Né le 15 avril 1912 à Mangyongdae dans une famille de patriotes coréens, décédé le 8 juillet 1994, Kim Il-sung a été le fondateur de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) le 9 septembre 1948, après avoir été un des dirigeants de la guérilla antijaponaise. Le Président Kim Il-sung a rencontré à de nombreuses reprises les étrangers en visite en RPD de Corée, et leurs témoignages permettent de mieux comprendre sa personnalité. Parmi ces grands témoins, le journaliste Wilfred Burchett a été correspondant de guerre dans le Pacifique, puis en Corée où il a assisté aux pourparlers d'armistice en 1953 après avoir suivi les troupes nord-coréennes et chinoises, et enfin au Vietnam. Sa couverture des événements lui a valu, en 1966, le prix de l'Organisation internationale des journalistes. En avril 1967, Wilfred Burchett est retourné en RPD de Corée, où il a rencontré Kim Il-sung, alors Premier ministre (photo à gauche, Kim Il-sung et Wilfred Burchett), et dont la première tâche était alors la modernisation du pays et l'élévation du niveau de vie de la population - celles-ci étant décrites en des termes qui montrent que l'objectif actuel des autorités nord-coréennes de bâtir "un pays puissant et prospère" vient de loin. Le texte qui suit est extrait de l'ouvrage écrit par Wilfred Burchett après sa visite en Corée du Nord en 1967. Publié par François Maspero en 1968, dans la collection "Cahiers libres", sous le titre A nouveau la Corée, il permet de mieux comprendre comment le Président Kim Il-sung dirigeait la République populaire démocratique de Corée, au plus près de la population, suivant l'héritage des combats de la guérilla antijaponaise.
"L'une des choses qui m'impressionnèrent le plus avant que je ne le rencontre, fut de voir à quel point il avait personnellement supervisé, dans tous les détails, la reconstruction du pays après la guerre. J'avais visité une douzaine d'usines et de fermes et partout Kim Il-sung s'était rendu non pas une, mais plusieurs fois, pour voir comment cela marchait, pour étudier les conditions sur le terrain, pour se rendre compte par lui-même, discuter avec les ouvriers et paysans et connaître vraiment leurs problèmes afin de pouvoir commencer à les résoudre. A la filature de Pyongyang, par exemple, il était venu pas moins de 28 fois ; la phrase : "le développement de notre industrie est inséparable de l'intérêt personnel qu'y a pris le Premier ministre Kim Il-sung..." semble être une vérité nationale. Avant de développer ses thèses sur la révolution agraire et le socialisme, il se rendit dans un district du village de Konson-Ri et y resta 15 jours, vivant avec les paysans, examinant à fond leurs problèmes, qui touchaient aux insuffisances du parti et du gouvernement, ainsi qu'aux aspirations de la paysannerie. C'est ainsi qu'il agissait jadis, pendant la guerre : jamais il ne déclencha une action sans avoir auparavant procédé à une reconnaissance détaillée des objectifs à attaquer.
Je n'avais pas rencontré le Premier ministre Kim pendant la guerre, et il y fit allusion dès les premières minutes de notre entretien : "J'aurais alors aimé vous voir, me dit-il, mais vous vous trouviez à Kaesong et, à l'époque, j'étais occupé ailleurs..." Il l'était sans doute. Il avait sur les bras la plus grande bataille qu'ait jamais eu à livrer, au cours de l'histoire, un dirigeant coréen. Il était "occupé"... et on n'en parlait plus ! Après quelques minutes pendant lesquelles il m'interrogea sur ma famille et mon travail, il me devint facile de l'imaginer assis sous un arbre avec des paysans, mâchonnant un brin de paille et les amenant à lui parler en toute confiance. Il a la chaleur humaine et la simplicité des grands, et ses manières sont exemptes de recherche, ce qui est rare chez des hommes occupant des fonctions aussi importantes. Tout ceci transparaît dans ses discours. Même lorsqu'il traite des problèmes aussi peu romantiques que l'industrie lourde, il y a toujours une remarque qui rappellent à ses auditeurs, surtout si parmi ceux-ci se trouvent des bureaucrates, que le but de toute chose est de rendre la vie meilleure et plus gaie pour tous. On ne fabrique pas des machines pour le plaisir, mais pour rendre plus lumineux le destin de l'humanité. Ainsi, quand, présentant le premier plan quinquennal, il parla de stations hydro-électriques et de la nécessité de construire des barrages sur les rivières, il ajouta : "à l'avenir, quand notre situation sera meilleure, nous pourrons également y ajouter les joies du canotage...".
"Quand, en Corée du Nord, nous serons bien nourris, bien vêtus, quand nous vivrons confortablement, quand chacun aura du travail et que le travail sera devenu plus agréable, nous exercerons une influence considérable sur les gens en Corée du Sud", dit-il une autre fois dans un discours sur l'éducation communiste, en novembre 1958. "Même les espions envoyés par Syngman Rhee ne pourront pas dissimuler ce qu'ils ont vu dans le Nord - à savoir qu'il n'y a pas de chômage, que le travail a été allégé, que les revenus sont élevés, que tout le monde est bien nourri, bien vêtu, et vit confortablement..." Et, dans le même discours : "Nous devons progresser plus vite que d'autres peuples, car nous avons vécu trop longtemps dans la pauvreté... Partout en Europe, les routes sont bien pavées, et, même à la campagne, les gens vivent, pour la plupart, dans des maisons de brique. Mais nous, nous avons vécu, pendant des générations, dans des huttes misérables, couvertes de chaume..." Depuis des générations, dit-il, le rêve des paysans coréens est de "manger du riz toute l'année et d'avoir des maisons aux toits de tuile" et, dans son discours du 23 octobre 1962, où il demandait que soient rapidement atteints les objectifs du plan septennal, il déclara que ceci "permettra à notre peuple de vivre dans l'abondance, d'habiter des maisons couvertes de tuiles, de manger du riz et de la viande en quantité, et d'être bien vêtu. Ceci voudra dire que le désir longtemps caressé par nos travailleurs aura été réalisé en notre temps, ce dont nous pourrons nous réjouir et être fiers...".
Le plan septennal, lancé en 1961, n'a pas encore été réalisé ; il a été étalé sur trois années supplémentaires en raison des impératifs urgents de la défense, mais les maisons de briques et les toits de tuiles sont devenus la règle pratiquement partout à la campagne, et les paysans mangent maintenant du riz toute l'année. Les seules chaumières que j'ai vues étaient les deux pièces de musée appartenant aux familles respectives du père et de la mère de Kim Il-sung. Dans le cadre du mouvement qui tend à rapprocher la campagne et les villes, le Premier ministre Kim a choisi les chefs-lieux de comté comme modèles de ces nouveaux villages de type urbain que doivent devenir les fermes coopératives. "Le chef-lieu de comté doit être construit avec le sens de la beauté, de la propreté, de la culture et de l'hygiène, de manière à ce que tous les villages agricoles puissent suivre son exemple. Dans tous les domaines (...) le comté (...) avec son équipement culturel et social, ses écoles, ses hôpitaux, ses cinémas, ses librairies et ses bibliothèques (...) doit montrer l'exemple aux villages agricoles et devenir le modèle de la nouvelle façon socialiste de vivre". C'est là un exemple caractéristique de la manière concrète dont Kim Il-sung parle des problèmes et guide le peuple coréen. Les directeurs des fermes coopératives que j'ai visitées me parlèrent tous de cet avis qu'il leur avait donné ; ils avaient construit, ou envisageaient de construire et d'introduire, partout où c'était possible, un équipement de type citadin, et d'urbaniser leur existence. Tout cela a été facilité par l'avènement de la journée de 8 heures et la remarquable organisation des crèches et des jardins d'enfants qui ont libéré les mères de famille en leur évitant bon nombre de besognes ménagères. Les paysans ont maintenant des loisirs et veulent pouvoir en profiter. L'un des thèmes constamment développés par Kim Il-sung a été l'amélioration de la condition féminine à la campagne.
Dans un discours sur la gestion des fermes coopératives, à la fin de l'année 1962, il se plaignit de ce que : "Aujourd'hui, on voit souvent des hommes valides se promener avec une serviette sous le bras, sous prétexte qu'ils sont des dirigeants quelconques ou qu'ils font un travail hautement technique. Le résultat c'est que les travaux de la ferme sont laissés presque entièrement aux femmes. En fait, dans la mesure du possible, il faut donner aux femmes les travaux légers et aux hommes les travaux pénibles. Il convient que le travail de bureau, comme la compilation de statistiques et la comptabilité, soit, quand c'est possible, laissé aux femmes, et que les travaux des champs soient faits par des hommes. Pourquoi les hommes auraient-ils des tâches légères et laisseraient-ils les travaux pénibles aux femmes ?..."
Quinze ans de guérilla, pendant lesquels il connut la même vie et les mêmes dangers que les partisans, hommes et femmes, qu'il dirigeait, ont marqué, de façon indélébile, le style de travail de Kim Il-sung, et en ont fait le contraire d'un théoricien sédentaire. Au début de l'année 1959, attaquant les méthodes de travail bureaucratiques du Parti des travailleurs coréens, et de l'ancien Parti communiste, il déclara que : "si quelques milliers des éléments de base qui avaient pris part comme guérilleros à la révolution coréenne avaient survécu, et si l'on en avait mis au moins un par cellule au moment où fut constitué le Parti, le bureaucrate Ho Ga Yi n'aurait pas pu répandre ce style de travail qui (...) amena bien des gens à penser que le travail du Parti ne pouvait se faire qu'avec une espèce de méthode administrative et des ordres. Cela n'a jamais été, et ce depuis le début, la méthode correcte.
"Il va sans dire que les unités de guérilleros agissaient sur ordre lors des opérations militaires. Mais les ordres devaient être patiemment expliqués aux réunions du Parti, jusqu'à ce que chacun les accepte consciemment et décide de faire tout son possible pour les exécuter. Les guérilleros affrontaient tous les dangers ; pour épargner leurs maigres munitions, ils combattaient à la baïonnette. Il ne faut pas compter sur un tel héroïsme de la part de gens à qui on donne simplement des ordres ; il faut aussi les persuader et les éduquer. Le seul moyen de contrôle sur les guérilleros était leur propre volonté. Il n'y avait ni prisons, ni postes de police... Ce qui était d'une importance exceptionnelle, c'était la persuasion et l'éducation. L'éducation se poursuivait même pendant les repas, les marches et les combats. Nous avons maintenant à notre disposition la radio, les journaux, les revues et autres moyens de propagande efficace, mais à l'époque toute la propagande se faisait de vive voix...
"Les guérilleros combattaient uniquement pour le peuple, sans distinction de rang, ils s'aimaient et se faisaient confiance ; ils étaient fermement unis par une fidélité de camarades et une amitié révolutionnaire. Ils vivaient dans un esprit de noble camaraderie et aussi dans un sévère esprit de critique et de discipline.
"Cependant, aucun de ceux qui furent critiqués et punis ne déserta nos rangs. Quand nous punissions un guérillero, nous tenions compte, pour établir la punition, de son niveau de conscience, et l'un de nos camarades était désigné pour lui donner une éducation cohérente.
"Ce style de travail qui était celui des guérilleros doit être repris et développé. Mais, dans certains cas, il semble que les gens suivent les fonctionnaires de notre parti non par respect sincère, mais par peur de perdre leur travail s'ils ne font pas attention, à cause de la "puissance" des fonctionnaires du Parti... C'est en faisant preuve de ses qualités de dirigeant que le président d'une organisation du Parti doit maintenir son prestige, et non en brandissant l'autorité du Parti.
"N'essayez pas de gonfler votre prestige à l'aide d'un grand bureau et d'un fauteuil. Le travail de notre Parti se passe de fatras administratif. Le président d'une organisation du Parti ne peut pas bien faire son travail tant qu'il se donne des airs importants et prend plaisir à marquer des noms au crayon rouge.
"Si certaines personnes ne viennent pas vous voir, allez les voir. Qu'est-ce que cela peut faire ? Il n'y a aucun inconvénient à ce que vous leur rendiez visite dix ou même cent fois..."
Kim Il-sung a horreur des ronds-de-cuir et il a mené une campagne vigoureuse pour débarrasser le Parti et le gouvernement de cette mentalité, acquise, comme il le dit un jour à de hauts fonctionnaires du Parti, parce que "la seule méthode de travail vue et apprise par beaucoup de nos camarades était celle de la bureaucratie impérialiste japonaise".
Il a réussi à imposer son propre style de travail à tous les niveaux de la direction, dans le Parti, l'administration, les usines, et les fermes, et il est pratiquement certain que ceci a eu une influence sur la vitesse foudroyante à laquelle se construit le pays. J'ai déjà mentionné que tous les directeurs d'usine que j'ai rencontrés, à une exception près, travaillaient jadis comme ouvriers dans les usines qu'ils dirigent aujourd'hui. L'exception, je l'ai trouvée à l'usine de fibres synthétiques qui fabrique du vinalon ; c'est là une industrie toute nouvelle, qui n'a donc pas d'anciens ouvriers, et à la tête de l'usine se trouve un ingénieur chimiste. Il arrive souvent qu'un sous-directeur soit un jeune cadre sorti d'un institut spécialisé dans la gestion d'usine et la formation de travailleurs administratifs, mais le directeur et les chefs de service sont des ouvriers sortis du rang. Les rapports entre les ouvriers et la direction sont, de toute évidence, excellents ; quand ce n'est pas le cas, on s'en rend compte tout de suite en traversant une usine en compagnie du directeur ou de l'un de ses délégués.
En fait, le pays porte la marque de la forte personnalité de Kim Il-sung, comme Kim Il-sung porte celle du militantisme révolutionnaire, qui a entouré les années où sa formation a été la plus riche, ainsi que la plus grande partie de sa vie de jeune homme et d'adulte".
Source : Wilfred Burchett, A nouveau la Corée, François Maspero, collection "Cahiers libres" (n° 113), Paris, 1968. Extraits du chapitre 9 "Kim Il-sung", pp. 97-102.