Ces dernières semaines, la vie politique sud-coréenne a été dominée par une affaire d'espionnage présentée par la presse conservatrice comme la plus importante depuis plus de dix ans. La justice a en effet mis en examen ou interrogé des dizaines de membres de syndicats, d'universitaires ou de représentants de partis d'opposition à propos d'une organisation communiste secrète appelée "Wangjaesan". Mais il y a lieu de s'interroger sur l'existence même d'une telle organisation, dont on peut se demander comment elle aurait pu se mettre en place et atteindre une telle importance, alors que les communications n'ont jamais été aussi étroitement contrôlées en Corée du Sud - pour preuve, l'interdiction depuis cette année en Corée du Sud du site d'une organisation de voyages britannique, Koryo Tours, spécialisée dans les voyages en Corée du Nord, au seul motif qu'y figurent des sources nord-coréennes.
Le scandale est de taille : selon le gouvernement conservateur sud-coréen, ce sont des dizaines de personnalités qui auraient été impliquées dans une affaire d'espionnage au profit de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en étant membres d'une organisation secrète appelée "Wangjaesan" qui aurait reçu ses instructions de Pyongyang. Parmi les personnes mises en examen ou interrogées figurent des universitaires, des syndicalistes (membres notamment de la confédération KCTU) ainsi que des représentants tant du Parti démocratique du travail (gauche) que de la principale formation d'opposition, le Parti démocrate (centriste) - dont un ancien collaborateur de Lim Jae-chung, ex-président de l'Assemblée nationale, le rédacteur en chef du magazine Minjok 21 et les responsables d'un site Internet, Chongchun, du Comité pour la mise en oeuvre de la déclaration conjointe Nord-Sud.
En ce qui concerne ces deux médias, il a été procédé à un amalgame entre leurs prises de position publiques en faveur du dialogue intercoréen et de la réunification de la péninsule et un prétendu espionnage au profit de la Corée du Nord.
Ce scandale tombe à pic pour le président Lee Myung-bak et sa formation, le Grand parti national (GPN), minoritaire lors des dernières élections locales et partielles, alors que les prochaines élections législatives et présidentielle sont prévues en 2012, respectivement au printemps et en décembre, et que toute l'opposition s'est réunie pour s'opposer à l'installation d'une base navale qu'utiliseraient les Américains dans l'île de Jeju. L'affaire Wangjaesan permet opportunément d'éclipser le débat sur la base de Jeju ou de faire oublier les manifestations pour la diminution des frais de scolarité.
Le contexte de cette nouvelle affaire rappelle celui de l'affaire du Cheonan, le dramatique naufrage d'un navire sud-coréen ayant causé 46 morts en mars 2010, et que Séoul accuse Pyongyang d'avoir torpillé. Pourtant, aucune preuve convaincante n'a été apportée de l'implication de la RPD de Corée, qui a fermement rejeté toute responsabilité. Les résultats de l'enquête incriminant Pyongyang avaient opportunément été publiés à la veille des élections locales mais n'avaient pas empêché la défaite du GPN à ce scrutin, face au scepticisme d'une bonne partie de l'opinion.
Le Parti démocrate a réagi en niant avoir le moindre rapport avec cette affaire d'espionnage, et en déclarant qu'elle faisait partie d'un complot plus large pour déstabiliser la politique sud-coréenne et affaiblir l'opposition libérale avant les élections nationales de 2012.
Pour sa part, la RPD de Corée, dans un bulletin du Communiqué pour la réunification pacifique de la Corée puis dans une dépêche de l'agence KCNA, a dénoncé une machination montée par les services secrets et la police de Corée du Sud afin d'affaiblir les forces progressistes et les partisans de la réunification : chaque fois que les gouvernements conservateurs sud-coréens sont en crise, ils ont, selon KCNA, fabriqué des affaires d'espionnage anti-RPDC "afin de nourrir l'hostilité contre leurs compatriotes en RPDC et s'engager dans une escalade de confrontation et de mouvements guerriers".
Cette année a ainsi vu la réhabilitation de Cho Bong-am, exécuté en 1959 à l'issue d'un procès truqué l'accusant d'espionnage pour la RPDC, alors que le régime Syngman Rhee touchait à sa fin en étant balayé quelques mois plus tard par la révolution démocratique du printemps 1960. Il a fallu 52 ans de combat pour que Cho Bong-am soit réhabilité, mais la vérité finit toujours tôt ou tard par éclater.
Sources : AAFC, Inteldaily et KCNA (dépêches en date du 4 et du 6 août 2011). Photo : Cho Bong-am lors de son procès.
commenter cet article …