La colère monte en Asie de l’Est – et tout particulièrement en Chine et en Corée – après les visites de plus en plus fréquentes de responsables politiques japonais au sanctuaire Yasukuni, où sont honorés 2,5 millions de morts de guerre japonais dont 14 criminels de guerre de premier rang de la Seconde Guerre Mondiale – et qui est considéré à ce titre comme un symbole du passé militariste du Japon. Intervevant à la veille d'une tournée en Asie de l'Est du président américain, les hommages rendus au sanctuaire Yasukuni interviennent à un moment où le gouvernement japonais de Shinzo Abe discute d’une révision de la Constitution qui remettrait en cause son contenu pacifiste : aujourd’hui, le Japon dispose non pas d’une armée à proprement parler, mais de forces d’autodéfense qui ne peuvent pas s’engager sur des théâtres d’opérations extérieurs. Le gouvernement japonais cherche à faire plier en ce sens la superpuissance américaine, qui a besoin de supplétifs dans la région Asie-Pacifique où elle concentre ses forces pour endiguer la montée en puissance de la Chine.
Le 22 avril 2014, ce sont 146 députés japonais – y compris de l’opposition démocrate – qui ont visité le sanctuaire Yasukuni, soulevant de nombreuses protestations des pays victimes du militarisme nippon pendant la Seconde guerre mondiale. Depuis l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe à Tokyo en 2012, les visites de responsables politiques japonais n’ont jamais été aussi nombreuses depuis 1989. Le Premier ministre japonais a lui-même montré la voie en se rendant lui-même au sanctuaire Yasukuni le 26 décembre 2013, à l’occasion du premier anniversaire de la formation de son gouvernement.
Qin Gang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a déclaré que "le dossier du sanctuaire Yasukuni est à la fois un facteur destructeur des relations entre le Japon et ses pays voisins, et un lourd fardeau pour le Japon lui-même". Cho Tai-young, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré que le sanctuaire "Yasukuni honore des criminels de guerre et glorifie les invasions et agressions guerrières du Japon", en ajoutant qu’ "il est vain que le Japon parle du futur à ses voisins tant qu'il rend hommage au sanctuaire Yasukuni" à des criminels de guerre.
La date choisie par les parlementaires japonais intervient avant une tournée du Président américain Barack Obama en Asie de l’Est, qui doit le conduire au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et en Malaisie. La priorité stratégique des Etats-Unis est le renforcement de leur présence dans le Pacifique (à terme, en 2020, la région Asie-Pacifique doit concentrer 60 % de forces navales américaines) pour contrer la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) – qui a vivement dénoncé cette visite – et, implicitement, la montée en puissance de la Chine. Le 21 avril 2014, le porte-parole du ministère nord-coréen des Affaires étrangères a dénoncé "l'escalade des tensions" entretenue par les Etats-Unis, poussant ainsi à la course aux armements nucléaires dans le foyer d'instabilité que constitue la péninsule coréenne. Il a également appelé les grandes puissances eurasiatiques à refuser l'hégémonie américaine.
Washington souhaite un resserrement des liens entre ses alliés pour conforter ses seuls intérêts, et un des objectifs de la tournée de Barack Obama est ainsi d’aplanir les contentieux entre Séoul et Tokyo. Le gouvernement japonais sait le prix que Washington est prêt à payer à cette fin, et les provocations que constituent les visites au sanctuaire Yasukuni s’inscrivent également dans un chantage de Tokyo pour obtenir des gages de Washington en vue de sa remilitarisation et pour avancer ses pions sur les litiges territoriaux qui l’opposent tant à Pékin qu’à Séoul. Mais Washington va-t-il céder aux pressions japonaises, en sacrifiant les intérêts sud-coréens ?
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