Comme il l'avait annoncé le 24 mai 2010, le gouvernement sud-coréen a saisi le 4 juin le Conseil de sécurité de l'ONU à propos du naufrage d'un navire de la marine sud-coréenne , le 26 mars, qui a coûté la vie à 46 marins. Le 20 mai, une enquête menée par un groupe d'experts civils et militaires a conclu que le navire avait été la cible d'une torpille tirée par un sous-marin de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). La RPDC a rejeté ces conclusions et nié toute responsabilité dans l'incident maritime du 26 mars. Le 14 juin, les 15 membres du Conseil de sécurité ont donc entendu séparément des représentants sud-coréens et nord-coréens. Le 15 juin, le représentant permanent de la RPDC auprès de l'Organisation des Nations Unies a donné une conférence de presse au siège de l'ONU, à New-York, pour réaffirmer le point de vue défendu la veille devant les membres du Conseil de sécurité, et prévenir un scénario « à l'irakienne » : une manipulation des renseignements qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la paix dans la péninsule coréenne.
« Une guerre peut éclater à tout moment », a déclaré lors d'une conférence de presse, le 15 juin 2010, le représentant permanent de la RPD de Corée auprès de l'ONU, Sin Son-ho, en imputant ce risque aux manœuvres navales « inconscientes » de la Corée du Sud.
Le représentant de la RPDC a réaffirmé que son pays n’est pour rien dans le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan le 26 mars dernier.
La seule manière de faire toute la lumière sur cette affaire, a-t-il estimé, est d’autoriser la RPDC à mener sa propre enquête.
Ce sont les autorités sud-coréennes et américaines qui ont concocté cette affaire, a accusé Sin Son-ho, en jugeant qu’elle bénéficie bien aux Etats-Unis. Devant une salle comble, le représentant de la RPDC a démonté plusieurs points de l’enquête internationale et regretté la position sud-coréenne.
Plutôt que d’accepter la proposition de la RPDC, a-t-il dit, les autorités sud-coréennes ont préféré saisir le Conseil de sécurité des conclusions de l’enquête qu’ont menée des experts civils et militaires sud-coréens, américains, britanniques, canadiens, australiens et suédois.
« Les résultats sont complètement fabriqués », a plaidé le diplomate nord-coréen, en voyant là une « affaire montée de toute pièce » pour servir les intérêts sud-coréens. Il a fait remarquer que la date de parution du rapport d’enquête a coïncidé opportunément avec les élections locales en Corée du Sud et la visite au Japon de la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton.
Remettant en cause la composition, les règles, les procédures et l’indépendance des enquêteurs, le représentant nord-coréen s’est demandé pourquoi des navires de guerre américains et sud-coréens nombreux à ratisser la zone de l’accident, avec des moyens de pointe, n’ont pas réussi à collecter des « preuves substantielles ».
« C’est une farce. C’est de la fiction », a-t-il commenté. Comment se fait-il, s’est-il interrogé, que les restes de la torpille ou encore des inscriptions toujours très lisibles aient résisté à l’explosion et à la chaleur?
Le représentant permanent a affirmé que le jour même du naufrage, les Américains et les Sud-Coréens menaient un exercice militaire commun sur les lieux de l’incident. Il est improbable, dans ces conditions, que les « petits » sous-marins nord-coréens aient atteint le Cheonan, s’est-il défendu.
Dénonçant les restrictions imposées aux enquêteurs internationaux et le silence auquel ont été contraints les survivants du naufrage, Sin Son-ho a accusé les Etats-Unis d’être à l’origine du naufrage, en arguant, par exemple, du fait que le Premier ministre japonais ait reconnu que cet incident était la raison pour laquelle il avait accepté la demande des États-Unis de déplacer leur base militaire d'Okinawa.
De leur côté, a ajouté M. Sin, les autorités sud-coréennes ont vu dans cet incident l’occasion de renforcer les forces conservatrices dans leur pays, de créer des tensions avec la RPDC et de la brouiller avec la Chine.
Lors de la séance informelle du Conseil de sécurité du 14 juin, a-t-il dévoilé, certains pays ont dit que cette affaire devrait être discutée au sein de la Commission d’armistice militaire. Mais, a-t-il rétorqué, les Etats-Unis ont déjà paralysé le fonctionnement de la Commission en mars 1991, en remplaçant le chef du Commandement des Nations Unies par un général sud-coréen (la Corée du Sud n'a pas signé l'accord d'armistice de 1953).
Le Conseil de sécurité, a-t-il averti, risque de se faire duper par une seule partie, comme ce fut le cas en février 2003 pour l’Irak. Les Etats-Unis et le Conseil de sécurité devront alors partager la responsabilité des conséquences de cet incident, a-t-il estimé.
Le représentant a refusé de s’étendre sur le retour de la RPDC aux pourparlers à six pays (deux Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, se contentant de souligner que l’arme nucléaire est une arme de dissuasion. Quant au dixième anniversaire de la Déclaration commune du 15 juin 2000 sur la réunification de la péninsule coréenne, il a regretté que le gouvernement sud-coréen au pouvoir depuis 2008, ait renié cet accord.
Le représentant permanent de la République populaire démocratique de Corée auprès de l’ONU avait déjà adressé le 8 juin une lettre au président du Conseil de sécurité, Claude Heller, pour mettre en garde le Conseil contre une manipulation des renseignements par la partie sud-coréenne et ses alliés américains au sujet du naufrage du Cheonan :
« Je vous adresse la présente lettre compte tenu de l’aggravation récente de la situation dans la péninsule coréenne.
« Le 20 mai 2010, les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud ont publié les "résultats" d’une "enquête" qui établit avec véhémence un lien entre le naufrage du bâtiment de combat sud-coréen Cheonan et la République populaire démocratique de Corée.
« La République populaire démocratique de Corée a immédiatement rejeté en bloc les "résultats de l’enquête", indiqué clairement qu’elle n’avait rien à voir avec cet incident et proposé d’envoyer sur les lieux sa propre commission d’enquête relevant de la Commission de la Défense nationale afin d’évaluer en toute objectivité les "résultats de l’enquête".
« Il serait très utile de ne pas oublier les doutes et les critiques de plus en plus nombreux qui ont été exprimés par la communauté internationale, au-delà des frontières intérieures de la Corée du Sud, dès la publication des "résultats de l’enquête".
« Au fil des jours, l’analyse militaire objective et scientifique et les circonstances dans lesquelles l’incident en question s’est produit montrent qu’il s’agit d’un scénario fabriqué de toutes pièces aux seules fins de servir les objectifs politiques et militaires des États-Unis d’Amérique.
« Pour régler cette affaire, il faudra que la République populaire démocratique de Corée, qui en est la victime, puisse procéder à la vérification des "résultats de l’enquête" et les examiner selon une méthode scientifique et objective.
« Il faut absolument que le Conseil de sécurité ne soit pas à nouveau l’instrument de l’arrogance et de l’hégémonie des États-Unis d’Amérique, qui l’avaient utilisé pour légitimer leur invasion armée de l’Irak, en se fondant seulement sur les mensonges proférés en février 2003 par le secrétaire d’État américain Powell.
« Le Conseil de sécurité a pour devoir de respecter rigoureusement les principes de souveraineté et d’impartialité des États membres de l’Organisation des Nations Unies, qui sont consacrés par la Charte des Nations Unies.
« La mission essentielle du Conseil de sécurité est le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Si le Conseil, conformément à sa mission, souhaite véritablement voir régner la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne, où l’incident du Cheonan a créé une situation de grande instabilité, il lui appartient d’agir pour que les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud reçoivent la commission d’enquête de la Commission de la défense nationale, comme la République populaire démocratique de Corée, qui est la victime, l’a déjà proposé afin de contribuer à la vérification des "résultats de l’enquête".
« Ce faisant, le Conseil de sécurité devrait se donner pour priorité absolue de faire toute la lumière sur cet incident de façon impartiale et objective.
« Si les "résultats de l’enquête", qui ont été fabriqués unilatéralement, étaient inscrits à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et faisaient l’objet d’un débat alors que la partie qui en est la victime directe n’a pas pu procéder à une vérification, cela constituerait très clairement une atteinte à la souveraineté et à la sécurité de la République populaire démocratique de Corée et nul n’ose imaginer la gravité des conséquences d’un tel acte sur la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne.
« Je saisis cette occasion pour vous faire tenir ci-joint le texte de la réponse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la République populaire démocratique de Corée datée du 4 juin 2010 et vous serais reconnaissant de bien vouloir faire distribuer le texte de la présente lettre et de la réponse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères comme document du Conseil de sécurité. » [voir ci-après]
Après l'exposé du 14 juin par les représentants de la Corée du Sud et de la Corée du Nord, le Conseil de sécurité de l'ONU a lancé un « appel fort aux parties afin qu'elles s'abstiennent de tout acte qui pourrait conduire à une escalade des tensions dans la région » et en faveur de la préservation de la paix et la stabilité dans la péninsule coréenne.
Une condamnation, voire une résolution assortie de nouvelles sanctions, à l'encontre de la RPDC qui rejette toute responsabilité dans le naufrage du Cheonan entraînera fatalement des contre-mesures nord-coréennes. Tout dépend désormais de l'attitude de la Chine et de la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité et détenant à ce titre un droit de veto.
Si la France et la Grande-Bretagne se déclarent convaincues par les éléments avancés par la Corée du Sud et les Etats-Unis, imputant à la RPDC le naufrage du Cheonan, la Chine et la Russie se montrent, elles, plus sceptiques, les résultats d'une contre-enquête menée par les experts russes étant attendus dans le courant du mois de juillet.
Sources :
Département de l'information de l'Organisation des Nations Unies, « Conférence de presse du représentant de la RPDC sur la suite à donner à l'enquête internationale sur le naufrage d'un navire sud-coréen », communiqué de presse, New York, 15 juin 2010
Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, document S/2010/294
KCNA, "DPRK Permanent Representative Sends Message to President of UNSC", 9 juin 2010
AFP, « L'ONU met en garde les deux Corées contre une intensification des tensions », 14 juin 2010
Photo : ONU/Mark Garten
Annexe à la lettre datée du 8 juin 2010 adressée au président du Conseil de sécurité
par le représentant permanent de la République populaire démocratique de Corée
auprès de l’Organisation des Nations Unies
Réponse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères
de la République populaire démocratique de Corée
aux questions posées le 4 juin 2010 par l’Agence centrale de presse coréenne
concernant la tentative faite par les États-Unis d’Amérique et ses partisans
de saisir le Conseil de sécurité de l’affaire du naufrage du Cheonan
tout en impliquant la République populaire démocratique de Corée
Ainsi que la République populaire démocratique de Corée l’a déjà expliqué, les « résultats de l’enquête » sur l’affaire qui ont été annoncés par les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud ont été fabriqués de toutes pièces. S’ils étaient véridiques, les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud n’auraient aucune raison de refuser de recevoir la commission d’enquête de la Commission de la Défense nationale de la République populaire démocratique de Corée, qui a déjà proposé de faire confirmer objectivement ces « résultats ».
La condition incontournable au règlement de cette affaire est que la République populaire démocratique de Corée, qui est la victime, procède à une inspection et à la vérification des « résultats de l’enquête » présentés par les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud.
Pour commencer, la « commission d’enquête » concoctée par les autorités sud-coréennes, à la suite d’une manipulation des États-Unis d’Amérique, n’est qu’une vague entité qui ne respecte pas toutes les normes internationales. Les autorités militaires ont le dernier mot et la commission d’enquête comprendrait certains étrangers, mais il n’a pas été indiqué officiellement selon quelles procédures ceux-ci avaient été sélectionnés ni s’ils avaient tous signé les « résultats de l’enquête ». C’est pour cette raison que les autorités sud-coréennes se sont vues obligées de lui donner le nom, bancal et jusqu’alors ignoré du monde entier, de « commission d’enquête mixte civilo-militaire », au lieu de l’appeler « équipe d’enquête internationale ». À présent, elles s’efforcent d’apaiser la communauté internationale, qui a jugé douteux les « résultats de l’enquête », en invitant des experts de pays qui ne sont pas victimes de l’affaire en question.
Le Conseil de sécurité ne doit pas reproduire le précédent lors duquel les États-Unis d’Amérique l’ont sali de leurs mensonges concernant l’Irak. Il importe que les États membres du Conseil de sécurité s’intéressent en priorité à la recherche objective de la vérité et veillent à tirer leurs propres conclusions pour que le Conseil ne soit pas à nouveau utilisé à mauvais escient en raison de l’arrogance des États-Unis d’Amérique et de leurs pratiques arbitraires. Si le Conseil est saisi de cette question, il devrait avant tout prendre les mesures voulues pour que les États-Unis d’Amérique et la Corée du Sud reçoivent la commission d’enquête de la Commission de la Défense nationale, comme l’a déjà proposé la République populairedémocratique de Corée, et laissent cette commission d’enquête confirmer les « résultats de l’enquête ».
Si les États-Unis d’Amérique et leurs partisans saisissent le Conseil de sécurité de cette affaire alors qu’ils ne disposent que des « résultats de l’enquête » obtenus unilatéralement, dont ils refusent que l’authenticité soit confirmée objectivement, cela prouvera irréfutablement qu’ils ont des motifs inavoués.
Dès lors, ni les États-Unis d’Amérique ni le Conseil de sécurité n’auront rien à dire si la République populaire démocratique de Corée riposte par les plus sévères mesures, comme elle l’a fait dans le passé, et ils ne pourront nier leur responsabilité dans le blocage de la dénucléarisation et le déclenchement d’un conflit dans la péninsule coréenne.
Source : Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, document S/2010/294
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