Elue le 19 décembre 2012, la nouvelle présidente sud-coréenne Park Geun-hye (Parti Saenuri, conservateur) a affirmé que la lutte contre le travail précaire serait l'une de ses priorités. De fait, un membre de l'équipe de transition qu'elle a nommée dans l'attente de son entrée en fonctions, le 25 février, a déclaré le 7 janvier qu'un mouvement de titularisation serait engagé, en commençant par le secteur public qui aurait ainsi valeur d'exemple. Alors que la protection sociale et le droit du travail en Corée du Sud sont aujourd'hui parmi les moins étendus des pays membres de l'OCDE, les luttes actuelles montrant qu'il y a urgence à agir pour assurer une protection des travailleurs à la hauteur du niveau de développement atteint par la République de Corée.
La rengaine est connue : pour les employeurs, la concurrence internationale ne leur laisserait pas d'autre choix que de toujours diminuer les salaires et la protection sociale et d'embaucher sous contrat précaire (CDD, intérim, temps partiel). C'est précisément cette logique que refuse la Confédération coréenne des syndicats (Korean Confederation of Trade Unions, KCTU) en appuyant la demande de titularisation de 7.700 travailleurs précaires du constructeur automobile Hyundai Motors, soit 20 % des effectifs de l'entreprise. Et les ouvriers de Hyundai Motors - filiale du conglomérat Hyundai - peuvent s'appuyer sur un jugement rendu en février 2012 par la Cour suprême sud-coréenne, qui avait fait droit à un ouvrier, Choi Byung-seung, d'obtenir un emploi en CDI après avoir enchaîné les contrats pendant deux ans et été mis à la porte de l'entreprise en 2005. Restées sans lendemain, les promesses de Hyundai de "prendre les mesures appropriées" après le jugement de la Cour suprême apparaissent n'avoir été qu'un moyen de gagner du temps.
Si la précarité et la sous-traitance sont des modes habituels de gestion du personnel dans les entreprises automobiles des pays capitalistes développés compte tenu de la forte fluctuation de l'activité de production, les constructeurs coréens sont dans une situation nettement plus enviable que leurs concurrents européens. Hyundai et sa filiale Kia ont vendu 6,6 millions dans le monde en 2011, en hausse de 15 % par rapport à 2010, et les dernières prévisions de ventes mondiales pour 2012 s'établissent à 7 millions de véhicules. Le recours aux contrats précaires est donc bien un mode de gestion délibéré propre aux grandes entreprises sud-coréennes, indépendamment de la conjoncture économique. En 2010, une enquête du ministère du Travail sud-coréen avait révélé que 25 % des salariés sud-coréens occupaient un emploi précaire (16,3 % dans l'industrie automobile), cette proportion atteignant 61,3 % dans la construction navale - secteur où la Corée du Sud se situe dans les deux premiers rangs mondiaux, avec la Chine.
La mise en place d'une protection sociale à la hauteur du niveau de développement atteint par la Corée du Sud mobilise les syndicats et les travailleurs. Ils ont réactivé la chaîne des "bus de l'espoir", apparus pour soutenir la syndicaliste Kim Jin-suk - qui avait passé 309 jours en haut d'une grue pour protester contre les conditions de son licenciement par Hanjin Heavy Industries (HHI). L'aboutissement des revendications avait montré qu'un rapport de forces pouvait être créé avec les conglomérats sud-coréens qui dominent la scène économique du pays, nés sous la colonisation japonaise puis favorisés sous le régime du très autoritaire général Park Chung-hee, père de l'actuelle présidente Park Geun-hye, élue le 19 décembre 2012.
L'entreprise HHI est à nouveau mise en cause, après le suicide de deux de ses salariés - Choi Kang-seo, qui a mis fin à ses jours le 21 décembre 2012 après avoir été licencié alors qu'il était sous contrat précaire, et Lee Un-nam, mort le 22 décembre 2012. Après ces deux événements qui ont choqué l'opinion publique, les "bus de l'espoir" ont repris la route et ce sont 2.000 personnes qui ont manifesté dans le port de Pusan, au Sud du pays, le 5 janvier 2013, devant les chantiers navals de Hyundai.
Alors qu'après la Libération la Corée du Sud est tombée sous le joug d'un des régimes les plus répressifs d'Asie au vingtième siècle, celui de Syngman Rhee, dont l'accession au pouvoir s'est soldée par la purge de 70.000 opposants pour la seule année 1947, le peuple sud-coréen a réussi, par la persévérance de ses luttes, à faire reculer les gouvernements autoritaires : en 1997, pour la première fois l'alternance démocratique se produisait en Corée du Sud, avec l'élection de l'ancien opposant Kim Dae-jung, condamné à mort par la junte militaire mais sauvé grâce à une mobilisation internationale à laquelle l'Association d'amitié franco-coréenne avait pris toute sa part. Le combat n'était pas seulement politique : le 13 novembre 1970, un jeune ouvrier du textile âgé de 22 ans, Jeon Tae-il (photo à gauche), s'était immolé par le feu pour dénoncer - déjà - les conditions de travail en Corée du Sud. La croissance économique spectaculaire s'accompagnait alors d'un taux d'exploitation record des travailleurs, soumis aux horaires de travail parmi les plus longs au monde et interdits de s'organiser en syndicats indépendants.
Aujourd'hui, l'AAFC salue le courage de ces hommes et de ces femmes sud-coréens qu'elle soutient pleinement dans leur lutte pour les droits sociaux, et qui ont réussi à créer un rapport de forces plaçant la nouvelle administration sud-coréenne face à ses responsabilités.
Sources :
- AAFC ;
- Philippe Mesmer, "Les conflits sociaux pour protester contre la précarité se multiplient en Corée du Sud", in Le Monde, 9 janvier 2012, p. 11 ;
- sur la mise en place du régime autoritaire de Syngman Rhee après 1945 en Corée du Sud, on pourra se référer à l'ouvrage de Pascal Dayez-Burgeon, ancien diplomate français en poste à Séoul entre 2001 et 2006, Histoire de la Corée. Des origines à nos jours (Tallandier, Paris, 2012), qui observe, pour la seule année 1947 : "Tout progressiste est désormais suspect. La répression redouble, menée tant par la police, réputée pour sa brutalité, que par l'armée, équipée par les Etats-Unis, ainsi que par des ligues de jeunes activistes d'extrême-droite, souvent émigrés du Nord, qui recourent à la terreur et au meurtre. En juillet 1947, par exemple, Yuh Woon-hyung est assassiné par un jeune extrémiste âgé d'à peine dix-neuf ans. Durant cette période de chaos, les victimes des arrestations et des purges sont estimées à près de soixante-dix mille personnes" (op. cit., p. 169).