Dans un communiqué publié le 24 août 2013, l'agence KCNA de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a cité l'Association des skieurs de la RPDC dénonçant l'application de la politique d'embargo des Nations Unies à l'encontre de la RPD de Corée pour empêcher l'achat d'équipements destinés à une station de sports d'hiver, dont la construction est en voie d'achèvement après avoir reçu à plusieurs reprises la visite du maréchal Kim Jong-un, au col Masik (photos ci-dessous, source Rodong Sinmun). Un exemple supplémentaire qui montre les incohérences et le ridicule de la politique de sanctions appliquée vis-à-vis de la RPD de Corée, où n'importe quel produit peut être interdit de vente sous le prétexte que le consommateur final pourrait appartenir à la direction du pays. L'AAFC décrypte le vrai enjeu des politiques d'embargo : étrangler économiquement les Etats qui ne veulent pas se soumettre au bon vouloir de l'hyperpuissance américaine.
Initialement, la politique d'embargo à l'encontre de la RPD de Corée visait les équipements militaires et les technologies de pointe - ce qui n'a pourtant pas empêché le pays de se doter de l'arme nucléaire ni de capacités balistiques parmi les plus avancées au monde. Non contents d'imposer par ailleurs un embargo sur les opérations financières avec la Corée du Nord, les Etats-Unis et leurs affidés ont alors décidé d'élargir le champ des sanctions : sous leur impulsion, en 2009, après le second essai nucléaire de la RPDC, le Conseil de sécurité des Nation Unies a inclus tous les produits dits "de luxe", sans bien sûr en donner de définition. Ainsi, les bouteilles d'Evian et les balles de golf sont aujourd'hui interdites d'importation en RPD de Corée... en effet, n'était-il pas connu que le dirigeant Kim Jong-il jouait au golf ? Dans leur délire obsessionnel de prétendument viser la direction de la RPDC, ceux qui décident, seuls, du champ des sanctions se fichent sans doute pas mal de savoir s'il n'existe d'autres joueurs de golf en RPDC, ou s'il est normal d'interdire à un Pyongyangais de boire des eaux minérales importées d'Europe.
En réalité, derrière l'absurdité apparente des sanctions transparaît une logique implacable : mettre à genoux la RPDC en édictant des principes suffisamment flous pour être applicables à tout et n'importe quoi, en visant en fait tout équipement susceptible de contribuer à la modernisation économique du pays. Il suffira ensuite de faire accepter cet état de fait à l'opinion publique et à la presse occidentales en récitant la fable des sanctions ciblées contre les seuls dirigeants. Car, en matière d'embargo, la capacité des opinions publiques d'Europe et d'Amérique du Nord à accepter les sanctions les plus injustifiables est éprouvée. Les Etats-Unis n'ont-ils pas réussi naguère l'exploit d'affamer la population irakienne, alors que l'Irak est un des pays disposant des plus importantes réserves de pétrole au monde ? L'Irak était alors interdite d'exporter du pétrole, ou plutôt devait quémander des autorisations dans le cadre du programme "pétrole contre nourriture" qui était une négation de ses droits élémentaires d'Etat souverain. Cette pratique d'embargo était par ailleurs mise en oeuvre pour le plus grand profit des autres pays producteurs de pétrole de l'OPEP, qui voyaient disparaître un sérieux concurrent, sans que les Etats-Unis et leurs acolytes ne trouvent à redire sur les droits de l'homme dans ces Etats qui sont leurs alliés. Le seul tort de l'Irak était bien de refuser de se soumettre aux diktats américains. Il en va aujourd'hui de même pour la RPD de Corée
N'importe qui ayant un peu visité la RPD de Corée s'apercevra que les pratiques sportives, culturelles et de loisir en RPDC sont très développées, proposées à un prix symbolique. Elles sont favorisées dès le plus jeune âge dans les palais des enfants qui, à travers tout le pays, accueillent les élèves les plus doués, et bien sûr quelle que soit leur appartenance sociale. Suivant la logique absurde des représentants des pays membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, interdira-t-on demain d'importer des violons ou des pinceaux en Corée du Nord ? Il est vrai que lesdits représentants n'ayant, pour la plupart, jamais mis les pieds en RPDC se contenteront certainement de rediffuser en boucle les légendes qui circulent sur le pays, notamment sur Internet, savamment distillées par les services secrets sud-coréens et leurs complaisants relais médiatiques, avides de scoops et d'histoires extraordinaires. Ces mêmes services n'ont-ils pas à deux reprises répandu la rumeur que l'équipe nord-coréenne de football avait fini en camp de rééducation, après ses qualifications en coupe du monde en 1966 et 2010 ? Pour l'équipe de 1966, un réalisateur britannique, Daniel Gordon, a tordu le coup à cette rumeur en réalisant un film sur l'épopée des joueurs coréens, retrouvés une génération plus tard. S'agissant des footballeurs de 2010, ils sont également réapparus dans d'autres compétitions internationales, révélant le peu de sérieux des informations pourtant distillées à grand bruit par certains titres de presse qui avaient cru - consciemment ou non - à la fable des joueurs emprisonnés dans les pires conditions.
S'agissant des équipements pour la station de ski du col Masik, si l'agence KCNA ne cite pas le pays exportateur, selon l'agence Reuters la RPDC aurait passé commande à des sociétés suisses pour des télésièges et d'autres télécabines d'une valeur de sept millions de francs suisses (5,7 millions d'euros). Pour sa part, l'Association des skieurs de la RPDC citée par KCNA a dénoncé les pressions exercées par les Etats-Unis et une politique d'embargo qui vise les populations, en violation de la Charte des Nations Unies.
Peu soucieux de recouper leurs informations, la plupart des médias occidentaux reprennent mot à mot les éléments de langage du gouvernement américain : la station de ski ne bénéficierait qu'à "l'élite" de la RPDC et les équipements incriminés sont donc des produits de luxe relevant de l'embargo... Sidérant raisonnement qui qualifie un produit en fonction de ses consommateurs finaux ! Les Américains, les Français ou les Suisses utilisant les télécabines des stations de ski sont donc tous d'infâmes privilégiés, consommant des produits de luxe ? Il est vrai que tout consommateur d'une bouteille d'Evian a lui aussi accès à un luxe tapageur et inacceptable, si l'on suit la fine analyse du comité des Nations Unies chargé de la mise en oeuvre de l'embargo contre la RPDC...
Comme pour les millions de Coréens qui ont assisté aux spectacles de gymnastique de masse Arirang, ceux qui pratiqueront le ski à la station du col Masik ne seront évidemment pas des privilégiés. On retrouvera, parmi eux, des citoyens récompensés pour leur contribution au développement du pays, des habitants de la région - un peu comme si, en France, un habitant des Alpes fréquentait la station de sport d'hiver située près de son domicile, à cette différence fondamentale que, en RPDC, les loisirs sont quasi gratuits - ou encore des élèves sélectionnés pour leurs aptitudes sportives, la RPDC participant déjà régulièrement aux Jeux olympiques d'hiver, dont l'édition de 2018 se tiendra au Sud de la péninsule. Des voix se sont d'ailleurs élevées, de chaque côté de la péninsule, pour associer les deux Corée à cet événement. La construction de la station Masik ne doit-elle pas aussi être resituée dans ce contexte ?
Ceux qui, croisés de l'anticommunisme, néoconservateurs affolés par la réalité d'une RPDC dotée de l'arme nucléaire et devenue une puissance spatiale, sont les plus ardents défenseurs de l'embargo contre la RPD de Corée ont évidemment d'autres objectifs moins avouables : non seulement ruiner la Corée du Nord, mais aussi la frapper au moment le plus opportun. La station de Masik est presque terminée. En empêcher l'achèvement en frappant d'embargo des télésièges et des télécabines, c'est caresser le secret espoir qu'elle ne verra jamais le jour. On peut aussi imaginer leur jubilation à l'idée que les Nord-Coréens soient dans l'incapacité d'accueillir une partie des Jeux olympiques de 2018 comme l'idée en circule au Nord et au Sud de la péninsule coréenne, tout en entravant la possibilité pour les sportifs de la RPDC de s'entraîner dans des conditions satisfaisantes.
Il est désormais temps que la raison l'emporte, et que l'absurde politique d'embargo qui frappe d'abord - sinon exclusivement - les seules populations nord-coréennes soit enfin levée.
Sources : AAFC, KCNA (dépêche du 24 août 2013), Reuters (cité par Les Echos).
commenter cet article …