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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 21:22

Le 27 janvier 1964, un bref communiqué était publié simultanément à Paris et à Pékin : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé, d'un commun accord, d'établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois. » Pourquoi l'Association d'amitié franco-coréenne choisit-elle d'évoquer cet événement concernant les relations franco-chinoises, fût-il un moment capital de l'histoire des relations internationales de la seconde moitié du vingtième siècle? Parce que la France, premier grand pays occidental à nouer des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine (le Royaume-Uni avait nommé un chargé d'affaires en 1950 mais des ambassadeurs seront échangés seulement en 1972) reste aujourd'hui le seul pays européen, avec l'Estonie, à ne pas avoir établi de telles relations avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). La France a bien ouvert un bureau commercial de la RPDC à Paris en 1968élevé en 1984 au rang de délégation générale abritant aussi l'ambassade de la RPDC auprès de l'UNESCO dont le siège est à Paris, et un bureau français de coopération culturelle et humanitaire a été ouvert à Pyongyang en 2011mais il n'existe pas de relations au niveau d'ambassades entre les deux pays. Cette « anomalie » marque un effacement de la diplomatie française dans cette partie du monde et tourne délibérément le dos à la tradition diplomatique de la France, laquelle est de reconnaître des Etats et non des gouvernements. Ainsi, le général de Gaulle ne dissimulait pas son peu de sympathie pour le système politique en place à Pékin depuis 1949. Mais, malgré l'aggravation des tensions militaires en Asie du Sud-Est, dans un monde divisé en deux blocs, le président Charles de Gaulle plaça l'intérêt national de la France avant tout et, refusant tout alignement, eut le courage d'établir en premier des liens solides avec un pays de grande civilisation appelé à devenir une superpuissance. De même, une Corée réunifiée selon le souhait des Coréens du Nord, du Sud et d'outre-mer sera une puissance de premier plan et les pays qui auront su nouer des relations équilibrées avec les deux parties de la péninsule coréenne y auront une place privilégiée. Malheureusement, la France ne semble pas (encore) disposée à en faire partie et a raté plusieurs occasions « historiques » de normaliser ses relations avec la RPD de Corée, notamment après les déclarations Nord-Sud du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007, étapes décisives du rapprochement des deux Corée. La déclaration du président Charles de Gaulle, que nous reproduisons ci-après, extraite de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, vient rappeler que, il n'y a pas si longtemps, les dirigeants français étaient prêts à prendre des décisions autrement risquées pour que leur pays tienne son rang.

Charles-De-Gaulle-31011964.jpg

« Nous allons parler de la Chine. Beaucoup m'ont posé des questions, multiples en réalité. Je crois que je répondrai à tout le monde, en même temps, en expliquant ce qu'il en est, et les raisons pour lesquelles ce qui est fait est fait.

« La Chine. Un grand peuple, le plus nombreux de la terre, une race où la capacité patiente, laborieuse, industrieuse des individus a, depuis des millénaires, compensé le défaut de cohésion et de méthode et a bâti une très particulière et très profonde civilisation. Un très vaste pays, géographiquement compact et pourtant sans unité. Etendu depuis l'Asie mineure et les marches de l'Europe jusqu'à la rive immense du pacifique, et puis des glaces sibériennes jusqu'aux régions tropicales de l'Inde et du Tonkin. Un Etat, plus ancien que l'histoire, toujours résolu à l'indépendance, qui s'est constamment efforcé à la centralisation, d'instinct replié sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d'une immuable pérennité, telle est la Chine de toujours.

« L'entrée en contact de ce pays là avec les nations modernes lui a été très dure et très coûteuse. Les multiples sommations, interventions, expéditions, invasions, européennes, américaines, japonaises lui ont été autant d'humiliations et de démembrements. Alors, tant de secousses nationales, et aussi la volonté des élites de transformer, coûte que coûte, leur pays pour qu'il atteigne à la condition et à la puissance des peuples qui l'avaient opprimée, ont conduit la Chine à la révolution. Sans doute, le maréchal Tchang Kai-chek à la valeur, au patriotisme, à la hauteur d'âme de qui j'ai le devoir de rendre hommage, certain que l'histoire et le peuple chinois en feront un jour autant, le maréchal Tchang Kai-chek, après avoir conduit la Chine à la victoire alliée qui, dans le Pacifique, scella la Deuxième Guerre mondiale, avait essayé de canaliser le torrent. Mais les choses en étaient à ce point qu'elles excluaient tout sauf l'extrême, et dès que les Américains eurent retiré au maréchal le concours direct de leurs forces qu'ils lui donnaient sur le continent, il dut se replier sur Formose, et le régime communiste, longuement préparé par Mao Tse-toung, établit sa dictature, il y a quinze ans de cela.

« Depuis lors, un énorme effort qui s'imposait, de toute façon, au sujet de la mise en valeur des richesses naturelles, du développement industriel, de la production agricole, de l'instruction de la nation, de la lutte contre les fléaux inhérents à ce pays, la faim, les épidémies, l'érosion des sols, le débordement des fleuves, etc., cet immense effort a été entrepris sur l'ensemble du territoire. Comme toujours en système communiste, ce qui put être réalisé a comporté de terribles souffrances humaines, une implacable contrainte des masses, d'immenses pertes et gaspillages de biens, l'écrasement et la décimation d'innombrables valeurs humaines. Cependant au prix de tant de sacrifices, des résultats ont été atteints qui sont dus pour une partie à l'action de l'appareil totalitaire, et aussi à l'ardeur d'un peuple fier qui veut s'élever, en tous les cas, et qui est capable de déployer des trésors de courage et d'ingéniosité quelles que soient les circonstances. Il est vrai que la Russie soviétique a d'abord prêté à la Chine un assez large concours : ouverture de crédit pour l'achat d'outillages et d'approvisionnement, équipements miniers et industriels, installations d'usines entières, formation directe d'étudiants et de spécialistes, envoi sur place d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qualifiés, etc. C'était le temps où le Kremlin, utilisant, là comme ailleurs, la prépondérance rigoureuse qu'il s'est donné à l'intérieur de l'église communiste pour soutenir la suprématie de la Russie vis-à-vis de tous les peuples qu'un régime semblable au sien lui a subordonnés, comptait garder la Chine sous sa coupe et, par là, dominer l'Asie. Mais les illusions se sont dissipées. Sans doute demeure entre Moscou et Pékin une certaine solidarité doctrinale qui peut se manifester dans la concurrence des idéologies mondiales, mais, sous ce manteau de plus en plus déchiré, apparaît la différence des politiques nationales.

« Le moins qu'on puisse dire à ce sujet, c'est qu'en Asie, où la frontière qui sépare les deux Etats, depuis l'Indoukouch jusqu'à Vladivostok, est la plus longue qui soit au monde, l'intérêt de la Russie, qu'il conserve et qu'il maintient, et celui de la Chine, qui a besoin de croître et de prendre, ne sauraient être confondus. Et c'est pourquoi l'attitude et l'action d'un pays de 700 millions d'habitants ne sont réglées que par son propre gouvernement.

« Du fait que, depuis quinze ans, la Chine presque tout entière se trouve rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi, et qu'elle se manifeste au dehors comme une puissance indépendante et souveraine, la France était disposée, en principe et depuis des années, à nouer des relations régulières avec Pékin. D'ailleurs, certains échanges économiques et culturels étaient déjà pratiqués et nous avons été amenés, avec l'Amérique, l'Angleterre, l'Union soviétique, l'Inde et d'autres Etats, en 1954, à la conférence de Genève, quand on a réglé le sort de l'Indochine, à négocier avec les représentants chinois. Et il en fut de même en 1962, sous la même forme et dans la même ville, quand la situation du Laos a été quelque peu définie. Mais le poids de l'évidence et de la raison, pesant chaque jour davantage, la République française a décidé de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique. Nous avons rencontré à Pékin une intention identique, et on sait qu'à ce sujet le président Edgar Faure, chargé et prié d'effectuer sur place des sondages officieux, a rapporté des indications positives. C'est alors que les deux gouvernements se sont accordés pour accomplir le nécessaire.

« J'ai parlé du poids de l'évidence et de la raison. Et en effet, en Asie, il n'y a aucune réalité politique concernant le Cambodge, le Laos, le Vietnam, ou bien l'Inde, le Pakistan, l'Afghanistan, la Birmanie, la Corée, ou bien la Russie soviétique, ou bien le Japon, etc., qui n'intéresse et ne touche la Chine. Sur ce continent, il n'y pas une paix et il n'y a pas une guerre imaginable sans qu'elle y soit impliquée. Et il est inconcevable de supposer qu'on puisse jamais conclure un traité de neutralité concernant les Etats du sud-est asiatique auxquels nous, Français, portons une attention toute spéciale et cordiale, sans que la Chine en soit partie. Neutralité qui devrait comporter de la part de ces Etats, naturellement, leur acceptation, qui devrait être garantie sur le plan international, qui devrait exclure à la fois toute action armée soutenue par tels de ces Etats vis-à-vis ou chez tel ou tel autre, et excluant aussi les multiformes interventions extérieures. Neutralité qui paraît bien, dans la période où nous sommes, être la seule situation qui soit compatible avec la vie paisible et le progrès des populations. Mais aussi, la masse propre à la Chine, sa valeur et ses besoins présents, et la dimension de son avenir pour qu'elle se manifeste de plus en plus aux intérêts et aux soucis de l'univers tout entier. En vérité, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s'en faire écouter.

« Et puis, pourquoi ne pas évoquer, qui sait, ce qu'il pourra y avoir de fécond dans les rapports entre les deux peuples, à la faveur des relations entre les deux Etats. Ce qui est fait déjà au point de vue économique à l'égard de la Chine, qui est fait par nous, et ce qui peut d'ailleurs être amélioré sera sans doute longtemps limité. Et il en est de même des investissements que nous apportons déjà au développement industriel chinois. Mais le cas de la technique est sans doute très différent. De la technique dont les sources en France sont de plus en plus valables et à laquelle la Chine offre un champ, pour ainsi dire, infini. Et puis, qui sait si les affinités qui existent entre les deux nations pour tout ce qui concerne les choses de l'esprit, et compte tenu aussi du fait que, dans leurs profondeurs, elles se portent l'une à l'autre, depuis toujours, sympathie et considération, ne les conduiront pas à une coopération culturelle croissante. En tout cas, ici, cela est sincèrement souhaité.

« Pékin et Paris sont donc convenus d'échanger les ambassadeurs. Il n'y a évidemment là, de notre part, rien qui implique aucune sorte d'approbation à l'égard du régime qui domine actuellement la Chine. En nouant avec ce pays, avec cet Etat, des relations officielles, comme maintes autres nations libres l'ont fait auparavant, et comme nous l'avons fait avec d'autres pays qui subissent des régimes analogues, la France ne fait que reconnaître le monde tel qu'il est. Mais il se peut aussi que dans l'immense évolution actuelle du monde, en multipliant les contacts directs, de peuple à peuple, on serve la cause des hommes, c'est-à-dire celle de la sagesse, du progrès et de la paix. Il se peut que ces contacts contribuent à l'atténuation, déjà commencée, des contrastes et des oppositions dramatiques entre les camps qui divisent l'univers. Il se peut qu'ainsi les âmes, partout où elles sont sur la Terre, se retrouvent, un peu moins tard, au rendez-vous que la France a donné à l'univers, voici 175 ans, celui de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. »


Source : conférence de presse du président de la République française Charles de Gaulle, Palais de l'Elysée, Paris, 31 janvier 1964, sur le site de l'Institut national de l'audiovisuel (INA)

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