Du 6 au 20 mai 2013, un groupe de douze personnes a participé à un voyage en Chine ayant pour thème la découverte de la minorité coréenne et la Chine industrielle du Nord-Est, à travers les provinces de Jilin et du Liaoning. L’organisateur était l’association Rennes-Chine, héritière locale de l’Association des amitiés franco-chinoises, fondée en 1952 et disparue au début des années 1990. Le voyage était ouvert aux membres de l’Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) et six adhérents y participèrent. En peu de temps, beaucoup de découvertes et d’impressions. Ici ne sera abordé que ce qui touche à l’histoire, à la culture à la vie actuelle des Coréens de Chine et bien sûr à leur relations avec les autres nationalités de Chine.
A Jilin, en arrivant, la délégation a visité le parc Beishan, magnifique parc aujourd’hui dans la ville mais qui, sans doute, à la fin des années 1920, était situé en dehors de celle-ci. Dans ses mémoires le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) Kim Il-sung évoque cet endroit où il conduisit beaucoup d’activités. Son ami d’enfance Won Tai-sohn, dans son ouvrage publié aux Etats-Unis en 2003, évoque les jeux et les entraînements qui se faisaient sur les pentes de ce parc. La visite du temple Yaowang, site de réunions secrètes, était, en plus de la beauté du lieu, un moment de rappel de l’histoire.
Le lendemain, la délégation avait demandé à visiter l’école secondaire Yuwen, où le dirigeant coréen a étudié de 1927 à 1929. Bien que ce lycée de 10 000 élèves a été reconstruit, un bâtiment entourant une cour a été conservé au cœur de l’établissement. A titre de témoignage de ce séjour, une statue y a été érigée. Malheureusement, alors que la veille encore aucune difficulté n’avait été annoncée, la délégation a été accueillie dans l’enceinte de l’école... mais l’accès à cette cour historique était fermé. Suite à l’expression de son désappointement, différentes raisons lui ont été données dont la situation internationale… Bref, elle a regardé et photographié l’intérieur de cette cour et la statue à travers la clôture. C’est d’autant plus regrettable que la demande d’étrangers, hormis bien sûr les Coréens, de visiter ce lieu constituait sinon une première, tout au moins une rareté.
Un peu plus tard, sur l’autoroute, une grande inscription a annoncé que les visiteurs entraient sur le territoire de la préfecture autonome coréenne de Yanbian. A partir de là, toutes les inscriptions sont bilingues. Conformément à la politique du gouvernement chinois en faveur des minorités nationales c’est la langue de la minorité qui est mise en avant. Soit le nom en coréen est au-dessus, soit il est placé à gauche du nom en chinois, et ceci de façon systématique.
La ville de Dunhua, première étape, fut la capitale du royaume de Balhae (en chinois Bohai) entre 742 et 756 sous le nom de Junggyeong. La délégation devait visiter un site de tombes de ce royaume, mais il s’est avéré fermé depuis peu pour cause de travaux suite à son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le kimchi, plat de base coréen, commence à faire son apparition sur les tables des restaurants et, sauf quelques exceptions, y restera jusqu’à la fin du voyage.
Ensuite, direction Yanji, siège de la préfecture autonome coréenne de Yanbian. Alors qu'elle était autrefois une région rurale et pauvre, depuis l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la République de Corée (du Sud), en 1992, beaucoup d’habitants sont partis travailler dans la péninsule pour en ramener un peu d’aisance. De ce fait, Yanji est considérée par certains comme la ville où la vie est la plus chère du Nord-Est chinois. Même sur les marchés les commerçants marquent leurs produits à la main en coréen et en chinois. Les mariages mixtes existent et ne semblent pas poser de problèmes. La nationalité d’un citoyen chinois est inscrite sur ses documents d’identité (Han, Coréen, Mandchou…). L’enfant d’un mariage mixte choisit à sa majorité sa nationalité. Il semble plus avantageux, compte tenu des mesures de discrimination positive, de choisir la nationalité coréenne. Plusieurs chaînes de télévision sont entièrement en coréen, offrant des spectacles de chants et danses de qualité jusqu'aux actualités internationales et à la publicité. La nuit, Yanji s’illumine : toutes les façades, les bords de la rivière Tumen, clignotent dans une débauche de lumière, y compris l’hôpital.
Certains membres du groupe avaient des notions très étendues ou plus restreintes en chinois, mais cela ne leur permettait pas à Yanji de comprendre sur la façade de l'hôtel l’inscription « Гостиница ». Ce n’était pas qu’une question de façade car cet hôtel accueillait des Russes de Vladivostok (située à 100 km à vol d’oiseau) venant voir le Changbaishan (en coréen, le Mont Paektu) ou profiter de la médecine chinoise traditionnelle.
Le lendemain fut un moment d’émotion. La délégation a été accueillie dans une maison de retraités coréens, à l’écart de la ville de Longjing. Des deux côtés de la route, dans les champs, sur les pentes des collines, se dressaient de multiples stèles aux martyrs de la résistance anti-japonaise ou aux milliers de combattants des Volontaires du peuple chinois morts sur le sol coréen de 1950 à 1953, en résistant à l’agression américaine. La maison de retraite, entreprise privée, accueille 30 personnes, deux par chambre. L'âge moyen est de 78 ans. Ces retraités ont leurs enfants établis en Corée du Sud et n’ont plus de famille ici pour veiller sur eux. Un groupe accueille la délégation par des chants, notamment patriotiques. Le directeur de la maison de retraite faisait la traduction du coréen au chinois des questions-réponses et la guide assurait la partie chinois-français. Une femme a évoqué son engagement en 1950 pour combattre l’agression américaine et répondait aux questions sur les endroits où elle avait combattu. La délégation entendit de nouvelles chansons coréennes auxquelles elle répondait par des chansons françaises, puis remettait à ses hôtes des petits cadeaux où les boîtes de gâteaux bretons étaient bien représentées. L’un de ses membres prononça le mot kimchi, et il ne fut pas besoin d’interprète : il fut aussitôt amené dans la cave où il y avait trois tonneaux de kimchi d’où fut extraite une grosse quantité qui lui a été offerte et avec laquelle il repartit. Malheureusement, ce n’est pas pratique à ramener en France et il l’offrira au déjeuner aux autres membres du voyage.
L’après-midi a été consacré au village « folklorique » de Guangdong près de Longjing. La guide locale annonçait que ce village est resté vraiment coréen et que l'on y vit comme en Corée du Nord, et pas comme au Sud, et que Kim Il-sung y a mené la guérilla… C’est d’ailleurs un vrai village en activité, organisé pour accueillir des visiteurs et lors de la visite de la délégation française, c’est la famille Kim qui était « de service » ! Les Français ont donc été invités à entrer dans la maison familiale, encore chauffée par le sol à partir du foyer installé à même le sol. S'ensuivirent des explications sur la vie rurale, les outils et les cérémonies par la jeune paysanne qui expliquait la culture des différentes sortes de ginseng en en profitant pour vendre des racines récoltées dans les montagnes toute proches.
S'ensuivit un moment d’altitude. La montagne sacrée des Coréens, le Mont Paektu, est située à la frontière avec la Chine qui la désigne sous le nom de Changbaishan, et constitue un site renommé, d’ailleurs reconnu comme réserve de biosphère depuis 1979 (du côté chinois) et 1989 (côté coréen). Les montagnes toujours blanches ou les montagnes au sommet blanc entourent le lac du Paradis. Les dirigeants chinois y viennent profiter de ses sources thermales. Une particularité est que seulement 30 % des visiteurs peuvent y accéder et voir le lac Tianchi situé au sommet, du fait des conditions climatiques rudes et changeantes. Deng Xiao Ping est venu une fois et a vu le lac, mais le président Jiang Zeming, qui s'y est rendu à quatre reprises, n’a pu y accéder. Pour la délégation, le temps était magnifique, et après avoir emprunté différentes navettes elle a pu admirer ce magnifique paysage. Deux membres du voyage de l’AAFC en avril 2012 avaient, avec beaucoup d’autres visiteurs étrangers, dû renoncer à y accéder côté coréen, car ils avaient alors été pris dans une tempête de neige.
Ce pic volcanique culmine à 2 750 m, et le lac de cratère de 9 km2 était gelé. Deux tiers du lac appartiennent à la RPDC et un tiers à la Chine. Il paraît que, comme au Loch Ness, un animal mystérieux y vit… Une cascade d’eau chaude ne gèle jamais, même l’hiver, et des résurgences permettent de cuire des œufs et des épis de maïs pour les touristes.
Le lendemain, un long trajet dans les montagnes a permis à la délégation de voir des exploitations minières, notamment de charbon, et beaucoup de chantiers d’infrastructure (ponts, voies ferrées..) mais aussi des vignes (le vin de Tonghua est réputé). Elle s'est arrêtée à Jian, ville frontière sur le Yalou, en face de Manpho, cinquième ville de la RPDC. Deux ponts permettent le passage dont l'un, flambant neuf, attend son inauguration. Il a été expliqué que de l’autre côté du fleuve c’est un pays purement socialiste, où les habitants disposent de la gratuité de l’enseignement, des soins médicaux et du logement. Il est montré, de l’autre côté du cours d’eau, les maisons coréennes qui, étant fournies par l’Etat, sont construites sur le même modèle. En 1950, Kim Il-sung a envoyé un télégramme à Mao Zedong pour recevoir un soutien militaire, et ce télégramme est parti de Jian. La guide locale expliqua que beaucoup de volontaires chinois étaient restés en Corée après la guerre compte tenu du déficit en hommes.
Le musée de la ville de Jian est consacré au royaume Koguryo (qui a pris fin en l'an 668) dont cette ville a été l’une des capitales. Beaucoup de tombes monumentales ont été découvertes dans les alentours. La dernière capitale du royaume a été Pyongyang. La délégation a pu découvrir la stèle monumentale du roi Haotai, 19ème souverain de Koguryo, en l'an 414 de notre ère.
La délégation prit à nouveau la route de la montagne pour arriver à Huanren, où elle a gravi les 999 marches pour accéder au Wu Nu Shan, superbe montagne abritant des restes d’une cité Koguryo et lieu fondateur de ce royaume. En bas se situe un musée toujours consacré à cette civilisation, qui gagnerait à être plus connue en Occident. Le beau temps était toujours avec la délégation.
Le lendemain marquait l'arrivée dans Dandong, la plus grande ville-frontière. Ici en dehors des Han les Mandchous constituent la principale ethnie. La guide locale de la délégation accompagne régulièrement des touristes chinois en RPDC (14 fois) et en République de Corée (10 fois). Les Français ont embarqué pour un tour en bateau sur le Yalou, qui permit d’apprécier la complexité et l’imbrication de la frontière. Dans beaucoup d’autres endroits du monde il y aurait eu conflit. Mais la délégation s'est rendue en RPDC sur l’eau, car la réglementation le permet, le franchissement de frontière ne s'opérant qu’en débarquant. En face de Dandong, Sinuiju est la quatrième plus grande ville de le RPDC et un grand pont permet le passage routier et ferroviaire. Il y a sur le Yalou, à cet endroit, 61 îles et les principes du partage, fait dans les années 1960, semble-il, sont frappés au coin du bon sens. Premièrement, y a-t-il des habitants, et si oui de quelle nationalité ? Si ce sont des Chinois l’île est réputée chinoise, et si ce sont des Coréens elle est coréenne. Deuxièmement, à défaut d’habitants, l’île est-elle cultivée et par qui ? Si ce sont des Coréens l’île est réputée coréenne… ou l’inverse.. Troisièmement, à défaut d’habitants et de culture, c’est la proximité par rapport aux rives qui détermine l’appartenance.
Le résultat du partage est que 48 îles sont sur le territoire de la RPDC et 13 appartiennent à la Chine. Sur le Yalou, la délégation passa à côté des îles où travaillent des paysans coréens. Il lui a été dit que, du côté chinois, la surveillance de la frontière se fait par caméra vidéo, et, du côté coréen, par des soldats installés dans des tours. Mais, de fait, la surveillance est discrète. Un pêcheur coréen aborda le bateau pour proposer du poisson, une tortue étonnante et des objets touristiques dont des coffrets de ginseng. Malheureusement pour lui, les touristes chinois et occidentaux - dont faisait partie notre groupe - n'étaient guère intéressés. Cette petite croisière fluviale en eaux internationales est une drôle d’attraction touristique. Le petit bateau-mouche avec des toits en forme de pagode accueille une quarantaine de touristes qui louent des jumelles et chacun scrute avec curiosité la Corée du Nord (ci-dessous, maison nord-coréenne).
Il reste un morceau restauré de grande muraille (construite par les Chinois pour se protéger du royaume de Koryo) et à son pied se trouve l’endroit où les deux pays sont le plus proche, de quelque quinze à vingt mètres, séparés par un bras de rivière, un peu de clôture et une pancarte en chinois et en anglais. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer en Occident, cette frontière ne présente pas d'arsenal dissuasif du côté coréen et encore moins du côté chinois, en dehors d’une présence militaire très discrète, ici comme à Jian.
Tout en haut de cette grande muraille « de cinéma », au plus haut sommet, une tour permet de voir un large pan de territoire de la RPDC parsemé de quelques villages. Et pour ceux qui auraient une mauvaise vue, des puissantes jumelles télescopiques, payantes, sont à disposition du public. Le pays du matin calme serait-il une curiosité, même en Chine ?
Toujours à Dandong, la délégation se rendit au Musée de la Guerre de résistance à l’agression américaine et de soutien à la Corée. Une grande tour de 53 mètres a été érigée pour commémorer la date de la fin de la guerre, comportant 1014 marches pour rappeler les 1014 jours de guerre. Le musée a été construit en 1958 sur un site où résidait un état-major durant la guerre. Le musée est très bien organisé, et tous les objets exposés sont réputés authentiques. Près de 3 millions de volontaires chinois ont combattu en Corée. Dans une salle, une statue commémore le décès de Mao Anying, le 25 novembre 1950, sous les bombardements américains. Fils aîné de Mao Zedong, il était interprète de russe et secrétaire du quartier général des Volontaires du peuple chinois.
Enfin, à Shenyang, la délégation visita le Musée du 18 septembre 1931. C’est la date de la provocation montée par l’agresseur japonais comme prétexte à l’invasion de la Mandchourie. L’occupation, très dure, dura 14 ans. La Mandchourie sera libérée en 1945 avec l'appui de l’armée soviétique. Le musée est vaste et bien organisé. Dans une grande salle, un décor est aménagé, constitué de vrais bouleaux élancés dans un paysage enneigé et de mannequins vêtus d’habits molletonnés, pour mieux montrer les conditions de vie des forces de la Résistance.
Tout un pan de mur est consacré à la sinistre unité 731, unité de recherche bactériologique de l’armée impériale japonaise. Dans une vitrine une reconstitution montre le combat dans les montagnes des forces de la guérilla coréenne qui, en 1933, luttaient sur le sol chinois contre les Japonais. On voit le dirigeant Kim Il-sung, jumelles à la main, alors âgé de 21 ans.
Pendant moins de deux semaines la délégation a reçu de nombreuses informations qu’il lui faut maintenant assimiler, et, entre autres, des présentations de l’histoire souvent à l’opposé de ce qui est enseigné en France et en Occident. Bref, de quoi alimenter la réflexion et mieux comprendre les origines de la situation actuelle dans cette partie du monde.
Photos : YB-CA