Le 30 novembre 2009, le gouvernement de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a introduit une réforme monétaire dont un des objectifs recherchés est la lutte contre l'inflation. Toutefois, la régulation des marchés privés, en fort essor depuis le milieu des années 1990, apparaît également comme une des finalités de la mesure, alors que les réformes économiques officialisées le 1er juillet 2002 ont accru les inégalités, tout en réduisant le rôle qui était traditionnellement dévolu au système public de distribution. Les incertitudes sur certaines modalités de la réforme monétaire - s'agissant du plafond des sommes échangées, ou du devenir des sommes ayant dû être déposées dans les établissements bancaires - mettent en lumière les enjeux d'une meilleure régulation du secteur privé, alors que les marchés privés ont toujours existé en RPD de Corée. Ces mesures doivent être resituées dans un contexte où de nouvelles dispositions législatives d'amélioration de l'économie ont été prises par le comité permanent de l'Assemblée populaire suprême.
Que voulait exactement le gouvernement nord-coréen en conduisant de manière accélérée, il y a moins d'un mois, sa cinquième réforme monétaire depuis 1947 ? Au-delà de cette question, le principe de la réforme était simple : cent anciens won équivalent à un nouveau won. Les Nord-Coréens devaient échanger leurs anciennes coupures dans la limite de 150 000 « anciens » won jusqu'au 6 décembre 2009. Au-delà de ce montant, l'argent devait être déposé dans un établissement bancaire pour un échange ultérieur dont les modalités n'étaient alors pas précisées.
Nouveaux billets de 5000, 2000 et 1000 won (source : Choson Sinbo)
La lutte contre l'inflation apparaît comme l'un des objectifs poursuivis par le gouvernement nord-coréen, alors que les devises étrangères tendent à évincer le won - dont la valeur diminue en conséquence - sur les marchés privés. Cependant, compte tenu du plafond fixé pour les sommes échangées (150.000 won représentent cinquante fois le salaire mensuel moyen), la réforme a été interprétée par certains observateurs étrangers comme visant d'abord les bénéfices réalisés lors des opérations d'échanges sur les marchés privés.
Certains médias sud-coréens, comme le Chosun Ilbo, ont fait état de révoltes qui auraient même conduit à des exécutions : ces informations, qu'il n'était "pas possible de confirmer" de l'aveu même de l'AFP, doivent être prises avec d'autant plus de réserves qu'elles émanent d'un des titres de la presse sud-coréenne les plus hostiles à la Corée du Nord. Il semblerait toutefois qu'il ait été procédé à des aménagements de la réforme monétaire, toujours selon le Chosun Ilbo qui fait état sur ce point de sources nord-coréennes apparemment crédibles :
- le plafond des sommes échangées aurait été relevé, le 13 décembre 2009, à 500.000 won ;
- les citoyens nord-coréens pourraient échanger tous leurs anciens billets contre de nouvelles coupures, à condition d'avoir déposé ces sommes dans les établissements bancaires ;
- il ne serait pas conduit pas de vérification sur l'origine des sommes ainsi accumulées jusqu'à 1 million de won, ni sur les sommes déposées au-delà de ce plafond, dès lors que des explications satisfaisantes seraient apportées sur l'origine de ces dépôts supérieurs à 1 million de won.
Si l'on peut s'interroger sur les modalités et les effets de cette réforme monétaire qui apparaît aussi comme une mesure de régulation des marchés, deux remarques s'imposent :
- d'une part, les marchés privés en Corée du Nord existent pratiquement depuis la fondation de la RPD de Corée : les premiers marchés privés - sous forme de marchés paysans - sont apparus, après la réforme agraire de 1946, avant la guerre de Corée (1950-1953) ; officialisés en 1954, ils ont permis aux paysans d'échanger leurs surplus, alors que l'existence de lopins individuels est une des caractéristiques du système agricole nord-coréen ; les marchés privés, officialisés en 2002, se sont ainsi développés à partir des années 1990 dans le cadre des marchés paysans, pour pallier les difficultés du système public de distribution à l'époque de la "dure marche" ;
- d'autre part, la régulation des marchés privés est une constante des politiques publiques conduites par les autorités nord-coréennes, afin de trouver un équilibre entre le système public de distribution - en principe plus juste, mais mis à mal par les difficultés économiques des années 1990 - et les marchés privés qui, tout en représentant une incitation individuelle au développement de la production, sont porteurs d'inégalités sociales.
La régulation des marchés privés porte, notamment, sur leur nombre et leur localisation, la nature des produits échangés, les autorisations données aux vendeurs, en précisant notamment quelles sont les personnes habilitées à vendre sur ces marchés et les démarches administratives et fiscales à suivre.
La réforme monétaire s'inscrit dans un cadre plus général de mesures destinées à relancer l'économie, alors que l'objectif prioritaire est la construction d'un pays puissant et prospère en 2012 : le 16 décembre 2009, le média nord-coréen Korean Central Broadcasting Station (KCBS) a annoncé que le comité permanent de l'Assemblée populaire suprême avait modifié plusieurs lois relatives à la gestion économique, notamment la loi sur la gestion de la propriété immobilière, la loi sur le niveau de consommation des biens de consommation courante et la loi relative à l'importation des équipements généraux.
KCBS a rappelé que la loi sur la gestion de la propriété immobilière "fixe les principes fondamentaux sur l'enregistrement, la vérification, l'utilisation et le paiement des taxes d'usage des biens immobiliers", sans préciser le contenu de la réforme. Selon l'Institut des études extrêmes-orientales (Institute for Far Eastern Studies, IFES), il s'agirait de fixer des règles pour des utilisations privées de ces biens et d'améliorer le dispositif de collecte fiscale, alors que de nouveaux bureaux de gestion des biens immobiliers ont été créés depuis 2006.
Alors que KBCS fait état d'une réponse aux demandes émanant des entreprises, la loi sur le niveau de consommation des biens de consommation courante viserait une réduction des coût de production, selon l'IFES. Enfin, la loi relative à l'importation des équipements généraux fixerait de nouvelles règles de régulation des plans d'importation, des contrats et de l'utilisation des biens par les usines, les écoles, les hôpitaux et les diverses unités de consommation, dans une démarche d'amélioration de la qualité des produits.
Si des incertitudes demeurent sur le contenu des réformes économiques et monétaires menées depuis un mois en RPDC, elles apparaissent comme la traduction législative et réglementaire des efforts conduits parallèlement dans le cadre des campagnes « des 150 jours » et « des 100 jours » pour relancer l'économie.
Sources : AAFC, AFP, Institute for Far Eastern Studies