Le contenu des archives Mitrokhine, du nom d'un archiviste du KGB (Vassili Mitrokhine) passé à l'Ouest, a donné lieu à diverses publications par l'intéressé, notamment un ouvrage publié avec Christopher Andrew et intitulé Le KGB à l'assaut du Tiers Monde. Si, comme souvent pour des ouvrages publiés par des agents (ou anciens agents) de services de renseignement, le parti pris de l'auteur doit inciter à une certaine prudence dans l'interprétation des sources (en l'occurrence, Mitrokhine a clairement comme objectif de critiquer le KGB), il n'y a apparemment guère de doute sur la réalité, en 1978, d'une opération de désinformation menée par le KGB à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). En l'occurrence, un faux document pakistanais remis à l'ambassade nord-coréenne à Islamabad prétendait que la Chine admettait la présence de troupes américaines en Corée du Sud. Si aujourd'hui une telle "intox" peut sembler maladroite (la présence de GIs américains au Sud de la péninsule, et peut-être demain jusque dans l'île de Jeju, vise en réalité autant la République populaire de Chine que la RPDC), le faux document pouvait avoir une certaine résonance dans le contexte, à cette époque, d'un rapprochement entre la Chine et les Etats-Unis. L'opération avait pour but d'éloigner la Corée du Nord de la Chine et de permettre un retour de l'Union soviétique dans le jeu diplomatique et stratégique de la RPDC, notamment en matière de vente d'armes. Toutefois, comme Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine le reconnaissent, d'autres facteurs plaidaient aussi pour un resserrement des liens entre Pyongyang et Moscou à la fin des années 1970 et au début des années 1980 - alors que la RPDC a poursuivi une politique d'équilibre dans ses relations avec la Chine et l'URSS pendant la Guerre froide, ce qui lui a permis d'assurer son indépendance vis-à-vis des grandes puissances. Nous reproduisons ci-après les extraits de l'ouvrage de Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine sur cette opération de désinformation du KGB contre Pyongyang, et qui rappelle que de tout temps chaque pays a joué sa propre partition dans le monde du renseignement, en n'hésitant pas à surveiller et manipuler ses propres alliés.
"Le Service A tenta également de semer la discorde entre la Chine et la Corée du Nord. En 1978, lors de la visite du président pakistanais, le général Zia ul-Haq, à Pékin, l'ambassade nord-coréenne à Islamabad reçut un faux document pakistanais produit par le Service A, rapportant que les responsables chinois avaient informé le secrétaire d'Etat américain, Cyrus Vance, qu'ils admettaient la nécessité pour les troupes américaines de rester en Corée du Sud. Ainsi que l'avait escompté le Centre, les relations entre la Chine et la Corée du Nord se détériorèrent brutalement à la fin de la décennie. Les raisons en étaient toutefois beaucoup moins imputables aux opérations du KGB qu'à la méfiance des Nord-Coréens par rapport au rapprochement sino-américain. Le 1er janvier 1979, les Etats-Unis et la République populaire de Chine établirent des relations diplomatiques complètes. En février, les forces chinoises envahissaient le Vietnam, allié de l'Union soviétique, et, le mois suivant, on vit planer la menace de la première guerre entre Etats 'socialistes' Les fournitures militaires soviétiques à la Corée du Nord, qui avaient été suspendues en 1973, reprirent en 1979. En février 1980, le jour de la fête de l'Armée rouge, Pyongyang encensa de nouveau l' "amitié militantes" entre les forces militaires d'Union soviétique et celles de la Corée du Nord."
Source : Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, Le KGB à l'assaut du Tiers-Monde, Fayard, 2008 (version originale en anglais : 2005). Citations pp. 269-270.
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