Dans notre édition du 11 février 2013, nous rendions compte du combat de deux travailleurs du groupe Hyundai, Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong. L'AAFC reproduit ci-après un nouvel article, toujours traduit du russe, de Vladimir Tikhonov, du département des langues orientales de l’université d’Oslo, en Norvège. Nous appelons toutes et tous à soutenir la lutte exemplaire de Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong, jusqu'à la victoire pour mettre fin au travail précaire en Corée du Sud.
Cela fait plus de 160 jours que se prolonge le combat des deux travailleurs précaires, Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong, de la compagnie Hyundai Motors (usine numéro 1 de Ulsan). Ils refusent de descendre d’un pylone de ligne à haute tension tant que la compagnie n’exécutera pas la décision judiciaire d’engager les travailleurs précaires comme collaborateurs permanents. La compagnie emploie prés de 9000 précaires. Des milliers de travailleurs permanents ont été licenciés par la firme durant la période de la crise financière asiatique et ensuite petit à petit, avec la nouvelle croissance des ventes après 1999-2000, ils ont été remplacés par une « commode » force de travail précaire. « Commode » avant tout au sens de son exploitation, les travailleurs précaires reçoivent seulement de 40 à 60 % du salaire de leurs collègues ayant un emploi fixe. C’est pourquoi, en complément de leurs journées de dix heures, il leur faut faire beaucoup d’heures supplémentaires, en tout jusqu’à 60-65 heures par semaine.
Même si en Corée du Sud les journées de travail à rallonge et la mort sur le lieu de travail de fatigue, d’épuisement physique et nerveux sont une chose ordinaire, le procureur a néanmoins engagé des poursuites contre le directeur adjoint de Hyundai Motors pour violation préméditée de la norme maximum d’heures supplémentaires de 12 heures par semaine. Est-il besoin d’ajouter quoi que ce soit ? Même selon les normes sud-coréennes ce qui se passe dans les usines Hyundai constitue une exploitation préméditée et inhumaine du travail de gens sans droits.
Afin de se défendre, d’acquérir des droits élémentaires, les travailleurs précaires ont créé le 2 mai 2003 leur propre organisation syndicale car le syndicat officiel pour les travailleurs permanents refuse d’accepter les précaires dans ses rangs. Actuellement il ne fait rien pour soutenir leur lutte et en pratique se tient aux côtés de l’administration. Déjà en 2003-2004 le syndicat des précaires avait obtenu des avancées déterminantes. Puis ils ont été autorisés à s’absenter pour aller aux toilettes pendant le temps de travail (auparavant, il leur fallait attendre l'heure de la pause). Mais les manifestations et rassemblements des travailleurs précaires ont donné lieu à des poursuites administratives et criminelles, des arrestations, des actions judiciaires et des licenciements. Le 4 septembre 2005 l’un des licenciés, le camarade You Ki-yok, âge de 31 ans, s’est suicidé en se pendant au toit du bâtiment où se trouve le bureau du syndicat. Bien entendu aucun journal n’a communiqué à ce sujet. La mort d’un militant ouvrier (et dont la famille se trouvait dans une situation économique désespérée avec la disparition de son seul soutien) ne constitue pas un événement en Corée du sud. A ce propos, remarquons que le « tigre économique » sud-coréen occupe l’une des premières places au pour le taux de suicides (31 suicides par an pour 100 000 personnes – en Russie on compte 21 suicides par an pour 100 000 habitants). Mais ce désespoir a finalement poussé la lutte des militants syndicaux à un important succès. Le 22 juin 2010 la Cour Suprême de Corée a prononcé un arrêt qui stipule que l’utilisation massive de main-d’œuvre précaire dans la production permanente de l’usine Hyundai était illégale. Il semblait que l’on voyait la lumière au bout du tunnel.
Malheureusement, tel n’était pas le cas. La compagnie, s’accrochant à des arguties juridiques, refusa tout simplement d’exécuter la décision du tribunal. Les travailleurs indignés déclenchèrent une grève le 15 novembre 2010, arrêtant la production de l’un des ateliers de l’usine pendant 10 jours. Mais le syndicat officiel resta du côté des employeurs, qui avec l’aide de la police bloquèrent les grévistes et les eurent à l’usure. A nouveau suivirent les répressions et d'abord le licenciement des militants syndicaux les plus actifs. Nombre d’entre eux eurent gain de cause devant les tribunaux et au bout d’un an furent réintégrés dans l’usine. Mais le mal était fait, les privations qu’endurèrent leurs familles qui avaient, avant le licenciement, déjà du mal à joindre les deux bouts, a montré aux autres ce qui arrivait lorsque l’on « s’exprime trop ». Même pour défendre une décision du tribunal. La loi dans une société capitaliste est une chose très relative. Le 12 mars 2012 le Conseil Central d’arbitrage du Travail de Corée a pris une décision quant à la demande des 423 travailleurs précaires licenciés ou punis par d’autres moyens avant et après la grève de novembre 2010. 274 d’entre eux furent reconnus « employés illégalement de façon précaire », c’est-à-dire qu’il était reconnu que la firme violait la loi en ne leur fournissant pas un emploi permanent. Mais 148 des plaignants furent reconnus employés légalement sous contrats temporaires, vraisemblablement sur la base d’informations incomplètes et ne correspondant pas à la réalité, fournies par la compagnie. Mais tout cela a-t-il un sens ? De toutes façons la direction n’entendait reprendre aucun des militants précédemment réprimés.
En fin de compte, ne supportant plus les outrages, les prétextes et le fait que Hyundai foulait aux pieds toutes les normes pensables et imaginables des relations de travail, deux militants du syndicat des précaires, Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong, sont grimpés le 17 octobre 2012 sur un pylone de ligne à haute tension et ont déclaré refuser d'en descendre tant que la compagnie n’appliquerait pas la décision de la Cour Suprême de transformer le statut des travailleurs précaires en collaborateurs permanents. La firme, cependant, refuse toute négociation avec l’organisation syndicale des précaires en tant que telle. Visiblement elle compte gagner la victoire sur les « révoltés » à l’usure. Il est vrai que leur santé après plus de 5 mois à une hauteur de plusieurs dizaine de mètres commence à se détériorer. Choe souffre d’un début de méningite et Cheon a, de façon chronique, mal aux reins. Ils ont tous les deux de sérieux troubles de la digestion. Ce n’est pas étonnant, essayez de vous imaginer ce que peut être une telle « vie en hauteur » pendant une demi-année. Il est clair que la compagnie espère que cela se termine par la perte de conscience des deux « protestataires » et qu'on les descende du pylone.
Ainsi l’exploitation des travailleurs précaires se poursuivra comme auparavant...
La question se pose ainsi : avons-nous besoin d’acheter des automobiles qui sont assemblées sur des chaînes de montage par des ouvriers sans droits travaillant 60 heures par semaine, à la limite de l’épuisement complet ? Exploités et rabaissés avec un cynisme rare même dans la jungle capitaliste de la Corée du Sud. Ne faut-il pas soutenir nos frères de classe dans ce pays et dire non à des automobiles pour lesquels des travailleurs paient de leur santé et parfois de leur vie ? Peut-être que notre refus d’acheter les produits Hyundai aiderait à ramener la direction à de meilleurs sentiments, et à entamer enfin des négociations avec l’organisation syndicale des travailleurs précaires pour satisfaire leurs exigences légales.
Source : site personnel de Vladimir Tikhonov. Traduction du russe par l'AAFC (YB). Photos.