Depuis plusieurs années, une base navale est en construction sur l'île de Jeju, au sud de la péninsule coréenne, près du village de Gangjeong. Une fois achevée, cette base militaire sud-coréenne sera aussi utilisée par la marine des Etats-Unis pour se déployer en Asie du Nord-Est, créant de nouvelles tensions dans cette région. La construction de cette base navale portera également un coup fatal à l'écosystème remarquable, mais fragile, de Jeju. Face à ces menaces pour la paix et l'environnement, les citoyens de Corée du Sud sont plus que jamais mobilisés, certains n'hésitant pas à risquer leur vie pour interpeller l'opinion sur la situation de Jeju et ainsi sauver leur île d'un nouveau martyr. L'Association d'amitié franco-coréenne soutient la lutte des habitants de Jeju, en particulier de Gangjeong, et propose ci-après la traduction d'un appel lancé le 13 juillet par le Réseau national de la société civile coréenne pour s'opposer à la base navale de l'île de Jeju.
Nous appelons à sauver Gangjeong !
La côte de Jungdeok du village de Gangjeong sur l'île de Jeju est en train de souffrir. En 2006, l'île de Jeju a été désignée comme île de la paix afin d'apaiser la profonde douleur laissée par le massacre du 3 Avril [1948]*. Quant à la côte de Jungdeok, elle a été reconnue réserve de biosphère, site du patrimoine mondial et parc géologique mondial par l'UNESCO. Il s'agit d'une zone à préserver absolument qui est actuellement menacée par la construction d'une base navale.
Insistant sur le fait que cette base navale est vitale pour la sécurité nationale, le gouvernement [sud-]coréen et la marine imposent sa construction. Cependant, le plan d'expansion de la marine vers l'océan qui justifie la construction de la base a été écarté suite à la révision de la loi sur la défense nationale concernant les menaces récentes sur la sécurité, ne laissant aucune justification pour cette nouvelle base. En outre, l'argument initial du gouvernement quand le budget a été voté à l'Assemblée nationale était que serait construit un site à la fois civil et militaire destiné à être utilisé pour le tourisme et pour les besoins de l'armée. Pourtant, ce plan n'existe plus et seule la base militaire est aujourd'hui en construction.
En maintenant des alliances militaires avec le Japon, l'Australie, la Corée du Sud et l'Inde, et en menant des exercices militaires conjoints avec les Philippines, le Vietnam et Taiwan, les Etats-Unis tentent de renforcer leur ligne de défense contre la Chine. Si la base navale de Jeju est construite, les Etats-Unis, lesquels disposent du droit d'y stationner en application de l'Accord de défense mutuelle signé par la République de Corée et les Etats-Unis, utiliseront sûrement cette base pour lutter contre la Chine. Dans ce cas, l'île de Jeju, île de paix, deviendra le centre d'un conflit militaire entre les Etats-Unis et la Chine, menaçant la sécurité nationale de la Corée du Sud.
Les autorités gouvernementales et militaires, cependant, font la sourde oreille aux protestations des habitants de Gangjeong et des organisations civiques militant pour la paix, comme aux demandes de suspendre la construction venant des partis d'opposition de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. La marine a même usé de la violence contre un civil qui protestait. Le 11 juillet, le gouvernement du pays a recommandé à la municipalité de barrer la route d'une ferme sur la côte de Jungdeok, laquelle est la dernière parcelle de terrain administrée par la ville de Seogwipo sur le site de la construction de la base navale. Cette action répondait à une demande du ministère de la Défense nationale visant à décourager toute tentative de manifestation contre la construction de la base navale. Toutefois, de tels efforts de la part du gouvernement pour forcer la construction n'aboutissent qu'à une plus forte résistance et à des affrontements avec les habitants de Gangjeong et les militants pour la paix. La construction doit être stoppée avant que surviennent des accidents malheureux.
Nous lançons un appel aux autorités gouvernementales et militaires.
Les arguments avancés pour la construction de la base par le gouvernement et la marine ne sont plus valables. En outre, les moyens et procédés utilisés pour promouvoir la construction ont été si violents et trompeurs qu'ils n'ont fait que provoquer davantage de résistance et de ressentiment. Faire avancer la construction de manière unilatérale, au nom du pays, n'est clairement pas une voie judicieuse. Nous appelons les autorités gouvernementales et militaires à renoncer à leur plan de fermer la route de la ferme et à réexaminer complètement le projet de construction de la base navale de Jeju.
Nous lançons un appel au gouverneur de Jeju Woo Keun-min.
Gouverneur Woo, vous étiez conscient des conséquences négatives qui résulteraient de la construction de la base navale et vous aviez raison. Nous vous pressons de renoncer à l'illusion futile des bénéfices du développement et d'écouter les voix désespérées des habitants. Nous vous demandons aussi d'user de votre autorité pour annuler le retrait de la qualification de "zone à préserver absolument" de la côte de Jungdeok. Si vous le faites, l'histoire se souviendra de vous comme d'une personne ayant protégé la paix de Jeju et de la péninsule coréenne.
Nous lançons un appel à l'Assemblée nationale.
En tant qu'entité représentant les citoyens, l'Assemblée nationale a le devoir d'écouter les voix des citoyens et de leur répondre. Nous appelons les partis de l'opposition à être plus actifs pour annuler le projet de construction de la base navale de Jeju. Le Grand Parti national, en tant qu'actuel parti au pouvoir, devrait examiner sérieusement si la base est réellement nécessaire et si le budget du pays doit être consacré à gonfler les forces armées et à alimenter les capitaux de la construction.
Nous lançons un appel aux citoyens.
Les citoyens de Gangjeong se battent seuls depuis quatre longues années. Pendant ce temps, la communauté villageoise a été déchirée, laissant des cicatrices indélébiles. Les citoyens sombrent aussi dans la peur des diverses poursuites lancées par le gouvernement et les sociétés de construction, ainsi que des amendes pouvant atteindre des dizaines de millions de won. Ils souffrent aussi car le rocher de Gureombi, qui représente leurs rêves et leurs souvenirs, pourrait être recouvert de blocs de ciment.
S'il vous plaît, exprimez votre solidarité et apportez leur votre consolation. Et, si vous le pouvez, visitez le village de Gangjeong. Vous pourriez alors être en mesure de comprendre plus clairement pourquoi la construction doit être stoppée. Utilisez aussi votre sagesse et votre énergie pour faire ce que vous pouvez là où vous êtes afin d'empêcher la construction de la base navale de Jeju.
Nous lançons un appel aux défenseurs de la paix dans le monde entier.
Les encouragements, les soutiens et la solidarité du monde entier pour arrêter la construction de la base navale de Jeju donnent aux habitant de Gangjeong et aux militants pour la paix de la force et du courage. S'il vous plaît, diffusez autour de vous les informations sur les questions liées à la construction de la base navale de Jeju et témoignez de votre soutien et de votre solidarité.
Nous essaierons de faire de notre mieux pour empêcher la construction de la base navale de Jeju, laquelle met en danger la péninsule coréenne et l'Asie du Nord-Est et est en train de détruire les vies des habitants de Gangjeong et l'environnement naturel, ce don du ciel. Nous croyons fermement que cette lutte est notre devoir envers l'île de Jeju, où la douleur du massacre du 3 Avril est profondément inscrite, qu'elle est une expression de la conscience que nous avons des souffrances des habitants de Gangjeong, et que c'est l'exigence de l'époque de préserver et garantir la paix pour nos enfants. Nous appelons sincèrement chacune et chacun à se tenir à nos côtés pour protéger le village de Gangjeong et l'île de Jeju.
13 juillet 2011
Réseau national de la société civile coréenne
pour s'opposer à la base navale de l'île de Jeju
Source : Peace Network (traduction : AAFC)
*NdT : A partir du 3 avril 1948, les habitants de l'île de Jeju manifestèrent pour protester contre la tenue d'élections séparées en Corée du Sud et pour le départ des troupes américaines. La vague de répression qui suivit ces manifestations fit, d'après la Commission Vérité et Réconciliation de Corée du Sud, 30.000 morts (sur les 300.000 habitants que comptait l'île de Jeju à l'époque), tués par les forces de police et les milices de droite sud-coréennes, avec le soutien - au moins tacite - de l'armée américaine. L'assemblée sud-coréenne élue le 10 mai 1948 à l'issue d'un scrutin boycotté par la majorité des partis et s'étant tenu dans la seule partie du sud de la Corée (à l'exception de Jeju), porta Syngman Rhee à la présidence. La République de Corée (du Sud) était née, scellant la division de la péninsule coréenne.
Pour en savoir plus sur la lutte contre la base navale de Jeju : Lee Yoo-eun, "Corée du Sud: Lutte pour protéger une réserve naturelle de la contruction d'une base navale", Global Voices, 21 juin 2011
commenter cet article …