Dans une dépêche en date du 10 novembre 2011, l’agence officielle KCNA de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a annoncé que « le jour était proche où un réacteur [nucléaire] à eau légère, entièrement basé sur des ressources et une technologie domestiques, serait opérationnel en RPDC », ce programme étant conduit sur le site de Yongbyon. Ces observations ont été formulées au sein d’un article démentant certaines affirmations, aux Etats-Unis et en Corée du Sud, sur le recul économique supposé de l’économie nord-coréenne, Pyongyang soulignant au contraire les progrès technologiques récemment accomplis. Après les réprobations de plusieurs chancelleries occidentales ayant suivi la publication de cette dépêche de l’agence KCNA, le ministère des Affaires étrangères de la RPD de Corée a réaffirmé, le 30 novembre, le droit selon lui de la RPD de Corée de conduire des activités nucléaires pacifiques, tout en maintenant la porte ouverte aux négociations multilatérales. Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne réaffirme son soutien à une solution négociée à la question nucléaire dans la péninsule coréenne, refusant l'usage unilatéral de la force par les grandes puissances.
Pyongyang : un réacteur nucléaire expérimental à eau légère bientôt en service
Le 30 novembre 2011, dans une déclaration à l’agence KCNA, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la RPD de Corée a réaffirmé que Pyongyang s’estimait en droit de se doter d’un programme nucléaire à des fins pacifiques, tout en précisant qu’un réacteur expérimental à eau légère serait prochainement en service et que Pyongyang était prêt à discuter de toute inquiétude qui pourrait survenir à ce sujet dans le cadre des pourparlers à six (les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon) et avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) :
« L'usage pacifique de l’énergie nucléaire est le droit légitime d’un Etat souverain reconnu par la loi internationale. C’est aussi la seule solution pour résoudre le grave problème de l’électricité en RPDC, car elle a de larges ressources en énergie nucléaire. […]
« La construction d’un réacteur expérimental à eau légère et la production d’uranium faiblement enrichi pour l’approvisionnement en matériaux de base progressent rapidement, en lien avec des fondations solides pour une économie nationale autosuffisante et les derniers bonds scientifiques et technologiques de notre pays.
« La RPDC a annoncé chez elle et à l’étranger que chacune des phases de ses activités nucléaires à des fins pacifiques enclenchait la production d’électricité car elle n’a à avoir peur de rien, ni rien à cacher. Elle a aussi clarifié sa position souple que toute inquiétude qui pourrait survenir pouvait être discutée dans le cadre des pourparlers à six et qu’elle pouvait convaincre le monde de la nature pacifique de ces activités par l’Agence internationale de l’énergie atomique. »
Des réactions à l’étranger au niveau des porte-paroles des ministres des Affaires étrangères : condamnations à Washington et Paris, appel de Pékin à reprendre les négociations, discrétion à Séoul
Le même jour, le porte-parole du département d’Etat américain, Mark Toner a déclaré que la construction d’un réacteur à eau légère et la conduite d’un programme d’enrichissement d’uranium étaient, selon Washington, des violations des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que de l’accord du 19 septembre 2005 sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, faisant part de son « inquiétude ». Le même jour, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, présente à Pusan pour un forum sur l’aide internationale, a réaffirmé que les Etats-Unis soutenaient leur allié sud-coréen et que Washington attendait de Pyongyang « de prendre des mesures concrètes pour encourager la paix, la stabilité et la dénucléarisation » de la péninsule coréenne. Ces déclarations reprenaient la position actuelle des Etats-Unis, sans faire allusion aux déclarations de Pyongyang sur son programme nucléaire à base d’uranium.
En visite quelques jours plus tard à Rangoon, Hillary Clinton a appelé le Myanmar à cesser sa coopération militaire avec la RPD de Corée et réitéré, en termes généraux, son appel à ce que Pyongyang prenne des mesures dans le sens d’une dénucléarisation. Plusieurs rencontres bilatérales, notamment entre Américains et Nord-Coréens, ont eu lieu depuis fin juillet.
Une semaine plus tôt, un an jour pour jour après les graves incidents de l’île Yeonpyeong, les troupes américaines et sud-coréennes avaient conduit des exercices conjoints, très vivement dénoncés par Pyongyang, à proximité de la même zone maritime contestée entre les deux Corée.
Lors d’un point-presse, Bernard Valero, porte-parole du Quai d’Orsay, a également déclaré que les progrès dont a fait état la RPD de Corée dans l’enrichissement d’uranium et la construction d’un réacteur à eau légère sont la preuve, selon Paris, que Pyongyang « continue de violer ses obligations concernant la suspension de ses activités nucléaires ».
Présent à Pusan, de même que la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, lors du forum sur l’aide internationale, Henri de Raincourt, ministre français chargé de la Coopération, a exprimé son souhait que la RPD de Corée évolue « vers des pratiques qui respectent les valeurs que nous portons dans nos politiques de développement », mais sans faire allusion à la déclaration, quelques jours plus tôt, du porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la RPD de Corée sur le programme nucléaire civil nord-coréen.
Hôte des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, la Chine a déclaré, le jour même de la déclaration du porte-parole des Affaires étrangères de la RPDC, que « en tout cas, [elle] espérait que toutes les parties concernées feraient des efforts conjoints pour reprendre les pourparlers à six dès que possible ». Pékin a également réagi au niveau de son porte-parole, Hong Lei, qui, lors d’une conférence de presse le même jour, a répondu que « tous les sujets d’inquiétude en question pouvaient être discutés dans le cadre des pourparlers à six ».
Dans ce contexte, l’AAFC n’a pas relevé, dans la presse sud-coréenne, de réaction du ministère sud-coréen des Affaires étrangères, également engagé depuis juillet dans des discussions bilatérales avec Pyongyang sur la question nucléaire militaire. Toujours le 30 novembre 2011, Yu Woo-ik, ministre sud-coréen de la réunification, a fait état qu’un fonctionnaire de son ministère avait supervisé, au Nord de la péninsule, la distribution de farine offerte par des organisations civiques, en observant que les enfants nord-coréens étaient bien les bénéficiaires de cette aide.
Un nouvel élément sur la table des négociations ?
Si la RPD de Corée a procédé à des essais nucléaires en octobre 2006 et mai 2009, les engins utilisés étaient à base de plutonium. Faiblement enrichi, l’uranium peut servir à la production d’électricité nucléaire. A des niveaux plus élevés, il peut être utilisé pour la fabrication de bombes nucléaires.
Les réactions précitées des puissances occidentales se fondent sur l’idée que le programme nucléaire de Pyongyang, basé sur l’enrichissement d’uranium, pourrait avoir des fins militaires. La RPD de Corée le dément, en rappelant que l’article premier de l’accord à six du 19 septembre 2005 stipulait le droit pour la RPD de Corée d’avoir accès au nucléaire civil. Par ailleurs, l’accord-cadre entre les Etats-Unis et la RPD de Corée, signé à Genève le 21 octobre 1994, prévoyait la livraison de centrales à eau légère, à usage civil, en contrepartie de l’abandon par Pyongyang de son programme nucléaire militaire. Cet accord n’a pas été respecté, et les déclarations du porte-parole de la RPD de Corée, le 30 novembre dernier, soulignent qu’un programme – domestique, cette fois – poursuit le même objectif d’un programme nucléaire civil, fondé sur des réacteurs à eau légère.
La résolution 1874 du Conseil de sécurité des Nations Unies, prise après l’essai nucléaire du 25 mai 2009, vise bien les activités nucléaires militaires.
Au final, en réaffirmant une nouvelle fois être prête à reprendre les pourparlers à six tout en soulignant l’état d’avancement d’un programme nucléaire civil à base d’uranium, la RPD de Corée met potentiellement une nouvelle question sur la table des négociations. Si la volonté de Washington d’afficher sa fermeté rend peu probable à court terme une réponse positive à cette proposition de dialogue, il existe la possibilité d’un engagement, à plus ou moins brève échéance, d’un nouveau cycle de pourparlers bilatéraux entre les Etats parties aux discussions à six.
Sources :
- AAFC
- KCNA, "KCNA Commentary Terms 'DPRK's Economic Meltdown' Absurd", dépêche du 10 novembre 2011
- KCNA, "Experimental LWR Construction: FM Spokesman", dépêche du 30 novembre 2011
- Ministère français des Affaires étrangères, point de presse du 30 novembre 2011
- AP, "North Korea Claims Progress in Uranium Enrichment", sur le site de Foxnews, 30 novembre 2011
-Yonhap (notamment, dépêche du 2 décembre 2011)
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