Au lendemain du troisième essai nucléaire auquel a procédé la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) le 12 février 2013, la condamnation le même jour par les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, avant l'adoption annoncée et attendue de nouvelles sanctions, a entraîné une vive réaction de la RPDC qui a déclaré - via un communiqué de l'agence nord-coréenne KCNA en date du 13 février 2013 - qu'elle défendrait "sa sécurité et sa souveraineté nationale" face à la "politique hostile des Etats-Unis" et à leurs "pratiques arbitraires" en renforçant ses capacités de dissuasion. Mais si le Président Barack Obama a déclaré que les "provocations", selon lui, de la RPDC ne lui permettraient pas de discuter dans de meilleures conditions, seule une issue négociée peut raisonnablement permettre d'apaiser les tensions dans la péninsule coréenne. Au-delà des formules diplomatiques et des condamnations de principe, le réalisme politique implique effectivement de rechercher les termes d'un accord, ce qui apparaît tout à la fait à la portée des diplomates occidentaux pour peu qu'ils envisagent les tenants et aboutissants d'une solution mutuellement avantageuse pour l'ensemble des parties.
Au regard du caractère contraignant que présentent ou devraient présenter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU), les membres permanents du CSNU - Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni - ne pouvaient pas réagir autrement qu'en condamnant l'essai nucléaire nord-coréen du 12 février 2013. Dans le même temps, il est patent que les sanctions prises à l'encontre de la RPDC n'ont pas bloqué ses progrès dans les domaines balistique et du nucléaire militaire, ce qui implique donc à présent que toutes les options possibles soient examinées, y compris la reprise à moyen terme du dialogue bilatéral et multilatéral avec Pyongyang. Si ces débats ne peuvent pas aujourd'hui être portés sur la place publique, et n'auront vraisemblablement de traduction qu'après l'adoption d'une nouvelle résolution du CSNU renforçant les sanctions contre la RPDC, il est évident que l'essai nucléaire du 12 février 2013 les a relancés, tout du moins entre les Etats-Unis et leurs alliés, d'une part, ces mêmes pays et la Chine et la Russie, d'autre part, avant d'éventuelles discussions entre les Occidentaux et la RPDC dans un second temps.
Sur le fond, rien ne justifie la différence de traitement qui a été instituée par le CSNU entre la RPDC et les autres Etats qui se sont d'ores et déjà dotés de l'arme nucléaire sans faire partie du "club nucléaire" lors de la signature du traité de non-prolifération - l'Inde, Israël et le Pakistan. De même, rien ne justifie que la RPDC soit le seul pays au monde dont le programme spatial donne lieu à des sanctions internationales. C'est pourquoi l'argumentaire diplomatique de la RPDC repose fondamentalement sur ce refus du "deux poids, deux mesures".
La RPD de Corée a modifié sa Constitution pour y inscrire son statut d'Etat doté de l'arme nucléaire. Il est donc totalement inenvisageable qu'elle renonce unilatéralement et sans contreparties à ses armes nucléaires, comme affirment vouloir l'y contraindre les Etats-Unis et leurs alliés dans les résolutions successives du CSNU en parlant de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible. La dénucléarisation de la RPDC ne peut être que l'aboutissement d'un processus de négociations, et non son point de départ. Auparavant, il faudra recréer les conditions du dialogue et restaurer une confiance qui n'existe plus entre les différentes parties, les uns et les autres s'accusant mutuellement de ne pas avoir respecté leurs engagements lors des précédentes sessions de discussions.
Les attentes de la RPD de Corée sont connues : obtenir des garanties de sécurité ; permettre sa pleine insertion dans l'économie internationale en levant notamment les interdictions qui empêchent son adhésion aux institutions financières internationales ; assurer des flux réguliers en énergie, en produits alimentaires, voire en investissements étrangers. Si la Chine est aujourd'hui potentiellement en position de négocier avec la RPDC, c'est d'abord parce qu'elle est liée à cette dernière par un traité bilatéral signé en 1961, et également parce qu'elle est son principal partenaire économique. En cherchant à isoler économiquement et financièrement la RPDC, les Etats-Unis ont pratiquement cessé tous les échanges économiques avec la RPDC, se privant eux-mêmes d'une carte dans de futures négociations. Ils peuvent, en revanche, peser sur l'adhésion de la RPDC aux institutions financières internationales.
Sur le plan militaire, les Etats-Unis ont des attentes vis-à-vis de la RPDC : empêcher la prolifération nucléaire et balistique, y compris vis-à-vis d'entités non étatiques - comme Al Qaïda - en lutte contre eux, et à propos desquels il n'existe aucune preuve d'une possible coopération avec la Corée du Nord, qui se défend de toute volonté de prolifération. Si les Américains veulent des garanties de Pyongyang dans ces domaines, leur intérêt est de négocier ouvertement avec la RPDC. Jusqu'à présent, ils négociaient la suspension, pour une durée plus ou moins indéfinie, des programmes balistiques et militaires nucléaires de la RPDC - mais la rupture des discussions depuis 2009, assortie de nouvelles sanctions du CSNU - a montré leur impuissance à empêcher les progrès militaires de la RPDC. Si la voie de la contrainte par les sanctions a échoué, l'alternative est de reprendre les négociations, en vue d'atteindre des objectifs réalistes à court terme : suspendre les tirs balistiques et les essais nucléaires nord-coréens, formaliser un principe de non-prolifération, et en contrepartie pour la RPDC négocier des garanties de sécurité dans le cadre, notamment, d'un futur traité de paix (comme le propose Pyongyang), ce sont autant de sujets qui méritent d'être mis sur la table des négociations.
Quand les Etats-Unis et l'URSS s'étaient engagés sur la voie d'une dialogue à l'époque de la guerre froide, ils avaient mis en place des liaisons (le fameux "téléphone rouge") pour prévenir notamment des risques d'escalade en cas de tension. Aujourd'hui, les canaux du dialogue informel sont tenus - la visite de Bill Richardson, début janvier, en tant que chef de la délégation dont faisait également partie Eric Schmidt, PDG de Google, a été condamnée par le département d'Etat américain. Formaliser un cadre de discussions témoignerait ainsi de la volonté des différentes parties de s'engager ouvertement sur la voie d'une résolution négociée des questions encore en suspens. Les pourparlers à six pouvaient être interprétés en ce sens, mais ils ont vécu et une nouvelle formule mérite d'être imaginée. Celle-ci pourrait s'inspirer de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans laquelle à chaque proposition d'une des des parties correspondrait une contre-proposition des autres parties. Qu'il s'agisse des exercices militaires à répétition américano - sud-coréens, de la levée des ambiguïtés sur la présence ou non d'armes nucléaires dans le Sud de la péninsule ou des incertitudes sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux Corée, les domaines dans lesquels les Etats-Unis pourraient s'engager par un geste fort ne manquent pas.
Aujourd'hui, le principal obstacle à une reprise des négociations à Washington, est certainement que les Etats-Unis considèrent qu'ils n'ont pas à négocier avec un Etat comme la RPDC qui, à la différence de l'URSS, n'a pas un potentiel militaire équivalent au leur. Sans doute sont-ils aussi bloqués par l'idée de donner l'impression de céder face à un Etat remettant en cause l'hégémonie américaine. Mais la diplomatie est précisément l'art d'inventer des possibles. Après, tout n'est que communication : qui, dans l'opinion publique mondiale, blâmerait un accord où les Etats-Unis d'une part, la RPDC d'autre part, s'engageraient simultanément dans la résolution d'un conflit vieux de deux générations, en faisant avancer la cause de la paix ? Un succès constituerait un cas d'école dans d'autres régions du monde et montrerait que les Etats-Unis peuvent résoudre des différends internationaux par d'autres voies que celles de l'escalade militaire ou du blocus économique, avec les résultats - pour le moins discutables - observés hier en Somalie et en Irak, et aujourd'hui en Afghanistan.
Aujourd'hui, négocier avec la Corée du Nord constitue une option non seulement possible, mais souhaitable.
commenter cet article …