Alors que de nombreux Sud-Coréens sont sceptiques quant à la thèse officielle sur le naufrage du Cheonan, les médias occidentaux commencent, à leur tour, à s'interroger sur les conclusions de l'enquête diligentée par le gouvernement Lee Myung-bak. Ce dernier, qui voit dans une attaque nord-coréenne l'argument idéal pour interrompre un rapprochement intercoréen auquel il a toujours été hostile, a saisi le Conseil de sécurité des Nations-Unies le 4 juin, en vue de condamner - voire de sanctionner - Pyongyang.
Dans les médias francophones, un contributeur au média citoyen AgoraVox, Morice, ouvertement hostile à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), condamne la version officielle sud-coréenne comme un "mensonge éhonté" et une "opération de manipulation manifeste" : d'une part, il s'interroge sur la présence de ce qui ressemble à des "balanes" et qui témoigneraient d'une présence dans l'eau de la pièce à conviction plus longue que celle attendue (moins de deux mois) ; d'autre part, il montre que la torpille ne ressemble pas à celles utilisées par les Nord-Coréens, mais plutôt au modèle Mk-44, très courant aux Etats-Unis (lire "Une torpille, au goût de golfe du Tonkin").
Enfin, parmi les grandes chaînes francophones, la Radio télévision belge francophone (RTBF), publique, émet de sérieux doutes sur l'enquête officielle sud-coréenne, en détaillant les failles de l'enquête, Pyongyang étant le "coupable idéal". Nous reproduisons ci-après l'article de Christophe Bastin et Ju. VI, publié sur le site de la RTBF le 3 juin 2010. Notons que leurs auteurs sont eux aussi critiques sur le régime politique de la RPDC, mais les menaces qui pèsent aujourd'hui sur la paix dans la péninsule coréenne exigent de connaître la vérité sur les causes réelles du naufrage, quelles que puissent être par ailleurs les opinions de chacun.
Naufrage en Corée du Sud : la Corée du Nord accusée à tort ?
Le naufrage du Cheonan avait fait 46 victimes sud-coréennes le 26 mars dernier. Une enquête internationale avait attribué cette catastrophe à une attaque nord-coréenne. Il semble toutefois qu'il faille nuancer cette version officielle.
Le 26 mars dernier la corvette sud-coréenne Cheonan faisait naufrage suite à une explosion. Bilan: 46 morts.
Juste après l'incident, alors que l'armée sud-coréenne déclare n'avoir détecté aucun vaisseau de guerre nord-coréen, le gouvernement n'exclut cependant pas la possibilité d'une implication du Nord.
Mi-avril, l'épave est ramenée à la surface et une enquête peut enfin commencer. Selon les premières conclusions, l'incident n'aurait pas été causé par une attaque directe sur la coque mais plutôt par une explosion externe s'étant produite à proximité du vaisseau.
Le 20 mai, soit un mois plus tard, une commission d'enquête internationale met pourtant directement en cause la Corée du Nord. La conclusion est sans nuance: un sous-marin nord-coréen a torpillé la corvette Cheonan.
Une enquête internationale devenue thèse officielle à Séoul
Les résultats de l'enquête sont largement diffusés par les médias du monde entier. Le Président sud-coréen Lee Myung-bak, fort des résultats de l'enquête internationale, s'empresse de dévoiler la liste des mesures de représailles. Suite à cette annonce, la Corée du Nord, qui nie depuis le début toute implication dans l'incident, décide de rompre toute relation avec le Sud et met fin à un accord militaire sur la prévention des conflits maritimes. Lee Myung-bak en appelle alors au Conseil de Sécurité de l'ONU afin de durcir encore les sanctions. C'est l'escalade.
Après avoir enchaîné des déclarations contradictoires, le gouvernement sud-coréen se base donc sur les résultats de l'enquête internationale pour accuser fermement Pyongyang.
Or, cette enquête soulève de nombreuses interrogations et est remise en question par une grande partie de la population sud-coréenne relayée notamment par le Parti démocratique, les quotidiens d'opposition, ainsi que par un réseau d'associations civiles.
Une enquête entachée de failles
Tout d'abord, la validité de la principale pièce à conviction est plus que discutable. Il s'agit d'un fragment de torpille retrouvé dans les fonds marins presque deux mois après l'incident et sur lequel on peut lire le caractère coréen: 1beon (1번 : numéro 1). Premier problème, le caractère coréen est écrit à la main avec un feutre indélébile, un feutre dont l'encre résisterait à la chaleur extrême d'une explosion, et à l'immersion en mer pendant plusieurs semaines. Deuxième problème, la Corée du Nord n'utilise généralement pas le caractère beon (번) mais plutôt le caractère ho (호).
Ensuite, la déclaration suivant laquelle la torpille a été lancée par un sous-marin nord-coréen est également remise en question. Début avril, tant le ministre de la Défense sud-coréen que le commandant des forces américaines stationnées en Corée du Sud avaient affirmé n'avoir détecté aucun mouvement inhabituel des militaires nord-coréens.
Enfin, au moment de l'incident, un exercice naval conjoint americano-sud-coréen impliquant plusieurs navires de guerre étaient en cours et le Cheonan étant lui-même un patrouilleur de combat spécialisé dans la guerre anti-sous-marine. L'infiltration de ce cordon maritime par un sous-marin nord-coréen semble pour certains experts techniquement très peu probable.
L'enquête semble donc comporter des failles. Pourquoi alors cet empressement à accuser le voisin du nord ?
Pyongyang : coupable idéal ?
Pyongyang, dictature totalitaire et dernier régime stalinien de la planète (1), a toujours nié son implication et a exprimé sa volonté d'envoyer une délégation chargée d'examiner les résultats de l'enquête.
Le gouvernement du Sud a rejeté cette proposition. Un refus qui n'est pas étonnant et ce à plusieurs égards.
Tout d'abord, il faut savoir que Lee Myung-bak et son Grand Parti National ont leurs principaux soutiens dans les milieux conservateurs. Ces dirigeants conservateurs ont toujours été hostiles au mouvement de rapprochement des deux Corées initié en 1998 par les dirigeants précédents issus du Parti Démocrate.
Depuis son élection en 2008, Lee Myung-bak a opté pour une politique beaucoup plus dure envers son voisin du Nord, quitte à saper les progrès qui avaient été réalisés depuis dix années en faveur d'une réunification.
Ensuite, rappelons que ce 2 juin ont eu lieu les élections régionales en Corée du Sud. Ces élections ont toutes leur importance, elles sont perçues comme un prélude aux élections parlementaires et présidentielles prévues en 2012.
L'incident constitue donc une occasion de faire souffler une fois de plus le "vent du nord" sur la société sud-coréenne. La menace du Nord permet de légitimer la ligne politique actuelle de Séoul qui se démarque de la main tendue et de la politique de pacification initiée par Kim Dae-Jung à la fin du siècle dernier.
Précisons qu'une grande partie de la population sud-coréenne reste en faveur d'une relation pacifique avec le Nord et craint de voir partir en fumée dix ans d'efforts pour une réunification de la péninsule coréenne.
Christophe Bastin et Ju. Vl.
Crédit photo : Archive EPA
Source : RTBF
(1) NdR - L'AAFC ne partage pas cette appréciation du régime politique de la République populaire démocratique de Corée qui tend à en ignorer le caractère spécifiquement coréen. Comme l'a montré , notamment, le chercheur américain Charles K. Armstrong, les institutions de la RPD de Corée s'inspirent de l'expérience des gouvernements populaires révolutionnaires de la guérilla coréenne établis en Mandchourie entre 1932 et 1935. D'autres démocraties populaires d'Asie, comme la Chine et le Vietnam, sont également issues des luttes de libération nationale.
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