Le lancement de la fusée Unha-2 le 5 avril dernier et surtout le deuxième essai nucléaire auquel a procédé la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) le 25 mai ont inauguré un nouvel épisode de l' « affaire » du programme nucléaire nord-coréen, qu'on pourrait intituler « L'enterrement des pourparlers à six ». En effet, alors que négociations entamées en 2003 avaient pour but d'aboutir au démantèlement du programme nucléaire nord-coréen, les Etats-Unis ont fait de ce démantèlement un préalable. Dès lors, la Corée du Nord ne veut plus participer aux pourparlers de Pékin, revendiquant son droit légitime à développer une force de dissuasion nucléaire à des fins d'auto-défense. Pendant que la fameuse « communauté internationale » concentre son attention sur le programme nucléaire de la Corée du Nord, y compris en sanctionnant cette dernière, peu de cas est fait des raisons qui poussent la RPDC à l'exercice de sa pleine souveraineté dans le domaine nucléaire. Distinguer les conséquences (le programme nucléaire nord-coréen) et les causes (la tension en Asie) serait pourtant de nature à fournir un début de solution dans l'affaire coréenne. De New-York à Phuket, en passant par Charm el-Cheikh, retour sur la séquence diplomatique de ces dernières semaines.
Le 6 août 2008, à Séoul, le président américain George W. Bush reconnaissait que la Corée du Nord était le pays le plus sanctionné au monde. Moins d'un an plus tard, le 25 mai 2009, la Corée du Nord procédait à son deuxième essai nucléaire, signifiant ainsi l'échec du régime des sanctions.
« Errare humanum est, perseverare diabolicum », dit la sagesse antique. « Il est humain de se tromper, persévérer dans l’erreur est diabolique. » Le 16 juillet 2009, c'est donc un nouveau train de sanctions « diabolique » qui a été adopté par le comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies, en application de la résolution 1874 du 12 juin. Ce comité des sanctions mis en place en octobre 2006, après la résolution 1718 du Conseil de sécurité, a choisi de cibler cinq personnes, cinq sociétés et organismes de RPDC, ainsi que deux types de matériels.
Les cinq Nord-Coréens visés sont Ri Je-son, directeur du Bureau général de l’énergie atomique, Yun Ho-ji, directeur de Namchongang Trading Corp., Ri Hong-sop, ancien directeur du Centre de recherche nucléaire de Yongbyon, Hwang Sok-hwa, haut responsable du Bureau général de l’énergie atomique, et Han Yu-ro, directeur de Korea Ryongakan General Trading Corp. Le comité 1718 leur a imposé une interdiction de voyager et a gelé leurs avoirs à l'étranger en raison de leur implication dans les programmes balistique et nucléaire de la RPDC.
Les cinq entités désignées sont le Bureau général de l’énergie atomique et les sociétés Hong Kong Electronics, Namchongang Trading Corp., Korea Kyoksin Trading Corp. et Korean Tangun Trading Corp. Elles sont soupçonnées de mener des transactions liées à des programmes d’armes de destruction massive ou à la prolifération nucléaire. Elles viennent s’ajouter aux trois autres sociétés nord-coréennes déjà sanctionnées au mois d’avril suite au lancement d'une fusée Unha–2 par la RPDC : Korea Mining Development Trading Corp., Korea Ryonbong General Corp. et Tanchon Commercial Bank.
Enfin, les nouveaux matériels soumis à embargo sont le graphite pour usinage par électro-érosion et la fibre d’aramide. La RPDC a désormais interdiction d’importer et exporter ces matériels utilisables dans les domaines balistique et nucléaire.
La résolution 1874 du 12 juin donnait 30 jours au comité des sanctions pour adopter des mesures spécifiques s’ajoutant à celles déjà prises, interdisant les livraisons d’armes à la Corée du Nord et autorisant l’inspection des navires nord-coréens. Pour Fazli Corman, ambassadeur de Turquie auprès des Nations Unies et président du comité des sanctions 1718, les nouvelles mesures « font attention à exclusivement viser les individus responsables des programmes balistique, nucléaire et liés à d’autres armes de destruction massive de la RPDC. Elles sont conçues de manière à minimiser toute conséquence non intentionnelle pour le peuple de la RPDC. » Après le président Bush avouant que la Corée du Nord est le pays le plus sanctionné au monde, le président du comité des sanctions de l’ONU reconnaît donc aujourd’hui que les sanctions à l’encontre de la RPDC peuvent avoir des conséquences « non intentionnelles » pour ses 23 millions d'habitants.
La perspective de « dommages collatéraux » pour la population coréenne n’a toutefois pas empêché l’ambassadeur du Japon, Yukio Takasu, de qualifier (par atavisme?) de « réussite majeure » l’adoption de nouvelles sanctions, soulignant même que la décision du comité des sanctions du 16 juillet était « définitive et officielle », sans avoir besoin d’autre approbation de la part du Conseil de sécurité des Nations Unies. Déjà réduite aux quinze membres du Conseil de sécurité - quand ce n’est pas à ses cinq membres permanents -, la « communauté internationale » si prompte à condamner la RPDC se voit donc ramenée à cet organe subsidiaire qu'est le comité des sanctions…
Quant à la France, membre permanent du Conseil de sécurité, on ne peut que déplorer son attitude purement « suiviste », bien loin de ses traditions diplomatiques. Vis-à-vis de la Corée du Nord, la position française oscille entre la mouche du coche de la fable et le « Salauds de pauvres! » lancé par Jean Gabin dans le célèbre film La traversée de Paris… La France - qui refuse toujours d'entretenir des relations diplomatiques normales avec la République populaire démocratique de Corée, sous les prétextes les plus divers - semble avoir définitivement renoncé à jouer un quelconque rôle positif dans la péninsule coréenne qui, plus que jamais, constitue l' « angle mort » de sa diplomatie en Asie.
L’adjoint du chef de la délégation nord-coréenne auprès des Nations Unies, Pak Tok-hun, a vivement réagi, qualifiant les sanctions d’ « injustes » et affirmant qu’elles ne porteront pas davantage préjudice à son pays. « Savez-vous combien de pays ont effectué des essais nucléaires et lancé des satellites ? » a-t-il demandé. « Il est absurde de dire que des pays ont le droit de le faire et d’autres non. » En conséquence, la RPDC « n’acceptera pas les résolutions du Conseil de sécurité à l’encontre du Nord et les sanctions prises en vertu de ces résolutions. Les sanctions ne résoudront aucun problème.» Pour la partie nord-coréenne, les sanctions sont une atteinte à la souveraineté de la RPDC et n’ont fait que prouver leur inefficacité alors que le pays les subit depuis plus d’un demi-siècle.
Nombre d'essais nucléaires dans le monde entre 1945 et 2009
La position nord-coréenne a été réaffirmée à Charm el-Cheikh, en Egypte, par le président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême de la RPDC, Kim Yong-nam, qui participait au quinzième sommet du Mouvement des pays non-alignés (MNA). « Il ne peut y avoir ni dialogue, ni négociation quand sont niés les principes de respect des droits souverains et d'égalité », a déclaré le président Kim Yong-nam. Il a rappelé aux délégués des pays non-alignés que les pourparlers réunissant les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon sur la question du programme nucléaire nord-coréen, avaient échoué car la plupart des pays engagés depuis 2003 dans ces négociations avaient abandonné ces principes. La RPDC est le seul participant aux pourparlers à six à être aussi membre du MNA (depuis 1975).
« Face à la situation actuelle, le gouvernement de la RPDC n’a pas eu d’autre solution que prendre des mesures fermes afin de renforcer sa force de dissuasion nucléaire », a ajouté Kim Yong-nam, faisant référence aux diverses tentatives de déstabilisation initiées par l’administration Bush et poursuivies par l’administration Obama, aux manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes tournées contre la Corée du Nord, et au refus persistant des Etats-Unis de signer un traité de paix avec la RPDC pour mettre fin « officiellement » à la guerre de Corée (un simple armistice prévaut dans la péninsule coréenne depuis 1953).
Les nouvelles sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies et les déclarations du président Kim Yong-nam sont intervenues à la veille de l’ouverture de la seizième session du Forum régional de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), le 22 juillet 2009, à Phuket en Thaïlande. Tous les acteurs de la « crise coréenne », à commencer par la RPDC et les Etats-Unis, ont participé à ce forum.
Avant l’ouverture du Forum, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton avait signé le Traité d’amitié et de coopération (TAC) initié en 1976 par les membres fondateurs de l'ASEAN et engageant ses signataires à régler pacifiquement leurs conflits, à renoncer à l'usage de la force ainsi qu'à toute ingérence dans les affaires intérieures de leurs partenaires. Une quinzaine de pays ont déjà signé ce traité, dont la Corée du Nord en 2008. Jusqu’à présent, les Etats-Unis hésitaient à le faire, de peur de réduire leur marge de manœuvre sur les questions politiques et de sécurité en Asie, alimentant ainsi les spéculations sur les ambitions américaines dans cette zone. Les Etats-Unis signifiaient-ils « qu'ils [n'excluaient] pas un recours à la force pour résoudre des conflits, qu'ils [voulaient] s'immiscer dans les affaires intérieures des pays ?» s’est interrogé Rodolfo Severino, ancien secrétaire général de l’ASEAN.
Le fait que la Corée du Nord et les Etats-Unis soient parties au même traité de non agression devrait être un signe encourageant pour les relations entre les deux pays, laissant entrevoir la possibilité de négociations directes entre les Etats-Unis et la RPDC pour remplacer le cadre multilatéral des pourparlers à six. La RPDC est ouverte à de telles négociations avec les Etats-Unis, comme l'a répété en Thaïlande Ri Hung-sik, directeur général du Bureau des organisations internationales du ministère nord-coréen des Affaires étrangères. Ri a souligné que le programme nucléaire militaire nord-coréen n'existe qu'en réponse à la politique hostile des Etats-Unis à l'égard de la RPDC, laquelle ne transigera ni sur sa souveraineté ni sur sa sécurité tant les Etats-Unis déploieront de nombreux systèmes d'armes perfectionnés en Corée du Sud.
L’optimisme soulevé par la signature américaine du Traité d’amitié et de coopération doit être modéré car, selon plusieurs observateurs, les Etats-Unis ont seulement fini par signer ce traité de peur de perdre du terrain en Asie au profit des nouveaux géants que sont l’Inde et la Chine. Avant la signature du TAC, le secrétaire d’Etat adjoint américain pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, Kurt Campbell, en visite à Séoul, indiquait qu'il y avait peu de chance de voir des discussions directes entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. « Nos négociations bilatérales ont lieu entre les Etats-Unis et la Corée du Sud et portent sur une approche collective. » Pour une « approche collective » à deux au sujet de la Corée du Nord, mais sans la Corée du Nord, on peut aussi conseiller à M. Campbell des négociations bilatérales avec la principauté de Monaco...
De son côté, la secrétaire d’Etat Clinton a suggéré que la Corée du Nord puisse être à l’origine d’un transfert de technologie nucléaire vers le Myanmar (membre de l’ASEAN, à la différence des Etats-Unis). « La menace qui m'a toujours fait peur, c'est la prolifération de l'armement nucléaire et des armes de destruction massive. Il est évident que nous sommes très préoccupés par la Corée du Nord et par les récentes informations sur ses possibles accords avec ce que nous appelons la Birmanie » a déclaré la secrétaire d’Etat américaine en usant de l'ancienne appellation du Myanmar. Il s’agit de simples allégations mais, contre la Corée du Nord, tous les coups sont permis, surtout quand la rumeur sème la suspicion. Washington souhaiterait en effet voir les pays asiatiques appliquer fermement les sanctions du Conseil de sécurité à l’encontre de la RPDC.
Hillary Clinton a utilisé des mots assez curieux pour inciter les pays d’Asie à suivre la politique des Etats-Unis à l’égard de la RPDC. « C'est peut-être la mère en moi qui parle mais, d'après l'expérience que j'ai des enfants en bas âge, des adolescents et des gens qui, en général, ont besoin d'attention, je dis: ne cédez pas », a ainsi déclaré la responsable de la diplomatie US. Apparemment peu sensible aux qualités « maternelles » de Mme Clinton, le ministère nord-coréen des Affaires étrangères a répondu en qualifiant la secrétaire d'Etat de femme « inintelligente » (le terme original coréen est, paraît-il, bien moins aimable) qui « tantôt ressemble à une écolière, tantôt à une retraitée allant faire des courses...» Cette joute verbale a bien sûr été une occasion supplémentaire pour les médias occidentaux de jouer les vierges effarouchées et de s’offusquer de la réponse nord-coréenne, dans un bel exercice de « deux poids et deux mesures », oubliant certains propos jadis peu amènes du président Bush à l’égard des dirigeants de la RPDC…
Ces mêmes médias ont-ils aussi seulement lu le traité de 1966 sur l'espace et le traité de 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Le Traité sur l'espace stipule dans son premier article que « l'espace extra-atmosphérique [...] peut être exploré et utilisé librement par tous les États sans aucune discrimination, dans des conditions d'égalité. » Quant au Traité sur la non-prolifération, la lecture de son article 10 révèle que « chaque Partie, dans l’exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. »
Alors que la RPDC et les Etats-Unis sont « techniquement » en guerre depuis 1953 faute d' un véritable traité de paix – toujours refusé par Washington qui maintient 30.000 soldats en Corée du Sud, un réseau de bases militaires en Asie et des centaines de missiles balistiques intercontinentaux - qui peut prétendre que la Corée du Nord ne fait pas face à des « événements extraordinaires » de nature à compromettre ses « intérêts suprêmes »? Face à la première puissance mondiale, la « petite » Corée du Nord - qui a de la mémoire - use pleinement de ses droits légitimes et souverains, usage pour lequel elle est aujourd'hui sanctionnée. Mais pendant que l’exercice de son bon droit par Pyongyang retient l’attention, c’est l’attitude de Washington en Asie qui entretient la tension. Les Chinois ont un proverbe : « Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt. »
Barthélémy Courmont et Céline Pajon,
« La relation transatlantique et l'Asie du Nord-Est : front ou division? »,
Centre d'études transatlantiques, août 2007, p. 49
Sources : AFP, Associated Press, KCNA, Reuters, RIA Novosti, The Hankyoreh, The Korea Herald
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