Figure de la gauche radicale et socialiste française, Pierre Mendès France (1907-1982) s'est illustré, comme Président du Conseil ayant exercé parallèlement les fonctions de ministre des Affaires étrangères (juin 1954 - février 1955), par son action en faveur de la décolonisation de l'Indochine, ainsi que de solutions de paix négociées, tendant à l'indépendance, au Maroc et en Tunisie. Observateur averti des relations internationales, il a évoqué notamment la question coréenne dans son ouvrage Dialogues avec l'Asie d'Aujourd'hui, publié chez Gallimard en 1972, dont nous reproduisons et analysons ci-après des extraits.
Décembre 1971 : la délégation commerciale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) n'a ouvert que quelques années plus tôt, à la fin de la présidence du général de Gaulle, mais des perspectives s'ouvrent pour une coopération économique privilégiée entre la RPDC et la France, au sein des pays de l'Europe occidentale. C'est dans ce contexte que l'ancien Premier ministre Pierre Mendès France évoque la question coréenne, de la division de la péninsule et de sa réunification, à l'occasion d'une rencontre à Pékin avec l'ambassadeur nord-coréen en Chine :
"A 4 heures et demie, je reçois, à l'hôtel, la visite annoncée de l'ambassadeur de la Corée du Nord. Long exposé de la position de son gouvernement ; celui-ci se réjouit beaucoup des améliorations, discrètes mais réelles, survenues dans les contacts entre la France et son pays. Il y a maintenant une Délégation Commerciale de la Corée du Nord à Paris et un représentant de la France pour les affaires commerciales à Pyongyang. Mais l'ambassadeur souhaite que les relations se développent à un niveau plus élevé et qu'elles prennent un caractère plus ouvertement politique. Il insiste aussi sur les sentiments qui animent le peuple coréen contre la division qui lui est imposée entre deux zones artificiellement séparées. Son gouvernement propose des élections générales, dans toute la Corée, pour créer des institutions enfin réunifiées et communes ; à défaut, si cela n'est pas encore possible, la création d'une confédération entre le Nord et le Sud ; et enfin si la seconde formule elle-même n'est pas acceptée, le développement maximal des échanges entre les deux territoires : communications de toutes sortes, commerce, coopération économique, rétablissement des relations familiales, contacts publics et privés, etc.
"Je lui réponds qu'en France nous sommes particulièrement sensibles au problème des Etats divisés : l'un d'eux est notre partenaire européen, un autre est une de nos anciennes colonies. Si la situation du Vietnam et de l'Allemagne nous intéresse directement, celle de la Corée nous touche évidemment d'une manière plus lointaine. Mais des évolutions importantes sont en cours. Nos rapports avec la République Démocratique Allemande sont en train de changer et l'on peut espérer qu'ils deviendront sous peu plus officiels et prendront même une forme plus diplomatique (surtout lorsque les deux Allemagnes, comme la chose est maintenant à peu près assurée, seront entrées à l'O.N.U.). (...) La France devrait, à mon avis, avoir avec la République Démocratique du Vietnam des rapports plus ouverts et plus confiants, au lieu de courtiser le régime du Sud-Vietnam dont le caractère non représentatif et réactionnaire est indiscutable. C'est dans le même esprit que j'envisage la situation en Corée, bien que la France y ait peu d'intérêts matériels et moraux. Il est bon, pour la consolidation générale de la paix, que nous nous fréquentions plus directement. Je suis d'ailleurs informé des progrès économiques très considérables qui ont été effectués en Corée du Nord et qui méritent le respect."
Pierre Mendès France note que "d'autres Français, plus représentatifs que moi, ont déjà rencontré le même ambassadeur [nord-coréen] à Pékin. Rendez-vous est donc pris pour demain [mercredi 29 décembre 1971]" (p. 149) - prouvant l'existence, à cette date, d'échanges réguliers de haut niveau entre responsables français (dont les noms ne sont pas précisés) et nord-coréens, ainsi que le rôle diplomatique de Pékin.
La position nord-coréenne, exposée classiquement, mérite d'être soulignée, à la veille du premier accord intercoréen de 1972 : elle esquisse très clairement les voies d'une coopération dans tous les domaines, à défaut d'autres solutions qui accélèreraient davantage la réunification.
La position de l'homme d'Etat français est claire - basée sur ce qu'il connaît de la situation diplomatique et politique. Il met en avant l'intérêt premier du peuple coréen à sa réunification, et souligne le rôle que peut jouer la France pour la paix dans cette partie du monde. Il évoque implicitement, par comparaison avec l'Allemagne, le possible établissement de relations diplomatiques complètes entre la France et la RPD de Corée le jour de l'entrée conjointe des deux Corée aux Nations Unies. C'était il y a vingt ans, et la France est aujourd'hui un des deux derniers pays de l'Union européenne à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée.
Source : Pierre Mendès France, Dialogues avec l'Asie d'Aujourd'hui, Gallimard / Idées, 1972. Principale citation pp. 153-154.
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