang, mais comme je ne connaissais pas le chinois, j'avais de grandes difficultés à suivre les cours de l'école chinoise. Heureusement, quand j'ai peu à peu appris le chinois et commencé à m'habituer aux coutumes locales, mes résultats scolaires ont commencé à s'améliorer.
Un jour de printemps on m'a dit qu'une réunion des enfants coréens devait se tenir dans l'église de mon père. Après l'école, j'ai dîné rapidement et me suis dépêché de me rendre à l'église où un grand nombre d'enfants s'étaient déjà réunis dans la cour (...) Il existait déjà une association d'enfants dans la région, active sous le parrainage de nationalistes affiliés à Jongui-bu, mais elle n'avait d'existence que nominale, faute d'une vraie direction (...).
Beaucoup de combattants pour l'indépendance et de parents étaient venus à l'église pour manifester leur soutien et féliciter les enfants pour leurs activités, occupant les sièges du fond dans l'église. A la tribune se trouvaient le combattant pour l'indépendance Jang Chol-ho, mon père, Pak Il-pha, Kim Sung-ju et un autre étudiant dont je ne me souviens pas du nom. Après des remarques formulées en ouverture par les personnes présentes à la tribune, l'assemblée a formellement constitué l'Association des enfants coréens de Jilin, élu un bureau et choisi Kim Sung-ju comme président à l'unanimité.
Kim Sung-ju a rejoint la tribune, remercié l'assemblée puis souligné les buts de l'association : ses objectifs, ses tâches immédiates à accomplir et ses règles de fonctionnement de l'organisation. S'exprimant couramment dans le dialecte provincial de Phyongan, il a exhorté les filles et les garçons à s'unir pour se dévouer à la restauration de l'indépendance et à l'honneur de la Corée. Le fait qu'il utilisât le dialecte de Phyongan, que je comprenais, me donnait un sentiment d'intimité avec lui, comme si je rencontrais quelqu'un que je connaissais et que j'appréciais car originaire du même village que moi (...).
Un changement radical apparut dans la vie des garçons et des filles de Jilin. Après la classe, nous nous réunissions dans l'église de mon père pour organiser des joutes oratoires, raconter des histoires et rendre compte d'ouvrages. Les débats portaient sur des sujets importants, depuis le fait de savoir si une fille devait porter les cheveux courts jusqu'à des discussions essentielles sur le meilleur moyen de mener la lutte pour l'indépendance et la liberté de la Corée.
L'association gérait aussi une petite bibliothèque. Une pièce pour la bibliothèque avait été fournie par le meunier, le père de Hwang Kwi-hon, un bon ami de In-sil (...).
J'ai eu une expérience inattendue, mais riche d'enseignements, ce printemps, alors que je marchais le long des berges du fleuve Songhua (...). J'avais l'idée ridicule de marcher jusqu'à la Mer de l'Ouest sur un grand bloc de glace, mais alors que je courais, inconscient du danger d'un tel jeu d'enfants, je vis une grande carpe qui se débattait sur des blocs de glace détachés des berges du fleuve. J'ai saisi le poisson sans rencontrer beaucoup de résistance, car il avait apparemment été assommé par le débit des blocs de glace. Il était incroyablement plus grand que la carpe argentée que j'avais attrapée sur le fleuve Pothong ! (...)
Le meunier apparut et me demanda s'il pouvait acheter la carpe et, après m'avoir glissé un peu d'argent dans ma poche, il emporta ma prise (...).
Je voulais acheter des livres avec l'argent et les offrir à la bibliothèque, mais Kim Sung-ju me conseilla de les donner à ma mère car c'était le premier salaire de ma vie. Quand j'ai donné l'argent à ma mère, un sourire radieux a illuminé son visage et elle a dit "Alors, c'est ce que tu as gagné ? Tu vaux encore mieux que ton père". Je n'ai jamais été plus heureux que ce jour-là !".
Source : Won-tai SOHN, Kim Il-sung and Korea's Struggle. An unconventional firsthand history, Mc Farland and Company Inc. Publishers, Jefferson (Caroline du Nord) et Londres, 2003. ISBN 0-7864-1589-4. Extraits du chapitre 4 (titre anglais : "The Association of Korean Children in Jilin"), pp. 51-57. Traduction de l'anglais AAFC / BQ.