Ces dernières semaines, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a pris plusieurs initiatives tendant à relancer le dialogue dans la péninsule coréenne. D'une part, la RPD de Corée a proposé aux autorités sud-coréennes la commémoration conjointe de la déclaration commune Nord-Sud du 15 juin 2000, mais cette proposition a été rejetée par le gouvernement sud-coréen de la nouvelle présidente Mme Park Geun-hye. D'autre part, le vice-maréchal Choe Ryong-hae, directeur du bureau de politique générale de l'Armée populaire de Corée, a effectué une visite en Chine, durant laquelle il a remis un courrier de Kim Jong-un, Premier secrétaire du Parti du travail de Corée. Si l'agence nord-coréenne KCNA a, suivant l'usage, été discrète sur le contenu des échanges, les médias chinois ont fait état de la proposition renouvelée de la RPDC de reprendre le dialogue pour une solution négociée de la question coréenne, y compris dans le cadre des pouparlers à six (suspendus depuis 2009, réunissant les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon) sur les armes nucléaires dans la péninsule. Dans ce contexte, nous publions ci-après la traduction en français d'un entretien donné par S.E. Kim Yong-jae, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RPD de Corée en Fédération de Russie, au correspondant de l’agence de presse Interfax Iouri Alexeiev, dans un article en date du 20 mai 2013. Cet entretien apporte une lecture éclairante par la RPDC des derniers événements, en revenant sur les causes et les conséquences de la crise du point de vue nord-coréen.
Monsieur l’Ambassadeur, comment appréciez-vous la situation actuelle dans la péninsule coréenne et selon vous quelles sont les raisons de la déstabilisation de la situation dans cette région ?
Actuellement nous observons une intensification brutale des actions de provocation de la part des Etats-Unis et de la Corée du sud, et ces actions déstabilisent la situation dans la péninsule coréenne. Ce sont avant tout des actions d'une ampleur de plus en plus grande et représentant une dangerosité accrue. On sait que, le 12 décembre 2012, la RPDC a lancé et mis sur une orbite proche de la Terre un satellite technico-scientifique, correspondant à la seconde version de Kwangmyongsong-3, et ce tir a été effectué en observant toutes les procédures légales internationales universellement reconnues. Cependant les Etats-Unis et leurs affidés, se saisissant de ce lancement opéré dans un but pacifique, ont élaboré au Conseil de sécurité de l’ONU une résolution barbare imposant des sanctions, ce qui constitue une action hostile, déclarant de fait hors la loi le droit qu'a un Etat souverain de procéder au lancement de satellites. Rien dans la Charte des Nations Unies n'autorise le Conseil de sécurité à prendre des résolutions contraires au droit international. Toutes les résolutions refusant à la RPDC le droit de lancer des satellites sont illégitimes, car elles contredisent le Traité sur l’espace qui reconnaît le droit pour tous les Etats souverains à l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. A ce jour plus de 9 000 lancements de satellites ont été effectués, et dans notre région le Japon a lancé un satellite de renseignement en janvier dernier et la Corée du Sud a procédé de même. Mais seul notre lancement a fait l'objet d'une discussion et d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. De fait, le droit légitime qu'a tout Etat de procéder au lancement d'un satellite a été foulé aux pieds et, avec lui, la dignité d’un pays souverain.
Dans ces circonstances, la RPDC a été contrainte de procéder à un troisième essai nucléaire souterrain comme une mesure de riposte pour la défense de sa souveraineté et sa sécurité. C’est alors que les Etats-Unis et d’autres puissances hostiles, de manière hystérique, ont à nouveau fabriqué une résolution « sur le renforcement des sanctions » et ont simultanément commencé avec une fureur déchaînée les manœuvres conjointes Key Resolve et Foal Eagle. Ces manœuvres sont destinées à déclencher une guerre nucléaire avec l'implication d’énormes contingents de forces armées agressives. Au cours des dernières manœuvres contre la RPDC, qui ont duré deux mois entiers, il y a eu les plus sérieuses menaces de frappe nucléaire contre la RPDC de toute son histoire. Telle a été la cause directe de l’augmentation des tensions dans la péninsule coréenne. Sur fond d'un transfert massif de tous les composants de la « triade de moyens de frappe nucléaire » de l’arsenal des forces stratégiques des Etats-Unis, les groupements de porte-avions super-puissants, disposant d'ogives nucléaires à bord, les sous-marins atomiques et dans le ciel les bombardiers stratégiques, dont les B-52 et les B-2, ont ouvertement procédé à des exercices de frappe nucléaire.
Il était même envisagé de procéder à des essais de missiles balistiques intercontinentaux, qui ont été reportés à une date ultérieure avant que l'on nous dise qu'ils pourraient avoir lieu avant la fin du mois de mai. Les Etats-Unis, qui brandissent sous nos yeux le bâton nucléaire, s’ingénient à tromper l’opinion publique internationale en qualifiant nos mesures de rétorsion de « provocations » et de « menaces », déformant la réalité comme si c’était la RPDC qui augmentait les tensions dans la région. Les tensions sont entièrement de la responsabilité des Etats-Unis.
Comment expliquez-vous l’aspiration de la direction de la RPDC à la création d’un potentiel nucléaire puissant ?
Les tensions actuelles dans la péninsule coréenne ne sont pas apparues parce que la RPDC aurait menacé les Etats-Unis en menant des manœuvres militaires sous leur nez. Au contraire, ce sont les Etats-Unis qui ont soulevé de sérieuses menaces sur la sécurité de la RPDC en menant en dehors de leurs frontières des exercices intensifs de frappes nucléaires d’une ampleur sans précédent et en s’efforçant clairement de tester la détermination de la direction de notre pays. C’est pourquoi la RPDC a été contrainte de conduire des actions résolues de riposte dans un but d’autodéfense. Aucun pays n'aurait pas réagi aussi fermement à des manœuvres si ouvertement menaçantes, et d’une telle ampleur, se déroulant sous son nez et contre lui. La RPDC a seulement pris des contre-mesures déterminées devant les plus sérieuses et les plus brutales menaces américaines, afin de sauvegarder sa souveraineté et le droit à l’existence qu'a toute nation. Il convient d'observer l’irresponsabilité de certains médias et journalistes quand, fermant les yeux sur la réalité du problème, ils ont présenté les faits de manière à faire croire que c'est la RPDC qui menaçait les Etats-Unis et la Corée du Sud ou qui faisait monter les tensions dans la région. Les Etats-Unis sont le seul pays à avoir tiré avantage des tensions actuelles dans la péninsule coréenne. Seules des tensions accrues offrent aux Etats-Unis un prétexte pour le déploiement de leurs forces militaires, conformément à leurs objectifs stratégiques, dans la région Asie-Pacifique. Lors de la dernière escalade des tensions, les Etats-Unis ont réussi à renforcer la dépendance de leurs alliés à leur égard, pour le plus grand profit du complexe militaro-industriel américain. Malgré les protestations de la Russie et de la Chine, les Etats-Unis ont disposé d'un tremplin pour accélérer la création d’un bouclier anti-missile dans la région Asie-Pacifique. Non seulement les peuples de la région et les autres forces pacifistes de la planète n’ont pas pu exercer de pression sur les Etats-Unis, ni empêcher ces manœuvres militaires de grande ampleur qui poursuivent des objectifs malsains, mais ils ont cédé aux sirènes des Etats-Unis et de la Corée du Sud dans leur guerre de l’information tendant à diffamer la RPDC, conformément aux buts des Etats-Unis. Ne se contentant pas des manœuvres militaires de grande ampleur conduites ces deux derniers mois, les Etats-Unis et la Corée du Sud ont, en mai, ont à nouveau déployé un groupement naval autour du porte-avion Nimitz et des bombardiers stratégiques B-52, s’efforçant ainsi d’entretenir les tensions. De grandes manoeuvres sont à nouveau attendues en août. Pourquoi une telle multiplication des provocations, de la part des Etats-Unis et de leurs alliés sud-coréens, qui déstabilisent la situation dans la péninsule coréenne ? La réponse à cette question doit être recherchée tant dans la stratégie globale des Etats-Unis que dans leur stratégie propre à la Corée. La stratégie globale des Etats-Unis est une stratégie de domination de l'ensemble de le planète, pour la mise en oeuvre de laquelle est aujourd'hui engagée une réorientation des forces militaires vers la région Asie-Pacifique. Conformément à ce plan, une pression accrue s'exerce sur la Chine et la Russie, un intérêt géopolitique particulier s'exprimant pour la péninsule Coréenne. L’essence même de la stratégie américaine en Corée est d’étouffer la RPDC. Plus précisément, la RPDC constitue le premier objectif dans la réalisation de la stratégie américaine pour la région Asie-Pacifique, et c’est dans ce but explicite qu’est menée une politique hostile vis-à-vis de la RPDC. A vrai dire, notre pays a été l’objet des plus vives menaces nucléaires de la part des Etats-Unis sur une longue période, depuis que des armes nucléaires ont été introduites en Corée du Sud dans les années 1950. La RPDC se trouve également dans une situation de blocus et de sanctions prolongées des plus rigoureuses. Dans ce contexte nous pouvons affirmer que la nouvelle ligne, conduisant en parallèle le développement économique et le renforcement de l’armement nucléaire, décidée lors du plénum de mars [2013] du Comité central du Parti du travail de Corée, est l’achèvement logique de la leçon que nous enseigne l'histoire de 60 ans de menaces nucléaires américaines. Par conséquent, ce sont bien les Etats-Unis qui ont fait de la Corée le premier Etat nucléaire du siècle qui commence. Les Etats-Unis mènent une politique hostile et s’efforcent par tous les moyens de renverser le système en vigueur en RPDC parce que notre pays ne leur obéit pas et est un Etat indépendant. La RPDC est la bête noire des Etats-Unis en ce qu’elle gêne la réalisation de leur stratégie de domination mondiale. Les Etats-Unis ont déjà obtenu le renversement des gouvernements de toute une série d’Etat souverains qui étaient de tendance anti-américaine, sans que malheureusement la communauté internationale n’ait su s’opposer à l'arbitraire américain. Le gouvernement fantoche sud-coréen, ignorant les racines uniques de la nation coréenne, participe sciemment à la réalisation de la stratégie de domination mondiale et d’étranglement de la RPDC, en confiant aux Etats-Unis tous les pouvoirs de gestion opérationnelle en temps de guerre et en se tenant à la pointe des actions entreprises qui déstabilisent la région. Le Japon n’est pas en reste, et il mène une politique hostile à l’égard de la RPDC qui se corrèle étroitement à la stratégie américaine dans la région Asie-Pacifique.
Tant que les Etats-Unis poursuivront une politique hostile envers la RPDC et placeront celle-ci au premier rang dans la réalisation de leurs objectifs stratégiques pour la région Asie-Pacifique, il sera impossible que la péninsule coréenne n'entre pas à nouveau dans le cercle vicieux des tensions. Depuis 2009, l'administration Obama a porté atteinte au droit de la RPDC de procéder à des lancements de satellites pacifiques. De façon infondée elle a présenté nos lancements comme des tirs de missiles à longue portée. Dans le but de pousser la RPDC à des réactions brutales, elle a initié l'adoption de « résolutions sur les sanctions » attentatoires à notre souveraineté. Pour l'avenir, notre pays envisage de poursuivre le lancement de satellites, et tant que les Etats-Unis ne cesseront pas leur politique hostile le cercle vicieux des tensions recommencera éternellement. L’armée et le peuple de la RPDC, qui vivent sous la menace constante de frappes nucléaires, qui subissent des sanctions et un blocus, renforceront par tous les moyens leurs forces de dissuasion nucléaire afin de défendre notre souveraineté nationale, et contribuer à la préservation de la paix et de la stabilité dans la région.
En quoi la politique de l’Occident, et plus particulièrement celle des Etats-Unis, est-elle inadaptée à la Corée du Nord ? Comment appréciez-vous les derniers évènements en cours au Proche-Orient, le « printemps arabe » et les « révolutions de couleur » ? Quelle est pour vous la cause première de ces évènements ?
Je pense complètement fondées les craintes provoquées par les ingérences les plus grossières des Etats-Unis dans les affaires intérieures d'autres pays. Effectivement, aujourd’hui la paix et la sécurité internationales sont sérieusement menacées. La raison principale en est que les Etats-Unis, pour réaliser leurs ambitions de domination mondiale, mènent une politique arbitraire et de diktats dans leurs rapports avec les autres pays, en s’ingérant dans leurs affaires intérieures et en pratiquant des agressions militaires. Les Etats-Unis violent ouvertement la Charte des Nations Unies, les autres normes de droit international et les principes des rapports interétatiques en s'ingérant dans les affaires intérieures d'Etats souverains, jusqu'à les agresser militairement. Le caractère nocif et prémédité des efforts des Etats-Unis et d’autres forces impérialistes pour s''ingérer dans les affaires intérieures d'autres pays et porter atteinte à leur souveraineté trouve son illustration dans les « révolutions de couleur ». Le « Printemps Arabe » qui s’est déroulé dans une série de pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient constitue précisement une telle « révolution de couleur », réalisée sous la houlette des Etats-Unis dans le but d’implanter la « démocratie » américaine. Pour déclencher les « révolutions de couleur », les Etats-Unis trouvent des prétextes pour s'ingérer dans les affaires intérieures d’Etats souverains et vont jusqu’à conduire des interventions armées et entreprendre des actions agressives. Les « révolutions de couleur » ont entraîné à leur suite une instabilité sociale, un chaos politique et des désordres, des souffrances innombrables et des malheurs pour les peuples de nombreux pays. Les accusations proférées par les Etats-Unis dans le domaine de la « démocratie » et des « droits de l’homme », s’accompagnent de tentatives d’ingérence dans les affaires intérieures qui touchent aussi fréquemment la Russie. Toute la rhétorique au sujet de la « lutte contre le terrorisme », du « respect des droits de l’homme » et de « l’ élargissement de la démocratie » ne constitue qu'un prétexte pour justifier et légitimer l’ingérence dans les affaires intérieures d'autres pays et leur agression militaire. La position constante et de principe de la RPDC est de s'opposer à toutes les formes de terrorisme. Les actions des Etats-Unis, qui provoquent des « révolutions de couleur » dans le but de renverser des pouvoirs légitimes, ne peuvent être vues que comme la forme de terrorisme la plus dangereuse, avec le soutien d'un Etat, et comme une violation criante des droits de l’homme. Les évènement tragiques qui se sont produits ces dernières années dans toute une série de pays prouvent que, sans forces militaires puissantes il est impossible de défendre la souveraineté nationale et la dignité des Etats, et il est également impossible de réaliser le bien-être et la prospérité des populations. Nous n’oublierons pas la leçon amère des pays des Balkans et du Proche-Orient qui, en comptant sur l’aide des grandes puissances, ne se sont pas préoccupés de la construction d’un fort potentiel de défense. Cédant aux tromperies et à la pression de la part des puissances impérialistes, ils ont cédé leur potentiel de dissuasion militaire et sont devenus les victimes d’agressions étrangères. Pour la paix et la sécurité internationale, il est nécessaire d’observer les principes de respect de la souveraineté des Etats et de non-ingérence dans leurs affaires intérieures.
Comment appréciez-vous les relations russo-coréennes ? Dans quels domaines envisage-t-on une collaboration plus étroite entre nos deux pays ?
Les relations traditionnelles d’amitié entre la RPDC et la Russie sont fondées sur une longue histoire. Les déclaration communes signées par les leaders de nos pays et l’accord interétatique d’amitié, de bon voisinage et de collaboration servent de fondement pour l'approfondissement des rapports russo-coréens d’amitié et de coopération. Nous sommes heureux de constater que nos relations d’amitié et de coopération, qui s'inscrivent dans une longue tradition, continuent à se développer avec succès dans les domaines de la politique, de l’économie et de la culture, conformément aux documents signés en commun au plus haut niveau, et dans le respect des intérêts communs de nos peuples. Nos pays procèdent régulièrement à des échanges de délégations de haut niveau et développent activement un dialogue politique dans une atmosphère constructive. Dans le domaine économique se réalise le vaste projet de liaison entre les lignes du Transsibérien et du Transcoréen : le tronçon Rason-Khasan approche de sa phase finale et la reconstruction du port de Rason commencera bientôt. Sont également menés des travaux concrets pour la réalisation du projet de gazoduc Russie-Corée. La RPDC et la Russie s’aident l'une et l'autre dans l’arène internationale. La RPDC, de façon constante, se prononce pour le développement et l’élargissement des rapports d’amitié et de coopération avec la Russie, lesquels sont fondés sur une magnifique tradition d’amitié et de bon voisinage. Je suis convaincu que les relations russo-coréennes s’approfondiront et se développeront toujours davantage conformément aux aspiration et aux intérêts de nos deux peuples.
Source : Interfax (traduction du russe : AAFC / YB). Photo : Présidence de la Fédération de Russie
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