Le Foreign Broadcast Information Service (FBIS), devenu en 2005 l'Open Source Center (OSC), est un service de renseignement américain chargé de collecter, traduire, analyser et diffuser au gouvernement des Etats-Unis des informations d'accès public à l'étranger, et, à ce titre, est un des lecteurs les plus assidus du site Internet de l'AAFC. Le FBIS/OSC met en ligne des archives de presse qui apportent, notamment, des éclairages historiques sur les deux Corée. Alors que François Mitterrand s'était engagé, comme candidat à l'élection présidentielle, à l'établissement de relations diplomatiques complètes entre la France et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) s'il était élu, on sait que cette promesse n'a finalement pas été honorée, et ne l'est toujours pas en 2013. Pourtant, dès le printemps 1981, la nouvelle majorité de gauche avait reconsidéré les relations avec la République de Corée (du Sud), alors dirigée d'une poigne de fer par le général Chun Doo-hwan, artisan de la répression sanglante du printemps de Kwangju. Ainsi, en 1981, le groupe interparlementaire d'amitié avec la Corée du Sud de l'Assemblée nationale avait été dégradé au rang de groupe d'étude et de contact, comme pour les pays avec lesquels la France n'entretient pas de relations diplomatiques complètes, en établissant donc une relation d'équivalence dans les relations interparlementaires avec les deux Etats de la Corée, au regard qu'aucun des deux Etats coréens n'était alors membre des Nations Unies. La Corée du Sud n'avait ensuite eu de cesse d'exiger le rétablissement d'un groupe d'amitié à part entière. Dans l'article que nous avons utilisé ci-après, publié le 9 avril 1985 par le quotidien sud-coréen The Korea Herald, et cité par le FBIS, il apparaît que les pressions économiques exercées par la Corée du Sud à l'encontre de la France ont joué un rôle déterminant.
L'annonce officielle qu'il ne serait pas établi de relations diplomatiques complètes entre la France et la RPD de Corée a été faite par Laurent Fabius, alors Premier ministre, lors de sa visite en Corée du Sud en avril 1985. Comme l'indique le quotidien sud-coréen de langue anglaise The Korea Herald dans son édition du 9 avril 1985, "ces assurances [...] doivent contribuer au renforcement des relations économiques bilatérales". Même si d'autres arguments ont été invoqués (notamment un attentat à Rangoon, en octobre 1983, contre le président et le gouvernement sud-coréens, dans lequel Pyongyang a nié toute responsabilité, ou encore l'observation de Séoul selon laquelle l'équilibre diplomatique serait rompu, puisque si la France reconnaissait la RPDC aucun Etat socialiste ne ferait de même vis-à-vis de la Corée du Sud), il ne fait guère de doutes que ce sont bien les considérations économiques qui ont alors pesé dans la décision française, vivement dénoncée par la RPDC comme un renoncement à exercer ses droits d'Etat souverain.
Selon le journal sud-coréen, "le gouvernement de Séoul ne cachait pas son intention de prendre des mesures de rétorsion économiques si la France mettait en oeuvre son plan de reconnaissance de Pyongyang". En 1984, le commerce extérieur français avec la Corée du Sud s'était élevé à 635 millions de dollars, contre 49 millions de dollars avec la Corée du Nord. Les contrats d'investissement avec la Corée du Sud - y compris pour la fourniture de deux centrales nucléaires - atteignaient 2 milliards de dollars, alors que la France négociait avec la Corée du Nord un contrat de construction hôtelière - qui sera d'ailleurs honoré - pour un montant de 45 millions de dollars. La France envisageait alors également la vente de trois avions Airbus à la Corée du Sud.
Toujours selon la même source, la France aurait ainsi décidé de ne pas reconnaître la RPD de Corée au regard de ses intérêts nationaux. Il avait toutefois été décidé, en décembre 1984, d'élever la délégation commerciale nord-coréenne en France au rang de délégation générale. Près de trente ans plus tard, la fin de la guerre froide et l'entrée des deux Corée aux Nations Unies, la délégation générale de la RPD de Corée en France n'a pas changé de statut. Contrairement à la tradition diplomatique française de reconnaître les Etats et non les régimes, la France est désormais l'un des deux derniers Etats membres de l'Union européenne, avec l'Estonie, à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée. Les occasions manquées, en l'espace d'une génération, n'ont pas permis de franchir ce cap, préjudiciable aux intérêts français non seulement dans le Nord de la Corée, mais aussi dans cette partie du monde.
Source : Choe Nam-hyon, "French Decision Not To Recognize North Welcomed", The Korean Herald, 9 avril 1985, in Korean Affairs Report, Foreign Broadcast Indormation Service, 29 avril 1985, pp.25-26
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