Les 3 et 4 avril 2013, la tension a encore augmenté en Corée. Alors que les exercices militaires américano-sud-coréens de grande ampleur Foal Eagle se poursuivent, les Etats-Unis ont annoncé le déploiement d'éléments de leur bouclier antimissile (arme "de premier emploi", dans son principe même) au large de la Corée et sur leur base militaire de l'île de Guam. De leur côté, les autorités de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ont donné à l'armée l'ordre final de mener des frappes, y compris nucléaires, en cas d'attaque américaine, annoncé la reprise des activités sur le réacteur nucléaire de Yongbyon, désactivé en 2007, et fermé l'accès à la zone industrielle de Kaesong, située au Nord et symbole du rapprochement intercoréen, aux travailleurs du Sud. Cette fermeture de la zone industrielle conjointe de Kaesong n'est ni la première, ni probablement la dernière en période de tensions intercoréennes. Il faut aussi noter la poursuite des attaques contre les sites Internet de la RPDC (KCNA, Naenara...), alors que des sites sud-coréens ont eux aussi subi des attaques, chaque partie niant toute responsabilité. Dans un contexte où l'escalade entre Washington et Pyongyang a désormais des incidences concrètes sur les relations intercoréennes, S.E. Yun Yong-il, délégué général de la République populaire démocratique de Corée en France, ambassadeur de la RPDC auprès de l'UNESCO, a reçu longuement le bureau national de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) ce mercredi 3 avril 2013. L'AAFC tient à remercier la représentation diplomatique de la RPD de Corée en France pour l'excellence de son accueil. Cette rencontre, la seconde depuis le début de l'année, a permis des discussions et des échanges approfondis sur la situation qui prévaut aujourd'hui en Corée et sur les réactions de l'opinion publique française.
D'emblée, après avoir souligné leur solidarité avec le peuple coréen dans son combat pour la paix et la réunification, les membres du bureau de l'AAFC présents à cette rencontre ont fait part des incompréhensions et des inquiétudes dans l'opinion publique française quant à l'escalade actuelle des tensions en Corée. Cette situation est apparue de nature à compliquer le travail de l'AAFC dans la conduite de ses activités de coopération et de solidarité, même si les échanges bilatéraux entre la République française et la RPD de Corée se poursuivent aux niveaux gouvernemental et non-gouvernemental, comme en témoigne l'arrivée récente en France, préparée de longue date par Patrick Maurus, professeur de coréen à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), de deux professeurs nord-coréens à l'INALCO.
Après avoir remercié sincèrement l'AAFC pour ses efforts d'information dans un contexte d'extrême tension, S.E. Yun Yong-il a tenu à apporter des explications sur la situation actuelle, en s'appuyant sur le rapport présenté par Kim Jong-un, Premier secrétaire du Parti du travail de Corée (PTC), lors de la réunion en session plénière du Comité central (CC) du PTC le 31 mars 2013.
Comment analyser la situation dans la péninsule coréenne
S.E Yun Yong-il a souligné que la République populaire démocratique de Corée a été confrontée à de graves difficultés dans la construction d'une puissance économique et l'accomplissement des tâches menées pour l'élévation du niveau de vie de la population, conformément à l'orientation majeure présentée par le Premier secrétaire Kim Jong-un lors de ses voeux de nouvel an 2013. Après la mise sur orbite du satellite artificiel Kwangmyongsong 3-2 le 12 décembre 2012, les Etats-Unis et leurs alliés ont nié le droit de la RPD de Corée à conduire un programme pacifique de conquête spatiale et les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations-Unies (CSNU) ont mené à une escalade marquée par le troisième essai nucléaire nord-coréen, le 13 février 2013, suivi de nouvelles sanctions du CSNU. Ces sanctions ont coïncidé avec le lancement des exercices militaires conjoints américano-sud-coréens de grande ampleur Key Resolve et Foal Eagle, qui mobilisent cette année 220.000 soldats et les moyens militaires les plus sophistiqués.
Les manoeuvres américano-sud-coréennes interviennent dans un contexte où la nouvelle stratégie militaire des Etats-Unis prévoit de réorienter leurs forces vers la région Asie-Pacifique. La Corée, "crevette entre les baleines", est bien une cible prioritaire pour les Etats-Unis. [note de l'AAFC : publié en janvier 2012, le Defense Strategic Guidance, rapport présentant les orientations stratégiques de la défense des Etats-Unis, évoque le redéploiement de 60% des forces navales américaines vers la zone Asie-Pacifique d’ici à 2020]
Livrant une analyse personnelle, S.E. Yun Yong-il a déclaré que la crise actuelle tombe à point nommé pour des Etats-Unis en crise. Confrontés à une baisse des dépenses militaires, les "faucons" ont besoin d'un prétexte pour maintenir le budget de la défense et la politique hostile des Etats-Unis à l'égard de la RPDC ne peut donc que s'accroître. Face à cette agressivité, le peuple de la RPD de Corée et son gouvernement ont exprimé leur ferme détermination à défendre le régime politique et économique socialiste du pays. La leçon tirée des interventions américaines dans les Balkans et au Proche et Moyen-Orient est que les Etats doivent se doter d'une force de défense autonome : la RPD de Corée a ainsi développé des armes de dissuasion nucléaire diversifiées auxquelles elle ne renoncera pas. Ce choix est le corollaire d'une politique économique visant à élever le niveau de vie de la population car, comme l'a affirmé le dirigeant Kim Jong-un dans son discours du 1er janvier 2013, "plus jamais les [Nord-]Coréens ne doivent se serrer la ceinture".
Une nouvelle orientation politique du PTC et du gouvernement de la RPDC
Garanti par une force de dissuasion nucléaire s'appuyant sur une industrie de défense solide et des réserves abondantes d'uranium, le renforcement de l'économie a été un des objectifs majeurs réaffirmé lors de la réunion du Comité central du PTC du 31 mars 2013, lequel a défini une nouvelle orientation stratégique basée sur la poursuite du développement économique et le renforcement des capacités militaires nucléaires. [note de l'AAFC : dans sa séance du 1er avril 2013 ayant suivi la réunion du CC du PTC, l'Assemblée populaire suprême a élu un nouveau Premier ministre, Pak Pong-ju, qui exerça déjà ces fonctions de 2003 à 2007, période au cours de laquelle il mit l'accent sur l'essor de l'économie, après l'adoption des mesures économiques du 1er juillet 2002 ayant renforcé l'autonomie des entreprises et l'ouverture aux capitaux étrangers]
Le développement du nucléaire civil répond aux besoins en énergie de la RPD de Corée pour sa croissance économique, alors que le nucléaire militaire permet de compenser le déséquilibre des forces armées conventionnelles. Les dépenses militaires conventionnelles ainsi épargnées permettent donc de consacrer une part accrue des ressources du pays au renforcement de l'économie et à l'amélioration du bien-être de la population.
Une fois ce cadre posé, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a défini les tâches urgentes du gouvernement : investir dans la production agricole et développer l'industrie légère ; créer une économie fondée sur le savoir-faire et les hautes technologies ; améliorer la gestion de l'économie, conformément aux réalités d'un pays socialiste tel que la RPD de Corée où les moyens de production appartiennent à l'Etat, en incitant les entreprises et les travailleurs à faire preuve d'indépendance et de créativité. L'accent a également été mis sur la diversification du commerce extérieur et l'essor de l'industrie touristique, en particulier dans la région de Wonsan et des monts Chilbo.
En conclusion, S.E Yun Yong-il a réaffirmé que la République populaire démocratique de Corée, pays doté de l'arme nucléaire, assumerait ses responsabilités devant la communauté internationale pour maintenir la paix en Asie et dans le monde. La RPD de Corée remplira aussi ses obligations en matière de non prolifération et agira en vue d'une dénucléarisation de toute la planète.
Le peuple coréen, peuple épris de paix
Dans la riche discussion qui a suivi avec les membres du bureau de l'AAFC, les échanges ont porté notamment sur la perception de la politique nord-coréenne dans les médias occidentaux, les activités de l'AAFC et les conséquences du renforcement de la présence militaire américaine dans la région Asie-Pacifique.
S.E. Yun Yong-il a tenu à souligner que le peuple coréen est vraisemblalement le peuple le plus épris de paix et aspirant le plus à la sécurité dans le monde. Il a rappelé que les bombardements atomiques américains sur Hiroshima et Nagasaki ont touché non seulement les populations japonaises mais aussi de nombreux Coréens qui vivaient alors au Japon, puissance occupante de la Corée de 1910 à 1945. Le peuple coréen a donc été la deuxième victime directe des bombardements atomiques américains de 1945, et la menace nucléaire est très concrète pour tous les Coréens.
Par la suite, les menaces de recours à l'arme nucléaire par le général américain MacArthur pendant la guerre de Corée (1950-1953) ont conduit de nombreuses familles du Nord à envoyer une partie de leurs membres au Sud, afin d'échapper à de nouveaux bombardements atomiques, sans possibilité de retour après 1953. Cet exode a accru le drame des familles séparées par la division des Corée du Nord et du Sud, un drame qui dure depuis plus de soixante ans. Il s'agit d'une situation sans équivalent dans le monde, qui voit un pays divisé et des familles séparées depuis plusieurs générations, contre leur gré, par le jeu des grandes puissances au lendemain de la libération de la Corée.
Photos : Alain Noguès