Un curieux message est apparu en juin dernier sur les pages d'accueil des sites Internet de plusieurs missions diplomatiques sud-coréennes à l'étranger : il s'agissait de la reprise d'une note des services secrets sud-coréens envoyée aux ambassades de la République de Corée (Corée du Sud), et intitulée "Merci de ne pas fréquenter les restaurants nord-coréens". Sous des arguments peu convaincants, la note développait la thèse des néo-conservateurs américains sur la stratégie d'étranglement économique de la Corée du Nord. La vigueur des réactions en Corée du Sud a entraîné le retrait de ces messages sur Internet. L'Association d'amitié franco-coréenne dénonce ces pratiques d'un autre âge, révélatrices de l'emprise que continuent d'exercer les services secrets sur la société sud-coréenne. Comme les nobles émigrés de retour après la Révolution française et l'Empire, les espions sud-coréens n'ont "rien appris, rien oublié" depuis la chute du régime militaire à Séoul.
Le 19 juillet 2012, un Nord-Coréen ayant fait défection au Sud, Jon Yong-chol, a donné une conférence de presse au Palais de la culture du peuple, à Pyongyang, après son arrestation pour terrorisme. Il a déclaré être revenu au Nord en tant qu'agent d'une organisation soutenue par les gouvernements américain et sud-coréen, le Front de libération du peuple nord-coréen (FLPNC) dirigé par Kim Song-min, avec pour mission de détruire les statues des dirigeants nord-coréens, en vue de créer une situation d'instabilité politique. Il a précisé qu'il devait passer à l'acte le 27 juillet, célébré en République populaire populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) comme le jour de la victoire dans la guerre de libération de la patrie (guerre de Corée). Jon Yong-chol a détaillé devant la presse le mode opératoire envisagé pour l'explosion des statues, ainsi que les préparatifs engagés depuis la fin de l'année 2011. Le gouvernement sud-coréen a réfuté en bloc les déclarations de Jon Yong-chol, qui font état d'une tentative de déstabilisation d'un des deux Etats coréens par l'autre partie sans précédent dans l'histoire des relations intercoréennes depuis deux décennies.
Quelques semaines plus tôt, le gouvernement sud-coréen avait préféré adopter un profil bas sur une autre affaire, moins spectaculaire mais symptomatique de l'activisme des services secrets sud-coréens comme bras armé des conservateurs au pouvoir à Séoul dans leur politique de changement de régime au Nord. Le silence sur cette autre affaire a été observé par les médias sud-coréens conservateurs (Chosun Ilbo, Dong-A Ilbo, Joong-Ang Ilbo) et pro-gouvernementaux (KBS, Yonhap), alors que les preuves matérielles empêchent tout déni.
Comme l'a révélé le Hankyoreh, un des rares médias sud-coréens indépendants du pouvoir conservateur et considéré à ce titre comme l'un des plus fiables par l'opinion publique, une note du service national de renseignement sud-coréen (National Intelligence Service, NIS) a été adressée aux représentations diplomatiques sud-coréennes à l'étranger pour décourager les touristes sud-coréens de fréquenter les restaurants nord-coréens implantés en dehors de la péninsule. Des messages intitulés "Merci de ne pas fréquenter les restaurants nord-coréens" ont été publiés entre le 11 et 19 juin en page d'accueil des sites Internet de plusieurs ambassades et consultats sud-coréens.
L'argumentaire développé ne manque pas de sel : les restaurants nord-coréens sont décrits comme des entreprises uniquement destinées à procurer à la RPD de Corée des devises pour son programme nucléaire et balistique, tout client sud-coréen d'un restaurant nord-coréen se rendant ainsi complice d'une atteinte à la sécurité nationale sud-coréenne. Derrière l'inanité de telles affirmations, fondées sur les raccourcis les plus grossiers, se fait jour un raisonnement bien plus cohérent : plus la Corée du Nord sera asphyxiée économiquement, plus le vieux rêve de l'extrême-droite d'un effondrement de la RPDC aura des chances de se réaliser. Ce qu'oublient naïvement les "faucons" sud-coréens est que leur logique a pour seul effet certain d'appauvrir les populations nord-coréennes. Mais les ultraconservateurs sud-coréens ont montré de manière constante leur désintérêt pour la vie des Nord-Coréens, après avoir pratiqué depuis des années le chantage alimentaire.
Sous couvert d'anonymat, un diplomate du ministère sud-coréen des Affaires étrangères et du commerce a déclaré "ne pas en croire ses yeux" en se demandant "à quelle époque nous vivons". Les messages sur les sites Internet ont finalement été supprimés sans plus d'explications par le ministère des Affaires étrangères sud-coréen. Mais pendant combien de temps la société sud-coréenne acceptera-t-elle encore de se plier aux caprices des services de renseignement, obligés d'inventer des ennemis imaginaires pour justifier le maintien de leurs privilèges ?
Sources : AAFC, Hankyoreh, KCNA (dont photo).
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