La République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a annoncé le 28 juin qu'elle allait renforcer sa capacité de dissuasion nucléaire, alors que des documents récemment rendus publics aux Etats-Unis ont révélé que l'administration américaine avait envisagé des frappes nucléaires contre la Corée du Nord en 1969. Ces révélations sont intervenues dans un contexte d'hostilité persistante, voire croissante, des Etats-Unis à l'égard de la RPDC accusée d'avoir torpillé une corvette sud-coréenne, le Cheonan, le 26 mars dernier. La volonté des Etats-Unis et de leurs alliés, Corée du Sud en tête, de maintenir la pression sur Pyongyang – qui nie toute implication dans le naufrage du Cheonan - s'oppose aux appels à la retenue de la Russie et de la Chine qui demeurent sceptiques face aux preuves avancées contre la RPDC. Pour ce qui concerne la Chine, les appels à la retenue se doublent d'une inquiétude face à divers développements indiquant une volonté des Etats-Unis de renforcer ou, au moins, de ne pas renoncer à leur position militaire en Asie du Nord-Est suite à la crise ouverte par le naufrage du Cheonan et les accusations lancées contre Pyongyang.
La RPDC va « renforcer sa force de dissuasion nucléaire à l’aide d’une nouvelle méthode plus développée», a déclaré le 28 juin 2010 à l'agence officielle KCNA le porte-parole du ministère nord-coréen des Affaires étrangères. Si le porte-parole ne précise pas par quelle « nouvelle méthode » sera renforcée la capacité de dissuasion de la RPDC, il est à noter que cette déclaration vient après l'annonce, le 12 mai, d'une expérience réussie de fusion nucléaire par les scientifiques nord-coréens. En 2006 et 2009, la RPDC a déjà procédé à l'essai de deux bombes atomiques à fission (bombes A). Plus puissante que la bombe A, la bombe à hydrogène (bombe H) utilise précisément le principe de la fusion nucléaire.
« Les faits historiques confirment que notre choix était bien le bon, lorsque nous avons décidé de répondre aux armes nucléaires par une force de dissuasion nucléaire »,a encore dit le porte-parole.
En effet, des documents déclassifiés rendus publics le 23 juin 2010 aux Etats-Unis par le département des Archives de la sécurité nationale de l'université George Washington révèlent que l’administration Nixon a mis au point un plan d’urgence incluant l’utilisation d’armes nucléaires contre la RPDC juste après qu'un avion espion américain EC-121 fut abattu au-dessus de la mer de l'Est (mer du Japon) le 15 avril 1969.
Le plan « Freedom drop » prévoyait ainsi que les Etats-Unis utilisent des armes nucléaires tactiques d'une puissance comprise entre 0,2 et 70 kilotonnes pour détruire des centres de commandement militaires et des bases aériennes et navales en Corée du Nord. Les pertes civiles se seraient élevées «entre environ 100 et quelques milliers», selon une note adressée au conseiller à la sécurité nationale du président Nixon, Henry Kissinger, par le secrétaire à la Défense, Melvin Laird. Selon un autre document, Kissinger a déclaré lors d'une réunion à la Maison Blanche que, face à la Corée du Nord, « il faut paraître déterminé et, si le but est d'empêcher une réponse [militaire], l'action devrait consister à frapper un grand coup ».
Le chef d'état-major Earle Wheeler, le président Richard Nixon, le secrétaire à la Défense Melvin Laird
et le conseiller pour la sécurité nationale Henry Kissinger, en janvier 1969
(Photo : secrétariat à la Défense des Etats-Unis)
Pour le porte-parole du ministère nord-coréen des Affaires étrangères, ces documents sont « la preuve que les Etats-Unis ont tenté d'utiliser l’arme nucléaire à chaque fois qu’ils souhaitaient faire une "démonstration de force" contre la Corée du Nord ». Dans la nouvelle doctrine nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR) publiée par l'administration Obama en avril 2010, la RPDC figure sur la liste des pays contre lesquels l’utilisation d'armes nucléaires est envisagée. « Cela veut donc dire que l’actuelle administration américaine n’a pas changé de position par rapport à ses prédécesseurs », a déclaré le porte-parole nord-coréen.
L'hostilité de l'administration américaine est d'autant plus vivement ressentie à Pyongyang que les Etats-Unis sont à la pointe du combat visant à faire condamner la RPDC par la « communauté internationale » pour avoir torpillé la corvette sud-coréenne Cheonan le 26 mars dernier. La RPDC rejette toute responsablité dans le naufrage du Cheonan et les efforts de l'administration américaine se heurtent au scepticisme de la Russie et de la Chine face aux preuves réunies contre la RPDC par un groupe d'experts venus des Etats-Unis et de pays alliés. Or, la Chine et la Russie sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, saisi le 4 juin par la Corée du Sud, et disposent à ce titre d'un droit de veto pour bloquer une résolution assortie de sanctions contre la RPDC.
La Russie a déjà envoyé sa propre équipe d'experts en Corée du Sud pour enquêter sur le naufrage du Cheonan. Cette équipe devrait rendre les conclusions de son enquête dans le courant du mois de juillet.
La Chine veut, elle, éviter une escalade des tensions dans la péninsule coréenne. Or, le représentant nord-coréen auprès des Nations Unies a déjà prévenu qu'un débat du Conseil de sécurité au vu des seules preuves « fabriquées unilatéralement » par les Etats-Unis et leurs alliés, « constituerait très clairement une atteinte à la souveraineté et à la sécurité de la République populaire démocratique de Corée et nul n’ose imaginer la gravité des conséquences d’un tel acte sur la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne. »
Le 27 juin, à l'issue du sommet des pays du G20 [1] à Toronto, le président américain Barack Obama n'a pas masqué son agacement en appelant encore la Chine à se joindre aux efforts de la « communauté internationale » contre la Corée du Nord. « Je comprends pourquoi [les Chinois] adoptent une attitude de retenue », a déclaré le président américain. « Mais je pense qu'il y a une différence entre la retenue et un aveuglement délibéré face à des problèmes persistants. »
La veille, les pays du G8 [2] réunis à Huntsville, Canada, avaient publié un communiqué qui, tout en n'établissant pas de lien direct entre la Corée du Nord et le naufrage du Cheonan (sous l'influence de la Russie?), prenait note des résultats de l'enquête du groupe international d'experts civils et militaires imputant le naufrage à la RPDC. Pour cette référence aux résultats d'une enquête internationale suscitant de plus en plus de doutes en Corée du Sud et dans le monde, le communiqué du G8 a été rejeté par le ministère nord-coréen des Affaires étrangères qui a réitéré sa demande d'envoyer en Corée du Sud un groupe d'enquêteurs de la Commission de la Défense nationale de la RPDC, une proposition toujours refusée par les autorités sud-coréennes.
A la place, le commandement des forces de l’ONU en Corée, conduit par les Etats-Unis, a proposé à la RPDC de participer à des pourparlers militaires pour informer Pyongyang des résultats de l’enquête et déterminer si le naufrage représentait une violation de l’accord d'armistice qui a mis fin à la Guerre de Corée (1950-53). La RPDC a refusé à son tour cette proposition qui considère comme définitifs les résultats de l'enquête menée par les Etats-Unis et leurs alliés.
La Chine, qui fait partie du G20 mais pas du G8, a réfuté les critiques américaines sur un quelconque « aveuglement délibéré », indiquant qu'il ne fallait pas « mettre d'huile sur le feu » au moment où les parties concernées doivent faire preuve de calme afin d'éviter toute aggravation de la situation dans la péninsule coréenne.
« La position et les efforts de la Chine sont justes et irréprochables », a indiqué le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, lors d'une conférence de presse le 29 juin. « La Chine est un voisin proche de la péninsule coréenne et sur cette question nous avons des sentiments complètement différents par rapport à ceux qui se trouvent à des dizaines des milliers de miles. Nous avons des inquiétudes beaucoup plus directes et sérieuses », a déclaré Qin Gang.
La Chine se montre également nerveuse face à un projet d'exercice militaire conjoint entre les Etats-Unis et la Corée du Sud en mer de l'Ouest (mer Jaune). Cet exercice militaire naval américano-sud coréen fait partie des mesures annoncées le 24 mai par le ministère sud-coréen de la Défense en réaction au naufrage du Cheonan imputé à la RPDC. Initialement prévu pour le 28 juin, il a été repoussé au mois de juillet.
Suite à l'annonce de ce projet, le gouvernement chinois a décidé d'avancer au 30 juin un exercice de tir à balles réelles, prévu pour durer six jours en mer de Chine orientale à 800 km de la Corée du Sud. La Chine estime en effet que les manoeuvres des Etats-Unis et de la Corée du Sud qui prétendent préparer les forces navales des deux pays à de possibles intrusions de sous-marins nord-coréens, visent en réalité la Chine. En particulier, les autorités chinoises ont souligné le déploiement du porte-avions américain George Washington (97 000 tonnes), d’un sous-marin à propulsion nucléaire et de destroyers furtifs américains au cours de cet exercice qui semble avoir pour but de recueillir des informations sur le dispositif militaire chinois en mer Jaune.
Outre des manoeuvres navales en mer Jaune, deux développements majeurs semblent indiquer un renforcement de la position américaine en Asie du Nord-Est consécutivement au naufrage du Cheonan et aux accusations lancées à l'encontre de la RPDC.
D'abord, le Premier ministre japonais Yukio Hatoyama a accepté, le 28 mai, un simple transfert de la base militaire américaine de Funtenma du sud de l'île d'Okinawa vers la baie protégée de Henoko, plus au nord. Le déménagement de cette base militaire américaine hors d'Okinawa était une promesse électorale et, en y renonçant sous la pression des Etats-Unis, Hatoyama a été poussé à la démission le 2 juin.
Ensuite, au cours d'une rencontre bilatérale entre les présidents américain et sud-coréen lors du sommet du G20 de Toronto, il a été décidé de repousser à 2015 le transfert à l'armée sud-coréenne du contrôle des opérations militaires en temps de guerre dans la péninsule coréenne, contrôle actuellement détenu par l'armée américaine qui maintient près de 30 000 hommes en Corée. L'accord signé en 2007 par la Corée du Sud et les Etats-Unis prévoyait pourtant ce transfert dès 2012.
Pendant que la RPDC tire les enseignements de l'histoire pour sa propre défense, les Etats-Unis semblent donc tirer profit de la situation pour « avancer leurs pions » (ou les garder) en Asie du Nord-Est, face à la Chine notamment. On peut légitimement se demander qui attise les tensions en Corée et à qui profite le naufrage du Cheonan. Deux questions pour une même réponse.
[1] Pays membres du G20 : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne
[2] Pays membres du G8 : Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie
Sources :
AAFC
KCNA, "Foreign Ministry Vows to Bolster Nuclear Deterrent in New Way", 28 juin 2010
Robert Wampler, "New Archive Document Collection Sheds Light on Nixon's Frustrating Search for Military Options", National Security Archive Electronic Briefing Book, No. 322, 23 juin 2010
Yonhap, « Obama presse la Chine à condamner la Corée du Nord pour avoir coulé le Cheonan », 28 juin 2010
KCNA, "Foreign Ministry Totally Refutes G-8 Declaration", 29 juin 2010
KCNA, "Telephone Message to US Forces Side", 27 juin 2010
Le Quotidien du Peuple en ligne, « La Chine réfute les critiques sur sa position sur la Péninsule coréenne », 30 juin 2010
Le Quotidien du Peuple en ligne, « L'Armée Populaire de Libération va procéder à des exercices en mer », 29 juin 2010
Voice of America, "US, South Korea Postpone Transfer of Wartime Force Control", 27 juin 2010
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