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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 10:23

couverture_courrier_international_kim_jong_un.jpgDans son numéro 1112 (du 23 au 29 février 2012), l'hebdomadaire Courrier International a consacré en une son dossier à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Sous le titre "Corée du Nord. Cet homme mettra-t-il  fin à la guerre froide ?", la couverture présente une photo du général Kim Jong-un - dont on notera d'ailleurs qu'elle a été tronquée dans la partie supérieure où figurent les autres titres et le nom du journal, ce que les Nord-Coréens ne manqueraient pas de considérer comme un signe d'irrespect en observant que, par exemple, les images du Président Nicolas Sarkozy ou du candidat François Hollande ne sont pas traitées de la même manière... Au-delà de cet aspect de maquette (toutefois chargé de symbolique), le dossier de Courrier International offre une analyse tout à fait intéressante, reprise et commentée ci-après.

 

Sur six pages (pp. 14 à 19), dans son dernier numéro hebdomadaire du mois de février 2012, Courrier international cherche à décrypter la situation actuelle et les perspectives nouvelles de la RPD de Corée, aujourd'hui dirigée par le général Kim Jong-un, après la disparition du Président Kim Jong-il le 17 décembre 2011.

 

La contribution la plus originale porte sur la perception allemande des perspectives de réunification de la Corée, dans un article d'une page (p. 16) de Jochen-Martin Gutsch intitulé "Petits conseils allemands pour se retrouver". S'il est regrettable que le point de vue retenu soit exclusivement celui de la Corée du Sud - mais il est vrai que les sources utilisées et disponibles ne provenaient que des invitations d'anciens hauts responsables allemands, de l'Est et de l'Ouest de l'Allemagne, par le ministère sud-coréen de la Réunification - il est particulièrement intéressant de relever les réactions de Rainer Eppelmann, dernier ministre de la Défense de la République démocratique allemande (RDA). Tout d'abord, Rainer Eppelmann est choqué qu'un des soucis majeurs des Sud-Coréens soit d'empêcher la libre-circulation des Nord-Coréens au Sud de la péninsule après la réunification, en créant une forteresse au Sud et en dressant des contrôles à une frontière (sic), la DMZ, laquelle n'en est pas une du point de vue des Coréens : "Une chose est sûre, les Sud-Coréens cherchent un moyen de faire rester les Nord-Coréens au nord après la réunification. Ils parlent de contrôles à la frontière. Bon sang ! Ils veulent sérieusement fermer la frontière une fois que le mur sera tombé !". Comme le commente ensuite Jochen-Martin Gutsch, "pour Eppelmann, c'est presque une insulte personnelle. Ancien Allemand de l'Est, il se sent quelque affinité avec les Nord-Coréens". On ne saurait mieux dire : la perception sud-coréenne de la réunification et des Nord-Coréens est lourdement chargée de la certitude, explicite ou implicite, que la Corée du Nord s'effondrera tôt ou tard (pourtant, Hong-Kong et la Chine, le Yémen et le Vietnam ne montrent-ils pas que le cas de la réunification allemande, par absorption d'un des deux Etats, est l'exception plus que la règle ?), et aussi d'une certaine forme de condescendance envers les citoyens de la RPD de Corée. De tels a priori sont, pour l'AAFC, le plus lourd handicap des Sud-Coréens dans leur approche de la réunification.

 

200px-Lothar_de_Maiziere_02.jpgToujours dans cet article, Lothar de Maizière, dernier Premier ministre de la RDA, souligne à cet égard que les Sud-Coréens commettent des erreurs en ne cherchant pas à connaître les attentes des Nord-Coréens, et en mettant en avant leurs plus grandes disponibilités financières dans un esprit qui procède d'une démarche néo-coloniale : "La commission est censée se réunir au cours des cinq prochaines années, alors j'ai posé la question à nos interlocuteurs coréens : est-ce que vous voulez vraiment la réunification ? Est-ce que vous savez ce que veulent les Nord-Coréens ? Ils n'en savent rien. Ils disent que c'est aux Sud-Coréens de régler le problème de la réunification, que c'est eux qui ont l'argent. C'était pareil pour nous. C'était aussi ça le problème. Cela peut créer un fort sentiment de colonisation (...) Chaque rupture historique crée sa génération perdue". Jochen-Martin Gutsch conclut en citant le vice-ministre de la Réunification Kim Chung-sik : "Notre plan prévoit d'abord la paix, ensuite la coopération, puis une confédération et enfin l'unité". L'AAFC observe que ce modèle n'est pas très éloigné de la conception fonctionnaliste de la réunification développée par les anciens présidents sud-coréens Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, mais que les mesures concrètes adoptées par l'actuel Président Lee Myung-bak depuis 2008 ne vont pas en ce sens.

 

Sur les données chiffrées, on notera que la croissance économique annuelle de la RPD de Corée est estimée à 4 % en 2009 (contre 3,9 % pour la Corée du Sud en 2011), confortant d'autres analyses sur le caractère ni fiable, ni cérdible des estimations officielles sud-coréennes sur l'évolution économique nord-coréenne depuis qu'une majorité conservatrice - hostile à l'engagement vis-à-vis du Nord - est au pouvoir à Séoul.

 

Les autres articles, généralement écrits par des Sud-Coréens, ont le mérite d'être mieux documentés que beaucoup d'analyses en français, sans toutefois échapper à une dépendance du point de vue et des médias sud-coréens - par exemple, sur le naufrage du Cheonan, dont de nombreux spécialistes étrangers et sud-coréens ont montré qu'il résultait d'un accident et non d'une attaque du Nord comme a tenté de l'accréditer le gouvernement conservateur du Président Lee Myung-bak, les recherches et les opinions non conformes à la ligne officielle étant censurées en application de la loi de sécurité nationale.

 

Dans "L'implosion du Nord n'est pas à l'ordre du jour", Chong Chang-hyon montre la stabilité et la continuité du pouvoir en RPD de Corée, ainsi que les progrès économiques aujourd'hui enregistrés, notamment dans les domaines de l'électricité et de la production de céréales (4,66 millions de tonnes en 2010 selon les estimations de la FAO et du Programme alimentaire mondial en 2010, soit un déficit par rapport aux besoins du pays ramené à 740.000 tonnes, en partie compensé par des importations de la Chine à hauteur de 320.000 tonnes). Comme l'observe également Chong Chang-hyon, "si l'ambitieux projet de construction de 100 000 logements dans les environs de Pyongyang n'a pas été réalisé, des gratte-ciel vont voir le jour en avril prochain à Mansudae, au centre de la capitale, et le nom de Kim Jong-un sera associé à cet exploit". Pour l'auteur, "il est urgent que le gouvernement du Sud renonce à l'idée de mettre à genoux le Nord via l'embargo et les pressions. Il doit au contraire développer les échanges et la coopération afin d'amener progressivement le Nord à s'ouvrir".

 

Mais une telle évolution est suspendue au résultat des prochaines élections en 2012 en Corée du Sud (législatives le 11 avril, présidentielle le 19 décembre), alors qu'un encadré de Courrier International titre "La droite sud-coréenne toujours intraitable" sur les relations intercoréennes, rejoignant notre analyse selon laquelle la RPD de Corée attend l'issue de ces scrutins pour la relance, ou non, des échanges intercoréens. Cependant, comme le détaille un autre article de Pak Song-il "Là où s'usine le dialogue" (p. 15), la zone industrielle conjointe de Kaesong a continué à se développer sous le mandat de Lee Myung-bak, employant aujourd'hui 50.000 ouvriers nord-coréens employés dans 123 sociétés sud-coréennes, mais à un rythme moins rapide que prévu, là encore du fait des politiques menées par le pouvoir conservateur à Séoul. Cité par Pak Song-il, Chong Ki-sop, vice-président (sud-coréen) du Conseil des entrepreneurs de la zone de Kaesong, a déclaré : "Nous sommes venus parce que le gouvernement nous avait promis des aides. Aucune de ces promesses n'a été respectée par l'actuel gouvernement !".

 

Dans "Une réunification hors de prix" (p. 17), Pak Pyong-rul n'échappe pas aux poncifs sur l'écart de développement économique entre le Nord et le Sud de la Corée. Les données ne sont pas fausses, mais leur présentation est biaisée, en faisant l'impasse sur la croissance économique rapide du Nord ainsi que sur son très riche potentiel minier, dont est largement dépourvu le Sud, et qui est un gage de développement futur, pour peu que soient rénovées les infrastructures permettant leur exploitation dans les meilleures conditions. Sur la même page, l'encadré "La femmes d'affaires, la veuve et le gourou" présente le rôle, dans la promotion des échanges intercoréens, de Hyun Jeong-eun, présidente du groupe Hyundai (premier investisseur sud-coréen au Nord), de Lee Hee-ho, veuve de l'ancien président Kim Dae-jung, et de Moon Hyung-jin, président de l'Eglise (Moon) de la réunification, dont il est notamment rappelé qu'elle possède le Washington Times, par ailleurs proche des républicains américains, et de fait souvent très bien informé sur la Corée du Nord, sur laquelle le quotidien a souvent donné des informations en exclusivité.

 

Le dossier de Courrier international rappelle aussi le rôle économique et politique de la Chine, d'abord attachée à la stabilité de la péninsule coréenne, dans la reproduction des extraits d'un article du quotidien Huanqiu Shibao, qui présente notamment l'intérêt de donner le point de vue officiel chinois : "La Chine se doit de protéger de façon claire et déterminée l'indépendance et l'autonomie de la Corée du Nord, en garantissant la non-ingérence de forces extérieures dans le processus de transition du pouvoir. Le nouveau dirigeant nord-coréen étant assez jeune, certains Etats nourrissent l'espoir de voir la Corée du Nord changer profondément et ils pourraient engager différentes actions pour engager une telle évolution. La Chine doit résolument chercher à contrebalancer les pressions exercées de l'extérieur (...). La Chine doit (...) oser assumer ses amitiés et ne peut se dérober dans les moments critiques. C'est ainsi que la Chine aura de plus en plus d'amis. Dans le cas contraire, son nombre d'alliés diminuerait". De fait, les relations traditionnelles d'amitié entre la RPD de Corée et la Chine se sont renforcées dans la période récente. On regretta toutefois que le graphique figurant sur la même page de Courrier international, en se contentant de reprendre les données déjà anciennes du service de recherche du Congrès américain (par ailleurs très documentées) sur les échanges bilatéraux entre la Chine et la RPD de Corée, datent déjà de plus de deux ans. En 2011, selon les douanes chinoises, le commerce entre les deux pays a atteint 5,63 milliards de dollars (contre 2,68 milliards de dollars en 2009 selon les chiffres figurant dans l'hebdomadaire). La même remarque peut être faite sur l'encadré économique de la page 16, qui donne également l'estimation la plus basse du PIB par habitant nord-coréen (1.800 dollars en parité de pouvoir d'achat, contre une estimation de plus du double par Global Insight, cette dernière étant plus conforme aux autres données disponibles, comme la consommation d'énergie).

 

Un dernier article est plus anecdotique, mais emblématique des rapports interhumains entre Nord et Sud-Coréens, qui partagent une même culture et une même histoire : Thomas Fuller du New York Times montre comment "Nord et Sud fraternisent... à Angkor !", dans l'un des restaurants nord-coréens établis en dehors de la péninsule coréenne. Un autre restaurant nord-coréen , le Pyongyang Begonia, vient d'ailleurs d'ouvrir récemment ses portes, en Europe cette fois, en ce début d'année 2012, à Amsterdam aux Pays-Bas (cf. photos ci-dessous, extraite du blog Beijing Shots).

 

North_Korean_Restaurant_in_Amsterdam_1.jpg

 

North_Korean_Restaurant_in_Amsterdam_2.jpg

 

North_Korean_Restaurant_in_Amsterdam_3.jpg

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