A l'occasion du 60eme anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la République populaire démocratique de Corée, le 6 octobre 1949, le Premier ministre chinois Wen Jiabao a effectué une visite en RPDC du 4 au 6 octobre 2009. La dernière visite d'un Premier ministre de la République populaire de Chine en RPDC remontait à 1991.
Les dirigeants des deux pays avaient auparavant échangé des messages dans lesquels ils s'engageaient à renforcer leur relations pour le bien de la paix et de la stabilité en Asie du Nord-Est. "L'histoire démontre que le développement des relations entre la Chine et la RPDC répond aux intérêts fondamentaux et aux voeux partagés des peuples de nos deux pays", était-il écrit dans le message adressé conjointement par les dirigeants chinois, le président de la RPC, Hu Jintao, le président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, Wu Bangguo, et le Premier ministre, Wen Jiabao. "Cela contribue aussi à préserver la paix et la stabilité de la région."
Dans ce message, la Chine se déclarait également prête à travailler main dans la main avec la RPDC pour faire davantage avancer les relations de bon voisinage, d'amitié et de coopération, Pékin étant déjà le premier partenaire commercial de Pyongyang.
De son côté, le dirigeant Kim Jong-il, président de la Commission de la Défense nationale de la RPDC, a qualifié d'événement mémorable l'établissement des relations entre la RPDC et la République populaire de Chine, affirmant que la RPDC était bien déterminée à consolider et à développer l'amitié avec la Chine et à travailler avec elle pour promouvoir les relations d'amitié et de coopération.
Pendant sa visite en Corée, Wen Jiabao a notamment visité un cimetière dans le district de Hoechang de la province de Phyongan, à 100 km à l'est de Pyongyang, où reposent 134 soldats de l'Armée des volontaires du peuple chinois tombés pendant la Guerre de Corée, dont le propre fils du président Mao Zedong. Entre 1950 et 1953, 2,4 millions soldats chinois se sont battus aux côtés de l'Armée populaire de Corée.
En plus de souligner l'amitié entre la Chine et la RPDC, proches comme "les lèvres et les dents" selon la vieille expression, la visite du Premier ministre chinois a permis d'exposer les positions chinoise et nord-coréenne quant à la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Le dirigeant coréen Kim Jong-il a ainsi rappelé que la dénucléarisation de la péninsule coréenne était une volonté du président Kim Il-sung. Pour y parvenir, il est nécessaire de pacifier les relations hostiles entre la RPDC et les Etats-Unis grâce à des discussions bilatérales. En fonction du résultat de ces discussions, la RPDC est prête à participer à des négociations multilatérales, y compris aux pourparler à six. "Nos efforts pour atteindre l'objectif d'une péninsule dénucléarisée restent inchangés", a conclu le dirigeant coréen.
De 2003 à 2008, les pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne ont réuni les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon. En avril 2009, après sa condamnation par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour avoir lancé un satellite de télécommunications, la RPDC s'est retirée de ces pourparlers devenus, selon elle, une simple "tribune servant à porter atteinte à sa souveraineté à la forcer à désarmer." Il est à noter que l'envoyé chinois aux pourparlers à six, le vice-ministre des Affaires étrangères Wu Dawei, faisait partie de la délégation emmenée par Wen Jiabao en RPDC.
A l'issue de leurs entretiens, Kim Jong-il et Wen Jiabao "sont parvenus à un consensus fondamental" sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, a rapporté l'agence officielle Xinhua (Chine nouvelle).
Du côté des autres parties aux pourparlers, la Russie, par la voix de son vice-ministre des Affaires étrangères, Alexandre Borodavkine, a salué l'intention de la RPDC d'avoir un dialogue bilatéral avec les Etats-Unis en prélude à la reprise du processus des négociations à six.
Selon plusieurs experts russes, malgré le retrait de la RPDC des pourparlers à six - annoncé comme définitif - la position nord-coréenne sur ces pourparlers reste inchangée. Tout dépend désormais de l'attitude adoptée par les Etats-Unis qui n'ont jusqu'à présent manié que l'intimidation et les sanctions vis-à-vis de la Corée du Nord. Sans résultats. Selon Evgueni Kim, du Centre d'études coréennes à l'Institut russe de l'Extrême-Orient, "Washington ne sait que trop bien que Pyongyang ne se décidera jamais au démantèlement unilatéral de son programme nucléaire tant qu'il n'aura pas de garanties solides. Le durcissement des sanctions n'effraie pas outre mesure la Corée du Nord."
Pour sa part, le Japon, où le nouveau Premier ministre, Yukio Hatoyama, prône le dialogue et la coopération, a salué la volonté de la Corée du Nord de reprendre, sous condition, les pourparlers à six. "Des discussions bilatérales sont attendues entre les Etats-Unis et la Corée du Nord", a noté avec satisfaction le ministre japonais des Affaires étrangères Katsuya Okada. Il a toutefois ajouté que celles-ci "doivent avoir lieu dans le cadre strict des négociations à six." Quoi qu'il en soit, ce discours marque une rupture avec l'intransigeance du gouvernement japonais précédent, lequel a soulevé le problème de la disparition de plusieurs de ses ressortissants - sans rapport avec la question du nucléaire nord-coréen - pour ne pas respecter les accords signés en février et octobre 2007 lors des pourparlers. [1]
Face à la bonne volonté manifestée par la RPDC à l'issue de la visite du Premier ministre chinois, la satisfaction affichée par la Russie et, dans une moindre mesure, par le Japon tranche avec la méfiance des Etats-Unis et de la Corée du Sud.
Traditionnellement opposés à des discussions directes avec Pyongyang, les Etats-Unis ont fini par accepter le principe de discussions bilatérales avec la RPDC mais seulement dans le cadre multilatéral des pourparlers à six. Ainsi, l'administration américaine hésite toujours à envoyer à Pyongyang son émissaire pour la Corée du Nord, Stephen Bosworth. "Aucune décision n'a été prise à ce sujet", déclarait encore le 5 octobre le porte-parole du département d'Etat américain cité par l'agence sud-coréenne Yonhap.
Le gouvernement américain soutient le "grand marchandage" proposé par le président sud-coréen Lee Myung-bak, des incitations économiques et politiques pour la Corée du Nord, notamment des garanties de sécurité, en échange du démantèlement de son programme nucléaire en une seule phase au lieu de plusieurs étapes. La RPDC a qualifié la proposition sud-coréenne de "bêtise" et "ridicule", accusant Lee Myung-bak de chercher à "s'interposer dans la question nucléaire" qui concerne au premier chef Pyongyang et Washington, comme rappelé le 28 septembre par Pak Gil-yon, vice-ministre des Affaires étrangères de RPDC. S'exprimant devant la 64eme Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, le vice-ministre nord-coréen a une nouvelle fois exposé la doctrine de son pays qui entend être une puissance nucléaire "responsable". Il a ainsi déclaré que tant que les Etats-Unis ne changeront pas leur politique nucléaire, la RPDC n'aura "pas d'autre option que de s'appuyer sur [des] moyens nucléaires fiables pour assurer l'équilibre nucléaire dans la région [de l'Asie du Nord-Est]." Pour la partie nord-coréenne, la question nucléaire est à régler avec les Etats-Unis qui doivent d'abord renoncer à leur attitude de confrontation. "Nous ne participons pas à une course aux armements nucléaires", a encore déclaré Pak Gil-yon. "Notre arsenal nucléaire a pour mission d'empêcher une guerre."
Mais le plus irrité par la visite de Wen Jiabao en RPDC a été le gouvernement sud-coréen. Séoul est très agacé d’être mis à l’écart des négociations sur le nucléaire nord-coréen. Le gouvernement conservateur du président Lee Myung-bak est ainsi pris à son propre piège puisqu'il a décidé, depuis son arrivée au pouvoir en février 2008, de ne plus respecter la lettre et l'esprit des déclarations Nord-Sud du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007, réduisant au maximum les contacts avec le Nord, supprimant notamment la coopération humanitaire et économique avec la RPDC tant que celle-ci n’aura pas renoncé à ses programmes nucléaires. Or, la question du nucléaire n'est pas évoquée dans les déclarations Nord-Sud de 2000 et 2007.
Le gouvernement sud-coréen s'indigne aussi des accords de coopération signés pendant la visite du Premier ministre chinois. Les accords sino-coréens rendus publics portent sur plus de 200 millions de dollars. Ils concernent l'assistance économique, le soutien aux secteurs de l'éducation et des technologies, des accords touristiques ou encore la construction d'un nouveau pont sur le fleuve Amnok (en chinois, Yalu) séparant la Chine et la Corée. Des experts chinois estiment que Pékin fournira du pétrole brut et des produits alimentaires pour une valeur d'au moins 50 millions de dollars. Proposée par la Chine, la construction d'un nouveau pont sur le fleuve Amnok/Yalu permettra de développer une zone économique spéciale autour de la ville frontalière nord-coréenne de Sinuiju et facilitera les échanges entre la RPDC et la Chine, lesquels s'élèvent à 2,7 milliards de dollars par an.
La Chine a aussi promis une assistance militaire à la RPDC avec laquelle la lie déjà un accord de défense mutuel depuis 1961. La visite du Premier ministre Wen dans le cimetière de Hoechang, en rappelant l'engagement de 2,4 millions soldats chinois aux côtés des Coréens du Nord entre 1950 et 1953, pourrait signifier la volonté de la Chine d'assister militairement la RPDC en cas de crise dans la péninsule coréenne.
Pour le gouvernement sud-coréen, de tels accords prennent le contre-pied des sanctions votées en juin par le Conseil de sécurité de l’ONU à l’encontre de la Corée du Nord. Néanmoins, tournant résolument le dos à la stratégie d'étouffement de la Corée du Nord, prônée par les Etats-Unis et leur alliés et sans grands effets sur le développement du programme nucléaire nord-coréen, la solidarité entre la République populaire de Chine et la République populaire démocratique de Corée, réaffirmée pendant la visite du Premier ministre Wen, semble parvenir à de meilleurs résultats. Les nouvelles perspectives de résolution de la crise nucléaire coréenne, les discussions bilatérales entre les deux principaux protagonistes, la RPDC et les Etats-Unis, qui pourraient précéder une reprise des pourparlers à six, ont même des effets induits inattendus puisque ce moment a été choisi par la France pour, enfin, étudier sérieusement les conditions de l'établissement de relations diplomatiques avec la RPDC.
[1] Le 13 février 2007, aux termes de l'accord intervenu à Pékin à l'issue des négociations à six (Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) sur le programme nucléaire nord-coréen, la Corée du Nord s'est engagée à désactiver son programme nucléaire en échange d'une aide énergétique et alimentaire et de garanties de sécurité par les Etats-Unis. Le 3 octobre 2007, un nouvel accord a été signé par les gouvernements des six pays, concernant le processus de démantèlement des installations nucléaires nord-coréennes : la Corée du Nord acceptait de démanteler ses trois principales installations nucléaires à Yongbyon avant le 31 décembre 2007, sous la supervision d'un groupe d'experts. Elle s'engageait dans le même temps à donner la liste complète de ses programmes nucléaires en échange d'une aide énergétique équivalente à un million de tonnes de fioul lourd.
Sources : AFP, China Daily, Choson Ilbo, ITAR-TASS, KCNA, Kyodo News, ONU, Radio France Internationale, RIA-Novosti
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