Alors que l’idéologie dominante occidentale tend à souvent confondre le libéralisme comme idéologie et la démocratie parlementaire comme système de gouvernement, les observateurs d’Europe ou des Etats-Unis présentent généralement la péninsule coréenne selon le paradigme suivant : au Nord, la République populaire et démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) pays communiste ergo dictature oppressive ; au Sud, la République de Corée (Corée du Sud), régime très libéral et donc démocratique. Alors que l’Association d'amitié franco-coréenne a toujours cherché à réviser une telle vision faite de clichés et idéologiquement marquée de la péninsule, un fait divers de l’actualité récente - le meurtre par les militaires sud-coréens et américains d’un citoyen sud-coréen voulant s’établir au Nord - montre bien que ces paradigmes dominants doivent être remis en cause, dans l’intérêt de tous les habitants de la péninsule.
Le fait que Sud et Nord-Coréens ne puissent que très difficilement communiquer ou même simplement se rencontrer a beaucoup nourri les colonnes de l’AAFC, qui n’a eu de cesse de dénoncer l’absurde situation de partition de la péninsule, faite au détriment des peuples et dans l’intérêt des seules grandes puissances de la guerre froide. Cette situation tragi-comique a souvent mené à des aberrations politiques que l’on ne peut que considérer comme d’un autre âge, notamment la loi de sécurité nationale de Corée du Sud (qui peut, rappelons-le, prévoir jusqu'à la peine de mort pour les individus convaincus de « collusion avec l’ennemi ») qui conduit à environ 400 arrestations de citoyens sud-coréens par an.
Cependant, alors que l’on pensait que la séparation et la mise à distance forcée des deux parties de la Corée héritées de la partition constituait le sommet de l’absurde, les tabous qu’une démocratie est censée s’imposer ont été une fois de plus bravés par les franges les plus militaristes du pouvoir sud-coréen. En effet, le 16 septembre 2013, le citoyen sud-coréen Nam Young-ho, âgé de 47 ans, a été abattu de plusieurs dizaines de balles (à gauche, soldats sud-coréens en exercice) alors qu’il traversait à la nage la rivière Imjin, qui matérialise à certains endroits la « frontière intercoréenne ». Alors que ce genre de transfert restait fréquent jusque dans les années 1970, le flot de transfuges sud-coréens s’est tari avec l’apparition des difficultés économiques en Corée du Nord. Situation somme toute plus que paradoxale car alors que la Corée du Sud libérale connaît une qualité de vie matérielle supérieure à celle du Nord, les autorités sud-coréennes (les « Coréens démocrates » fantasmés par l’occident) préfèrent ôter la vie à l’un de leurs ressortissants plutôt que de lui laisser faire ses propres choix individuels. Il semble en effet que Nam Young-ho avait auparavant cherché, sans succès, à rejoindre d'autres pays, avant de faire le choix de partir en République populaire démocratique de Corée - détruisant par là-même l'invraisemblable fable qu'il aurait été un "espion nord-coréen", comme a voulu le faire croire l'appareil d'Etat sud-coréen.
S’il est indéniable que sur les vingt-cinq dernières années les principaux flux de défecteurs soient en provenance du Nord vers le Sud, essentiellement pour des raisons économiques (la Corée du Sud, à la différence du Nord, ayant notamment l’avantage de ne pas souffrir du plus vieil embargo au monde), l’amélioration de la situation économique de la RPDC a largement tari les mouvements de transfuges nord-coréens et même fait apparaître un phénomène qui commence à prendre de l’importance : les « double defectors », ces Nord-Coréens ayant souvent quitté la RPDC durant la « dure marche » des années 1990 et qui cherchent à revenir en Corée du Nord, incapables de s’insérer dans une société sud-coréenne où ils ne bénéficient d'aucuns réseaux et où les discriminations à l'encontre des Nord-Coréens sont nombreuses. Les cas les plus récents de ces double défecteurs sont notamment ceux de Mme Pak Jong-suk et de M. Kim Kwang-hyok. La recrudescence de ces doubles défections est certainement à l’origine du retour de pratiques meurtrières que l’on croyait abolies depuis la fin du régime militaire de Park Chung-hee (père de l’actuelle présidente Park Geun-hye). Une chose est sûre, c’est que l’assassinat de Nam Young-ho par les garde-frontières sud-coréens donnera sans doute à réfléchir à Son Jong-un, activiste pro-réunification nord-coréen vivant au Sud et qui cherche depuis plusieurs années, en vain, à retourner en RPD de Corée par des voies légales.
Une fois de plus, l’AAFC appelle à la fin des violences et au dialogue intercoréen, le tragique destin de Nam Young-ho témoignant que la situation de partition est mortifère pour tout le peuple coréen, et au-delà l’Asie du Nord-Est.
Sources : AAFC, CNN, KCNA.
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