Le 22 décembre 2013, les forces de police sud-coréennes ont violemment investi les locaux du syndicat KCTU, à la recherche de syndicalistes de l'Union coréenne des chemins de fer (acronyme anglais : KRWU) contre lesquels le Gouvernement a lancé un mandat d'arrêt. L'irruption de la police dans les locaux de la KCTU, sans précédent depuis la légalisation de la KCTU en 1999, montre clairement la volonté des autorités de Séoul d'aller à l'affrontement pour faire cesser une grève qu'elles jugent "illégale", de concert avec la direction de l'entreprise. En réaction, la KCTU a lancé un appel à la grève générale à compter du 28 décembre prochain, se déclarant en campagne pour "faire tomber l'administration Park".
Le 9 décembre 2013 à 9 heures du matin, après l'échec des négociations avec la direction, le syndicat des cheminots lançait une grève contre la décision - actée le lendemain - de la société Korail de créer une filiale KTX Suseo, chargée de la nouvelle ligne du train à grande vitesse (KTX) au départ de la gare de Suseo, au Sud-Est de la capitale. Le capital de KTX Suseo, public, serait détenu à 41 % par Korail. Si la direction de Korail et le gouvernement de la présidente Park Geun-hye ont affirmé qu'il ne s'agissait, selon eux, en aucun cas d'une privatisation, de fait la mise en place d'une société distincte jette les bases pour une évolution en ce sens, puisqu'il suffira ensuite de céder les parts que détiennent les personnes publiques dans le capital de KTX Suseo. Le syndicat KRWU dénonce également une première étape vers des licenciements massifs et exige également, l'engagement de discussions sociales, que refuse Korail (à gauche, manifestation sur la place de Cheonggye, source).
Cette grève, la première dans les chemins de fer depuis quatre ans, est considérée comme illégale par Korail. La direction a ainsi décider de sanctionner et de suspendre les 8 000 grévistes ayant rejoint le mouvement. Elle a également porté plainte contre 190 dirigeants du syndicat, en arguant des pertes financières engendrées par la grève.
Répondant aux voeux de la direction de Korail, la police a opéré une descente dans les locaux du syndicat des cheminots KRWU. Les policiers étaient munis de mandats d'arrêt, suite au refus des dirigeants du mouvement de se présenter aux convocations des procureurs.
Dans la nuit du 17 au 18 décembre, un accord a été conclu entre la société Séoul Métro, exploitatrice de quatre des neuf lignes de métro de la capitale, et le syndicat, qui avait lancé un préavis de grève à compter du 18 décembre et aurait donc rejoint le mouvement de protestation.
Le 22 décembre, ce sont 4 000 policiers qui ont occupé, pendant douze heures, les locaux de la centrale KCTU, dans une chasse à l'homme contre neuf dirigeants syndicaux de KRWU soupçonnés d'avoir trouvé refuge au siège u syndicat (depuis, il a été annoncé qu'au moins plusieurs d'entre eux seraient abrités dans un temple bouddhiste de l'ordre Jogye). Scandalisé par une action sans précédent depuis sa légalisation en 1999 et ayant conduit à 136 arrestations (photo ci-dessous : arrestation d'un syndicaliste de la KRWU au siège de la KCTU, le 22 décembre 2013), le syndicat KCTU a dénoncé "une violente action dictatoriale" et lancé un mot d'ordre de grève générale à compter du 28 décembre.
Le quotidien progressiste Kyunghyang Shinmun, dont les locaux sont situés dans le même immeuble que la KCTU, a rendu compte de la violence inouïe de l'attaque des forces de police (photo ci-dessous, source) : "la principale porte vitrée a été brisée par un marteau lancée par la police, l'odeur âcre du gaz lacrymogène imprègne encore chaque coin du bâtiment et des morceaux de verre et d'autres débris jonchent le sol. C'était tout simplement un acte de violence qui a ramené la société sud-coréenne des dizaines d'années en arrière et constitue une sérieuse remise en cause de la liberté de la presse et de la démocratie. C'est pourquoi nous faisons fortement pression sur le Gouvernement pour identifier clairement comment les dernières actions de violence contre la presse et la démocratie ont été préparées et menées, afin d'en punir les responsables".
La criminalisation des grévistes a un but clair : comme naguère Mme Thatcher, la présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye s'enorgueillit de ne pas céder aux revendications sociales et elle escompte une radicalisation du mouvement qui mettrait à genoux les grévistes et lui profiterait, en atteignant la popularité d'une grève qui bénéficie d'un large soutien dans l'opinion. Comme l'a observé le professeur Cho Hee-yeon de l'Université Sungkonghoe dans un entretien au quotidien Hankyoreh, "il semble qu'il s'agit d'une décision stratégique de la ligne dure des bureaucrates de la Maison bleue [note de l'éditeur : siège de la présidence sud-coréenne] (...) Ecraser la grève contre la privatisation est le seul moyen de maintenir les syndicats sous contrôle, et ils pourraient aussi engager la prochaine étape de leur politique".
La mobilisation de l'appareil d'Etat policier et judiciaire aux côtés du Gouvernement et de la direction de Korail est symptomatique de la profonde régression des libertés politiques et sociales en Corée du Sud, un an après l'élection - lourdement controversée - de Mme Park Geun-hye à la présidence de la République. Il est manifeste que cette dernière, qui avait déjà exercé les fonctions de "première dame" pendant le régime militaire instauré par son père, n'a, à l'instar des émigrés d'Ancien régime revenus en France en 1814, rien appris ni rien oublié. Car dans quel autre pays démocratique une grève serait-elle considérée par nature comme illégale ? Dans quel autre pays démocratique les locaux d'un syndicat donneraient-ils lieu à une occupation de type militaire, dans une terrifiante chasse à l'homme qui n'a d'autre but que de faire des exemples et d'étouffer toute velléité contestatrice ? La direction de Korail et le gouvernement de Mme Park affirment qu'ils n'ont pas l'intention de privatiser. Alors, pourquoi refusent-ils le dialogue social proposé par la KRWU, de même que la médiation offerte par les députés du Parti démocrate (centre-gauche, principal parti d'opposition) ?
En réalité, comme pour l'interdiction du principal syndicat enseignant et du Parti progressiste unifié, le pouvoir sud-coréen est engagé dans un bras-de-fer dont l'objectif est bien d'étouffer toute voix critique. A cet égard, la grève de la KRWU est une opportunité qu'exploite Mme Park Geun-hye pour faire triompher sa vision d'un Etat corporatiste, dans lequel les syndicats intégrés ne serviraient plus que de courroie de transmission des mesures d'accompagnement de la marche forcée à la privatisation, à la dérégulation et aux licenciements. Les gouvernements occidentaux, en fermant les yeux sur ces atteintes de plus en plus patentes aux règles basiques d'un Etat de droit, sont aujourd'hui les complices des fossoyeurs de la démocratie sud-coréenne.
Sources :
- KBS, "Grève des cheminots sud-coréens inquiets d'une éventuelle privatisation de Korail", dépêche en date du 9 décembre 2013 ;
- KBS, "La police perquisitionne les bureaux du syndicat de Korail en raison de la grève des cheminots", dépêche du 17 décembre 2013 ;
- KBS, "Le syndicat et la direction de Séoul Métro trouvent un terrain d'entente et évitent la grève", dépêche du 18 décembre 2013 ;
- KBS, "Le ministre des finances promet qu'il n'y aura pas de privatisation des chemins de fer", dépêche en date du 20 décembre 2013 ;
- KBS, "Les cheminots syndiqués continuent à manifester", dépêche du 21 décembre 2013 ;
- KBS, "La police tente sans succès d'arrêter les leaders syndicaux des cheminots", dépêche du 22 décembre 2013 ;
- Hankyoreh, "To cling to power, Park's administration resorts to force", article du 23 décembre 2013 ;
- Kyunghyang Shinmun, "Breaking into the Kyunghyang Shinmun was violence against the press", éditorial du 24 décembre 2013.