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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 12:41

Alors que l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) avait jusqu'alors été un allié indéfectible de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), Mikhaïl Gorbatchev avait remis en cause les relations soviéto-nord-coréennes avant même la chute de l'Union soviétique, parallèlement à l'établissement de relations diplomatiques entre Moscou et Séoul. Si les questions économiques avaient alors pris une place croissante dans la diplomatie russe (post-soviétique) vis-à-vis de la péninsule coréenne, la Russie n'étant d'ailleurs pas partie aux premiers pourparlers multilatéraux sur le nucléaire nord-coréen, l'accession à la présidence de Vladimir Poutine a marqué un renouveau des échanges avec Pyongyang, et la Fédération de Russie est devenue partie aux pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Plus récemment, le naufrage du Cheonan a conduit Moscou à rééquilibrer ses relations avec les deux Etats coréens : contrairement aux attentes de Séoul, la Russie n'a pas avalisé les conclusions de la commission d'enquête internationale pour laquelle sa participation n'avait pas été sollicitée, tendant de fait à se rapprocher de Pyongyang malgré le poids évident des enjeux économiques russo - sud-coréens.

 

Borodavkin.jpgLe 12 avril 2011, lors d'une réception à l'ambassade de la RPDC à Moscou pour le 99ème anniversaire de la naissance du pésident Kim Il-sung, Alexei Borodavkin, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a annoncé une aide à la RPDC d'un montant total de 5 millions de dollars, dans le cadre du Programme alimentaire mondial et de projets bilatéraux. Cette annonce, couplée à un appel à la reprise des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, faisait suite à une visite en RPDC d'Alexei Borodavkin en mars dernier. De fait, la Russie manifeste un intérêt renouvelé pour la Corée, et spécialement la Corée du Nord, rééquilibrant ses relations entre les deux parties de la péninsule.

 

La diplomatie coréenne de l'URSS : soutien à la RPDC et recherche de la stabilité

 

Pendant la Guerre froide, les dirigeants nord-coréens avaient veillé à maintenir un équilibre entre la Chine et l'URSS, comme garantie de l'indépendance du pays, même si dans les faits des échanges de délégations de haut niveau ont été plus nombreux entre le Parti du travail de Corée (PTC) et le PCC, qu'entre le PTC et le PCUS. Signe de cette indépendance, la RPD de Corée n'a jamais été membre du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM) et, après la guerre de Corée (1950-1953), Pyongyang a veillé à ce qu'aucune troupe étrangère ne stationne sur son territoire, marquant ainsi une différence fondamentale avec la Corée du Sud où sont encore présents plus de 28.000 soldats américains, alors que la formation aux Etats-Unis d'un grand nombre de cadres dirigeants a cimenté l'alliance américano - sud-coréenne. Pour sa part, la diplomatie soviétique était marquée par une recherche de la stabilité de la péninsule, tout en apportant un soutien économique, politique et militaire à la RPD de Corée. Un traité d'assistance et de coopération mutuelle a été signé entre les deux pays en 1961.

 

L'alignement de Séoul sur Washington, dont un des exemples les plus manifestes a été l'implication de l'armée sud-coréenne dans la guerre du Vietnam, vivement dénoncée par l'URSS, a encore davantage éloigné Moscou de Séoul : en 1965, la normalisation des relations entre le Japon et la Corée du Sud a ainsi été critiquée par l'Union soviétique comme préfigurant la création en Asie du Nord-Est d'une alliance militaire sous domination américaine comparable à l'OTAN. Soucieuse avant tout de statu quo, l'URSS avait cependant appelé à la réduction des tensions dans la péninsule coréenne lors d'événements tels que la capture du sous-marin américain espion USS Pueblo en janvier 1968, ou l'incident de Panmunjom en août 1976, ayant conduit à la mort deux officiers américains sur la DMZ.

 

Les années 1970 : l'engagement d'un dialogue entre Séoul et Moscou

 

En 1971, le retrait d'une partie des troupes américaines en Corée du Sud, la remise en cause de l'aide économique américaine à Séoul et le rapprochement sino-américain ont conduit le gouvernement sud-coréen, redoutant un isolement, à réviser sa position traditionnelle anticommuniste vis-à-vis de l'URSS et à rechercher officiellement, à partir d'août 1971 par la voie de son ministre des Affaires étrangères M. Kim Yong-shik, l'établissement de relations diplomatiques avec l'Union soviétique. Pour sa part, l'URSS s'inquiétait de l'engagement américain croissant vis-à-vis de la Chine, la politique coréenne de Moscou devant toujours s'interpréter dans un contexte plus global, en Asie du Nord-Est et dans le monde. 

 

A la même époque, l'entrée conjointe des deux Allemagne aux Nations Unies encourageait l'amélioration des relations intercoréennes, souhaitée par les grandes puissances (Etats-Unis, Chine, Russie). Durant la même période, l'adoption  par l'administration Carter d'une ligne diplomatique moins hostile vis-à-vis de la RPDC ouvrait la voie à une amélioration des relations soviéto-sud-coréennes, marquée notamment par les premiers échanges économiques et l'accueil d'étudiants, de sportifs et de diplomates sud-coréens en URSS. Les vives protestations de la RPDC et de la Chine ont toutefois limité ces échanges officieux.

 

Les années 1980 : le resserrement de l'alliance traditionnelle Pyongyang - Moscou

 

Au début des années 1980, alors que la Corée du Sud rejoignait la croisade anticommuniste de l'administration du président Ronald Reagan (reçu à Séoul en 1983), le voyage à Moscou du président Kim Il-sung en mai 1984, une première depuis 1961 et qui plus est à la tête d'une délégation de 250 personnes, a rappelé les liens toujours privilégiés de Moscou avec Pyongyang dans la péninsule coréenne. Lors d'une rencontre au sommet avec le président Kim Il-sung, Konstantin Tchernenko, secrétaire général du PCUS, a souligné le soutien apporté par l'URSS à la RPDC, et condamné les exercices de guerre conduits par les Américains avec les Sud-Coréens et les Japonais.

 

En retour, une délégation soviétique conduite par Mikhaïl Kapista, vice-ministre des Affaires étrangères, s'est rendue à Pyongyang en novembre 1984, conduisant à la signature d'un traité de délimitation de la frontière soviéto-coréenne le 27 novembre. Par ailleurs, des matériels militaires soviétiques modernes (avions MIG-23, tanks T-72 et hélicoptères de combat) ont été livrés à la RPD de Corée.

 

L'année 1985 a été marquée par de nouveaux échanges bilatéraux de haut niveau, avec la visite à Moscou de Kim Yong-nam, alors ministre des Affaires étrangères, qui a rencontré son homologue soviétique Andreï Gromyko, et en RPDC d'une délégation soviétique de plusieurs centaines de membres, conduite par le vice-Premier ministre Geydar Aliyev, à l'occasion du 40ème anniversaire de la Libération de la Corée. Geydar Aliyev a dénoncé un front anti-soviétique et anti-socialiste entre les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, tout en condamnant la remilitarisation du Japon. A la même date, des navires militaires soviétiques avaient accès au port nord-coréen de Wonsan, sur la côte Est. Lors d'un nouveau voyage à Moscou en 1986, le président Kim Il-sung a rencontré Mikhaïl Gorbatchev.

 

Malgré ce rapprochement entre Moscou et Pyongyang, Séoul a poursuivi une politique dite de Nordpolitik d'établissement de relations diplomatiques avec l'URSS, comme d'ailleurs avec la Chine, malgré le froid jeté par l'explosition, le 1er septembre 1983, d'un avion de ligne sud-coréen de la KAL au-dessus de l'URSS - attribuée par Séoul à un tir soviétique, ce qu'a nié Moscou. En 1988, les athlètes soviétiques ont ainsi participé aux Jeux olympiques de Séoul.

 

Les années 1990 : une nouvelle diplomatie soviétique puis russe

 

Mikhaïl Gorbatchev a initié une nouvelle diplomatie soviétique vis-à-vis de la Corée, dans la continuité de laquelle s'est inscrite la diplomatie russe de Boris Eltsine.

 

A l'égard de la RPDC, le dernier secrétaire général du PCUS  a remis en cause les livraisons de pétrole dans le cadre d'accords de troc, exigeant un paiement en devises, avec la RPDC comme avec les démocraties populaires d'Europe de l'Est. Les échanges commerciaux chutent brutalement : alors que l'URSS représentait 54 % du commerce extérieur nord-coréen en 1989 (avec un volume d'échanges de 2,44 milliards de dollars), les échanges bilatéraux n'atteignent plus que 1,42 milliard de dollars en 1991. En 1994, les échanges avec la seule Fédération de Russie ont chuté à 114 millions de dollars.

 

mikhail_gorbatchev_roh_tae_woo.jpgS'agissant de la Corée du Sud, la rencontre au sommet entre Mikhaïl Gorbatchev et le président sud-coréen Roh Tae-woo à San Francisco, le 5 juin 1990, a rapidement ouvert la voie à l'établissement de relations diplomatiques complètes, le 30 septembre 1990. En quelques années, la nouvelle direction soviétique avait accepté la présence militaire américaine en Corée (comme elle l'avait accepté en Europe), tout en montrant un intérêt accru pour le dynamisme économique de la Corée du Sud, engagée depuis 1987 sur un processus de démocratisation. Pour sa part, Roh Tae-woo avait annoncé, dès son discours d'investiture en 1988, sa volonté de poursuivre la politique de normalisation des relations diplomatiques avec les démocraties populaires, tout en proposant une conférence pour la paix réunissant, outre les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, l'URSS et le Japon. En avril 1991, Mikhaïl Gorbatchev rencontre Roh Tae-woo en Corée du Sud, et en novembre 1992 Boris Elstine se rend à son tour à Séoul.

 

La RPDC a vivement critiqué le rapprochement soviéto-sud-coréen comme tendant à pérenniser la division de la Corée, ainsi que l'a rappelé Kim Yong-nam, ministre des Affaires étrangères, à son homologue soviétique en visite à Pyongyang, Edouard Chevardnadze, les 2 et 3 septembre 1990. Les relations bilatérales sont ensuite pratiquement gelées, avant que la visite à Pyongyang de Geogiy Kunadze, en janvier 1993, n'ouvre la voie à une reprise de la coopération intergouvernementale, notamment dans les domaines scientifique et technique.

 

Dans ce contexte, le rôle politique de l'URSS puis de la Russie en Corée s'effacent dans les années 1990 : les premiers pourparlers sur le nucléaire nord-coréen, dans les années 1990, sont à quatre (les deux Corée, les Etats-Unis et la Chine). La priorité pour la Russie est alors de s'appuyer sur la Corée pour développer économiquement son Extrême-Orient.

 

Les années 2000 : un retour de Moscou sur la scène coréenne

 

Vladimir_Putin_with_Kim_Jong-Il-2.jpgL'accession au pouvoir de Vladimir Poutine a permis une amélioration des relations russo - nord-coréennes, permettant la signature, en février 2000, d'un traité d'amitié, de relations de bon voisinage et de coopération. En juillet 2000, la rencontre à Pyongyang entre le nouveau président russe et Kim Jong-il conduit à la signature d'une déclaration conjointe. En août 2001, le dirigeant Kim Jong-il était à son tour reçu à Moscou. Parallèlement à l'amélioration des relations diplomatiques, les échanges économiques bilatéraux ont connu un regain, ayant dépassé 200 millions de dollars par an entre 2004 et 2006. Outre le dossier de la dette publique nord-coréenne à l'égard de la Russie (estimée à 8 milliards de dollars, dont l'annulation partielle est régulièrement évoquée), un enjeu économique majeur serait le rétablissement des liaisons ferroviaires (en avril 2008, un accord a été signé) et la mise en place d'un gazoduc jusqu'en Corée du Sud, la RPDC étant susceptible de toucher des droits de transit - un accord en ce sens ayant été signé en septembre 2008 entre Gazprom et Korea Gas, à l'occasion de la visite à Moscou du président sud-coréen Lee Myung-bak.

 

Cet exemple montre l'imbrication des dossiers économiques dans les relations russo - sud-coréennes. Moscou a poursuivi une politique d'équilibre diplomatique : en février 2001, Vladimir Poutine a visité la Corée du Sud, et en septembre 2004 Roh Moo-hyun, s'est rendu à Moscou. Dans le domaine économique, outre la coopération économique dans l'Extrême-Orient (qui pourrait aussi inclure le développement de la zone économique spéciale nord-coréenne dans la région du fleuve Tumen), il a été envisagé que la Russie rembourse sa dette vis-à-vis de la Corée du Sud, évaluée à 1,7 milliard de dollars en 2006, par des investissements conjoints dans le réseau ferroviaire nord-coréen. De fait, la dégradation des relations intercoréennes depuis 2008 apparaît particulièrement préjudiciable aux intérêts économiques de la Russie en Extrême-Orient.

 

Depuis 2003, la participation de la Russie aux pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne a marqué un retour de Moscou sur la scène diplomatique dans cette partie du monde. La Russie affiche une position constante pour une solution négociée, s'étant néanmoins jointe à la Chine dans l'adoption, par le Conseil de Sécurité, de résolutions tendant à l'établissement de sanctions, notamment après l'essai nucléaire nord-coréen de mai 2009. Les diplomates russes se prononcent aujourd'hui pour un allègement des sanctions en contrepartie d'un retour de Pyongyang à la table des négociations.

 

Les années 2010 : un nouveau cap dans la politique coréenne de Moscou ?

 

Compte tenu de son intérêt à maintenir un équilibre entre les deux Etats coréens, la diplomatie russe a pu être embarrassée par le naufrage du Cheonan, ayant causé la mort de 46 marins sud-coréens et imputé par la Corée du Sud à la Corée du Nord suite à une enquête internationale à laquelle ont pris part des experts américains et de plusieurs pays occidentaux, mais pas la Chine et la Russie.

 

Invités à examiner les "preuves" recueillies par l'enquête internationale, des experts de la Marine russe n'ont pu que conclure à l'absence de toute implication de Pyongyang dans cette tragédie, dans leur rapport (non rendu public) mais révélé par le quotidien sud-coréen de centre-gauche Hankyoreh. Cette déconvenue pour les autorités sud-coréennes s'ajoute à une réaffirmation constante de Moscou de la nécessité de revenir à une solution négociée sur la crise nucléaire nord-coréenne, conformément à une position à présent défendue par Pékin et Pyongyang, mais aujourd'hui rejetée par Séoul, Washington et Tokyo. Cet infléchissement de la diplomatie russe sur la Corée, à l'aube des années 2010, apparaît ainsi comme une des conséquences du durcissement du gouvernement Lee Myung-bak dans ses relations avec le Nord.

 

Sources :

- AAFC

- Kim Hak-joon (sous la direction de), Korea's relations with his neighbors in a changing world, Hollym International Corp., 1993

- Benoît Quennedey, L'économie de la Corée du Nord, 2011 (à paraître)

- "Russia increases humanitarian assistance to DPRK : minister", Xinhua, 13 mars 2011

- article sur les relations entre la Russie et la Corée du Sud, sur l'encyclopédie wikipédia

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