Alors que la réouverture de la zone industrielle de Kaesong ouvrait l'espoir d'un cours nouveau dans la péninsule coréenne, le récent regain de tensions atteste que les conditions d'une restauration de la confiance, préalable à la reprise du dialogue entre les principaux acteurs impliqués (principalement, les deux Corée, les Etats-Unis et la Chine), ne sont toujours pas réunies. L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) analyse les tenants et les aboutissants de la situation actuelle, dommageable aux intérêts de l'ensemble des parties.
Les tensions actuelles ont un air de déjà vu. Des exercices militaires conjoints (dénommés SAREX) ont été lancés ce jeudi 10 octobre 2013 entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, impliquant le porte-avions George Washington, (photo à gauche) qui peut transporter environ 70 aéronefs (avion de chasse, hélicoptères anti-sous-marins et avions d'alerte précoce). De vives protestations ont été émises par la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui a mis ses troupes en état d'alerte et déclaré qu'elle répondrait à l'attaque par l'attaque, la notion fondamentale de riposte à ce qui serait une attaque en premier des Etats-Unis étant une fois encore absente de la plupart des articles de presse publiés en Occident. Le comité pour la réunification pacifique de la Corée, basé à Pyongyang, a en effet déclaré qu'en cas d' "attaque nucléaire", les ennemis s'exposeraient à une violente contre-attaque.
Des dénégations ont été présentées par les Etats-Unis sur le caractère prétendument pacifique de ces exercices, allant même cette fois-ci - probablement en raison de l'implication peu habituelle du Japon, que sa Constitution pacifiste interdit de s'engager ouvertement sur des théâtres d'opérations extérieures - jusqu'à les qualifier d' opérations "humanitaires" pour récupérer des épaves. Ce serait alors probablement la plus grande chasse au trésor - pardon, récupération d'épave - de l'histoire de l'humanité. Enfin, en réponse, dans l'enchaînement h'abituel de mesures et contre-mesures, une tournée d'inspection a été effectuée par le Maréchal Kim Jong-un de la RPDC. Selon KCNA, il a conduit personnellement les manoeuvres de nouveaux bâtiments militaires, lesquelles ont donc été quasi-simultanées aux exercices des Etats-Unis et de leurs alliés qui entraînent toujours des répliques de Pyongyang, de plus ou moins forte intensité, ainsi qu'un gel temporaire du dialogue ou des propositions de dialogue.
Pour comprendre le regain actuel des tensions, on peut certes mentionner la signature, lors d'une réunion annuelle le 2 octobre dernier, d'une "stratégie de dissuasion adaptée" par le ministre sud-coréen de la Défense Kim Kwan-jin et son homologue américain Chuck Hagel. Cette stratégie implique la possibilité de frappes "préventives" contre la RPD de Corée en cas d'attaque nucléaire.
Une interprétation erronnée consisterait à ne resituer l'épisode actuel que dans l'alternance de phases de dialogue et de tensions en Asie du Nord-Est. Car il y a bien eu un changement de ton et de calendrier : les exercices SAREX n'ont rien d'opérations qui seraient menées habituellement chaque année, et la réunion annuelle entre les ministres de la Défense américain et sud-coréen n'avait pas comme conséquence nécessaire la réaffirmation du principe d'une frappe préventive, c'est-à-dire d'une attaque laissée à la libre appréciation des Etats-Unis dès lors qu'ils estiment une menace avérée.
Certains observateurs ont prétendu que Pyongyang avait laissé jusqu'à fin septembre un délai à Washington pour revenir à la table des négociations. La vérité est que les Etats-Unis n'ont fait aucune proposition nouvelle - malgré les pressions en ce sens de Pékin - et ont choisi de montrer leurs muscles, au moment où le revirement du Président Obama sur le dossier syrien l'expose à des critiques en interne sur sa faiblesse supposée vis-à-vis des régimes qui ne sont pas les amis des Etats-Unis. Les déclarations récentes et les exercices militaires conjoints ne coûtent pas cher pour donner l'apparence de la fermeté à une puissance en réalité sur la défensive. Si le gouvernement américains a pu envisager un assouplissement de son refus de principe de reprise sans conditions du dialogue avec Pyongyang, comme auraient pu le permettre les avancées dans les relations intercoréennes, les réflexes conservateurs de l'appareil d'Etat ont en tout cas eu raison de ces velléités.
Selon nous, le principal facteur d'évolution se trouve en réalité à Séoul. Par le passé, Pyongyang a toujours adopté une position binaire : dialogue avec les gouvernements sud-coréens qui acceptent les échanges, confrontation et gel des relations dans l'hypothèse inverse. Le gouvernement de Mme Park Geun-hye est confronté à ce dilemme, pris entre des feux contradictoires dont a témoigné récemment une étrange cacophonie : alors que le chef des services de renseignement (NIS), auditionné par le Parlement sud-coréen, a affirmé le 8 octobre que la RPD de Corée avait repris ses activités d'enrichissement sur le site nucléaire de Yongbyon, le ministère de la Défense a démenti ces affirmations comme non confirmées. Un tel couac est très préoccupant : soit les services secrets sud-coréens ont échappé au contrôle gouvernemental et se permettent de prendre des initiatives propres, ce qui est contraire au devoir de loyauté de n'importe quel service de renseignement dans tout pays au monde ; soit le responsable du NIS, empêtré dans les scandales, lance des "ballons d'essai" pour sauver son administration - et son poste - avec l'accord tacite du gouvernement sud-coréen en grossissant la prétendue menace nord-coréenne. Selon le professeur Choi Jong-kun de l'Université Yonsei, en Corée du Sud, interrogé par le quotidien Hankyoreh, "le service national de renseignement se comporte actuellement comme l'organisation politique suprême (...) Le chef d'une agence de renseignement ne peut pas agir comme cela de manière autonome, sans l'accord explicite ou tacite du Président".
En tout état de cause, des contradictions internes traversent le camp conservateur sur la position à avoir vis-à-vis de la RPD de Corée (le NIS n'étant qu'un des porte-voix et soutiens habituels des faucons, sans disposer en dernier ressort du pouvoir décisionnel). C'est en ce sens qu'on peut interpréter les formules vis-à-vis de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye récemment employées par Pyongyang, et jugées irrespectueuses au Sud du 38ème parallèle (le même argument du respect n'étant d'ailleurs pas appliqué au Sud vis-à-vis des dirigeants nord-coréens...). C'est à la chef de l'Etat de faire usage de son autorité pour faire émerger une ligne politique claire, à moins qu'elle ne préfère rester dans l'ambiguïté comme l'avait fait son prédecesseur Lee Myung-bak - ce qui, au final, avait conduit les relations intercoréennes dans le mur. La Corée se trouve bien à un tournant décisif.
Sources : AFP, Hankyoreh (article en date du 10 octobre), KCNA, Xinhua (dépêches du 2 octobre et du 10 octobre)
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