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12 septembre 2009 6 12 /09 /septembre /2009 23:22

Pour la première fois, une communauté non-coréenne a décidé, en juillet 2009, d'utiliser comme alphabet officiel l'alphabet coréen, appelé hangeul au sud de la péninsule et choseongeul au nord. Les 60.000 Indonésiens de la tribu des Cia-Cia ont fait ce choix pour transcrire leur langue, menacée de disparition comme 90 % des langues de la planète, tout en bénéficiant du soutien de l'Institut de Recherche sud-coréen Hunminjeongeum.

Sur les 6.000 langues et dialectes recensés aujourd'hui à travers le monde, 5.400 sont parlés par moins de 100.000 locuteurs et se trouvent menacés de disparition, sous l'effet de l'homogénéisation culturelle qui ne laisse que peu de place aux langues non officielles. 

Pour conjurer le déclin de sa langue, membre de la famille austronésienne, la tribu des Cia-Cia (prononcer chi-ah chi-ah), qui compte 60.000 personnes au Sud de l'île Buton (au Sud-Est de la province indonésienne de Sulawesi), a fait un choix original : écrire sa langue, l'une des quelque 670 que compte l'archipel indonésien, en alphabet latin et en alphabet coréen. C'est la première fois au monde qu'une communauté non-coréenne adopte comme alphabet officiel l'alphabet coréen, appelé Hunminjeongeum par les habitants de la péninsule.  

L'Institut de Recherche Hunminjeongeum, en Corée du Sud, a joué un grand rôle dans la décision des Cia-Cia. Il a été fondé en 2007, pour étudier les langues du monde et encourager le choix de l'alphabet coréen pour transcrire - et conserver - les langues menacées de disparition. Il bénéficie du soutien financier de Mme Lee Ki-nam, dont l'histoire dresse un parallèle entre l'alphabet coréen et la langue coréenne, dont l'utilisation avait été remise en cause par les Japonais pendant l'occupation de la péninsule (1910-1945), et les milliers de langues dans le monde qui risquent aujourd'hui de disparaître. Ayant faire fortune dans l'immobilier, Mme Lee Ki-nam, aujourd'hui âgée de 75 ans, est la fille d'un d'un linguiste coréen qui a enseigné la langue coréenne dans la clandestinité, sous l'occupation japonaise. Elle est aussi une descendante en ligne directe du roi Séjong, à l'origine de la création de l'alphabet coréen, promulgué en 1446 pour donner aux Coréens une écriture plus adaptée à la prononciation de leur langue que les caractères chinois, qui resteront cependant prédominants parmi les élites coréennes jusqu'à la disparition de la monarchie. Depuis la libération de la Corée en 1945, l'alphabet coréen a contribué à l'éradication de l'analphabétisme, à l'instar de la réforme de l'écriture chinoise en République populaire de Chine.

Le choix de l'alphabet coréen, appelé hangeul au sud de la péninsule et choseongeul au nord, peut également se justifier par sa facilité d'apprentissage et son caractère logique, ses caractères de base reproduisant les formes de la langue, des lèvres ou des dents, pour prononcer les sons qu'ils transcrivent. Professeur de langue à l'Université nationale de Séoul et président de l'Institut de Recherche Hunminjeongeum, Kim Ju-won a déclaré : "Nous avons essayé à plusieurs reprises par le passé d'encourager l'utilisation du Hangeul parmi les tribus mais c'est la première fois que nous avons signé un protocole d'accord avec un gouvernement local à l'étranger et que nous avons publié de façon officielle un livre de classe en Hangeul qui servira à l'enseignement d'écoliers du pays". Comme l'observe le professeur Lee Ho-young, linguiste à l'Université nationale de Séoul, qui dirige le projet et a co-rédigé le premier manuel de Cia-Cia en alphabet coréen, les Cia-Cia "veulent préserver leur langue et leur culture".


L'appui financier apporté par l'Institut Hunminjeongeum a joué un rôle important dans le choix des dirigeants Cia-Cia : en juillet 2008, Mme Lee Ki-nam a conduit une délégation à Bau-Bau, sur l'île Buton, et proposé la création de manuels en alphabet coréen. Elle a également promis de construire un centre culturel coréen, correspondant à un investissement de 500.000 dollars, et d'encourager le développement économique auprès de tribus qui était encore composées, récemment, de chasseurs-cueilleurs. En novembre 2008, une délégation officielle Bau-Bau a été invitée à Séoul. Enfin, un professeur Cia-Cia, M. Abidin, après avoir reçu une formation pendant six mois à l'Université nationale de Séoul, a commencé à enseigner le 21 juillet 2009 auprès de 50 écoliers, à partir du manuel en alphabet coréen qu'il a co-rédigé avec, notamment, le professeur Lee Ho-young. 

Alors que  les Cia-Cia - à commencer par M. Amirul Tamin, maire de la capitale, Bau-Bau - espèrent aussi que leurs enfants puissent, demain, multiplier les échanges avec la Corée, voire y travailler et y vivre, le succès de la culture populaire sud-coréenne en Asie apparaît également comme un vecteur de diffusion de l'alphabet coréen. D'ores et déjà, les alphabets coréen et latin sont utilisés conjointement sur les panneaux de circulation. Les autorités Cia-Cia envisagent aussi la publication de contes folkloriques et de livres d'histoire en alphabet coréen.

Mais cette initiative suscite également des réserves, alors que les actions conduites par l'Institut Hunminjeongeum ne reçoivent pas de soutien financier du gouvernement sud-coréen. Nicholas T. Dammen, ambassadeur indonésien en Corée du Sud, a ainsi déclaré qu'il ne voyait pas l'utilité pour les Cia-Cia d'utiliser l'alphabet coréen, pourtant enseigné concurremment à l'alphabet latin, tout en craignant l'implication des puissances étrangères auprès d'autres tribus indonésiennes, auxquelles seraient faites des propositions similaires à celle des Coréens.

L'adaptation, ou non, de l'alphabet coréen à la prononciation du Cia-Cia est controversée. Si les deux langues n'ont aucun lien de parenté, rien ne semble toutefois indiquer que l'alphabet coréen serait moins adapté que l'alphabet latin, par exemple, largement utilisé à travers le monde pour transcrire des langues non européennes. Pour les Cia-Cia, l'usage de l'alphabet latin pour la transcription de chansons n'aurait d'ailleurs pas donné des résultats heureux, alors qu'ils ont auparavant utilisé un alphabet, le gundul, basé sur l'écriture arabe. Selon M. Abidin, l'alphabet coréen serait bien adapté à la restitution des sons "b" et "d" du Cia-Cia. Par ailleurs, l'ancienne lettreㅸde l'alphabet coréen a été réutilisée pour rendre le son /v/ en Cia-Cia.

Plus qu'une concurrence avec les alphabets établis - qu'ils soient latin, russe ou arabe (ce dernier utilisé notamment pour l'enseignement du Coran) - qui pourraient générer de possibles incidents diplomatiques, le principal risque est plutôt un abandon prématuré de l'alphabet coréen par les Cia-Cia. Un linguiste sud-coréen avait déjà tenté sans succès, à la fin des années 1990, d'introduire un alphabet basé sur l'alphabet coréen pour le lahu, parlé dans le Sud de la Chine et l'Asie du Sud-Est. Pour sa part, Mme Lee Ki-nam a également échoué dans ses précédentes tentatives, depuis 2003, d'introduire l'alphabet coréen auprès de peuples non coréens - au Népal (auprès des
Chepang), en Mongolie, au Vietnam et en Chine (auprès des Oroqen). Elle-même attribue cet échec au fait d'avoir utilisé comme relais des missionnaires chrétiens, plus préoccupés de prosélytisme religieux que de sauvegarde des langues minoritaires. De fait, si l'alphabet coréen peut rencontrer un succès pour la protection des langues menacées de disparition face à la globalisation culturelle, c'est comme outil véhiculaire neutre, dégagé des soupçons d'impérialisme culturel qui peuvent entacher les autres alphabets, latin, russe ou arabe.

Sources principales : The New York Times,
The Wall Street Journal

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