Le 10 février 2014, des travailleurs migrants du Musée africain d'art premier (Africa Museum of Original Art, AMOA) de Pocheon ont manifesté devant le siège du Parti Saenuri (conservateur, au pouvoir à Séoul) pour protester contre leurs conditions de travail inhumaines. Le Président du musée, Hong Moon-jong, est le secrétaire général du Parti Saenuri.
C'est une histoire d'esclavage moderne, touchant des travailleurs migrants sans droits dans un pays - la République de Corée (du Sud) - qui se targue de faire partie du club des pays industrialisés membres de l'OCDE, mais qui ne respecte toujours pas les standards minimums du droit international du travail. La République de Corée reste, pour des millions de travailleurs, un enfer du capitalisme, où l'élévation spectaculaire du niveau de vie depuis les années 1960 a été obtenue au prix d'une exploitation féroce, et où un racisme toujours présent place les travailleurs migrants au ban de la société.
Il a fallu une manifestation publique de 12 des victimes pour comprendre le calvaire qu'ont vécu depuis des années 24 travailleurs migrants - originaires du Burkina Faso, du Zimbabwe... - embauchés par le Musée africain d'art premier (AMOA) de Pocheon, pour réaliser des performances, créer des sculptures ou accomplir d'autres tâches. Les atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs sont multiples : non-respect de la législation sur le salaire minimum (les sommes reçues étaient inférieures d'au moins la moitié au minimum légal, fixé à 1.269.000 won ou 1.154 dollars américains par mois) ; versement de sommes insuffisantes pour subvenir aux besoins alimentaires ; non-respect des termes des contrats de travail (les trois performances quotidiennes étaient au nombre de six ou sept) ; méconnaissance des droits à congés... enfin confiscation des passeports lorsque la mobilisation a commencé. Les explications apportées par l'AMOA sont humiliantes, qui feint d'imaginer un statut des intermittents du spectacle ("ils ne travaillaient que 40 minutes par jour") qui n'existe pas en Corée du Sud, et ose prétendre qu'il n'avait pas d'autre choix que de confisquer les passeports pour éviter que les travailleurs ne partent... les passeurs exploitant la détresse des immigrants illégaux ne se comportent pas autrement.
Les artistes et les autres travailleurs africains employés par l'AMOA en étaient réduits à se loger dans des logements insalubres infestés de souris, dans certains cas sans chauffage ni isolation. Enfin, leurs visas de travail n'ont pas été renouvelés après avoir expiré le 9 février dernier, et ils sont ainsi tenus de quitter le territoire coréen d'ici le 27 février. Non seulement ils ont été traités dans des conditions inhumaines, mais ils sont à présent considérés par les autorités sud-coréennes comme indésirables !
Si, dans tous les pays du monde, l'exploitation des migrants prend des proportions hors du commun, le scandale est de taille en Corée du Sud : il ne s'agit pas de travailleurs clandestins, et leur employeur a pignon sur rue, tant par la renommée de l'institution qu'est l'AMOA que par le statut de son directeur, député, secrétaire général du Parti Saenuri (conservateur, au pouvoir), ce qui témoigne du peu de cas que le Parti Saenuri fait des droits des travailleurs. La manifestation devant le siège du parti a retenti du son des instruments traditionnels.
Aux conditions de travail et de vie indignes s'ajoute l'ignominie du discours raciste : un des administrateurs du musée a fait savoir qu'il imaginait que, dans le pays d'origine des travailleurs africains, les salaires versés correspondaient à des revenus importants. Sans doute ce brave administrateur ignorait-il que le coût de la vie n'est pas le même en Corée et dans l'Afrique subsaharienne ? Les promesses d'un logement décent, avec une télévision et un ordinateur, rappellent celles faites aux victimes des réseaux de prostitution, à qui l'on fait miroiter la promesse d'être des mannequins. Les formes modernes de la traite humaine emploient décidément des chemins bien connus.
Il est plus que temps que la Corée du Sud cesse sa course vers une dérive libérale autoritaire. L'AAFC sera, aujourd'hui comme hier, aux côtés des travailleurs sud-coréens pour la défense de leurs droits. Elle continuera d'interpeller le Gouvernement français pour qu'il ouvre enfin les yeux sur la réalité sud-coréenne et ne soit plus atteint d'hémiplégie lorsqu'il prétend faire des droits de l'homme une ligne directrice de sa diplomatie dans la péninsule.
Source : Hankyoreh (articles des 11 et 12 février 2014, dont photos)